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Geneviève AGEL | |
LE ZEBRE AMOUREUX | |
Un zèbre amoureux d'une fleur. Elle se moque de lui : "tu as l'air d'un tapis, | |
d'un grillage, d'une page d'écriture, tu es drôle". Alors il se tourne sur lui- | |
même, se met en boule, rentre ses longues jambes et se tient immobile. | |
Regarde ... Je suis devenu une fleur, dit-il gracieusement ... et elle rit aux | |
larmes en le voyant ainsi ... |
Max ALHAU | |
LES GALETS | |
Les galets écoutent la mer | |
qui leur raconte des légendes. | |
Le temps passe sur eux | |
enracinés à même le sable | |
ils imaginent peut-être | |
ce qu'ils aperçoivent au loin | |
et qu'ils ne connaîtront jamais. | |
Les galets demeurent sans bruit | |
veillant avec les étoiles | |
sur le sommeil du monde | |
qui se ferme dans la nuit. |
Alphonse ALLAIS | |
LE MONSIEUR ET LE QUINCAILLIER | |
Le monsieur : Bonjour, monsieur. | |
Le quincaillier : Bonjour, monsieur. | |
Le monsieur : Je désire acquérir un de ces appareils qu'on adapte aux portes et qui font qu'elles se ferment d'elles-mêmes. | |
Le quincaillier : Je vois ce que vous voulez, monsieur. C'est un appareil pour la fermeture automatique des portes. | |
Le monsieur : Parfaitement. Je désirerais un système pas trop cher. | |
Le quincaillier : Oui, monsieur, un appareil bon marché pour la fermeture automatique des portes. | |
Le monsieur : Et pas trop compliqué. | |
Le quincaillier : C'est-à-dire que vous désirez un appareil simple et peu coûteux pour la fermeture automatique des portes. | |
Le monsieur : Exactement, et puis, pas un de ces appareils qui ferment les portes si brusquement... | |
Le quincaillier : ...Qu' on dirait un coup de canon ! Je vois ce qu' il vous faut : un appareil simple, peu coûteux, pas trop brutal, pour la fermeture automatique des portes. | |
Le monsieur : Tout juste. Mais pas non plus un de ces appareil qui ferment les portes si lentement. | |
Le quincaillier : ... Qu'on croirait mourir ! L'article que vous désirez, en somme, c'est un appareil simple, peu coûteux, ni trop lent, ni trop brutal, pour | |
Le monsieur : Vous m' avez compris tout à fait. Ah ! et que mon appareil n'exige pas, comme certains systèmes que je connais, la force d' un taureau pour ouvrir la porte. | |
Le quincaillier : Bien entendu. Résumons-nous. Ce que vous voulez, c'est un appareil simple, peu coûteux, ni trop lent, ni trop brutal, d' un maniement aisé, pour la fermeture automatique des | |
Le monsieur : Eh bien ! montrez-moi un modèle. | |
Le quincaillier : Je regrette, monsieur, mais je ne vends aucun système pour la fermeture automatique des portes. | |
"Les templiers." Editions des 4-Vents |
Louis AMADE | |
LA FLEUR QUI PARLE | |
J'ai découvert la fleur qui parle dans un grand champ de romarin pas très loin de la route d'Arles il était très tôt le matin. | |
Une pierre
presque violette la soutenait comme un écrin elle perdait un peu la tête et moi aussi, je le crois bien. | |
Henriette AMMEUX - ROUBINET | |
LE PRINTEMPS | |
RENCONTRE AVEC LE PRINTEMPS | |
LE PRINTEMPS | |
Ce matin Au détour du chemin Je rencontrai le Printemps Des fleurs à son chapeau des fleurs à son manteau Et même sur son dos . | |
Les unes blanches cernées de rouge , D' autres mauves Et d' autres rouges et d' autres bleues . Quelle joie c' était pour mes yeux ! | |
RENCONTRE AVEC LE PRINTEMPS | |
Ce matin | |
Les unes blanches
semées de rouge D' autres mauves Et d' autres rouges et d' autres bleues. Quelle joie c' était pour mes yeux ! Et je lui dis: " Tu es merveilleux " Et il me regardait Et il riait, et il riait ! Et ses yeux étaient comme des fleurs de lumière Parmi toutes ces fleurs printanières . | |
Et il s' en fut
le chemin En chantant quelque chansonnette . En sautant un peu sur un pied Et puis un peu sur l' autre pied, Comme font les enfants joyeux Quand ils s' entraînent à quelque jeu . Et je le vis disparaître au loin, Avec des fleurs sur son manteau Avec ses fleurs sur son chapeau . | |
Et
il a ainsi parcouru le monde Pimpant, joyeux et tout fleuri Et le monde entier lui a souri | |
"Poèmes de x à y" | |
Auguste ANGELLIER | |
LES CHRYSANTHEMES | |
Le jardin n'a plus que des chrysanthèmes ! Les rosiers sont morts, et les diadèmes Des derniers soleils Tombent, en pliant leurs tiges séchées, Dans l'herbe où les fleurs sont déjà couchées Pour les longs sommeils. | |
Le jardin n'a plus que des chrysanthèmes ! Mais l'année a mis ses grâces suprêmes Dans ces pâles fleurs. Leur seule rosée est la fine pluie, Parfois un rayon presque froid essuie Leur visage en pleurs. | |
Le
jardin n'a plus que des chrysanthèmes ! Allons en cueillir puisque tu les aimes A l'égal des lis, Des amaryllis de larmes trempées, Et des sombres coeurs entourés d'épées De tes chers iris. | |
Jean ANOUILH | |
LA CIGALE | |
La
cigale ayant chanté Tout l'été Dans maints casinos, maintes boîtes Se trouva fort bien pourvue Quand la bise fut venue. Elle en avait à gauche, elle en avait à droite, Dans plusieurs établissements. Restait à assurer un fécond placement. | |
Elle alla trouver un renard, Spécialisé dans les prêts hypothécaires Qui, la voyant entrer l'oeil noyé sous le fard, Tout enfantine et minaudière, Crut qu'il tenait la bonne affaire. "Madame, lui dit-il, j'ai le plus grand respect Pour votre art et pour les artistes. L'argent, hélas ! n'est qu'un aspect Bien trivial, je dirais bien triste, Si nous n'en avions tous besoin, De la condition humaine. De l'argent réclame des soins. Il ne doit pourtant pas devenir une gêne. A d'autres qui n'ont pas vos dons de poésie Vous qui planez, laissez, laissez le rôle ingrat De gérer vos économies, A de trop bas calculs votre art s'étiolera. Vous perdriez votre génie. Signez donc ce petit blanc-seing Et ne vous occupez de rien." Souriant avec bonhomie, | |
" Croyez, Madame, ajouta-t-il, je voudrais, moi, Pouvoir, tout comme vous, ne sacrifier qu'aux muses !" | |
Il tendait son papier." Je crois que l'on s'amuse" , Lui dit la cigale, l'oeil froid. Le renard, tout sucre et tout miel, Vit un regard d'acier briller sous le rimmel. " Si j'ai frappé à votre porte, Sachant le taux exorbitant que vous prenez, C'est que j'entends que la chose rapporte. Je sais votre taux d'intérêt. C'est le mien. Vous l'augmenterez Légèrement, pour trouver votre bénefice. J'entends que mon tas d'or grossisse. J'ai un serpent pour avocat. Il passera demain discuter du contrat;" L'oeil perdu, ayant vérifié son fard, Drapée avec élégance Dans une cape de renard ( Que le renard feignit de ne pas avoir vue), Elle précisa en sortant: " Je veux que vous prêtiez aux pauvres seulement..." ( Ce dernier trait rendit au renard l'espérance.) " Oui, conclut la cigale au sourire charmant, On dit qu'en cas de non paiement D'une ou l'autre des échéances, C'est eux dont on vend tout le plus facilement." | |
Maître
renard qui se croyait cynique S'inclina. Mais depuis, il apprend la musique | |
"Fables" "éditions de la Table Ronde 1962." | |
Guillaume APPOLINAIRE | |
SALTIMBANQUES | |
AUTOMNE MALADE | |
LE PONT MIRABEAU | |
AUTOMNE | |
Louis ARAGON | |
LE CONSCRIT DES CENT VILLAGES | |
LES TROIS PÂQUES DE L'ANNEE | |
BALLADE DE CELUI QUI CHANTE DANS LES SUPPLICES | |
Albert AYGUESPARSE | |
COTE UBAC | |
LANGAGE | |
COTE UBAC | |
Après la fête des fauchaisons, L'été essaye sur la pierre Le tranchant de ses jours. | |
Au pied des montagnes La source noircit les socs. | |
Couronnée de chardons et d'oiseaux, La ville regarde sous elle La coulée solaire de l'exil. | |
Son armure de schiste Brille dans l'herbe mûre. | |
A menus coups de
langue, L'eau lente du fleuve Lustre sa peau d'ardoise | |
Au flanc des vallées
calcinées D'or et d'ombre peintes, Le soleil s'endort sur les scories | |
"Ecrire la pierre" | |
LANGAGE | |
Je dis : nuit, et le fleuve des étoiles coule sans bruit, se tord comme le bras du laboureur autour d'une belle taille vivante. | |
Je dis : neige, et les tisons noircissent le bois des skis. | |
Je dis : mer, et l'ouragan fume au-dessus des vagues, troue les falaises où le soleil accroche des colliers de varechs. | |
Je dis : ciel, quand l'ombre de l'aigle suspendue dans le vide ouvre les ailes pour mourir. | |
Je dis : vent, et la poussière s'amoncelle sur les dalles, ensevelit les bouquets de perles, ferme les paupières encore mouillées d'images de feu. | |
Je dis : sang, et mon coeur s'emplit de violence et de glaçons fous. | |
Je dis : encre, et les larmes se mettent à bruire toutes ensemble. | |
Je dis : feu sur les orties, et il pousse des roses sur l'encolure des chalets. | |
Je dis : pluie, pour noyer les bûchers qui s'allument chaque jour. | |
Je dis : terre, comme le naufragé dit terre quand son radeau oscille au sommet de la plus haute vague et les oiseaux effrayés par mes cris abandonnent les îles qui regardent de leurs prunelles mortes les merveilles des nuages. | |
"Encres couleur de sang" |
Théodore de BANVILLE | |
LE JOUR | |
BALLADE DES PAUVRES GENS | |
LE JOUR | |
Tout est ravi quand vient le jour | |
Dans les cieux flamboyants d'aurore. | |
Sur la terre en fleur qu'il décore | |
La joie immense est de retour. | |
Les feuillages au pur contour | |
Ont un bruissement sonore ; | |
Tout est ravi quand vient le jour | |
Dans les cieux flamboyants d'aurore. | |
La chaumière comme la tour | |
Dans la lumière se colore, | |
L'eau murmure, la fleur adore | |
Les oiseaux chantent, fous d'amour. | |
Tout est ravi quand vient le jour. | |
BALLADE DES PAUVRES GENS | |
Rois qui serez jugés à votre
tour, Songez à ceux qui n'ont ni sou ni maille; Ayez pitié du peuple tout amour, Bon pour fouiller le sol, bon pour la taille Et la charrue, et bon pour la bataille. Les malheureux sont damnés, - c'est ainsi! Et leur fardeau n'est jamais adouci. Les moins meurtris n'ont pas le nécessaire. Le froid , la pluie et le soleil aussi, Aux pauvres gens tout est peine et misère. | |
Le pauvre
hère en son triste séjour Et tout pareil à ses bêtes qu'on fouaille. Vendange-t-il, a-t-il chauffé le four Pour un festin ou pour une épousaille, Le seigneur vient, toujours plus endurci: Sur son vassal, d'épouvante saisi, Il met sa main, comme un aigle sa serre, Et lui prend tout en disant :" me voici!" Aux pauvres gens tout est peine et misère. | |
Frédéric BATAILLE | |
LA GRAND'MERE | |
Silencieuse devant l'âtre | |
Où la flamme gaiement folâtre, | |
Grand-mère songe au bon vieux temps, | |
Au clair soleil de ses vingt ans. | |
Elle a gardé fraîche mémoire | |
Et raconte plus d'une histoire | |
Aux petits, qui n'ont pas encor | |
Le regret de leurs rêves d'or. | |
Souriante, la chère vieille | |
Branle la tête puis sommeille ; | |
Les voisins se sont dit adieu ; | |
Le chat ronronne au coin du feu. | |
Ron ! ron ! Dormez, grand-mère. | |
Le rêve est doux quand on espère ! | |
Dormez ! Le vent d'hiver s'est tu... | |
Que le printemps vous soit rendu ! |
Charles BAUDELAIRE | |
LE CHAT | |
De sa fourrure blonde et brune | |
Sort un parfum si doux, qu'un soir | |
J'en fus embaumé, pour l'avoir | |
Caressée une fois, rien qu'une. | |
C'est l'esprit familier du lieu ; | |
Il juge, il préside, il inspire | |
Toutes choses dans son empire ; | |
Peut-être est-il fée, est-il dieu ? | |
Quand mes yeux, vers ce chat que j'aime, | |
Tirés comme par un aimant, | |
Se retournent docilement | |
Et que je regarde en moi-même, | |
Je vois avec étonnement | |
Le feu de ses prunelles pâles, | |
Clairs fanaux, vivantes opales, | |
Qui me contemplent fixement. | |
"Les fleurs du mal" | |
Hervé Bazin | |
VERT DE MER | |
Un poisson connaissait par coeur les noms de tous les autres poissons. | |
Il connaissait les algues, les courants, les sédiments, les coquillages. | |
C'était un érudit. | |
Il exigeait d'ailleurs qu'on l'appelât " Maître "! | |
Il savait tout de la mer mais il ignorait tout de l'homme. | |
Et un jour il se laissa prendre ou bout d'un tout petit hameçon. | |
Madeleine LE FLOCH | |
"Petits contes verts pour le printemps et pour l'hiver." | |
Le cherche midi éditeur | |
Pierre BEARN | |
LES ARAIGNEES ET LES DICTONS | |
Araignée du matin : chagrin, | |
pensait un bébé coccinelle | |
cherchant à libérer ses ailes. | |
Araignée du midi : souci, | |
grognait un rat dans son chagrin | |
de voir un chat près de sa belle. | |
Araignée du soir : espoir, | |
disait au briquet l'étincelle | |
mourant dans le vent du jardin. | |
Mais l'araignée dans sa nacelle | |
prisonnière à vie de sa faim | |
rêvait qu'elle était hirondelle. | |
" Le livre d'or des poètes n°1 Seghers " |
Michel BEAU | |
L'ETOURDI | |
A B C | |
qui a vu passer | |
D E F | |
la tête à Joseph | |
G H I | |
quand elle est partie | |
J K L | |
elle avait des ailes | |
M N O | |
pour aller là-haut | |
P Q R | |
voler dans les airs | |
V W | |
pour la retrouver | |
X Y Z | |
il faut que tu m'aides. | |
"Jonglerimes" | |
droits réservés |
Barbara BEIDLER | |
REFLEXIONS APRES UN ARROSAGE AU NAPALM SUR LES VILLAGES PRES DE HAIPHONG | |
Tout était calme. | |
Le soleil se leva dans les pins argentés, | |
Au-dessus des toits verts des huttes endormies, | |
Au-dessus des fraîches rizières, | |
A travers la forêt d'émeraude, | |
Puis il gagna le plein ciel. | |
Et puis soudain l'éclair. Argent et or, | |
Argent et or. | |
Vol d'oiseaux d'argent. | |
Averse d'or. | |
L'eau nouvelle enflamma les rizières. | |
La forêt brûla, dorée, lâchant des oiseaux de feu, | |
De petits animaux en fourrure de flammes. | |
Et puis les enfants s'enflammèrent. | |
Ils couraient. Leurs vêtements volaient comme des cerfs-volants. | |
Ils criaient. Leurs cris mouraient sur leurs visages consumés. | |
Ceux des hommes s'embrasaient sur les rizières. | |
Alors vint la pluie. | |
Un chiffon noirci de suie se mit à flotter. | |
Un rond de fumée sortit d'une tige de riz. | |
La forêt resta là, consumée et roussie. | |
Une hutte s'effondra. | |
Et puis, tout fut calme. |
Monika BEISNER | |
SI TU VEUX VOYAGER LOIN | |
Si tu veux voyager loin | |
Voler plus vite que le faucon | |
Prends un peu d' huile, | |
Un peu de neige | |
Fais-les bouillir dans la marmite | |
Pendant une lune et demie | |
Sur un feu de charbon de bois. | |
Mets tout ça dans un sac, | |
Laisse bien reposer | |
Puis mélange avec le charbon calciné, | |
Erase le tout sur une table d' albâtre | |
Et verse la poudre dans une corne, | |
Prends-en une pincée | |
Que tu glisses dans un gros livre. | |
Mets le livre dans ta robe, | |
Dans une poche bien cachée. | |
Prends le livre dans ta main, | |
Pense à l' endroit où tu veux aller; | |
Penses-y fort, fort, fort. | |
Quand tu seras prête à t' envoler | |
Dis trois fois sispi, sispi, sispi | |
Et te voilà bien arrivée. | |
Si tu veux t' en retourner | |
Dis trois fois tsi, tsi, tsi | |
Et te voilà bien retournée. | |
"Enchantements et sortilèges" | |
Traduction française Jenny Ladoix |
Jacques BENS | |
MODESTE | |
Parfois, mes amis boudent, me font grise mine | |
Et me tournent le dos. Pour lors, je m'examine. | |
Par exemple, je crois qu'on me dit prétentieux. | |
Non vraiment, blague à part : je n'ai pas l'air modeste ? | |
Prétentieux ! pas de reproche plus fallacieux ! | |
Je ne juge jamais, ne tranche, ni n'incrimine ! | |
Sur les autres, jamais mon avis ne domine ! | |
(Pourtant, presque toujours, c'est le plus judicieux. ) | |
Objectivement, moi, je me trouve modeste. | |
Bien plus : considérez tel autre qui proteste | |
Et qui, probablement, se voit plus que parfait. | |
Ecoutez-le parler : sans cesse il admoneste, | |
Conseille, contredit, exhorte, manifeste ! | |
Et c'est moi qu'on vient accuser de ce forfait ? | |
"41 sonnets irrationnels." | |
Editions Gallimard | |
Luc BERIMONT | |
LES POINTS SUR LES I | |
Je te promets qu' il n' y aura pas d' i verts | |
Il y aura des i bleus | |
Des i blancs | |
Des i rouges | |
Des i violets, des i marron | |
Des i guanes, des i guanodons | |
Des i grecs et des i mages | |
Des i cônes, des i nattentions | |
Mais il n' y aura pas d' i verts | |
"La poésie comme elle s' écrit " |
Robert BESSE | |
L'ARC EN CIEL | |
De sa cage de nuages et de pluie | |
Un bel oiseau s' est évadé | |
Pour se poser sur les doigts du soleil | |
Bleu indigo violet | |
Vert jaune orangé rouge | |
Plus un enfant ne bouge | |
Le bel oiseau a déployé | |
Ses plumes sur le ciel | |
"Poèmes pour un oiseau" | |
Editions Trace |
A.BLANC - PERIDIER | |
LE PAGE ET LE PERROQUET | |
récitant | Le page de la reine |
Le perroquet du roi, | |
Pleurant à perdre haleine, | |
Criant à pleine voix | |
Ont porté leur dispute | |
Devant le tribunal | |
Où siégeaient quatre juges | |
Et quatorze avocats. | |
le perroquet | Hélas ! Monsieur le Juge, |
récitant | Disait le perroquet |
Le perroquet | Il m'arracha deux plumes ! |
le page | Il m'a mordu le nez ! |
le perroquet | Il m'a fait la grimace ! |
le page | Il m'a traité de sot ! |
le perroquet | Qu'on l'envoie en disgrâce ! ... |
le page | Qu'on étrangle Jacko ! |
récitant | Messieurs, faites justice ! |
le page | Pour moi j'ai le bon droit |
Punissez la malice | |
Du méchant Cacatois | |
le perroquet | J'aviserai la reine |
J'irai me plaindre au roi. | |
le page | Moi je porte la traîne. |
le perroquet | Je perche sur son doigt. |
récitant | Sous leur grande perruque, |
Dans un noir embarras, | |
Le président, les juges | |
Ne se décidaient pas. | |
un juge | Deux si hauts personnages ! |
Faut-il pendre le page ? | |
Plumer le perroquet ? | |
récitant | La reine jeune et belle |
Passait à ce moment ; | |
S'enquit de la querelle | |
Et sourit gentiment. | |
Donna deux chiquenaudes | |
Au page et à l'oiseau | |
A son page une rose, | |
Un biscuit à Jacko. | |
Sur son perchoir, fort sage, | |
Le perroquet s'endort | |
Et le page gambade : | |
Tout le monde est d'accord. | |
Et la magistrature | |
S'en va pompeusement | |
Noter cette aventure | |
Et ses considérants | |
Alain BOSQUET | |
MER | |
POEME POUR UN ENFANT LOINTAIN | |
MER | |
La mer écrit un poisson bleu, | |
efface un poisson gris. | |
La mer écrit un croiseur qui prend feu, | |
efface un croiseur mal écrit. | |
Poète plus que les poètes, | |
musicienne plus que les musiciennes, | |
elle est mon interprète, | |
la mer ancienne, | |
la mer future, | |
poteuse de pétales, | |
porteuse de fourrure. | |
Elle s'installe | |
au fond de moi : la mer écrit un soleil vert, | |
mer écrit un soleil entrouvert | |
sur mille requins qui se sauvent. | |
" Deuxième testament 1959 Gallimard | |
POEME POUR UN ENFANT LOINTAIN | |
Tu peux jouer au caillou : | |
il suffit de ne pas bouger, | |
très longtemps, très longtemps. | |
Tu peux jouer à l'hirondelle : | |
il suffit d'ouvrir les bras | |
et de sauter très haut, très haut. | |
Tu peux jouer à la rivière : | |
il suffit de pleurer | |
pas très fort, pas très fort. | |
Tu peux jouer à l'arbre : | |
il suffit de porter quelques fleurs, | |
qui sentent bon, qui sentent bon. | |
Tu peux jouer à l'étoile : | |
il suffit de fermer l'oeil, | |
puis de le rouvrir, | |
beaucoup de fois , beaucoup de fois. | |
"Le cheval applaudit" | |
BOURGERIE Rémi | |
LES BOIS | |
Les bois gémissent sous les tourments | |
que leur claque la pluie, que leur siffle le vent , | |
les bois gémissent, et les feuilles meurtries | |
tournoient et tombent lentement . | |
Les maisons du village tapi au coin du bois | |
se groupent et se pressent . | |
pour résister au vent qui frôle la terre | |
et vient en ricanant | |
tordre les fumées bleues des cheminées craintives | |
"Graines dans le Vent" | |
Bertold BRECHT | |
MON GENERAL, VOTRE TANK EST SI SOLIDE! | |
Il couche une forêt, il écrase | |
cent hommes. | |
Mais il a un défaut : | |
il a besoin d'un mécanicien. | |
Mon général, votre bombardier est si puissant ! | |
il vole plus vite que l'orage | |
et transporte plus qu'un éléphant. | |
Mais il a un défaut : | |
il a besoin d'un pilote. | |
Mon général, l'homme est très utile! | |
Il sait voler, il sait tuer. | |
Mais il a un défaut : | |
il sait penser. | |
"Chansons et poésies" | |
Jacques BREL | |
LE PLAT PAYS | |
Avec la Mer du Nord | |
Pour dernier terrain vague | |
Et des vagues de dunes | |
Pour arrêter les vagues | |
Et de vagues rochers | |
Que les marées dépassent | |
Et qui ont à jamais | |
Le coeur à marée basse | |
Avec infiniment | |
De brumes à venir | |
Avec le vent d'Ouest | |
Ecoutez-le tenir | |
Le plat pays qui est le mien. | |
Avec des cathédrales | |
Pour uniques montagnes | |
Et de noirs clochers | |
Comme mâts de cocagne | |
Où des diables en pierre | |
Décrochent les nuages | |
Avec le signe des jours | |
Pour unique voyage | |
Et des chemins de pluie | |
Pour unique bonsoir | |
Avec le vent de l'Est | |
Ecoutez-le vouloir | |
Le plat pays qui est le mien. | |
Avec un ciel si bas | |
Qu'un canal s'est perdu | |
Avec un ciel si bas | |
Qu'il fait l'humilité | |
Avec un ciel si gris | |
Qu'un canal s'est pendu | |
Avec un ciel si gris | |
Qu'il faut lui pardonner | |
Avec le vent du Nord | |
Qui vient s'écarteler | |
Avec le vent du Nord | |
Ecoutez-le craquer | |
Le plat pays qui est le mien. | |
Avec de l'Italie | |
Qui descendrait l'Escault | |
Avec Frida la blonde | |
Quand elle devient Margot | |
Quand les fils de Novembre | |
Nous reviennent en Mai | |
Quand la plaine est fumante | |
Et tremble sous juillet | |
Quand le vent est au blé | |
Quand le vent est au Sud | |
Ecoutez le chanter | |
Le plat pays qui est le mien. | |
SEMI et POUCHENEL BRUXELLES |
Jean BRIANES | |
. . . . . . . . . . . | |
A Il a marché toute la nuit | |
B il a traversé les torrents | |
C il a dansé dans les prairies | |
D il a chanté dans la forêt | |
et lié conversation avec les hiboux | |
A il a grimpé aux arbres et caressé les renards endormis | |
B il s'est déguisé en fouine puis en belette | |
C il a joué à cache-cache avec les écureuils | |
D personne n'a dormi dans la montagne | |
A il a frappé au volet chez Doucelin | |
B il est allé parler aux chevaux dans l'écurie de la ferme du Rossignol | |
C il a détaché les chèvres de la Renardière | |
et ri à la lune dans l'eau de la fontaine du Saule | |
D il a même compté les étoiles | |
dans la mare de la Clémence | |
ça lui a pris un bout de temps | |
A puis est allé voir les bergers du côté du Jas de l'Etoile | |
B c'était presque l'aube il a trait les brebis avec eux | |
C puis il s'est couché dans l'herbe | |
D et il a roulé jusqu'aux gorges | |
tous : | |
là on ne l'a plus vu | |
le soleil se levait | |
et l'a bu pour son déjeuner | |
Chansons |
BRIZEUX Auguste | |
LA BAIE DES TREPASSES | |
... Devant ce cap du monde, | |
Dont la crête s'élève à trois cents pieds de l'onde, | |
Dans ces mornes courants, par le temps le meilleur, | |
Nul ne passa jamais sans mal ou sans frayeur ! | |
En face, la voici, l'effroi de l'Armorique, | |
L'Ile-des-Sept-Sommails, Sein, l'île druidique, | |
Si basse à l'horizon, qu'elle semble un radeau | |
Entouré d'un millier de récifs à fleur d'eau ! | |
Ah ! demain, venez voir entre la pointe et l'île, | |
Les perfides courants briller comme de l'huile ; | |
Venez voir bouillonner la mer ; et, sur les rocs, | |
Ouvrez encor l'oreille au grand bruit de ses chocs ! | |
L'épouvante est partout sur ce haut promontoire, | |
Et chacun de ses noms dit assez son histoire. | |
A gauche, ces rochers de la couleur du feu, | |
C'est l'enfer de Plô-Goff ; sur la droite au milieu | |
De ces dunes à pic, c'est l'exécrable baie, | |
La baie des Trépassés, blanche comme la craie : | |
Son sable pâle est fait des ossements broyés, | |
Et les bruits de ses bords sont les cris des noyés ! ... | |
Les chants bretons, dixième | |
René-Guy CADOU | |
AUTOMNE | |
LETTRE A DES AMIS PERDUS | |
L' ENFANT | |
AUTOMNE | |
Odeur des pluies de mon enfance, | |
Derniers soleils de la saison ! | |
A sept ans comme il faisait bon, | |
Après d'ennuyeuses vacances, | |
Se retrouver dans sa maison ! | |
La vieille classe de mon père, | |
Pleine de guêpes écrasées, | |
Sentait l'encre, le bois, la craie, | |
Et ces merveilleuses poussières | |
Amassées par tout un été. | |
O temps charmant des brumes douces, | |
Des gibiers, des longs vols d'oiseaux ! | |
Le vent souffle sous le préau, | |
Mais je tiens entre paume et pouce | |
Une rouge pomme à couteau. | |
"Les amis d'enfance" | |
LETTRE A DES AMIS PERDUS | |
Vous étiez là je vous tenais | |
Comme un miroir entre mes mains | |
La vague et le soleil de juin | |
Ont englouti votre visage | |
Chaque jour | |
je vous ai écrit | |
Je vous ai fait porter mes pages | |
Par des ramiers par des enfants | |
Mais aucun d'eux n'est revenu | |
Je continue à vous écrire | |
Tout le mois d'août s'est bien passé | |
Malgré les obus et les roses | |
Et j'ai traduit diverses choses | |
En langue bleue que vous savez | |
Maintenant j'ai peur de l'automne | |
Et des soirées d'hiver sans vous | |
Viendriez-vous pas au rendez-vous | |
Que cet ami perdu vous donne | |
En son pays du temps des loups | |
Venez donc car je vous appelle | |
Avec tous les mots d'autrefois | |
Sous mon épaule il fait bien froid | |
Et j'ai des trous noirs dans les ailes | |
L' ENFANT | |
Tu as sept ans et tu vas à l'école | |
Tes vêtements sentent la colle | |
De menuisier | |
Tu as rempli de fleurs champêtres ton plumier | |
Tu marches lentement en évitant la fange | |
Tu as des étoiles dans tes cheveux qui te démangent | |
Tu regrettes un peu l'odeur des grands sapins | |
Tu voudrais t'arrêter et partager ton pain | |
Avec la petite fille qui passe | |
Tu n'es pas toujours le premier en classe | |
Tu es bavard | |
Tu dessines des chats sur ton papier buvard | |
Tu regardes souvent le ciel par la fenêtre tu rêves à de bons bergers qui t'ont vu naître | |
mais tu sais lire aussi et déjà dans le vent | |
Tu découvres tout seul des tas de mots savants | |
Des mots qui prononcés font du bien à tes lèvres | |
Tu sais tresser le jonc et conduire les chèvres | |
D'un geste simple et doux apaiser les chevaux. | |
"Les amis d'enfance in poésie la vie entière." | |
CAIR André | |
LA POULETTE | |
ON LISAIT DES POESIES | |
LA POULETTE | |
Cot cot cot cot codette | |
Je suis la jolie poulette | |
J'ai pondu trois jolis oeufs | |
Un tout vert et un tout bleu | |
Le troisième est orangé | |
Cot cot cot cot cot codé. | |
J'ai couvé mes jolis oeufs | |
Le vert, l'orangé, le bleu, | |
Et j'ai eu trois beaux poussins | |
Qui avaient l'air très malins : | |
Le premier qui était vert | |
A couru toutes les mers ; | |
Le second qui était bleu | |
A fait des sauts de sept lieues ; | |
Le troisième l'orangé | |
Passe son temps à chanter... | |
Ce sont des poussins fameux | |
L'orangé, le vert, le bleu | |
Et moi je suis la poulette | |
Cot cot cot cot cot codette | |
"Farfelettis" | |
ON LISAIT DES POESIES | |
On lisait des poésies | |
on a oublié le rôti. | |
Le rôti est tout brûlé | |
charbonné | |
calciné. | |
Nous ne l'avons pas mangé | |
le rôti tout brûlé | |
charbonné | |
calciné. | |
On a mangé un sandwich | |
du fromage et des radis | |
en lisant des poésies. | |
"Farfelettis" | |
Marie Magdeleine CARBET | |
L'ACACIA | |
Le vent | |
Passait, pleurant | |
L'acacia dit : " Vent d'automne | |
Au front gris, | |
Tu t'ennuies : | |
Je te donne | |
Mes feuilles | |
Prends, cueille | |
Et va jouer au volant | |
Avec ton amie | |
La pluie. | |
Le printemps, | |
En son temps, | |
M'en fera de plus jolies ! " | |
" Mini-poèmes sur trois méridiens " |
Francis CARCO | |
LA FENETRE EST OUVERTE | |
La fenêtre est ouverte et le jardin s'endort, | |
Longuement, avec des bruits d'eau et des murmures | |
D'invisibles oiseaux blottis dans les ramures | |
Que le soir a tiédies de sa caresse d'or. | |
La fenêtre est ouverte. Et monte le silence | |
Du coeur des fleurs, du coeur de l'ombre jusqu'à nous | |
Qui, pensifs, l'écoutons venir à pas très doux | |
Du fond de notre obscure et grave conscience. | |
La fenêtre est ouverte... et le jardin n'est plus | |
Qu'une chose confuse et doucement lointaine | |
Où l'on entend parfois, aux rumeurs des fontaines, | |
Bouger les ailes des oiseaux qui se sont tus. | |
"La Bohême et mon coeur" |
Maurice CAREME | ||
LE HERISSON | ||
L'ECOLE | ||
LES BOULEAUX | ||
TU ES BELLE, MA MERE | ||
LE JEU DE CARTES | ||
TROIS ESCARGOTS | ||
J'ENRAGE | ||
LE GIVRE | ||
LE CRABE | ||
AU CIRQUE | ||
LE MOINEAU | ||
JE DANSE | ||
LE RETOUR DU ROI | ||
POUR MON PERE | ||
LE HIBOU | ||
LA MESANGE ET LE PÊCHER | ||
L'ECOLIERE | ||
L'HEURE DU CRIME | ||
L'ECUREUIL ET LA FEUILLE | ||
LIBERTE | ||
LE HERISSON | ||
Bien que je sois très pacifique, | ||
Ce que je pique et pique et pique, | ||
Se lamentait le hérisson. | ||
Je n'ai pas un seul compagnon. | ||
Je suis pareil à un buisson, | ||
Un tout petit buisson d'épines | ||
Qui marcherait sur des chaussons. | ||
J'envie la taupe, ma cousine, | ||
Douce comme un gant de velours | ||
Emergeant soudain de labours. | ||
Il faut toujours que tu te plaignes, | ||
Me reproche la musaraigne. | ||
Certes, je saois me mettre en boule | ||
ainsi qu'une grosse châtaigne, | ||
Mais c'est surtout lorsque je roule | ||
Plein de piquants, sous un buisson, | ||
Que je pique, et pique et repique, | ||
Moi qui suis si, si pacifique, | ||
Se lamentait le hérisson. | ||
L'ECOLE | ||
L'école était au bord du monde, | ||
L'école était au bord du temps. | ||
Au-dedans, c'était plein de rondes ; | ||
Au-dehors, plein de pigeons blancs. | ||
On y racontait des histoires | ||
Si merveilleuses, qu'aujourd'hui, | ||
Dès que je commence à y croire, | ||
Je ne sais plus bien où j'en suis. | ||
Des fleurs y grimpaient aux fenêtres | ||
Comme on n'en trouve nulle part, | ||
Et, dans la cour gonflée de hêtres, | ||
Il pleuvait de l'or en miroirs. | ||
Sur les tableaux d'un noir profond, | ||
Vogaient de grandes majuscules | ||
Où, de l'aube au soir, nous glissions | ||
Vers de nouvelles péninsules. | ||
L'école était au bord du monde, | ||
L'école était au bord du temps, | ||
Ah ! que ne suis-je encore dedans | ||
Pour voir, au-dehors les colombes ! | ||
La flûte au verger | ||
Fondation Maurice Carême | ||
LES BOULEAUX | ||
Se profilant, tous blancs de tronc, | ||
Sur le bleu doux de l'horizon, | ||
Six bouleaux sont plantés en rond. | ||
Le premier croît au bord de l'eau | ||
Et, tendu vers les matelots, | ||
Regarde passer les bateaux. | ||
Le deuxième à l'orée d'un champ, | ||
Les branches basses et rêvant, | ||
Se laisse bercer par le vent. | ||
Le troisième, rempli d'oiseaux | ||
Chante comme un immense nid | ||
Dans l'air bourdonnant de midi. | ||
Le quatrième abrite un mort. | ||
Depuis le jour de l'accident, | ||
Jamais, jamais on ne l'entend. | ||
Et le cinquième et le sixième | ||
Ne sont pas d'accord, car ils aiment | ||
L'un, la flûte, l'autre, le cor. | ||
Se profilant, tous blancs de tronc, | ||
Sur le bleu doux de l'horizon, | ||
Six bouleaux sont plantés en rond. | ||
Quand des bouleaux si différents | ||
Vivent heureux sous le soleil, | ||
Pourquoi nous veut-on tous pareils, | ||
Nous autres, les enfants ? | ||
"La lanterne magique" | ||
TU ES BELLE, MA MERE | ||
Tu es belle, ma mère, | ||
Comme un pain de froment | ||
Et dans tes yeux d'enfant, | ||
Le monde tient à l'aise. | ||
Ta chanson est pareille | ||
Au bouleau argenté | ||
Que le matin couronnne | ||
D'un murmure d'abeilles. | ||
Tu sens bon la lavande, | ||
La cannelle et le lait, | ||
Ton coeur candide et frais | ||
Parfume la maison. | ||
Et l'automne est si doux | ||
Que les derniers coucous | ||
Autour de tes cheveux | ||
Viennent te dire adieu. | ||
"Mère" | ||
LE JEU DE CARTES | ||
Quel étrange jeu de cartes ! | ||
Les rois n'aiment pas les reines, | ||
Les valets veulent combattre | ||
Et les dix n'ont pas de veine. | ||
Les piques, plus pacifiques, | ||
Se comprennent assez bien, | ||
Ils adorent la musique | ||
Et vivent en bohémiens. | ||
Les trèfles sont si distraits | ||
Qu'ils tombent sur les carreaux. | ||
Quand un cinq rencontre un sept | ||
Ils se traitent de nigauds. | ||
Quel étrange jeu de cartes ! | ||
Le diable même en a peur | ||
Car il s'est brûlé la patte | ||
En retournant l'as de coeur. | ||
TROIS ESCARGOTS | ||
J'ai rencontré trois escargots, | ||
Qui s'en allaient cartable au dos. | ||
Et, dans le pré, trois limaçons | ||
Qui disaient par coeur leur leçon. | ||
Puis, dans les champs, quatre lézards | ||
Qui écrivaient un long devoir. | ||
Où peut se trouver leur école ? | ||
Au milieu des avoines folles ? | ||
Et leur maître, est-il ce corbeau | ||
Que je vois dessiner là-haut | ||
De belles lettres au tableau ? | ||
J'ENRAGE | ||
Il pleut, il pleut, il mouille. | ||
J'en veux à la grenouille | ||
A la mésange bleue | ||
Qui chantent quand il pleut. | ||
Je donnerais mes billes, | ||
Ma balle et mes groseilles | ||
Pour qu'un peu de soleil | ||
Sorte sur ses béquilles. | ||
Mais que peut un enfant | ||
Sinon montrer les dents | ||
Sans jamais oser mordre ! | ||
. | ||
Depuis l'aube, j'enrage | ||
Ah ! si je pouvais tordre | ||
Le cou à ces nuages. | ||
LE GIVRE | ||
Mon Dieu! comme ils sont beaux | ||
Les tremblants animaux | ||
Que le givre a fait naître | ||
La nuit sur ma fenêtre! | ||
Ils broutent des fougères | ||
Dans un bois plein d'étoiles | ||
Et l'on voit la lumière | ||
A travers leurs corps pâles. | ||
Il y a un chevreuil | ||
Qui me connaît déjà. | ||
Il soulève pour moi | ||
Son front d'entre les feuilles | ||
Et quand il me regarde | ||
Ses grands yeux sont si doux | ||
Que je sens mon coeur battre | ||
Et trembler mes genoux. | ||
Laissez-moi, ô décembre! | ||
Ce chevreuil merveilleux | ||
Je resterai sans feu | ||
Dans ma petite chambre. | ||
LE CRABE | ||
Crabe, crabe, méchant crabe | ||
Rouge et jaune comme un diable | ||
Je te tiens dans mon filet. | ||
Ah ! que tu es misérable, | ||
Crabe, crabe, gringalet , | ||
Quand tu n' es plus sur le sable | ||
Où la mer coud ses ourlets ! | ||
Que vais-je faire de toi, | ||
Crabe, crabe méchant crabe | ||
Je te vois sauter d' effroi, | ||
Mordre dans mon filet vert | ||
Et courir tout de travers | ||
Allons, bon, je te pardonne. | ||
Je vais te rendre à la mer | ||
Tout étoilée d' anémones. | ||
Crabe, crabe souviens-toi : | ||
Ne me pince plus les doigts. | ||
AU CIRQUE | ||
Ah ! si le clown était venu ! | ||
Il aurait bien ri, mardi soir : | ||
Un magicien en cape noire | ||
A tiré d' un petit mouchoir | ||
Un lapin, puis une tortue | ||
Et, après, un joli canard. | ||
Puis il les a fait parler | ||
En chinois, en grec, en tartare. | ||
Mais le clown était enrhumé : | ||
Auguste était bien ennuyé. | ||
Il dut faire l' équilibriste | ||
Tout seul sur un tonneau percé. | ||
C' est pourquoi je l' ai dessiné | ||
Avec des yeux tout ronds, tout tristes | ||
Et de grosses larmes qui glissent | ||
Sur son visage enfariné. | ||
"La Fête en poésie" | ||
LE MOINEAU | ||
"Je suis né moineau | ||
Sur le bord d' un toit. | ||
Je suis comme il faut | ||
Que le moineau soit. | ||
Allègre, narquois, | ||
Tout en petits sauts , | ||
Je suis né moineau | ||
En mai, sur le toit. | ||
Je ne suis pas beau | ||
Et j' ai peur des chats. | ||
Oui, mais quelle joie | ||
Quand je crie là-haut | ||
Sur le bord du toit ! " | ||
"A cloche pied." | ||
JE DANSE | ||
Je danse dans la nuit, | ||
Je danse dans le vent. | ||
Mes douces mains qui plient | ||
Tiennent légèrement | ||
Ma robe d'rgandi | ||
Ma robe, souplement | ||
Pirouette et s'éploie | ||
Tandis, qu'autour de moi, | ||
Dans la nuit, dans le vent, | ||
Les astres pirouettent | ||
Dans leur robe d'argent. | ||
"La lanterne magique " | ||
LE RETOUR DU ROI | ||
Casque de fer, jambe de bois, | ||
Le roi revenait de la guerre, | ||
Jambe de bois, casque de fer, | ||
Il claudiquait, mais chantait clair | ||
A la tête de ses soldats . | ||
Soie de Nemours, velours de Troie, | ||
La reine attendait sur la tour. | ||
Velours de Troie, soie de Nemours, | ||
La reine était rose de joie | ||
Et riait doux comme le jour. | ||
Souliers troués, fleur au chapeau, | ||
On dansait ferme sur les quais. | ||
Fleur au chapeau, souliers troués, | ||
Le vent faisait claquer l' été | ||
Sur les places comme un drapeau. | ||
Fifres au clair, tambour battant, | ||
Le roi marchait de travers. | ||
Tambour battant, fifres au clair, | ||
Il n' avait pas gagné la guerre, | ||
Mais il en revenait vivant. | ||
"La grange bleue." | ||
POUR MON PERE | ||
Mon père aimé, mon père à moi, | ||
Toi qui me fais bondir | ||
Sur tes genoux | ||
Comme un chamois | ||
Que pourrais-je te dire | ||
Que tu ne sais déjà ? | ||
Il fait si doux | ||
Quand ton sourire | ||
Eclaire tout | ||
Sous notre toit ! | ||
Je me sens fort, | ||
Je me sens roi | ||
Quand je marche à côté de toi. | ||
Volière | ||
LE HIBOU | ||
Caillou, genou, chou, pou, joujou, bijou, | ||
Répetait sans fin le petit hibou . | ||
Joujou, bijou, pou, chou, caillou, genou | ||
Non, se disait-il, non, ce n' est pas tout. | ||
Il y en a sept pourtant, sept en tout : | ||
Bijou, caillou, pou, genou, chou, joujou. | ||
Ce n' est ni bambou, ni clou, ni filou | ||
Quel est donc le septième ? Et le hibou, | ||
La patte appuyée au creux de sa joue, | ||
Se cachait de honte à l' ombre du houx. | ||
Et il se désolait, si fatigué | ||
Par tous des devoirs de jeune écolier | ||
Qu' il oubliait, en regardant le ciel | ||
Entre les branches épaisses du houx | ||
Que son nom, oui, son propre nom, hibou, | ||
Prenait, lui aussi, un X au pluriel. | ||
"L'Arlequin" | ||
LA MESANGE ET LE PÊCHER | ||
Légère comme un ange | ||
Dans le matin doré, | ||
La petite mésange caresse le pêcher. | ||
Et le voilà tout drôle, | ||
L'arbuste, en sa candeur, | ||
D'entendre battre un coeur | ||
Contre ses branches folles. | ||
Il en devient tout rose | ||
Et bien avant les roses, | ||
Il éclate soudain, | ||
Comme un grand feu d'abeilles, | ||
De fleurs et de soleil, | ||
Au milieu du jardin. | ||
"La cage aux grillons" | ||
L'ECOLIERE | ||
Mon dieu ! que de choses à faire ! | ||
Enlève tes souliers crottés | ||
Pends donc ton écharpe au vestiaire, | ||
Lave tes mains pour le goûter. | ||
Revois tes règles de grammaire | ||
Ton problème est-il résolu ? | ||
Et la carte de l'Angleterre | ||
Dis, quand la dessineras-tu ? | ||
Aurai-je le temps de bercer | ||
Un tout petit peu ma poupée, | ||
De rêver assise pa terre | ||
Devant mes châteaux de nuées ? | ||
Mon dieu ! que de choses à faire ! | ||
L'HEURE DU CRIME | ||
Minuit. Voici l'heure du crime. | ||
Sortant d'une chambre voisine, | ||
Un homme surgit dans le noir. | ||
Il ôte ses souliers, | ||
S'approche de l'armoire | ||
Sur la pointe des pieds | ||
Et saisit un couteau | ||
Dont l'acier luit, bien éguisé. | ||
Puis, masquant ses yeux de fouine | ||
Avec un pan de son manteau, | ||
Il pénètre dans la cuisine | ||
Et, d'un seul coup, comme un bourreau | ||
Avant que ne crie la victime, | ||
Ouvre le coeur d'un artichaut. | ||
"Au clair de la lune" | ||
L'ECUREUIL ET LA FEUILLE | ||
Un écureuil, sur la bruyère, | ||
Se lave avec de la lumière. | ||
Une feuille morte descend, | ||
Doucement portée par le vent. | ||
Et le vent balance la feuille | ||
Juste au-dessus de l'écureuil ; | ||
Le vent attend, pour la poser, | ||
Légèrement sur la bruyère, | ||
Que l'écureuil soit remonté | ||
Sur le chêne de la clairière | ||
Où il aime à se balancer | ||
Comme une feuille de lumière. | ||
"La lanterne magique" | ||
LIBERTE | ||
Prenez du soleil | ||
Dans le creux des mains, | ||
Un peu de soleil | ||
Et partez au loin. | ||
Partez dans le vent, | ||
Suivez votre rêve ; | ||
Partez à l'instant, | ||
La jeunesse est brève ! | ||
Il est des chemins | ||
Inconnus des hommes, | ||
Il est des chemins | ||
Si aériens ! | ||
Ne regrettez pas | ||
Ce que vous quittez. | ||
Regardez, là-bas, | ||
L'horizon briller. | ||
Loin, toujours plus loin, | ||
Partez en chantant. | ||
Le monde appartient | ||
A ceux qui n'ont rien. | ||
"La lanterne magique" |
![]() | Geneviève CARRON |
VIRGULE | |
POINT D'INTERROGATION | |
POINT VIRGULE | |
POINT | |
POINT D'EXCLAMATION | |
VIRGULE | |
Hep là ! pensez à moi ! je m'appelle virgule, | |
Je suis une courte inspiration, | |
Je sers à une bonne compréhension. | |
Je m'appelle virgule | |
Je fragmente discrètement, | |
Vos longues tirades, de petits temps. | |
Je m'appelle virgule | |
Plus légère qu'un souffle, | |
Je m'appelle virgule | |
Et personne ne s'essouffle. | |
Je m'appelle virgule, | |
J'ai l'air insignifiante, | |
Ne vous y trompez pas, je suis très importante. | |
Je m'appelle virgule | |
M'avez-vous remarquée ? | |
Je m'appelle virgule, | |
Je me suis envolée. | |
"Vagabondages n° 35" | |
POINT D'INTERROGATION | |
Hein ? Quoi ? C'est à mon tour ? | |
Ne puis-je seulement faire demi-tour ? | |
Qui suis-je ? | |
Qui dois je interpréter ? | |
Quel est mon rôle et mon identité ? | |
S'il vous plaît ai-je mon nom ? | |
Hein ? quoi ? Vous dites ? Pardon ? | |
Si grande est ma confusion ... | |
Peut-être suis-je Question ? | |
Non ??? comment ? Pourquoi ? | |
Je vous en prie dites-moi quoi ? | |
Dans le chaos de mes émotions | |
Ma mémoire est un point d'interrogation. | |
"Vagabondages n° 35" | |
POINT VIRGULE | |
Un moment s'il vous plaît ! | |
Je suis le point-virgule ; | |
Physiquement moins gracieux que ma soeur Virgule | |
Et moins léger aussi, mais elle est minuscule ; | |
Aussi mes interventions dans les phrases | |
Sont-elles plus pesantes, ont-elles plus d'emphase ; | |
Mais nous nous ressemblons Virgule et moi, | |
D'ailleurs elle est ma soeur, rien d'étonnant à cela ! | |
Nous respectons les mots et ne les jugeons pas | |
Nous respectons leur sens et ne le changeons pas ; | |
Nous nous contentons de modérer leur débit | |
Nous ne leur demandons qu'un très léger petit répit | |
Pour leur laisser poursuivre ensuite la même idée, | |
Qui courait mot à mot lorsque nous sommes entrés. | |
On m'appelle aussi intermède | |
Puisque je laisse reprendre l'idée qui me précède. | |
"Vagabondages n° 35" | |
POINT | |
Stop ici. L'on ne va pas plus loin. | |
On va fermer la phrase dont je suis le point. | |
Je suis la limite de passage des mots. | |
La Virgule les ordonne, moi je coupe quand il faut. | |
J'empêche les cohues, les manifestations. | |
Je coupe à la limite de la compréhension. | |
Je suis la sentinelle qui retient le désordre | |
Et la voix baisse d'un ton avant que l'on m'aborde. | |
D'ailleurs, juste après moi, arrive un mot gradé | |
Important Chef de Phrase, d'une Majuscule orné. | |
Il peut mener à la suite au gré de son idée | |
Il a même permission de changer de sujet. | |
Dans ce cas-là d'ailleurs, je suis point à la ligne | |
Mais quel que soit mon nom, je suis incorruptible. | |
"Vagabondages n° 35" | |
POINT D'EXCLAMATION | |
Ca alors, c'est incroyable ! | |
Tu fais preuve d'un talent admirable ! | |
Eh bien, moi, sans hésitation, | |
Je suis le point d'exclamation ! | |
J'assène les propos vifs et les interjections | |
Et j'ai toujours d'alertes réactions ! | |
Bruyant soit ! Je ne suis pas atone ! | |
Je ponctue les volées de mots qui résonnent ! | |
Je ris. Je crie. Je claque. J'interpelle ! | |
Je tempête. Je harcèle. Je martèle | |
Pif ! Paf ! Crac ! Boum ! Ha ! Ha ! | |
Je suis l'ennemi des propos modérés | |
Et je vis aux éclats, n'en soyez point outrés! | |
"Vagabondages n° 35" |
Jean-Roger Caussimon | |
LA CHANSON DES COMEDIENS | |
Les comédiens | |
On dit souvent | |
Ca vend du vent | |
A la sauvette | |
Ils vont | |
De scène en scène et partent en tournée | |
Et dès qu'ils sont vêtus | |
Des habits qu'on leur prête | |
Ils deviennent Jésus | |
Harpagon ou Hamlet | |
Les comédiens ne seraient rien | |
Sans les lumières | |
Et comme ils veulent être aimés | |
Ils jouent | |
Même en plein jour | |
Comme disait Molière | |
Avant que les chandelles aient été allumées | |
Les comédiens | |
Disent les gens | |
C'est plus changeant | |
Que girouette | |
Ils jouent avec le mal | |
Ils jouent avec le bien | |
Ils versent de vrais pleurs | |
Ou font la pirouette | |
Ils ont de faux bonheurs | |
Ils ont de faux chagrins | |
Les comédiens | |
Quand le soir vient | |
Se reconnaissent | |
Ils savent qu'ils existent | |
Au creux de leur miroir | |
Lorsque le fond de teint | |
Leur rend une jeunesse | |
Qu'ils démaquilleront | |
Vers minuit moins le quart | |
Les comédiens | |
Disent les gens | |
Ont bien souvent | |
Des amourettes | |
A force de jouer | |
Ils se prennent au jeu | |
Sans être Roméo | |
On s'éprend de Juliette | |
Juste le temps qu'il faut | |
Pour en souffrir un peu | |
Les comédiens | |
Quand l'âge vient | |
Quittent la scène | |
Et quand il leur advient | |
De vivre de longs jours | |
Sur cour ou sur jardin | |
Tout seul ils se souviennent | |
De ce fichu métier | |
Qu'ils ont aimé | |
D'amour. | |
Blaise CENDRARS | |
L' OISEAU BLEU | |
Mon oiseau bleu a le ventre tout bleu | |
Sa tête est d'un vert mordoré | |
Il a une tache noire sous la gorge | |
Ses ailes sont bleues avec | |
Des touffes de petites plumes jaune doré | |
Au bout de la queue il y a des traces de vermillon | |
Son dos est zébré de noir et de vert | |
Il a le bec noir les pattes incarnat et | |
Deux petits yeux de jais | |
Il adore faire trempette, se nourrir de bananes et pousse | |
Un cri qui ressemble au sifflement d'un tout petit jet de vapeur | |
On le nomme le septicolore. | |
" Oeuvres complètes " tome 1 |
Pernette CHAPONNIERE | |
LE SAPIN DE NOEL | |
Le petit sapin sous la neige | |
Rêvait aux beaux étés fleuris. | |
Bel été, quand te reverrai-je ? | |
Soupirait-il sous le ciel gris. | |
Vint à passer sur le chemin | |
Un gaillard à grandes moustaches. | |
Hop ! là, en deux coups de sa hache | |
A coupé le petit sapin. | |
Il ne reverra plus l'été, | |
Le petit sapin des montagnes, | |
Il ne verra plus la gentiane, | |
L'anémone et le foin coupé. | |
Mais on l'a paré de bougies, | |
Saupoudré de neiges d'argent. | |
Des clochettes de féerie | |
Pendent à ses beaux rameaux blancs. | |
Le petit sapin de Noël | |
Ne regrette plus sa clairière | |
Car il rêve qu'il est au ciel | |
Tout vêtu d'or et de lumière. | |
Vingt Noëls pour les enfants |
CHAPOUTON Anne-Marie | |
AUTOMNE | |
L' ETE | |
AUTOMNE | |
Il pleut | |
Des feuilles jaunes | |
Il pleut Des feuilles rouges . | |
L' été | |
Va s' endormir | |
Et l' hiver | |
Va venir | |
Sur la pointe | |
De ses souliers Givrés | |
"Poèmes petits" | |
L' ETE | |
Silence | |
silence | |
l'été | |
se balance | |
sur la branche | |
où l'oiseau | |
se tait | |
l'herbe | |
séchée | |
tremble | |
dans l'air | |
brûlé | |
silence | |
silence | |
l'été | |
chante | |
dans les blés | |
"Poèmes petits" |
Jacques CHARPENTREAU | |
L'ECOLE | |
LA MER S'EST RETIREE | |
L' ARBRE | |
L' EMBOUTEILLAGE | |
L'ECOLE | |
Dans notre ville, il y a | |
Des tours, des maisons par milliers, | |
Du béton, des blocs, des quartiers, | |
Et puis mon coeur, mon coeur qui bat | |
Tout bas. | |
Dans mon quartier, il y a | |
Des boulevards, des avenues, | |
Des places, des ronds-points, des rues, | |
Et puis mon coeur, mon coeur qui bat | |
Tout bas. | |
Dans notre rue, il y a | |
Des autos, des gens qui s'affolent, | |
Un grand magasin, une école | |
Et puis mon coeur, mon coeur qui bat | |
Tout bas. | |
Dans cette école, il y a | |
Des oiseaux chantant tout le jour | |
Dans les marronniers de la cour. | |
Mon coeur, mon coeur, mon coeur qui bat | |
Est là. | |
"La ville enchantée" | |
LA MER S'EST RETIREE | |
La mer s'est retirée, | |
Qui la ramènera ! | |
La mer est démontée, | |
Qui la remontera ? | |
La mer est emportée, | |
Qui la rapportera ? | |
La mer est déchaînée, | |
Qui la rattachera ? | |
Un enfant sur la plage | |
Avec un collier de coquillages. | |
( poèmes pour les amis ) | |
L' ARBRE | |
Perdu au milieu de la ville, | |
L' arbre tout seul, à quoi sert-il ? | |
Les parkings c'est pour stationner, | |
Les camions pour embouteiller, | |
Les motos pour pétarader, | |
Les vélos pour se faufiler. | |
L' arbre tout seul, à quoi sert-il ? | |
Les maisons, c' est pour habiter, | |
Les bétons pour embétonner, | |
Les néons pour illuminer, | |
Les feux rouges pour traverser | |
L' arbre tout seul, à quoi sert-il ? | |
Les ascenceurs, c' est pour grimper, | |
Les présidents pour présider, | |
Les montres pour se dépêcher, | |
Les mercredis pour s' amuser | |
L' arbre tout seul, à quoi sert-il ? | |
Il suffit de le demander | |
A l' oiseau qui chante à la cime. | |
L' EMBOUTEILLAGE | |
Feu vert feu vert Feu vert ! | |
Le chemin est ouvert ! | |
Tortues blanches, tortues grises, tortues noires, | |
Tortues têtues Tintamarre ! | |
Les autos crachotent | |
Toussotent, cahotent | |
Quatre centimètres | |
Puis toutes s' arrêtent. | |
Feu rouge Feu rouge Feu rouge ! | |
Pas une ne bouge ! | |
Tortues jaunes, tortues beiges, tortues noires, | |
Tortues têtues, Tintamarre ! | |
Hoquettent, s' entêtent, | |
Quatre millimètres, | |
Pare-chocs à pare-chocs | |
Les voitures stoppent. | |
Blanches, grises, vertes, bleues, | |
Tortues à la queue leu leu, | |
Jaunes, rouges, beiges, noires, | |
Tortues têtues Tintamarre ! | |
Bloquées dans vos carapaces | |
Regardez-moi bien : je passe ! | |
"La ville enchantée" |
CHRESTIEN DE TROYES | |
LES TISSEUSES | |
Il vit jusqu'à trois cents jeunes filles, | |
Occupées à divers travaux. | |
Elles travaillaient des fils d'or et de soie | |
Chacune de son mieux, | |
Mais dans une telle misère | |
Que beaucoup étaient sans coiffe et sans ceinture... | |
Leurs robes étaient déchirées, | |
Et leurs chemises sales dans le dos. | |
De faim et de mal elles avaient | |
Cous grêles et visages pâles. | |
Nous tisserons toujours des étoffes de soie | |
Et n'en serons jamais mieux vêtues. | |
Toujours nous serons pauvres et nues | |
Et toujours nous aurons faim et soif ; | |
Jamais nous ne saurons gagner | |
Assez pour avoir à manger. | |
Nous avons du pain à grand-peine, | |
Un peu le matin, moins le soir ; | |
Car jamais du travail de ses mains, | |
Chacune n'aura pour vivre | |
Plus de quatre deniers à la livre. | |
Avec cela nous ne pouvons pas | |
Avoir assez de nourriture et d'étoffe ; | |
Car qui gagne chaque semaine | |
Vingt sols n'est pas hors de peine. | |
Sachez-le bien : | |
Il n'y a aucune de nous | |
Qui gagne vingt sous ou davantage. | |
Un duc serait riche avec cela ! | |
Notre pauvreté est grande | |
Et il est riche de notre misère | |
Celui pour qui nous peinons. | |
Nous veillons une grande partie de la nuit | |
Et tout le jour pour avoir un gain | |
; Mais que vous raconterai-je ? | |
Nous avons tant de mal et de honte | |
Que je ne puis vous en dire le cinquième. | |
"Le chevalier au lion" |
PAUL CLAUDEL | |
LA MERE ET LE PERE | |
La mère est ce qu'il y a de patient et de fidèle et de tout près et de toujours | |
pareil et de toujours présent. | |
C'est toujours la même figure attentive, et c'est toujours, sous son regard, le | |
même enfant, | |
Qui sait que tout lui appartient sans pitié et qui vous trépigne de ses deux | |
pieds sur le ventre. | |
Mais le père est ce qui n'est jamais là, il sort et l'on ne sait jamais au juste | |
quand il rentre. | |
L'hôte aux rares paroles du repas que le journal dès qu'il a quitté la table, | |
réengloutit. | |
Un bonjour, un bonsoir distraits, une ou deux questions de temps en temps, | |
une explication difficile et pas finie. | |
Puis subitement parfois quelques jeux violents et courts et l'intervention | |
terrifiante de ce gros camarade. | |
Et cependant c'est bon, cette grosse main quand on ne sait plus au juste où | |
l'on est, qui vous prend, ou sur | |
le front cette caresse furtive quand on est malade. | |
"Feuilles de Saints" |
Robert CLAUSARD | |
LA PUCE | |
Une puce prit le chien | |
Pour aller à la ville | |
Au hameau voisin | |
A la station du marronnier | |
Elle descendit | |
Vos papiers dit l'ane | |
Coiffé d'un képi | |
Je n'en ai pas | |
Alors que faites vous ici | |
Je suis infirmière | |
Et fais des piqûres | |
A domicile. | |
L'enfant et la poésie |
Bernard CLAVEL | |
LA RUE DU DIMANCHE | |
La rue est triste, le dimanche, | |
Sourtout les soirs où il pleut, | |
Le reflet de l'arbre se penche | |
A la recherche de l'oiseau bleu. | |
L'oiseau bleu n'est pas sur la branche | |
Il est parti vers d'autres cieux | |
La rue est triste, le dimanche, | |
Quand le ciel oublie d'être bleu. | |
"Rouge pomme" |
Claude CLEMENT | |
DANS LE GRENIER DE MA GRAND-MERE | |
Ma grande-mère a un grenier | |
plein de toiles d' araignées ; | |
mais dans les coffres de bois | |
on y trouve des merveilles : | |
de vieux jouets d' autrefois, | |
des dentelles, des corbeilles, | |
des fourchettes édentées, | |
des guitares, des poupées, | |
des livres lourds de poussière, | |
un berceau, une théière | |
et un très joli pantin | |
au pantalon de satin... | |
Mais moi, ce que je préfère, | |
c' est la robe de mariée | |
avec ses fleurs d'oranger t | |
outes jaunies par le temps. | |
Qu'elle était belle, Grand-Mère, | |
quand elle avait dix-huit ans ! | |
"Dessine-moi un poème" |
Jean COCTEAU | |
SOLEIL | |
Soleil, je t'adore comme les sauvages, | |
à plat ventre sur le rivage. | |
Soleil, tu vernis tes chromos, | |
tes paniers de fruits, tes animaux. | |
Fais-moi le corps tanné, salé ; | |
fais ma grande douleur s'en aller. | |
Le nègre, dont brillent les dents, | |
est noir dehors, rose dedans. | |
Moi, je suis noir dedans et rose | |
dehors, fais la métamorphose. | |
Arrache mon mal, tire fort, | |
charlatan au carrosse d'or. | |
Que j'ai chaud ! C'est qu'il est midi. | |
Je ne sais plus ce que je dis. | |
Je n'ai plus mon ombre autour de moi | |
soleil, ménagerie des mois. | |
Soleil, Buffalo-Bill, Barnum, | |
tu grises mieux que l'opium. | |
Tu es un clown, un toréador, | |
tu as des chaînes de montre en or. | |
Soleil, je supporte tes coups ; | |
tes gros coups de poing sur mon cou. | |
C'est encore toi que je préfère, | |
Soleil, délicieux enfer. | |
Batteries |
Louis CODET | |
CHANSON DU JOLI FEU DE BOIS | |
Claque, claque, mon joli feu, | |
Qui flambes dans ma cheminée, | |
Claque, mon joli feu de bois, | |
Claque, claque ; | |
Comme le postillon du roi ! | |
Le jeune postillon à perruque poudrée | |
S'en va au grand galop sur la route royale, | |
Pressant son blanc cheval entre ses cuisses bleues, | |
Et il fait, d'un bras joyeux, | |
Claquer son fouet, | |
Qui arrache trois feuilles vertes | |
A cette branche de printemps... | |
Claque, mon joli feu de bois, | |
Comme le postillon du roi !... | |
Dansez, hautes flammes légères, | |
Trémoussez-vous, comme dansaient | |
En robes claires, | |
Comme dansait, hier encore, | |
En robe blanche, en robe d'or, | |
La reine avec toutes ses femmes | |
Dans ses Tuileries | |
Chaudes et fleuries !... | |
Dansez, molles et belle flammes, | |
Comme la reine entre ses femmes ! | |
A présent, meurs vite, éteins-toi, | |
Meurs mon joli feu de bois, | |
Comme sont morts | |
Dans leurs décors | |
Les charmants héros d'autrefois, | |
Les jeunes postillons du roi | |
Et les reines dans leurs palais, | |
Tous les printemps, toutes les fêtes, | |
Tous les poètes... | |
"Poèmes et chansons" |
COLETTE | |
LA MERE CHATTE | |
Un, deux, trois, quatre... Non. Je me trompe. Un, deux, trois, quatre, | |
cinq, six... Non cinq. Où est le sixième ? Un, deux, trois, Dieu, que c'est | |
fatigant ! A présent, ils sont plus que quatre. J'en deviendrai folle. Petits ! | |
Petits ! Mes fils, mes filles, où êtes-vous ? | |
... | |
Où sont-ils ? Où sont-ils ? Un, deux... Deux seulement ! Et les quatre | |
autres ? Répondez, vous deux, sottement occupés l'un à manger une ficelle, | |
l'autre à chercher l'entrée de cette caisse qui n'a pas de porte ! Oui, vous | |
n'avez rien vu, rien entendu, laids petits chats-huants que vous êtes, avec vos | |
yeux ronds ! | |
...Ni dans la cuisine, ni dans le bûcher ! Dans la cave ? Je cours, je descends, | |
je flaire... rien... Je remonte, le jardin m'éblouit... Où sont les deux que je | |
gourmandais tout à l'heure ? Perdus aussi ? Mes enfants ! Mes enfants ! Au | |
secours, ô Deux-Pattes, accourez, j'ai perdu tous mes enfants ! | |
... | |
Tiens ! d'où sort-il, celui-ci ?... C'est ma foi mon lourdeau de premier, | |
tout rond, suivi de son frère sans malice, et d'où vient celle-ci, petite femelle | |
impudente, prête à me braver et qui jure déjà, en râlant de la gorge. Un, deux, | |
trois,... trois, quatre, cinq... ; Viens, mon sixième, délicat et plus faible que les | |
autres, plus tendre aussi et plus léché ...Quatre cinq, six... Assez ! Assez ! Je | |
n'en veux pas davantage ! Venez tous dans la corbeille, à l'ombre fine de | |
l'acacia. Dormons, ou prenez mon lait, en échange d'une heure de répit - je | |
n'ai pas dit de repos, car mon sommeil prolonge ma vigilance éperdue, et c'est | |
en rêve que je vous cherche et vous compte : un, deux, trois, quatre... | |
"La paix chez les bêtes" |
Jean-Pierre COLOMBIE | |
LECONS DE TENEBRES | |
Les grenouilles disent sous les eaux | |
des mots transparents comme des flûtes | |
des mots lointains sous les miroirs | |
que les éclats de lune noircissent | |
Beaux miroirs des bassins enfouis | |
sous les branches rêches des pins | |
les oiseaux de jour vous rayèrent | |
mais la nuit vous êtes parfaits | |
C' est seulement que l' air des grenouilles | |
fume légèrement sous nos verres | |
comme une brume de sons limpides | |
ou une grande flamme tremblante | |
Belles boîtes d' eau à musique | |
éparses parmi les jardins | |
petites chanteuses de soie | |
bercez ma veille endolorie. | |
"Leçon de ténèbres" |
Marie COSSA | |
COMME FONT LES ENFANTS | |
Comme font les enfants j'ai rapporté des coquillages... | |
je les ai ramassés sur la longue plage d'où la mer se retirait | |
un soir de septembre, | |
le sable était dur que foulaient mes pieds, | |
où brillaient parfois, mouillés enore | |
des coquillages et des cailloux... | |
le ciel était clair et pâle au-dessus de Port-en-Drô... | |
Bretagne, que je voudrais, ce soir d'octobre | |
m'en aller vers toi, je sais quelle route là-bas | |
je suivrais | |
et soudain ignorant les tristes villas, | |
les hôtels fermés, | |
je retrouverais, | |
- odeur de goëmon, douceur âcre | |
ô toi, bruit de soie, chanson, murmure, plainte - | |
La mer. | |
"Arpèges" |
R. COSSON | |
POUR UN ANNIVERSAIRE | |
Espiègles, paresseux et désobéissants, | |
Endiablés, dissipés, étourdis, négligents, | |
Ne sachant pas toujours dire la vérité, | |
Revenant tout salis, nos habits déchirés, | |
Voilà ce que peuvent, pour son anniversaire. | |
Présenter en ce jour deux enfants à leur mère. | |
Nous en sommes bien tristes, bien confus, bien penauds, | |
Et nous devons le dire, les yeux grands et tout haut, | |
Que Jean, qu'Yves, souvent, ont été bien méchants | |
Oui, mais c'est nous, maman, qui sommes tes enfants. | |
Sois fêtée, ô maman, et ne vois en ce jour | |
Que tes deux garnements qui t'offrent leur amour. | |
Puisque rien ne peut faire que s'arrête le temps ; | |
Demain, tu seras vieille, et nous, nous serons grands. | |
Tant de soin, de peines, et puis tant de travaux | |
T'auront fait désirer le calme et le repos ; | |
Alors, nous serons là, sans que tu le demandes, | |
Impatients de donner ce qui ne peut se rendre, | |
A tes côtés, toujours, puisque nous t'aimons tant, | |
Nous qui sommes, maman, tes deux petits enfants. | |
"Inédit in : Ecrire et Parler ( livre du maître )" "P. Verret et P. Furcy" |
Charles CROS | |
LE HARENG SAUR | |
Il était un grand mur blanc -nu, nu, nu, | |
Contre le mur une échelle -haute, haute, haute, | |
Et, par terre, un hareng saur-sec, sec, sec. | |
Il vient, tenant dans ses mains-sales, sales, sales, | |
Un marteau lourd, un grand clou-pointu, pointu, pointu, | |
Un peloton de ficelle-gros, gros, gros. | |
Alors il monte à l'échelle-haute, haute, haute, | |
Et plante le clou pointu-toc, toc, toc, | |
Tout en haut du grand mur blanc-nu, nu, nu. | |
Il laisse aller le marteau-qui tombe, qui tombe, qui tombe, | |
Attache au clou la ficelle-longue, longue, longue, | |
Et, au bout, le hareng saur-sec, sec, sec. | |
Il redescend de l'échelle-haute, haute, haute, | |
L'emporte avec le marteau-lourd, lourd, lourd, | |
Et puis, il s'en va ailleurs-loin, loin, loin. | |
Et, depuis, le hareng saur-sec, sec, sec, | |
Au bout de cette ficelle-longue, longue, longue, | |
Très lentement se balance -toujours, toujours, toujours. | |
J'ai composé cette histoire-simple, simple, simple, | |
Pour metttre en fureur les gens-graves, graves, graves, | |
Et amuser les enfants-petits, petits, petits. | |
"Le coffret de Santal" |
Bernard B. DADIE | |
LE VENT | |
Le Vent | |
sur le miroir fleuve | |
ramasse | |
les confidences des pêcheurs. | |
Le Vent | |
Sur les sources parées de nénuphars | |
recueille | |
les rires des porteuses d'eau. | |
Le Vent sur les sentiers | |
dans les ramures et dans les herbes | |
récolte | |
les chants des travailleurs | |
... | |
Assis | |
sur le toit des cases | |
sur le toit des portes | |
Couché sous les préaux | |
Rallumant des braises assoupies | |
le Vent | |
Compte | |
les rêves hommes | |
dans les arbres | |
Le Vent agite | |
les jeunes branches | |
Pour dire adieu à l'enfant. | |
Sifflant dans les racines | |
Par-dessus les océans et les cités | |
S'arrêtant à peine à une vieille auberge | |
Dans un champ de fleurs | |
Le Vent | |
Sur les vieilles routes du monde | |
Dans un pli de temps | |
Emporte | |
Sa moisson de souvenirs. | |
"Hommes de tous les continents." |
Robert DELAHAYE | |
LE CHIEN ENCHAINE | |
A l'entrée de la ferme | |
Dans un tonneau défoncé | |
Le chien mal rasé | |
Aux yeux de saltimbanque | |
Regardait la lune | |
Vagabonder à son aise. | |
Il n'aboyait jamais | |
Sa voix était cassée. | |
Il n'attendait personne. | |
Son maître rentrait tard | |
La nuit | |
En titubant. | |
Le vent caressait son échine | |
Mais les enfants avaient peur de sa mauvaise mine | |
Quand il sortait de sa niche | |
Sa chaîne | |
Derrière lui | |
Faisait un bruit d'enfer. | |
Il ne songeait à rien | |
Pas même à la liberté | |
Et sculptait des os | |
Pour tuer le temps | |
Devant les canards médusés | |
Plantés devant sa loge | |
Comme devant un musée. | |
On l'avait condamné à la réclusion | |
A perpétuité. | |
Maintenant | |
Il lapait sa soupe à petits coups de langue | |
Dans la somnolence des pierres et des racines | |
Et mesurait d'un oeil limpide | |
La profondeur du ciel. | |
Lorsqu'il mourut | |
De vieillesse | |
Ou d'oubli | |
On lui ôta son carcan | |
Pour la première fois. |
Lucie DELARUE-MARDRUS | |
COMPLIMENT | |
LE PRINTEMPS | |
L'HIVER | |
COMPLIMENT | |
Chers parents, en ce jour de fête, | |
Je veux vous dire mon désir | |
De vous faire à tous deux plaisir, | |
Mais je bredouille un peu... C'est bête ! | |
Voici mon petit compliment. | |
Je jure d'être toujours sage... | |
Toujours... Hum ! Je n'ai que mon âge, | |
Pourrais-je tenir mon serment ? | |
Car, rester tout le temps docile, | |
Ne pas faire ce qu'on défend, | |
Quelquefois, quand on est enfant, | |
C'est une chose difficile. | |
Non ! J'aime mieux ne pas jurer. | |
Toujours sage ? Oh ! Je le souhaite, | |
Mais je crains ma mauvaise tête... | |
Toujours sage ?... Eh bien J'essaierai. | |
Chers parents, acceptez, de grâce, | |
Ce pauvre petit compliment... | |
Merci, papa ! Merci maman ! | |
Et maintenant, je vous embrasse. | |
"Poèmes mignons pour les enfants" | |
LE PRINTEMPS | |
Au printemps on est un peu fou. | |
Toutes les fenêtres sont claires, | |
Les prés sont pleins de primevères, | |
On voit des nouveautés partout. | |
Oh ! regarde ! une branche verte ! | |
Ses feuilles sortent de l'étui ! | |
Une tulipe s'est ouverte... | |
Ce soir, il ne fera pas nuit. | |
Les oiseaux chantent à tue-tête, | |
Et tous les enfants sont contents. | |
On dirait que c'est une fête... | |
Ah ! que c'est joli, le printemps. | |
L'HIVER | |
L'hiver, s'il tombe de la neige, | |
Le chien blanc a l'air beige. | |
Les arbres seront bientôt touffus | |
Comme dans l'été qui n'est plus. | |
Les oiseaux marquent les allées | |
Avec leurs pattes étoilées. | |
Aussitôt qu'il fait assez jour, | |
Dans le jardin bien vite on court. | |
Notre maman nous emmitoufle, | |
Même au soleil, la bise souffle. | |
Pour faire un grand bonhomme blanc, | |
Tout le monde prend son élan. | |
Après ça, bataille de neige! | |
On s'agite, on crie, on s'assiège. | |
Et puis on rentre, le nez bleu, | |
Pour se sécher autour du feu | |
"Poèmes mignons pour les enfants" |
G. DELAUNAY | |
FEUILLES MORTES | |
Un bruit léger devant ma porte... | |
A mes pieds une feuille morte... | |
Elle cherche un trou pour dormir | |
Pour dormir bien tranquillement. | |
Elle en a assez de courir | |
Et de jouer avec le vent. | |
Un bruit léger devant ma porte... | |
A mes pieds deux feuilles mortes... | |
Un petit rayon de soleil | |
Les sèche et les réchauffe un peu. | |
Tranquilles jusqu'à leur réveil | |
Elles dorment en levant la queue. | |
Un froufrouti devant ma porte... | |
Un beau tapis de feuilles mortes... |
Jane DELIGNAC | |
LE CHANTIER | |
POUR LE GESTE | |
LE CHANTIER | |
Deux grues, | |
Ferrailles et contre-poids, | |
Font le pied de grue, | |
A l'ombre de mon toit. | |
Elles attendent les hommes, | |
Les hommes qui les manoeuvrent, | |
Pour nous faire à pied d'oeuvre | |
Un semblant de chef-d'oeuvre. | |
Soudain, c'est la sirène : | |
Un autre jour commence, | |
Avec la vie qu'il ramène | |
Le calvaire recommence. | |
Pétarades de moteurs ... | |
Scies, perceuses électriques ... | |
Marteaux-piqueurs ... | |
Et engins mécaniques ... | |
Pour les voisins que nous sommes, | |
Jusqu'en nous les bruits résonnent. | |
Enfin, | |
Voici midi qui sonne ! | |
Dans le chantier assoupi, | |
Ne verrons plus personne | |
Pour deux heures de répit. | |
Deux grues, | |
Ferrailles et contre-poids, | |
Font le pied de grue, | |
A l'ombre de mon toit. | |
" La vie mécanique 1971 " | |
POUR LE GESTE | |
une voix une allumette | |
une voix plus cigarette | |
ensemble Egale fumée | |
une voix Fumée, fumée, | |
fumée, volupté, | |
volupté de fumer | |
Cigarette consumée | |
ensemble Egale mégot | |
une voix Que l'on jette | |
dans un geste | |
Dégagé | |
Chez soi, | |
Dans la rue, | |
Ou dans l'eau | |
ensemble Puis, une nouvelle allumette, | |
Nouvelle cigarette | |
une voix Jusqu'à tant | |
Tout n'a qu'un temps | |
une voix Que le paquet | |
Sans un regret | |
une voix Soit consommé | |
Et envolé | |
ensemble En fumée ! | |
Tristan DERÊME | |
BONNE ANNEE | |
L'ETOILE | |
LE POISSON ROUGE | |
BONNE ANNEE | |
Nouvel an! Joie et bonheur! | |
Pourquoi ne suis-je sonneur | |
De cloches, carillonneur, | |
Pour mieux dire à tout le monde | |
Aceux qui voguent sur l'onde | |
Ou qui rient dans leurs maisons | |
Tous les voeux que nous faisons.[...] | |
"Les compliments en vers de Patachou" | |
L'ETOILE | |
Quand j'étais un petit garçon | |
On me chantait une chanson : | |
La chanson du cueilleur d'étoiles. | |
Je rêvais d'un navire à voiles | |
Pour m'emporter à l'horizon. | |
L'horizon, cette ligne où le ciel touche l'onde ... | |
Ma tante répondait : -Ce n'est pas la saison ! | |
Pour les petits garçons la mer est trop profonde. | |
Je veux, disait l'enfant, qu'on m'apprenne à nager, | |
Je naviguerai sans danger : | |
Je pourrai me sauver si le vaisseau chavire. | |
Mais les astres, là-bas, sont au ras de la mer ; | |
Pour les prendre, il suffit de mettre un doigt en l'air, | |
Et j'en emplirai le navire. | |
Ma tante reprenait : -Je n'ai pas de vaisseau ! | |
Attends d'être plus grand pour t'en aller sur l'eau ; | |
Les étoiles pourtant luisaient dans le sureau | |
Où dormaient les deux tourterelles, | |
Et je les contemplais à travers les carreaux | |
Comme des fleurs surnaturelles. | |
"Un caprice" | |
LE POISSON ROUGE | |
Je vous offre ce poisson rouge, | |
Il n'est bouquet pourvu de plus tendres couleurs. | |
C'est un poisson fort ordinaire, | |
Et l'éclair pourpre de son flanc | |
N'est point suivi d'un éclat de tonnerre ; | |
Donc, il a beau faire l'étincelant, | |
On peut le regarder les oreilles ouvertes. | |
Ce n'est pas un poisson volant ; | |
Donc, inutile de chercher | |
A l'attacher ; | |
Ayez pitié de son jeune âge ; | |
Un dur lien | |
En le blessant ne servirait à rien. | |
C'est peut-être un oiseau qui nage ... | |
Ce poisson qui tourne et qui luit, | |
C'est aussi rose qu'une rose, | |
Et ça ne fait pas plus de bruit | |
Sur votre table où je le pose ...* | |
" L'enlèvement sans clair de lune " | |
François DERRY | |
LE PÊCHEUR A LA LIGNE ET LE POISSON MORIBOND | |
Un pêcheur à la ligne | |
Qui se plaint de la guigne | |
Et d'une méchante fringale | |
Patiente près d'une eau sale. | |
Enfin, quand même, ça mord : | |
Il ramène sur le bord | |
Un souffreteux poisson | |
Qui se dit moribond | |
Et pas le moins mangeable | |
-" Cette eau n'est plus vivable !" | |
Fait-il dans un soupir, | |
" Vous voyez un martyr : | |
Je me sens pris de toux | |
Aux viles odeurs d'égout, | |
Les nappes d'hydrocarbure | |
M'en font voir des pas mûres | |
Et le manque d'oxygène | |
Me vaut de fortes migraines ! | |
C'est un conseil d'ami | |
Qui on m'avale cru ou frit | |
Même avec une cannette | |
Je ne veux pas tripette ! | |
Donc ayez un bon geste : | |
Je jure d'être indigeste | |
Pour le plus fort boyau | |
N'étant qu'écailles et piques ! | |
Remettez-moi à l'eau !" | |
Dit la bête aquatique . | |
Notre homme plein de défiance | |
Redoute une manigance | |
Et appréhende par trop | |
Qu'on lui monte un bateau. | |
Il n'entend pas raison | |
Et avale le poisson, | |
Et sur lui une rasade. | |
Sur l'heure il tombe malade. | |
Ce mangeur de poisson | |
Crie pour lui cette leçon : | |
Le monde à l'heure qu'il est | |
Etouffe sous ses déchets. | |
Bien rare est l'eau limpide ! | |
La mer se fait putride | |
Par la seule faute des hommes. | |
Voilà où nous en sommes. | |
" Fables" Livret III | |
Nîmes- Mars 1981 | |
Robert DESNOS | |
IL ETAIT UNE FEUILLE | |
LA VOIX | |
LA GRENOUILLE AUX SOULIERS PERCES | |
LE ZEBRE | |
IL ETAIT UNE FEUILLE | |
"Il était une feuille avec ses lignes | |
Ligne de vie | |
Ligne de chance | |
Ligne de coeur | |
Il était une branche au bout de la feuille | |
Ligne fourchue signe de vie | |
Signe de chance | |
Signe de coeur | |
Il était un arbre au bout de la branche | |
Un arbre digne de vie | |
Digne de chance | |
Digne de coeur | |
Coeur gravé, percé, transpercé, | |
Un arbre que nul jamais ne vit. | |
Il était des racines au bout de l'arbre | |
Racines vignes de vie | |
Vignes de chance | |
Vignes de coeur | |
Au bout de ces racines il était la terre | |
La terre tout court | |
La terre toute ronde | |
La terre toute seule au travers du ciel | |
La terre | |
LA VOIX | |
Une voix, une voix qui vient de si loin | |
Qu'elle ne fait plus tinter les oreilles, | |
Une voix, comme un tambour, voilée, | |
Parvient pourtant, distinctement jusqu'à nous ... | |
Je l'écoute. Ce n'est qu'une voix humaine | |
Qui traverse les fracas de la vie et des batailles, | |
L'écroulement du tonnerre et le murmure des | |
bavardages ... | |
Et vous? Ne l'entendez-vous pas? | |
Elle dit " La peine sera de courte durée" | |
Elle dit " La belle saison est proche" | |
Ne l'entendez-vous pas? | |
LA GRENOUILLE AUX SOULIERS PERCES | |
La grenouille aux souliers percés | |
A demandé la charité. | |
Les arbres lui ont donné | |
Des feuilles mortes et tombées. | |
Les champignons lui ont donné | |
Le duvet de leur grand chapeau. | |
L'écureuil lui a donné | |
quatre poils de son manteau. | |
L'herbe lui a donné | |
Trois petites graines. | |
Le ciel lui a donné | |
Sa plus douce haleine. | |
Mais la grenouille demande toujours, demande encore la charité | |
Car ses souliers sont toujours, sont encore percés. | |
"La ménagère de Tristan" | |
Destinée arbitraire Gallimard | |
LE ZEBRE | |
Le zèbre, cheval des ténèbres, | |
Lève le pied, ferme les yeux | |
Et fait résonner ses vertèbres | |
En hennissant d'un air joyeux. | |
Au clair soleil de Barbarie, | |
Il sort alors de l'écurie | |
Et va brouter dans la prairie | |
Les herbes de sorcellerie. | |
Mais la prison, sur son pelage, | |
A laissé l'ombre du grillage. | |
"Chantefables et chantefleurs." | |
Erhard DIETI | |
XXXX | |
Parfois je rêve que je suis | |
un astronaute . | |
Je me pose avec ma fusée | |
sur une planète éloignée . | |
Quand je raconte | |
aux enfants de là - bas | |
que, sur la terre , | |
l' école est obligatoire | |
et que, chaque soir | |
nous avons des devoirs, | |
ils se tordent de rire . | |
Alors je décide de rester avec eux , | |
longtemps, ... longtemps ... | |
Enfin, jusqu' aux grandes vacances ! | |
GUSTAVE DROZ | |
L'AUTOMNE | |
Connaissez-vous l'automne? l'automne en plein champs, avec ses | |
bourrasques, ses longs soupirs, ses feuilles jaunies qui tourbillonnent au loin, | |
ses sentiers détrempés, ses beaux couchers de soleil, pâle comme le sourire | |
d'un malade, ses flaques d'eau dans les chemins?... Connaissez-vous | |
tout cela? | |
Si vous avez vu toutes ces choses, vous n'y êtes certes pas restés | |
indifférents. On les déteste ou on les aime follement. Je suis au nombre de | |
ceux qui les aiment, et je donnerais deux étés pour un automne. | |
" Monsieur, Madame et Bébé " | |
Maurice DRUON, Joseph KESSEL, Anne MARLY | |
LES PARTISANS | |
( CHANT DE LA LIBERATION ) | |
Ami, entends-tu | |
Le vol noir des corbeaux | |
Sur nos plaines? | |
Ami, entends-tu | |
Les cris sourds du pays | |
Qu' on enchaîne? | |
Ohé Partisans | |
Ouvriers et Paysans | |
C'est l'alarme! | |
Ce soir l'ennemi | |
Connaîtra le prix du sang | |
Et les larmes | |
Montez de la mine | |
Descendez des collines | |
Camarades, | |
Sortez de la paille | |
Les fusils, la mitraille | |
Les grenades! | |
Ohé les tueurs | |
A la balle et au couteau | |
Tuez vite! | |
Ohé saboteur | |
Attention à ton fardeau | |
Dynamite! | |
C'est nous qui brisons | |
Les barreaux des prisons | |
Pour nos frères! | |
La haine à nos trousses | |
Et la faim qui nous pousse | |
La misère... | |
Il y a des pays | |
Où les gens au creux des lits | |
Font des rêves | |
Ici, nous, vois-tu, | |
Nous on marche et nous on tue | |
Nous on crève | |
Ici, chacun sait | |
Ce qu'il veut, ce qu'il fait | |
Quand il passe... | |
Ami, si tu tombes | |
Un ami sort de l'ombre | |
A ta place. | |
Demain, du sang noir | |
Sèchera au grand soleil | |
Sur les routes | |
Sifflez compagnons... | |
Dans la nuit la liberté | |
Nous écoute... | |
H. DUBUS | |
LA NEIGE PAPILLONNE | |
La blanche neige papillonne | |
Et fleurit les branches de houx. | |
Elle se joue et tourbillonne | |
En nous frôlant tout doux, tout doux. | |
La blanche neige papillonne | |
Et, voletant sur les troits roux, | |
Vient mettre une coiffe mignonne | |
Aux vieilles maisons de chez nous. | |
"Le livre de la joie" |
Marie Jeanne DURRY | |
CHANSON | |
J'ai volé un petit nuage | |
Pour me promener | |
Je flotte sur les villages | |
D'un monde abandonné | |
Vous pouvez vous mettre en chasse | |
Vous ne m'attraperez pas | |
Mais d'en haut je tends mes nasses | |
Viens partager mon repas | |
De gouttes et d'étincelles | |
Viens partager mon repas | |
Je plonge et je te soulève | |
Jusqu'à mon nid dans le ciel | |
Le soleil est sur nos lèvres | |
Un gâteau de miel | |
Ecoute comme je chante | |
Vois naître dans l'air | |
Les agiles couleurs changeantes | |
Qui frémissent sur la mer. | |
"Lignes de vie" | |
Editions Saint Germain-des-Près | |
Yves DUTEIL | |
LA LANGUE DE CHEZ NOUS | |
C' est une langue belle avec des mots superbes | |
Qui porte son histoire à travers ses accents | |
Où l' on sent la musique et le parfum des herbes | |
Le fromage de chèvre et le pain de froment | |
Et du mont Saint-Michel jusqu' à la Contrescarpe | |
En écoutant parler les gens de ce pays | |
On dirait que le vent s' est pris dans une harpe | |
Et qu' il en a gardé toutes les harmonies | |
Dans cette langue belle aux couleurs de Provence | |
Où la saveur des choses est déjà dans les mots | |
C' est d' abord en parlant que la fête commence | |
Et l' on boit des paroles aussi bien que de l' eau | |
Les voix ressemblent aux cours des fleuves et des rivières | |
Elles répondent aux méandres, au vent dans les roseaux | |
Parfois même aux torrents qui charrient du tonnerre | |
en polissant les pierres sur le bord des ruisseaux | |
C' est une langue belle à l' autre bout du monde | |
Une bulle de France au nord d' un continent | |
Sertie dans un étau mais pourtant si féconde | |
Enfermée dans les glaces au sommet d' un volcan | |
Elle a jeté des ponts par-dessus l' Atlantique | |
Elle a quitté son nid pour un autre terroir | |
Et comme une hirondelle au printemps des musiques | |
Elle revient nous chanter ses peines et ses espoirs | |
Nous dire que là-bas dans ce pays de neige | |
Elle a fait face aux vents qui soufflent de partout | |
Pour imposer ses mots jusque dans les collèges | |
Et qu' on y parle encore la langue de chez nous | |
C' est une langue belle à qui sait la défendre | |
Elle offre les trésors de richesses infinies | |
Les mots qui nous manquaient pour pouvoir nous comprendre | |
Et la force qu' il faut pour vivre en harmonie | |
Et de l' île d' Orléans jusqu' à la Contrescarpe | |
En écoutant chanter les gens de ce pays | |
On dirait que le vent s' est pris dans une harpe | |
Et qu' il a composé toute une symphonie . | |
Paroles et musique Yves Duteil | |
Avec L' aimable autorisation des éditions de l' Ecritoire . | |
Paul ELUARD | |
LIBERTE | |
Sur mes cahiers d'écolier | |
Sur mon pupitre et les arbres | |
Sur le sable, sur la neige | |
J'écris ton nom | |
Sur toutes les pages lues | |
Sur toutes les pages blanches | |
Pierre, sang, papier ou cendre | |
J'écris ton nom | |
Sur les images dorées | |
Sur les armes des guerriers | |
Sur la couronne des rois | |
J'écris ton nom | |
Sur la jungle et le désert | |
Sur les nids, sur les genêts | |
Sur l'écho de mon enfance | |
J'écris ton nom ... | |
Sur les champs sur l'horizon | |
Sur les ailes des oiseaux | |
Et sur le moulin des ombres | |
J'écris ton nom | |
Sur les sentiers éveillés | |
Sur les routes déployées | |
Sur les places qui débordent | |
J'écris ton nom | |
Sur le tremplin de ma porte | |
Sur les objets familiers | |
sur le flot du feu béni | |
J'écris ton nom | |
Sur mes refuges détruits | |
Sur mes phares écroulés | |
Sur les murs de mon ennui | |
J'écris ton nom. | |
Sur la santé revenue | |
Sur le risque disparu | |
Sur l'espoir sans souvenirs | |
J'écris ton nom | |
Et par le pouvoir d'un mot | |
Je recommence ma vie | |
Je suis né pour te connaître | |
Pour te nommer | |
Liberté. | |
ESOPE | |
LA CIGALE ET LES FOURMIS | |
LE LION ET LE RAT RECONNAISSANT | |
LA CIGALE ET LES FOURMIS | |
Pendant l'hiver, leur blé étant humide, les fourmis le faisaient sécher. La | |
cigale, mourant de faim, leur demandait de la nourriture. Les fourmis lui | |
répondirent: " Pourquoi, en été, n'amassais-tu pas de quoi manger? - Je | |
n'étais pas inactive, dit celle-ci, mais je chantais mélodieusement." Les | |
fourmis se mirent à rire. " Eh bien, si en été tu chantais, maintenant que c'est | |
l'hiver, danse. | |
" Cette fable montre qu'il ne faut pas être négligent en quoi que ce soit, si l'on | |
veut éviter le chagrin et les dangers. | |
LE LION ET LE RAT RECONNAISSANT | |
Un lion dormait; un rat s'en vint trotter sur son corps. Le lion, se réveillant, le | |
saisit, et il allait le manger, quand le rat le pria de le relâcher, promettant, s'il | |
lui laissait la vie, de le payer de retour. Le lion se mit à rire et le laissa aller. | |
Or il arriva que, peu de temps après, il dut son salut à la reconnaissance du | |
rat. Des chasseurs en effet le prirent et l'attachèrent à un arbre avec une | |
corde. Alors le rat, l'entendant gémir, accourut, rongea la corde et le délivra. | |
" Naguère, dit-il, tu t'es moqué de moi, parce que tu n'attendais pas de retour | |
de ma part; sache maintenant que, chez les rats aussi, on trouve de la | |
reconnaissance." | |
Cette fable montre que, dans les changements de fortune, les gens les plus | |
puissants ont besoin des faibles. | |
Robert FABBRI | |
DIALOGUE DE FLEURS | |
Ce n'est pas une vie, | |
De toujours vivre empoté | |
Dit le mauve pétunia | |
Ce n'est pas une vie, | |
De toujours vivre sous serre | |
Dit la botte d'oeillets | |
Ce n'est pas une vie, | |
De toujours vivre sous cloche | |
Dit la rose du Petit-Prince. | |
Comme ils sont heureux | |
Les asphodèles et les volubilis | |
Avec leur nom à coucher dehors ! | |
"Arbroiseaux" | |
édition Saint-germain-des-prés/le cherche-midi | |
F. FABIE | |
L'AUTOMNE | |
A toute
autre saison je préfère l'automne; | |
Et
je préfère aux chants des arbres pleins de nids | |
La lamentation confuse et monotone | |
Que rend la harpe d'or des grands chênes jaunis. | |
Je préfère aux gazons semés de pâquerettes | |
Où la source égrenait son collier d'argent
vif, | |
La clairière déserte
où, tristes et discrètes, | |
Les
feuilles mortes font leur bruit doux et plaintif. | |
Ici,
c'est un grand feu de fougère flétrie | |
D'où
monte dans le ciel la fumée aux flots bleus, | |
Et, comme elle, la vague et lente rêverie | |
Du pâtre regardant l'horizon nébuleux | |
Plus loin, un laboureur, sur la lande muette, | |
S'appuie à la charrue, et le soleil couchant
| |
Détache sur fond d'or
la fière silhouette | |
Du
bouvier et des boeufs arrêtés en plein champ. | |
L'on
se croirait devant un vitrail grandiose, | |
Où quelque artiste ancien, saintement inspiré, | |
Aurait représenté dans une apothéose | |
Le serf et l'attelage, et l'araire sacré
... | |
"
Le clocher " | |
Léon Paul FARGUE | |
INTERIEUR | |
Des toiles, des choses sèches pendent aux poutres ... | |
Le vieux fusil dort fixement | |
Au mur clair ... | |
Rêve à ton gré. Tout est comme autrefois. | |
Ecoute ... | |
La haute cheminée | |
Fait sa plainte ancienne et son odeur éteinte | |
Et tasse son échine de viel oiseau noir ... | |
Elle porte encore au front ses images d'âme crue | |
Et ses vases de loterie aux prénoms d'or | |
Et l'horloge recluse dans l'ombre et la bure | |
Berce son coeur avec une douceur obscure ... | |
Pareils à des visages ronds de spectateurs | |
Les plats se penchent aux balcons du vieux dressoir | |
Où des files de fruits qui font la chaîne, fleurent | |
Dans leur ruelle d'ombre couleur d'aubergine ... | |
J'ouvre un tiroir où je vois passer des noix vides, | |
Un gros couteau à vingt lames, qui contient tout, | |
Et l'ombre de mes mains qui glisse sur les choses ... | |
Un vent tiède pousse des guêpes | |
Frapper à la lucarne bleue ... | |
Un grand chat doucement passe comme on chuchote, | |
Et vous lève un regard où veille l'ennui sage | |
Du soleil dans la douve aux lentilles d'or vert ... | |
Sois calme. Tout est là comme autrefois. | |
Ecoute . | |
"Pour la musique" | |
Luce FILLOL | |
MAMAN, LE CADEAU QUE TU PREFERES | |
Maman, | |
Ton collier le plus cher | |
Je le sais: | |
Mes deux bras autour de ton cou! | |
Maman, | |
Le trésor dont tu es fière | |
Je le connais: | |
C'est ton bébé sur tes genoux! | |
Maman, | |
Le cadeau que tu préfères, | |
Je te le fais: | |
Un gros baiser sur tes deux joues! | |
"Une hirondelle m'a dit" | |
Maurice FOMBEURE | |
LE COQUILLAGE | |
MENUISIER DU ROI | |
LE COQUILLAGE | |
Ronfle coquillage | |
Où l'on entend tout le bruit de la mer | |
Vague par vague, | |
Où l'on entend marcher les petits crabes | |
Où l'on entend mugir le vent amer. | |
Ronfle coquillage | |
Ah ! je revois tous les bateaux de bois, | |
Les voiles blanches | |
Claires comme un matin de beau dimanche | |
Ailes de la joie. | |
Ronfle coquillage ! | |
En toi je retrouve les beaux jours vivants, | |
Où les mouettes claquaient au vent | |
Dans un grand ciel bleu gonflé de nuages, | |
De nuages blancs, signe du beau temps ! ... | |
Ronfle coquillage. | |
" A dos d'oiseau " | |
MENUISIER DU ROI | |
- Je stipule, | |
dit le roi, | |
que les grelots de ma mule | |
seront des grelots de bois. | |
- Je stipule, | |
dit la reine, | |
que les grelots de ma mule | |
seront des grelots de frêne. | |
- Je stipule, | |
dit le dauphin, | |
que les grelots de ma mule | |
seront en coeur de sapin. | |
- Je stipule, | |
dit l'infante | |
élégante, | |
que les grelots de ma mule | |
seront faits de palissandre. | |
- Je stipule, | |
dit le fou, | |
que les grelots de ma mule | |
seront des grelots de houx. | |
Mais, quand on appela le menuisier, | |
Il n'avait que du merisier. | |
"Les silences sur le toit" |
Anne FONTAINE | |
LA PIE | |
Ce soir, je n'ai pas vu la lune. | |
Je l'ai cherchée derrière le mur | |
Et sous les feuilles mortes. | |
J'ai retourné les poches des passants, | |
Les oreilles des lièvres | |
Et la queue du castor, | |
J'ai battu la haie | |
Et le fond du lavoir, | |
J'ai fouillé l'herbe, | |
Ouvert, les roseaux, | |
Soulevé l'écorce du bouleau | |
Et ne l'ai point trouvée. | |
Mais ce rai qui luit dans le nid de la pie, | |
Ce rai que le vent berce dans les branches | |
Est-ce la lune, ma mie? | |
Est-ce la lune? | |
"L'oiseleur" | |
édition Grasset | |
JP Claris de FLORIAN | |
LE CHIEN ET LE CHAT | |
LE BOITEUX, LE BOSSU ET L' AVEUGLE | |
LE CHIEN ET LE CHAT | |
Un chien vendu par ses maîtres | |
Brisa sa chaîne, et revint | |
Au logis qui le vit naître. | |
Jugez de ce qu'il devint | |
Lorsque, pour prix de son zèle, | |
Il fut de cette maison | |
Reconduit par le bâton | |
Vers sa demeure nouvelle. | |
Un vieux-chat, son compagnon, | |
Voyant sa surprise extrême, | |
En passant lui dit ce mot : | |
Tu croyais donc, pauvre sot, | |
Que c'est pour nous qu'on nous aime ! | |
"Livre 1 fable 9." | |
LE BOITEUX, LE BOSSU ET L' AVEUGLE | |
" Me voilà vraiment bien loti | |
Avec ma jambe en raccourci, | |
Clopin par-là, clopin par-ci!" | |
Disait certain boiteux. " Or çà, dame Nature, | |
N'attendez pas un grand merci; | |
Car je fais dans ce monde ci | |
Une pénitence assez dure. | |
- Eh! ne suis-je pas, moi, bien joliment bâti?" | |
Répondit un bossu, passant par aventure. | |
" Il faut, pour m'avoir fait ainsi, | |
Qu'on se soit trompé de mesure." | |
Un aveugle, les entendant, | |
Tout aussitôt se mit à dire: " | |
Dussé-je aller toujours en clopinant, | |
Etre bossu par-derrière et devant, | |
Ah! si j'avais un pauvre oeil seulement, | |
Que leurs propos me feraient rire!" | |
Tel se plaint d'être mal qui serait bien content | |
S'il songeait qu'on peut être pire. | |
"Fables" | |
Paul FORT | |
LA GRENOUILLE BLEUE | |
LE DIT DU PAUVRE VIEUX | |
L' ECUREUIL | |
LA GRENOUILLE BLEUE | |
I - LA PRIERE AU BON FORESTIER | |
Nous vous en prions à genoux, bon forestier, dites-nous le ! | |
à quoi reconnaît-on chez vous la fameuse grenouille bleue ? | |
à ce que les autres sont vertes , à ce qu'elle est pesante , | |
alerte ? à ce qu'elle fuit les canards, ou se balance aux nénuphars ? | |
à ce que sa voix est perlée , à ce qu'elle porte une houppe ? | |
à ce qu'elle rêve par troupe ? en ménage ? ou bien isolée ? | |
Ayant réfléchi très longtemps et reluquant un vague étang, | |
le bonhomme nous dit : Eh ! mais, à ce qu'on ne la voit jamais. | |
II - REPONSE AU FORESTIER | |
Tu mentais, forestier. Aussi ma joie éclate ! Ce matin je l'ai vue : | |
un vrai saphir à pattes. Complice du beau temps, amante du ciel | |
pur, elle était verte, mais réfléchissait l'azur. | |
LE DIT DU PAUVRE VIEUX | |
Quand le froid vient me saisir, je me mets à réfléchir. | |
Dans les jours de ma jeunesse, l'été je fauchais le foin, | |
l'automne je battais le grain, l'hiver je chauffais mes mains. | |
Je n'ai pas dans ma vieillesse, même un chien qui me caresse | |
et me chauffe un peu les mains de sa langue de bon chien. | |
Décembre, toujours décembre. Jamais de feu dans la chambre. | |
Las ! tous les boutons de portes me sont de glace. Mais qu'importe ! | |
Tous les coeurs sont de glace. Alors je passe, je passe... | |
L' ECUREUIL | |
L'ENFANT | |
- Ecureuil du printemps, écureuil de l'été, qui domines la terre avec vivacité, | |
que penses-tu là haut de notre humanité ? | |
L'ECUREUIL
| |
- Les hommes sont des fous qui manquent de gaieté ! | |
L'ENFANT
| |
- Ecureuil, queue touffue, doré trésor des bois, ornement de la vie et fleur de | |
la nature, juché sur ton pin vert, dis-nous ce que tu vois ? | |
L'ECUREUIL | |
- La terre qui poudroie sous des pas qui murmurent. | |
L'ENFANT | |
- Ecureuil, voltigeant, frère du pic bavard, cousin du rossignol, ami de la | |
corneille, dis-nous ce que tu vois par delà nos brouillards ? | |
L'ECUREUIL
| |
- Des lances, des fusils, menacer le soleil. | |
L'ENFANT
| |
- Ecureuil aux yeux vifs, pétillants, noirs et beaux, humant la sève d'or, la | |
pomme entre tes pattes, que vois-tu sur la plaine autour de nos hameaux ? | |
L'ECUREUIL | |
- Monter le lac de sang des hommes qui se battent. | |
L'ENFANT | |
- Ecureuil de l'automne, écureuil de l'hiver, qui lances vers l'azur, avec tant de | |
gaieté, ces pommes. Que vois-tu ? | |
L'ECUREUIL
| |
- Demain tout comme hier, | |
les hommes sont des fous et pour l'éternité. | |
"Ballades françaises" | |
Editions Flammarion |
Anne FRANCK | |
A QUOI SERT LA GUERRE ? | |
A quoi sert cette guerre, à quoi sert-elle? Pourquoi les hommes ne peuvent-ils | |
pas vivre en paix? Pourquoi cette dévastation? | |
Question compréhensible, mais personne n'a encore trouvé la réponse finale. | |
Au fait, pourquoi construit-on en Angleterre des avions toujours plus grands | |
avec des bombes toujours plus lourdes, et, à côté de cela, des habitations en | |
commun pour la reconstruction? Pourquoi dépense-t-on chaque jour des | |
millions à la guerre, et n'y a-t-il pas un sou disponible pour la médecine, les | |
artistes, les pauvres? | |
Pourquoi y a-t-il des hommes qui souffrent de la faim, alors que dans d'autres | |
parties du monde la nourriture pourrit sur place par surabondance? Oh! | |
pourquoi les hommes sont-ils si fous? | |
Je ne croirai jamais que seuls les hommes puissants, les gouvernants et les | |
capitalistes soient responsables de la guerre. Non, l'homme de la rue est tout | |
aussi content de la faire, autrement les peuples se seraient révoltés il y a | |
longtemps! Les hommes sont nés avec l'instinct de détruire, de massacrer, | |
d'assassiner et de dévorer; tant que toute l'humanité, sans exception, n'aura | |
pas subi une énorme métamorphose, la guerre fera rage; les reconstructions, | |
les terres cultivées seront détruites à nouveau, et l'humanité n'aura qu'à | |
recommencer. | |
"JOURNAL ( 3 mai 1944 )" | |
Charles FREMINE | |
NOEL | |
Coupez le gui ! Coupez le houx ! | |
Feuillage vert, feuillage roux ; | |
Mariez leurs branches ! | |
Perles rouges et perles blanches. | |
Coupez le gui ! Coupez le houx ! | |
C'est la Noël ! Fleurissez-vous. | |
Courez à la forêt prochaine, | |
Courez à l'enclos des fermiers ; | |
Coupez le gui sur le grand chêne, | |
Coupez le gui sur les pommiers ! | |
Chassez les grives et les merles, | |
Chassez la mésange au dos bleu | |
Du gui dont les fleurs sont des perles | |
Du houx dont les fleurs sont du feu ! | |
Konstanty Ildefons GALCZYNSKY | |
SI J' AVAIS ONZE CHAPEAUX | |
Si j' avais onze chapeaux... | |
Et bien ! | |
J' en mettrais un au fond de l' armoire | |
à cause de la poussière, ce qui est normal ; | |
Le second chapeau, bien empaqueté, | |
J' enverrais par la poste, en recommandé. | |
Dans le troisième - je garderais des petits riens. | |
Grâce au quatrième, je serais peut-être magicien ... | |
Le cinquième remplacerait ma cloche à fromage, | |
et c' est à Jean que je donnerais le sixième - s' il est sage. | |
Le septième - je l' accrocherais au portemanteau, | |
qu' il y reste tranquillement ! | |
Du huitième je ferais peut-être un abat-jour. | |
Dans le neuvième j' élèverais, | |
pourquoi pas ? | |
une poule qui pondrait des oeufs d' or. | |
.... | |
Quant au dixième, je n'en sais rien encore. | |
Mais mon onzième chapeau, | |
je ne le garderais pas, oh non ! | |
Qu' il s' envole donc au grand vent ! | |
Qu'il tombe dans la rivière ! | |
Car, comme dit une de mes amies très chères : | |
" Un poète, ça n'a pas une tête à chapeaux. " | |
"Pourquoi le concombre ne chante-t-il pas ?" | |
Pierre GAMARRA | |
L'AUTOMOBILE | |
PEPIN DE POMME | |
MON CARTABLE | |
LES FEUX | |
OU DONC EST PASSE LE FEU ? | |
L'AUTOMOBILE | |
Une jeune automobile | |
pour la première fois se promenait en ville, | |
fière de ses fraîches couleurs, | |
de ses chromes, de son moteur. | |
- Ah ! disait-elle à ses soeurs, | |
voyez comme je suis belle ! | |
Je peux filer pareille à l'hirondelle | |
plus vite que le vent et je peux m'arrêter | |
au moindre coup de frein. Je suis, en vérité, | |
la championne de la distance, | |
de la grâce et de la prestance | |
et de la rapidité. | |
Or, sachez que je ne dépense | |
qu'un peu d'huile et qu'un peu d'essence. | |
Je glisse sur mes quatre pneus | |
comme sur un tapis laineux, | |
franchissant les coteaux, les montagnes, les plaines... | |
On m'admire partout ; partout, je suis la Reine. | |
On ne saurait rêver plus splendide cadeau. | |
Une très vieille torpédo | |
qui sommeillait au garage, | |
grommela sur son passage : | |
- Je n'en disconviens pas. Tout ceci est fort bien, | |
tu vas, tu viens, | |
tu vires | |
mais tu ne servirais de rien | |
sans un chauffeur pour te conduire. | |
"Le Mandarin et la Mandarine" | |
PEPIN DE POMME | |
Graine de pomme dans ma main, | |
Goutte brune, tendre pépin, | |
Je tiens le pommier dans ma main. | |
Je tiens le tronc et les ramures | |
Et les feuilles et les murmures, | |
La chanson des oiseaux vivants | |
Et les mille routes du vent. | |
Graine fine, pépin léger, | |
Dans ma main, je tiens le pommier, | |
Pépin menu, graine fragile, | |
Si je te jette au sol profond, | |
Par dessous les pluies et les neiges, | |
Voici les fleurs, voici les fruits, | |
La lune sur les pommes bleues, | |
Le soleil sur les pommes rouges, | |
Et mon coeur qui bouge, qui bouge | |
Dans la romance des pommiers. | |
MON CARTABLE | |
Mon cartable a mille odeurs, | |
mon cartable sent la pomme, | |
le livre, l'encre, la gomme | |
et les crayons de couleurs. | |
Mon cartable sent l' orange, | |
le bison et le nougat, | |
il sent tout ce que l' on mange | |
et ce qu' on ne mange pas. | |
La figue, la mandarine, | |
le papier d' argent ou d' or, | |
et la coquille marine, | |
les bateaux sortant du port. | |
Les cow-boys et les noisettes, | |
la craie et le caramel, | |
les confettis de la fête, | |
les billes remplies de ciel. | |
Les longs cheveux de ma mère | |
et les joues de mon papa, | |
les matins dans la lumière, | |
la rose et le chocolat. | |
"La tarte aux pommes." | |
LES FEUX | |
Orange, tu passes | |
orange léger, | |
orange légère, | |
orange, tu deviens cerise. | |
Ne soyons pas surpris, | |
ne soyons pas surprise ... | |
Vert, orange, rouge, | |
les feux sont des fruits, | |
des coeurs qui scintillent, | |
des yeux qui s' allument | |
au coin de ma rue . | |
Rouge, vert, orange, | |
dans les soirs de brume, | |
dans les nuits de plume, | |
les feux sont des songes | |
au bout des trottoirs | |
Je m' arrête au rouge, | |
une rose bouge | |
dans l' or du matin. | |
Au vert, je m' en vais, | |
je m' en vais au vert, | |
je m' éloigne vers | |
des feuilles de jade, | |
un ciel de salade ... | |
Adieu, la cité | |
Le vert, c' est l' été | |
"La ville en poésie" | |
Gallimard | |
OU DONC EST PASSE LE FEU ? | |
Où donc est passé le feu ? | |
Je n' ai pas de cheminée ! | |
Quand l' hiver au gros nez bleu | |
Vient à la fin de l'année, | |
Quand décembre blanc et noir | |
vient siffler devant ma porte | |
et quand la tempête emporte | |
les arbres au fond du soir, | |
je m'en vais à ma croisée, | |
je suis triste un petit peu, | |
je n' ai pas de cheminée. | |
Où donc est passé le feu ? | |
"La tarte aux pommes ." | |
L'école des loisirs | |
Guy GANACHAUD | |
REMERCIEMENT | |
Seigneur, très simplement, | |
je voudrais te remercier | |
de toutes tes bontés; | |
de ne pas m'avoir donné | |
trop de qualités, | |
moins encore de vertus. | |
Ainsi, lorsque je tombe, | |
c'est toujours d'assez bas. | |
C'est préférable, n'est-ce pas? | |
Auguste-Pierre GARNIER | |
LES LAVEUSES | |
Près de l'arche du pont, non loin des abattoirs, | |
Clapote tout le jour le fracas des battoirs. | |
Des femmes, à l'abri sous un auvent de planches, | |
Dans les eaux de savon déjà grasses et blanches, | |
Essorent en causant tout le linge mouillé. | |
Nul bras n'est engourdi. Nul gosier n'est rouillé. | |
La laveuse, de la finaude à l'ingénue, | |
Ajoute aux racontars, et suppose, insinue... | |
La main rougeaude claque au rebord du lavoir. | |
Toutes ont dit, ont vu, chacune a cru savoir... | |
Et l'on entend taper, pareils aux flots qui tanguent | |
Les forts coups de battoirs et les fins coups de langue. | |
"A vol d'oiseau" | |
Théophile Gautier (1811-1872) | |
PLAISIR D'ETE | |
LA TULIPE | |
PREMIER SOURIRE DU PRINTEMPS | |
SENTIER PRINTANIER | |
PLAISIR D'ETE | |
Quand à peine un nuage, | |
Flocon de laine, nage | |
Dans les champs du ciel bleu | |
Et que la moisson mûre, | |
Sans vagues ni murmure, | |
Dort sous le ciel de feu ; | |
Aux fentes des murailles | |
Quand luisent les écailles | |
Et les yeux du lézard, | |
Et que les taupes fouillent | |
Les près, où s'agenouillent | |
Les grands boeufs à l'écart ; | |
Qu'il fait bon ne rien faire ; | |
Libre de toute affaire, | |
Libre de tous soucis, | |
Et sur la mousse tendre | |
Nonchalamment s'étendre | |
Ou demeurer assis... | |
LA TULIPE | |
Moi, je suis la tulipe, une fleur de Hollande, | |
et telle est ma beauté que l'avare Flamand | |
Paie un de mes oignons plus cher qu'un diamant | |
Si mes fonds sont bien purs, si je suis droite et grande. | |
Mon air est féodal, et comme une Yolande | |
Dans sa jupe à longs plis étoffée amplement, | |
Je porte des blasons peints sur mon vêtement, | |
Gueules fascé d'argent, or avec pourpre en bande. | |
Le jardinier divin a filé de ses doigts | |
Les rayons du soleil et la pourpre des rois | |
Pour me faire une robe à trame douce et fine. | |
Nulle fleur du jardin n'égale ma splendeur, | |
Mais la nature, hélas ! n'a pas versé d'odeur | |
Dans mon calice fait comme un vase de Chine. | |
"Poésies complètes" 1876 | |
PREMIER SOURIRE DU PRINTEMPS | |
Tandis qu'à leurs oeuvres perverses | |
Les hommes courent haletants, | |
Mars qui rit, malgré les averses, | |
Prépare en secret le printemps. | |
Pour les petites pâquerettes | |
Sournoisement, lorsque tout dort, | |
Il repasse des collerettes | |
Et cisèle des boutons d'or. | |
Dans le verger et dans la vigne, | |
ll s'en va furtif perruquier, | |
Avec une houppe de cygne, | |
Poudrer à frimas l'amandier. | |
La nature au lit se repose ; | |
Lui, descend au jardin désert | |
Et lace les boutons de rose | |
Dans leur corset de velours vert. | |
Tout en composant des solfèges, | |
Qu'aux merles il siffle à mi-voix, | |
Il sème aux prés les perce-neige | |
Et les violettes aux bois. | |
Sur le cresson de la fontaine | |
Où le cerf boit, l'oreille au guet, | |
De sa main cachée il égrène | |
Les grelots d'argent du muguet. | |
Sous l'herbe, pour que tu la cueilles, | |
Il met la fraise au teint vermeil, | |
Et te tresse un chapeau de feuilles | |
Pour te garantir du soleil. | |
Puis, lorsque sa besogne est faite, | |
Et que son règne va finir, | |
Au seuil d'avril tournant la tête, | |
Il dit : " Printemps, tu peux venir! " | |
"Emaux et Camées" | |
SENTIER PRINTANIER | |
Il est un sentier creux dans la vallée étroite, | |
Qui ne sait trop s'il marche à gauche ou bien à droite. | |
C'est plaisir d'y passer, lorsque moi sur ses bords | |
Comme un jeune prodigue égrène ses trésors. | |
L'aubépine fleurit; les frêles pâquerettes, | |
Pour fêter le printemps, ont mis leurs collerettes. | |
La pâle violette, en son réduit obscur, | |
Timide, essaie au jour son doux regard d'azur, | |
Et le gai bouton-d'or, lumineuse parcelle, | |
Pique le gazon vert de sa jaune étincelle. | |
Le muguet, tout joyeux, agite ses grelots. | |
Et les sureaux sont blancs de bouquets frais éclos | |
Les fossés ont des fleurs à remplir vingt corbeilles. | |
A rendre riche en miel tout un peuple d'abeilles. | |
" Poésies " | |
Paul GERALDY | |
LE BOURGEON | |
Comme un diable au fond de sa boîte , | |
Le bourgeon s' est tenu caché , | |
Mais dans sa prison trop étroite | |
Il baille et voudrait respirer . | |
Il entend des chants, des bruits d' ailes , | |
Il a soif de grand jour et d' air ... | |
Il voudrait savoir des nouvelles , | |
Il fait craquer son corset vert . | |
Pris d' un geste brusque, il déchire | |
Son habit étroit et trop court : | |
"" Enfin, se dit - il, je respire ... | |
Je vis, je suis libre ... Bonjour ! " | |
Rosemonde GERARD | |
BONNE ANNEE | |
LA RONDE DES MOIS | |
BONNE ANNEE | |
Bonne année à toutes les choses : | |
Au monde ! A la mer ! Aux forêts ! | |
Bonne année à toutes les roses | |
Que l'hiver prépare en secret. | |
Bonne année à tous ceux qui s'aiment | |
Et qui m'entendent ici-bas... | |
Et bonne année aussi, quand même, | |
A tous ceux qui ne s'aiment pas ! | |
in Amis Coop, | |
Statocce éd. | |
LA RONDE DES MOIS | |
Janvier prend la neige pour châle ; | |
Février fait glisser nos pas ; | |
Mars de ses doigts de soleil pâle, | |
Jette des grêlons aux lilas. | |
Avril s'accroche aux branches vertes ; | |
Mai travaille aux chapeaux fleuris ; | |
Juin fait pencher la rose ouverte | |
prés du beau foin qui craque et rit. | |
Juillet met les oeufs dans leurs coques | |
Aout sur les épis mûrs s'endort ; | |
Septembre aux grands soirs équivoques, | |
Glisse partout ses feuilles d'or. | |
Octobre a toutes les colères, | |
Novembre a toutes les chansons | |
Des ruisseaux débordant d'eau claire, | |
Et Décembre a tous les frissons. | |
"Les pipeaux" | |
Grasset. | |
ANDRE GIDE | |
LES FRUITS | |
Il y en a que nous mangerons sur des terrasses, | |
Devant la mer et devant le soleil couchant. | |
Il y en a que l'on confit dans de la glace | |
Sucrée avec un peu de liqueur dedans. | |
Il y en a que l'on cueille sur les arbres | |
De jardins réservés, enclos de murs, | |
Et que l'on mange à l'ombre dans la saison tropicale. | |
On disposera de petites tables | |
Les fruits tomberont tout autour de nous | |
Dès qu'on agitera les branches | |
Où les mouches engourdies se réveilleront. | |
Les fruits tombés, on les recueillera dans des jattes | |
Et leur parfum déjà suffirait à nous charmer ... | |
Il y en a dont l'écorce tâche les lèvres | |
Et que l'on ne mange que lorsqu'on a très soif. | |
Nous les avions trouvés le long des routes sablonneuses, | |
Ils brillaient à travers le feuillage épineux | |
Qui déchira nos mains lorsque nous voulûmes les prendre ; | |
Et notre soif n'en fut pas beaucoup étanchée. | |
Il y en a dont on ferait des confitures | |
Rien qu'à les laisser cuire au soleil. | |
Il y en a dont la chair malgré l'hiver demeure sûre ; | |
De les avoir mordus les dents sont agacées. | |
Il y en a dont la chair paraît toujours froide, même l'été. | |
On les mange accroupi sur des nattes, | |
Au fond de petits cabarets. | |
Il y en a dont le souvenir vaut une soif | |
Dès qu'on ne peut plus les trouver. | |
"Les nourritures terrestres" | |
Maud - Elisa GIVAUDAN | |
NOUVEL AN SOIS LE BIENVENU | |
Tout grelottant et tout nu | |
Nouvel an ! Sois le bienvenu ! | |
Peut-être as-tu deux fils de laine | |
Pour la pauvre Madeleine ? | |
Un grain de blé pour le champ | |
Du vieux paysan ? | |
sans doute as-tu un peu de bien | |
Un peu de riz pour l' indien ? | |
Et cachée sous ta mante brune | |
La pierre de Lune ? | |
Pour le Désert la moitié | |
D' une goutte ... d' une goutte ... | |
Et pour le monde entier | |
Qui t' écoute ... qui t' écoute ... | |
Du nord au sud, de branche en brin | |
De l' Amour ... un brin. | |
Tout grelottant et tout nu | |
Nouvel an ! Sois le bienvenu ! | |
"Sur trois notes de soleil" | |
Jean GLAUZY | |
LE VENT | |
Le vent n'a pas dormi | |
cette nuit | |
et j'ai souffert d'insomnie | |
comme lui. | |
Il s'est démené comme un diable | |
et je l'ai cru capable | |
de tout raser. | |
Il a emporté | |
la niche de mon chien, | |
cassé | |
l'olivier du jardin, | |
arraché | |
les volets du voisin. | |
Il soufflait fort comme quatre | |
On eût dit qu'il voulait abattre | |
le travail d'un titan; | |
Mais pendant | |
qu'il allait sans relâche | |
seul, se tuant | |
à la tâche, | |
C'est moi qui étais en sueur | |
car j'étais morte de peur. | |
Wolfgang GOETHE | |
CREPUSCULE | |
Le crépuscule est tombé. | |
Tout ce qui était proche déjà s' éloigne.* | |
Mais d' abord est montée | |
la douce lumière de l' étoile du soir. | |
Tout vacille, incertain. | |
Des brouillards en rampant s' élèvent. | |
Reflétant de profondes ténèbres, | |
Le lac noir repose. | |
Vers l' est seulement | |
Je pressens l' éclat de la lune. | |
La chevelure des saules élancés | |
caresse le flot proche . | |
A travers de vivants jeux d' ombres | |
Tremble le magique éclat de l' astre. | |
Et par les yeux, la fraîcheur | |
Au coeur s' insinue, caressante. | |
" Chansons " | |
Fernand GREGH | |
LA PLUS JEUNE FEE | |
IL PLEUT | |
L' ABEILLE | |
VENT D' AUTOMNE | |
UN SOIR | |
LA PLUS JEUNE FEE | |
C'est la plus jeune fée. | |
Blonde et blanche, de lis ou de lilas coillée, | |
Elle passe dans l'air | |
Où, sur les romarins et sur les renoncules, | |
Le sillage argenté de son char minuscule | |
Laisse deux tourbillons d'éclairs... | |
Elle visite le grillon | |
Qui chante aux pieds de Cendrillon, | |
Cache au fond d'un hallier les bijoux de Peau d'Ane, | |
Berce la Belle au Bois Dormant | |
Et guide le Prince Charmant, | |
Grimpe à la tour avec Soeur Anne, | |
Vole les clefs de Barbe-Bleue, | |
Chausse au Petit Poucet les bottes de sept lieues, | |
Brûle à l'ogre sa soupe, | |
Frise à Riquet sa houppe... | |
Elle prend aussi soin des moindres fleurs, | |
Calme le vent qui siffle, | |
Rit à la source en pleurs, | |
Jase avec tous les sylphes... | |
Blonde et blanche, de lis ou de lilas coiffée, | |
C'est la plus jeune fée. | |
"Les clartés humaines" | |
IL PLEUT | |
Il pleut, | |
Les vitres tintent. | |
Le vent de mai fait dans le parc un bruit d'automne, | |
Une porte, en battant sans fin, grince une plainte | |
Mineure et monotone, | |
Il pleut... | |
On dirait par moments qu'un million d'épingles | |
Se heurtent aux vitres et les cingle. | |
Il pleut, | |
Les vitres tintent. | |
Le ciel cache un à un ses coins épars de bleu | |
Sous de rapides nuées grises, | |
Il pleut : | |
La vie est triste ! | |
"Les clartés humaines" | |
L' ABEILLE | |
Fière d' un précieux butin , | |
De miel exquis toute chargée , | |
Plus lourde et pourtant allégée , | |
Je volais sur l' herbe et le thym . | |
Je t' ai frôlé trop près, sans doute , | |
Car tu m' as, d' un doigt courroucé , | |
Jetée au revers d' un fossé ... | |
ah ! ne m' achève pas ! Ecoute ! | |
Tu ne connais pas la douceur | |
De descendre au fond d' une rose , | |
Et, dans sa corolle mi - close , | |
De boire longuement son coeur. | |
Tu ne sais pas l' heureux délire | |
De bourdonner, de voltîger , | |
Et de pendre dans l' air léger | |
Ainsi qui une petite lyre ! | |
Mais tu sais que le soir vermeil | |
dore au pied du chêne la mousse ; | |
Tu sais comme la vie est douce | |
Et comme est brillant le soleil . | |
Grâce ! | |
VENT D' AUTOMNE | |
Passe dans les rameaux desséchés, vent d' automne ; | |
Dans l' ombre, enivre - toi de leur parfum amer ; | |
Berce entre les ifs noirs lune monotone ; | |
Fais murmurer sans fin la nuit, comme une mer . | |
Arrive dans le ciel les étoiles tremblantes ; | |
Disperse follement la poudre du chemin , | |
Fais onduler sur les coteaux les herbes lentes | |
Comme un grand dos soyeux que caresse la main. | |
Tonne, gémis, décroîs, murmure, gronde encore | |
Au loin avec ta voix mystérieuse. Meurs , | |
Renais, déferle ainsi qu' une vague sonore , | |
Remplis enfin la nuit d' éternelles rumeurs | |
"La beauté de vivre ." | |
UN SOIR | |
Nous sommes là, ce soir, paisibles sous la lampe. | |
Mon père lit, sa main pâle contre sa tempe; | |
Mon frère est accoudé, les yeux ailleurs, auprès | |
De ma mère qui brode avec des doigts distraits | |
Où luit le reflet lent du foyer sur ses bagues; | |
Parfois le chien, perdu dans ses beaux songes vagues, | |
Etire de paresse et d' aise son flanc creux; | |
Et je rêve, parmi le grand silence, heureux. | |
Nous sommes là, ce soir d' hiver, humble famille, | |
Ecoutant à l' horloge indécise qui brille | |
Dans l' ombre, palpiter les instants fugitifs, | |
Groupés devant le feu, comme des primitifs. | |
"Les clartés humaines." | |
Dame GU JI ( Kou Ki ) | |
( dynastie Ming ) | |
LA PLUIE D'ETE | |
Légère et douce | |
la tiède pluie | |
dans la cour nue | |
fait pousser | |
l'herbe et la mousse. | |
Dans le verger | |
d'arbres en fleurs | |
un loriot vert | |
chante en mineur. | |
La jeune file | |
entend chanter | |
un autre oiseau | |
dedans son coeur. | |
"La cour de récréation" | |
Charles GUERIN | |
IL A PLU | |
Il a plu. Soir de juin. Ecoute , | |
Par la fenêtre large ouverte , | |
Tomber le reste de l' averse | |
De feuille en feuille, goutte à goutte . | |
C' est l' heure choisie entre toutes | |
Où flotte à travers la campagne | |
L' odeur de vanille qu' exhale | |
La poussière humide des routes . | |
L' hirondelle joyeuse jase . | |
Le soleil déclinant se croise | |
Avec la nuit sur les collines ; | |
Et son mourant sourire essuie | |
Sur la chair pâle des glycines | |
Les cheveux d' argent de la pluie . | |
"Le coeur solitaire." | |
Eugène GUILLEVIC | |
JE DIS DOUCEUR | |
L'ECOLE PUBLIQUE | |
J'AI VU LE MENUISIER | |
JE DIS DOUCEUR | |
Douceur, | |
Je dis : douceur. | |
Je dis : douceur des mots | |
Quand tu rentres le soir du travail harassant | |
Et que des mots t'accueillent | |
Qui te donnent du temps. | |
Car on tue dans le monde | |
Et tout massacre nous vieillit. | |
Je dis : douceur, | |
Pensant aussi | |
A des feuilles en voie de sortir du bourgeon, | |
A des cieux, à de l'eau dans les journées d'été, | |
A des poignées de main. | |
Je dis : douceur, pensant aux heures d'amitié, | |
A ces moments qui disent | |
Le temps de la douceur venant pour tout de bon, | |
Cet air tout neuf, | |
Qui pour durer s'installera. | |
"Terres à bonheur" Seghers 1952 | |
L'ECOLE PUBLIQUE | |
A Saint-Jean-Brévelay notre école publique | |
Etait petite et très, très pauvre : des carreaux | |
Manquaient et pour finir c'est qu'il en manquait trop | |
Pour qu'on mette partout du carton par applique, | |
Car il faut voir bien clair lorsque le maître explique. | |
Alors le vent soufflait par tous ces soupiraux | |
Et nous avons eu froid souvent sous nos sarraus. | |
Par surcroît le plancher était épisodique | |
Et l'on sait qu'avec l'eau du toit la terre fait | |
Des espèces de lacs boueux d'un bel effet. | |
- Pourtant j'ai bien appris dans cette pauvre école : | |
Orthographe, calcul, histoire des Français, | |
Le quatorze juillet, Valmy, la Carmagnole, | |
Le progrès, ses reculs, et, toujours, son succès. | |
" Trente et un poèmes " | |
J'AI VU LE MENUISIER | |
J'ai vu le menuisier | |
Tirer parti du bois. | |
J'ai vu le menuisier | |
Comparer plusieurs planches. | |
J'ai vu le menuisier | |
Caresser la plus belle. | |
J'ai vu le menuisier | |
Approcher le rabot. | |
J'ai vu le menuisier | |
Donner la juste forme. | |
Tu chantais, menuisier, | |
En assemblant l'armoire. | |
Je garde ton image | |
Avec l'odeur du bois. | |
Moi j'assemble des mots | |
Et c'est un peu pareil. | |
Terre à bonheur | |
Raoul HARDY | |
LES PAPILLONS DE MON JARDIN | |
Les papillons de mon jardin | |
Sont jolis comme des ombrelles, | |
Et la dentelle | |
De leurs ailes | |
Est vivante comme un satin | |
Il en est qui hantent les choux; | |
Ils sont légers comme des flammes; | |
Ils ont la blancheur de la lame | |
Qui écume sur les cailloux. | |
Ceux qui voltigent par les fleurs | |
Portent d'éclatantes tuniques; | |
Ils ont des taches symétriques | |
Sur leurs ailes de maraudeurs. | |
Mais qu'ils soient couleur du matin | |
Ou que l'or du couchant ruisselle | |
Sur la dentelle | |
De leus ailes | |
Ce sont des fleurs de mon jardin. | |
"Rustiques" | |
Arthur HAULOT | |
XXXX | |
Je voudrais t' apporter un jour un tel poème | |
Que nul coeur de maman n' en connût de plus doux , | |
Poser entre tes mains, au creux de tes genoux , | |
Tout ce que j' ai glané en ma folle bohême . | |
Il y aurait les mers, les îles méridiennes , | |
Les palais fabuleux des Indes, du Pérou , | |
Les ors, les diamants, les miroirs, les bijoux | |
De ces mille cités dont la gloire fut mienne . | |
J' y voudrais ajouter les forêts ténébreuses , | |
Les ports, les pics neigeux, les glaciers, les torrents | |
Et les soirs enchantés, les aubes lumineuses ... | |
Mère, tout se réduit pourtant à cette image : | |
Ce que j' ai découvert de plus cher, de plus grand , | |
C' est ton propre regard, ton coeur et ton visage . | |
"Poète de la vie" | |
Vaclav HAVEL | |
SYNTHESE DIALECTIQUE | |
1er récitant | |
Pendant des siècles | |
et de façon erronée | |
les uns ont affirmé : | |
2ème récitant | |
que l'OEUF | |
a existé | |
avant la poule | |
1er récitant | |
Les autres ont affirmé : | |
2ème récitant | |
Que la POULE | |
a existé | |
avant l'oeuf | |
1er récitant | |
Et c'est seulement nous | |
qui examinant | |
cette question | |
sous l'angle de l'évolution | |
historico-dialectique de | |
LA POULE | |
et de | |
L'OEUF
| |
savons
que | |
2ème récitant | |
l'OEUF | |
existait | |
avant la poule | |
et qu'en même temps | |
LA POULE | |
existait | |
avant l'oeuf | |
1er récitant | |
et
que c'est uniquement dans l'unité interne | |
de ces deux réalités historiques | |
que réside la vérité sur : | |
ensemble | |
L'OEUF | |
et | |
LA
POULE | |
Per Jakez HELIAS | |
CITE INTERDITE | |
SINGERIES | |
CITE INTERDITE | |
Devant un palais de la Chine | |
J'ai rencontré un grand dragon | |
Qui présentait farouche mine, | |
Rouge du corps, vert de l'échine, | |
Et j'ai voulu savoir son nom: | |
Mon nom, dit-il, est Lon Lu Tchi | |
Et j'étais le gardien d'ici | |
Au temps des maîtres et tyrans | |
Qui défendaient d'entrer dedans. | |
N'ayez pas peur de mes gros yeux | |
Ni des écailles de ma queue. | |
Ma gueule est pleine de dents d'or | |
Mais les manants plus je ne mords | |
Depuis qu'en ville de Pékin | |
Tout prolétaire est mandarin | |
" Le passe - vie " | |
SINGERIES | |
J'en connais des qui hurlent fort | |
Sans avoir rien à dire. | |
J'en connais des qui se harnachent d'oripeaux | |
Et qui sont nus à l'intérieur. | |
J'en connais des qui donnent de la voix pour | |
d'autres. | |
Sans être mandatés par eux. | |
J'en connais des qui se font trop connaître | |
En faisant semblant de m'importe quoi | |
Si ce quoi là est piège à mouches. | |
J'en connais des à oublier | |
d'extrême urgence. | |
| |
" Le passe - vie " | |
Nazim HIKMET | |
( Traduit du turc par CHARLES Dobzinski ) | |
LE GLOBE | |
Offrons le globe aux enfants, au moins pour une journée. | |
Donnons-le leur afin qu'ils en jouent comme d'un ballon multicolore | |
Pour qu'ils jouent en chantant parmi les étoiles. | |
Offrons le globe aux enfants, | |
Donnons-le leur comme une énorme pomme | |
Comme une boule de pain toute chaude, | |
Qu'une journée au moins ils puissent manger à leur faim. | |
Offrons le globe aux enfants, | |
Qu'une journée au moins le globe apprenne la camaraderie, | |
Les enfants prendront de nos mains le globe, | |
Ils y planteront des arbres immortels. | |
Anthologie poétique (1964) | |
Le temps des cerises | |
Huang WAN CHIUNG | |
LA ROSEE PERLE | |
La rosée perle | |
Aux bambous verts | |
Comme une larme. | |
Le vent paresse | |
Et le lotus | |
Laisse tomber | |
Un pétale rose. | |
A pas très lents | |
La nuit avance | |
Et mon chemin | |
Est traversé | |
De vers luisants. | |
Un chant coulis: | |
C'est une flûte | |
De bambou | |
Qui chante doux. | |
"La Chine dans un miroir." | |
Victor HUGO | |
JE NE SAIS POURQUOI ... | |
CHANSON POUR FAIRE DANSER EN ROND LES PETITS ENFANTS | |
LA MATHEMATIQUE | |
PRENEZ GARDE AUX CHOSES QUE VOUS DITES | |
PRINTEMPS | |
JE NE SAIS POURQUOI ... | |
(...) je ne sais pourquoi | |
Tous les petits enfants viennent autour de moi. | |
Dès que je suis assis, les voilà tous qui viennent. | |
C'est qu'ils savent que j'ai leurs goûts : ils se souviennent | |
Que j'aime comme eux l'air, les fleurs, les papillons | |
Et les bêtes qu'on voit courir dans les sillons. | |
Ils savent que je suis un homme qui les aime, | |
Un être auprès duquel on peut jouer, et même | |
Crier, faire du bruit, parler à haute voix ; | |
Que je riais comme eux et plus qu'eux autrefois, | |
Et aujourd'hui, sitôt qu'à leurs ébats j'assiste, | |
Je leur souris encore bien que je sois plus triste ; | |
Ils disent, doux amis, que je ne sais jamais | |
Me fâcher ; qu'on s'amuse avec moi ; que je fais | |
Des choses en carton, des dessins à la plume. | |
Que je raconte, à l'heure où la lampe s'allume | |
Oh ! des contes charmants qui vous font peur la nuit ; | |
Enfin que je suis doux, pas fier et fort instruit. | |
"Les contemplations" | |
CHANSON POUR FAIRE DANSER EN ROND LES PETITS ENFANTS | |
Grand bal sous le tamarin. | |
On danse et l'on tambourine. | |
Tout bas parlent, sans chagrin, | |
Mathurine à Mathurin. | |
C'est le soir, quel joyeux train! | |
Chantons à pleine poitrine | |
Au bal, plutôt qu'au lutrin. | |
Mathurin à Mathurine, | |
Mathurine à Mathurin. | |
Découpé comme au burin, | |
L'arbre, au bord de l'eau marine, | |
Est noir sur le ciel serein. | |
Mathurin à Mathurine, | |
Mathurine à Mathurin. | |
Dans le bois rôde Isengrin. | |
Le magister endoctrine | |
Un moineau pillant le grain. | |
Mathurin à Mathurine, | |
Mathurine à Mathurin. | |
Broutant l'herbe brin à brin, | |
Le lièvre a dans la narine | |
L'appétit du romarin. | |
Mathurin à Mathurine | |
Mathurine à Mathurin. | |
Saus l'ormeau le pèlerin | |
Demande à la pèlerine | |
Un baiser pour un quatrain. | |
Mathurin à Mathurine | |
Mathurine à Mathurin. | |
Derrière un pli de terrain, | |
Nous entendons la clarine | |
Du cheval d'un voiturin. | |
Mathurin à Mathurine | |
Mathurine à Mathurin. | |
"L'art d'être grand-père" 1877 | |
Poésie 2 L'intégrale Seuil | |
LA MATHEMATIQUE | |
... J' étais en proie à la mathématique . | |
Temps sombre! enfant ému du frisson poétique , | |
Pauvre oiseau qui heurtais du crâne mes barreaux , | |
On me livrait tout vif aux chiffres, noirs bourreaux ; | |
On me faisait de force ingurgiter l' algèbre ; | |
On me liait au fond d' un Boisbertrand funèbre ; | |
On me tordait, depuis les ailes jusqu' au bec , | |
Sur l' affreux chevalet des X et des Y ; | |
Hélas, on me fourrait sous les os maxillaires | |
Le théorème orné de tous ses corollaires ; | |
Et je me débattais, lugubre patient | |
Du diviseur prêtant main - forte au quotient . | |
De là mes cris . | |
Un jour, quand l' homme sera sage, | |
Lorsqu' on n' instruira plus l' oiseau par la cage , | |
Quand les sociétés difformes sentiront | |
Dans l' enfant mieux compris se redresser leur front , | |
Que, des libres essors ayant sondé les règles , | |
On connaîtra la loi de la croissance des aigles , | |
Et que le plein midi rayonnera pour tous , | |
Savoir étant sublime, apprendre sera doux ... | |
"Les contemplations" | |
( à propos d'Horace poème XIII du livre I ) | |
PRENEZ GARDE AUX CHOSES QUE VOUS DITES | |
Braves gens, prenez garde aux choses que vous dites , | |
Tout peut sortir d'un mot qu' en passant vous perdîtes , | |
Tout, la haine et le deuil ! Et ne m' objectez pas | |
Que vos amis sont sûrs et que vous parlez bas . | |
Ecoutez bien ceci : tête à tête, en pantoufle , | |
Porte close, chez vous sans un témoin qui souffle , | |
Vous dites, à l' oreille, au plus mystérieux | |
De vos amis de coeur, ou si vous l' aimez mieux , | |
Vous murmurez tout seul, croyant presque vous taire , | |
dans le fond d' une cave, à trente pieds sous terre , | |
Un mot désagréable à quelque individu . | |
Ce mot, que vous croyez qu' on n' a pas entendu , | |
Court, à peine lâché, part, bondit, sort de l' ombre ; | |
Tenez, il est dehors ! Il connaît son chemin ; | |
Il marche, il a deux pieds, un bâton à la main , | |
Il vous échappe, il fuit, rien ne l' arrêtera ; | |
Il suit le quai, franchit la place, et caetera , | |
Passe l' eau sans bateau dans la saison des crues , | |
Et va, tout à travers un dédale de rues , | |
Droit chez le citoyen dont vous avez parlé . | |
Il sait le numéro, l' étage, il a la clé : | |
Il ouvre l' escalier, pousse la porte, passe | |
Entre, arrive, et, railleur, regardant l' homme en face , | |
Dit : " me voilà ! Je sors de la bouche d' un tel . " | |
Et c' est fait, vous avez un ennemi mortel . | |
"Oeuvres posthumes ." | |
PRINTEMPS | |
Tout est lumière, tout est joie. | |
L'araignée au pied diligent | |
Attache aux tulipes de soie | |
Les rondes dentelles d'argent. | |
La frissonnante libellule | |
Mire les globes de ses yeux | |
Dans l'étang splendide où pullule | |
Tout un monde mystérieux. | |
La rose semble, rajeunie, | |
S'accoupler au bouton vermeil | |
L'oiseau chante plein d'harmonie | |
Dans les rameaux pleins de soleil. | |
Sous les bois, où tout bruit s'émousse, | |
Le faon craintif joue en rêvant; | |
Dans les verts écrins de la mousse, | |
Luit le scarabée, or vivant. | |
La lune au jour est tiède et pâle | |
Comme un joyeux convalescent; | |
Tendre elle ouvre ses yeux d'opale | |
D'où la douceur du ciel descend! | |
Tout vit et se pose avec grâce, | |
Le rayon sur le seuil ouvert, | |
L'ombre qui fuit sur l'eau qui passe, | |
Le ciel bleu sur le coteau vert! | |
La plaine brille, heureuse et pure; | |
Le bois jase; l'herbe fleurit. | |
- Homme! ne craint rien! la nature | |
Sait le grand secret, et sourit. | |
"Les rayons et les ombres" | |
Magdeleine HUTIN-DESGREES | |
SUR LA VERTE VAGUE | |
Sur la verte vague voguant | |
Quand les vergues vibrent au vent | |
Quand il va vite quand il vire | |
Oh, la voix de mon beau navire! | |
L'aile lente du goéland | |
Vient frôler le revers des voiles | |
On dirait un rêve volant | |
Qui volerait vers les étoiles. | |
Libre, vibre et vole avec lui | |
Mon navire, et vogue sans trêve, | |
Quand la Vie est vide de rêve | |
Le coeur chavire dans la nuit | |
"Anthologie de la poésie bretonne." | |
Jean - Louis JACOB | |
LE CIRQUE | |
J'ai rêvé d'un cirque | |
fantastique | |
Dont le public très chic | |
Etait constitué | |
D'animaux distingués. | |
Au premier rang | |
Trônaient les imposants éléphants | |
Sur les bancs suivants | |
Les animaux vivants | |
De nos cinq continents | |
Les plus fameux artistes | |
Trapézistes, illusionnistes | |
Tortillèrent sur cette piste | |
D'êtres fantaisistes | |
Le spectacle terminé | |
Un seul numéro avait intéressé | |
Ce public blasé | |
Celui où il fut prouvé | |
Que par ses grimaces | |
L'homme, quoi qu'il fasse, | |
Descend du singe | |
"Poèmes pour bons petits diables de 8 à 12 ans" | |
Max JACOB | |
LE DEPART | |
CHAPEAU | |
JEUNES FILLES MODERNES A DOUARNENEZ | |
LE DEPART | |
Adieu l'étang et toutes mes colombes | |
Dans leur tour et qui mirent gentiment | |
Leur soyeux plumage au col blanc qui bombe | |
Adieu l'étang. | |
Adieu maison et ses toitures bleues | |
Où tant d'amis, dans toutes les saisons, | |
Pour nous revoir avaient fait quelques lieues, | |
Adieu maison. | |
Adieu vergers, les caveaux et les planches | |
Et sur l'étang notre bateau voilier, | |
Notre servante avec sa coiffe blanche, | |
Adieu vergers. | |
Adieu aussi mon fleuve clair ovale, | |
Adieu montagne ! adieu arbres chéris ! | |
C'est vous qui tous êtes ma capitale | |
Et mon Paris. | |
"Le Laboratoire central" | |
CHAPEAU | |
Une volée de pigeons sur un pommier, | |
une volée de chasseurs, il n'y a plus de pigeons, | |
une volée de voleurs, il n'y a plus de pommes, | |
il ne reste plus qu'un chapeau d'ivrogne | |
pendu à la plus basse branche. | |
Bon métier que celui de marchand de chapeaux, | |
marchand de chapeaux d'ivrognes. | |
On en trouve partout dans les fossés | |
sur les prés, sur les arbres. | |
Il y en a toujours des neufs, chez Kermarec | |
marchand de chapeaux à Lannion. | |
C'est le vent qui travaille pour lui. | |
De petit tailleur que je suis | |
je me ferai marchand de chapeaux, | |
le cidre travaillera pour moi. | |
Quand je serai riche comme Kermarec | |
j'achèterai un verger de pommes à cidre | |
et des pigeons domestiques, | |
si j'étais à Bordeaux je boirais du vin | |
et je marcherais tête nue au soleil. | |
Poèmes de Morven le Gaëlique | |
Gallimard | |
JEUNES FILLES MODERNES A DOUARNENEZ | |
une voix Avec les brevets et les certificats | |
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une voix Je serai comme la femme du maire | |
une voix Je serai comme la femme du docteur | |
une voix Je serai comme les dames d'usiniers | |
une voix A nous aussi, les robes sur la plage | |
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une voix En attendant me voici receveuse des postes | |
une voix Me voici infirmière diplômée | |
une voix Institutrice au coin de la lande | |
une voix A la ferme, j'avais la compagnie | |
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Edith JACQUENAUX | |
LA POUPEE OUBLIEE | |
Tout au fond du grenier | |
La poupée oubliée | |
Se souvient d'autrefois | |
- du temps de la dînette, | |
du temps de la toilette, | |
du temps des amourettes | |
avec le fils du roi. | |
Sur la paille, elle a froid, | |
elle a peur d'un vieux rat, | |
elle tremble, grelotte; | |
son amie l'araignée | |
dans un coin lui tricote | |
un très long cache-nez; | |
la girouette l'endort | |
avec des chants rouillés | |
Si tu vas au grenier | |
rapporte la poupée; | |
nous la réchaufferons | |
à notre feu de bois. | |
"Le pré aux fées" | |
Edmond JABES | |
L'ARBRE VOLANT | |
Que les bois aient des arbres | |
Quoi de plus naturel? | |
Que les arbres aient des feuilles | |
Quoi de plus évident? | |
Mais que les feuilles aient des ailes | |
Voilà qui, pour le moins, est surprenant. | |
Volez, volez beaux arbres verts. | |
Le ciel vous est ouvert. | |
Mais prenez garde à l'automne, fatale | |
Saison, quand vos milliers et milliers | |
d'ailes, | |
redevenues feuilles | |
tomberont. | |
Francis JAMMES | |
IL VA NEIGER | |
LE VILLAGE A MIDI | |
LA SALLE A MANGER | |
AU BORD DE L'EAU VERTE | |
IL VA NEIGER | |
Il va neiger dans quelques jours. Je me souviens | |
De l'an dernier. Je me souviens de mes tristesses | |
Au coin du feu. Si l'on m'avait demandé : "Qu'est-ce ?" | |
J'aurais dit : "Laissez-moi tranquille. Ce n'est rien". | |
J'ai bien réfléchi, l'année d'avant, dans ma chambre, | |
Pendant que la neige lourde tombait dehors. | |
J'ai réfléchi pour rien. A présent comme alors | |
Je fume une pipe en bois avec un bout d'ambre. | |
Ma vieille commode en chêne sent toujours bon. | |
Mais moi j'étais bête parce que ces choses | |
Ne pouvaient pas changer et que c'est une pose | |
De vouloir chasser les choses que nous savons. | |
Pourquoi donc pensons-nous et parlons-nous ? C'est drôle ; | |
Nos larmes et nos baisers, eux ne parlent pas, | |
Et cependant nous les comprenons, et les pas | |
D'un ami sont plus doux que de douces paroles. | |
On a baptisé les étoiles sans penser | |
Qu'elles n'avaient pas besoin de nom, et les nombres | |
Qui prouvent que les belles comètes dans l'ombre | |
Passeront, ne les forceront pas à passer. | |
Et maintenant même, où sont mes vieilles tristesses | |
De l'an dernier ? A peine si je me souviens. | |
Je dirais : "Laissez-moi tranquille, ce n'est rien," | |
Si dans ma chambre on venait me demander "Qu'est-ce ?" | |
LE VILLAGE A MIDI | |
Le village à midi. La mouche d'or bourdonne | |
Entre les cornes des boeufs. | |
Nous irons, si tu le veux, | |
Si tu le veux, dans la campagne monotone. | |
Entends le coq... Entends la cloche... Entends le paon... | |
Entends là-bas, là-bas, l'âne... | |
L'hirondelle noire plane. | |
Les peupliers au loin s'en vont comme un ruban. | |
Le puits rongé de mousse ! Ecoute sa poulie | |
Qui grince, qui grince encor, | |
Car la fille aux cheveux d'or | |
Tient le vieux seau tout noir d'où l'argent tombe en pluie. | |
La fillette s'en va d'un pas qui fait pencher | |
Sur sa tête d'or la cruche, | |
Sa tête comme une ruche, | |
Qui se mêle au soleil sous les fleurs du pêcher | |
Et dans le bourg voici que les toits noircis lancent | |
Au ciel bleu des flocons bleus ; | |
Et les arbres paresseux | |
A l'horizon qui vibre à peine se balancent. | |
"De l'angélus de l'aube à l'angélus du soir" | |
LA SALLE A MANGER | |
Il y a une armoire à peine luisante | |
qui a entendu les voix de mes grand-tantes, | |
qui a entendu la voix de mon grand-père, | |
qui a entendu la voix de mon père. | |
A ces souvenirs l'armoire est fidèle. | |
On a tort de croire qu'elle ne sait que se taire, | |
car je cause avec elle. | |
Il y a aussi un coucou en bois. | |
Je ne sais pourquoi il n'a plus de voix. | |
Je ne veux pas le lui demander. | |
Peut être bien qu' elle est cassée, | |
La voix qui était dans son ressort, | |
Tout bonnement comme celle des morts. | |
Il y a aussi un vieux buffet | |
qui sent la cire, la confiture, | |
la viande, le pain et les poires mûres. | |
C'est un serviteur fidèle qui sait | |
qu'il ne doit rien nous voler. | |
Il est venu chez moi bien des hommes et des femmes | |
qui n'ont pas cru à ces petites âmes. | |
Et je souris que l'on me pense seul vivant | |
quand un visiteur me dit en entrant : | |
Comment allez-vous, Monsieur Jammes? | |
" De l'angélus de l'aube à l'angélus du soir " | |
Les plus belles pages de la Poésie Française | |
Sélection du Reader's Digest | |
AU BORD DE L'EAU VERTE | |
Au bord de l'eau verte, les sauterelles | |
sautent ou se traînent, | |
ou bien sur les fleurs des carottes frêles | |
grimpent avec peine. | |
Dans l'eau tiède filent les poissons blancs | |
auprès d'arbres noirs | |
dont l'ombre sur l'eau tremble doucement | |
au soleil du soir. | |
Deux pies qui crient s'envolent loin, très loin, | |
loin de la prairie, | |
et bvont se poser sur des tas de foin | |
pleins d'herbes fleuries. | |
Trois paysans assis lisent un journal | |
en gardant les boeufs | |
près des râteaux aux manches luisants que | |
touchaient leus doigts calleux. | |
Les moucherons minces volent sur l'eau, | |
sans changer de place. | |
En se croisant, ils passent, puis repassent, | |
vont de bas en haut. | |
Je tape sur les herbes avec une gaule | |
en réfléchissant | |
et le duvet des pissenlits s'envole | |
en suivant le vent. | |
"De l'angélus de l'aube à l'angélus du soir" | |
Georges JEAN | |
LE TEMPS DES CONTES | |
LES GALETS DE MON AMI JEAN | |
LE TEMPS DES CONTES | |
S'il était une fois | |
Nous partirions à l'aventure, | |
Moi, je serais Robin des Bois, | |
Et toi tu mettrais ton armure. | |
Nous irions sur nos alezans | |
Animaux de belle prestance, | |
Nous serions armés jusqu'aux dents | |
Parcourant les forêts immenses. | |
S'il était encore une fois | |
Vers le château des contes bleus | |
Je serais le beau fils du Roi, | |
Et toi tu cracherais du feu. | |
Nous irions trouver Blanche Neige | |
Dormant dans son cercueil de verre, | |
Nous pourrions croiser le cortège | |
De Malbrough revenant de guerre. | |
S'il était encore une fois | |
Au balcon de Monsieur Perrault, | |
Nous irions voir Ma Mère l'Oye | |
Qui me prendrait pour un héros. | |
Et je dirais à ces gens-là : | |
Moi qui suis allé dans la lune, | |
Moi qui vois ce qu'on ne voit pas | |
Quand la télé le soir s'allume ; | |
Je vous le dis, vos fées, vos bêtes, | |
Font encore rêver mes copains | |
Et mon grand-père le poète | |
Quand nous marchons main dans la main. | |
"Les mots d'Apijo" | |
LES GALETS DE MON AMI JEAN | |
T' es-tu jamais demandé | |
Où bat le coeur du caillou ? | |
En faisant un petit trou | |
Peut-être on va le trouver ? | |
Mais j' ai peur de le blesser | |
Ce caillou que la mer laisse | |
Après l' avoir caressé ! | |
Les pierres comme les gens | |
Comme les chats et les chiens | |
Comme le chêne et le pin | |
Sont sensibles mon enfant | |
Au point d' avoir mal aux dents | |
Quand elles mangent du zan ! | |
Mais le coeur de mon caillou | |
Je veux savoir s' il est doux | |
J' aimerais un peu l' entendre | |
Alors prends-le dans ta main | |
Emmène -le dans ta chambre | |
Mets-le sous ton oreiller | |
Quand la lune va briller | |
Le petit coeur minéral | |
Te parlera | |
| |
| |
Ismaël KADARE | |
L' ANTENNE | |
Quand vient la nuit | |
Vous dormez, dormez, | |
Tandis que moi je veille | |
Sur le toit incliné. | |
Les courants d'air m'assaillent de tous les côtés | |
La pluie souvent me trempe, | |
Parfois les vents me fouettent. | |
Je suis comme un bâton dressé vers les cieux, | |
Un morceau de fer, | |
Rien qu'un morceau de fer. | |
Mais chacun de mes millimètres | |
Connaît plus de langues | |
Que tous les linguistes | |
Vivants ou morts. | |
Chacun de mes millimètres qui capte les émissions | |
Comprend à la musique | |
Plus que tous les musiciens. | |
Chacune de mes particules | |
Sait plus de nouvelles | |
Que n'en savent ensemble | |
Les reporters et les politiciens. | |
Je les saisis toutes | |
Je les récolte toutes | |
Moi, | |
Le bâton dressé haut dans le ciel. | |
" in la nouvelle poésie albanaise." | |
Rudyard KIPLING | |
Traduit par André MAUROIS | |
SI ... | |
Si tu peux voir détruit l'ouvrage de ta vie | |
Et sans dire un seul mot te mettre à rebâtir, | |
Ou perdre en un seul coup le gain de cent parties | |
Sans un geste et sans un soupir ; | |
Si tu peux être fort sans cesser d'être tendre, | |
Et, te sentant haï, sans haïr à ton tour, | |
Partout lutter et te défendre ; | |
Si tu peux supporter d'entendre tes paroles | |
Travesties par des gueux pour exciter des sots, | |
Et d'entendre mentir sur toi leurs bouches folles | |
Sans mentir toi-même d'un mot ; | |
Si tu peux rester digne en restant populaire, | |
Si tu peux rester peuple en conseillant les rois, | |
Et si tu peux aimer tous tes amis en frères | |
Sans qu'aucun d'eux soit tout pour toi ; | |
Si tu sais méditer, observer et connaître | |
Sans jamais devenir sceptique ou destructeur ; | |
Rêver, mais sans laisser ton rêve être ton maître, | |
Penser sans n'être qu'un penseur ; | |
Si tu peux être dur sans jamais être en rage, | |
Si tu peux être brave et jamais imprudent, | |
Si tu sais être bon, si tu sais être sage | |
Sans être moral ni pédant ; | |
Si tu peux renconter triomphe après défaite | |
Et recevoir ces deux menteurs d'un même front ; | |
Si tu peux conserver ton courage et ta tête | |
Quand tous les autres la perdront, | |
Alors les Rois, les Dieux, la Chance et la Victoire | |
Seront à tout jamais tes esclaves soumis | |
Et, ce qui vaut bien mieux que les rois et la gloire, | |
Tu seras un homme, mon fils. | |
" Revue hebdomadaire éditeur " | |
Tristan KLINGSOR | |
TROIS NOISETTES | |
PAYSAGES | |
TROIS NOISETTES | |
Trois noisettes dans le bois | |
Tout au bout d'une brindille | |
Dansaient la capucine vivement au vent | |
En virant ainsi que des filles | |
De roi. | |
Du roi des nains s'entend : | |
Car à peine étaient-elles hautes | |
Comme botte | |
De grenouilles et grosses | |
Comme petit doigt ou comme cosses | |
De pois. | |
Un escargot vint à passer : | |
"Mon beau Monsieur, emmenez-moi | |
Dans votre carrosse, | |
Je serai votre fiancée", | |
Disaient-elles toutes trois. | |
Mais le vieux sire sourd et fatigué, | |
Le sire aux quatre cornes sous les feuilles | |
Ne s'est point arrêté. | |
Et c'est l'ogre de la forêt, je crois, | |
C'est le jeune ogre rouge, gourmand et fûté, | |
Monsieur l'écureuil, | |
Qui les a croquées. | |
"Le valet de coeur" | |
Mercure de France | |
PAYSAGES | |
Les arbres du jardin | |
Se découpent dans l'air léger du soir | |
Comme s'ils étaient peints | |
Sur une fine soie ; | |
Le bel oiseau gris qui se balance | |
Sur la branche d'un pêcher fleuri | |
Se garde de troubler le silence | |
D'un seul cri ; | |
Et la lune qui se mire en l'eau du lac | |
Est comme une mince barque | |
Au milieu d'un parc illuminé d'or. | |
Shéhérazade | |
Ivan KRYLOV | |
L'ORACLE | |
Dans un temple païen, jadis, un dieu de bois | |
Passait pour un habile oracle. | |
Ses réponses étaient des lois | |
Et ses conseils faisaient miracle. | |
D'or et d'argent couvert des pieds jusqu'à la tête, | |
D'hommages assourdi, tout embrumé d'encens, | |
Il voyait affluer les voeux et les présents, | |
Tant les gens aveuglés croyaient à leur prophèté! | |
Tout à coup, scandale inoui, | |
Notre oracle un beau jour se trouble et déraisonne, | |
Répond n'importe quoi pour chaque avis qu'il donne, | |
Pis encore, restant court, ne dit ni non ni oui. | |
Grande rumeur, chacun de dire: | |
" Qu'arrive-t-il? Qui est devenu | |
Ce grand esprit qui savait lire | |
Les secrets du monde inconnu?" | |
Or voici le fin mot: la statue était creuse; | |
Des prêtres, dans ses flancs cachés en tapinois, | |
Prêtaient au dieu muet leur esprit et leur voix. | |
S'ils étaient gens experts, la chance était heureuse: | |
N'hésitant jamais sur le mot, | |
L'oracle aux consultants paraissait très habile. | |
Mais si le prêtre était un sot, | |
Le dieu n'était qu'un malhabile. | |
Maint savant chez nous, m'a-t-on dit, | |
Sait ainsi se tirer d'affaire. | |
Il peut passer pour érudit | |
Tant qu'il a un bon secrétaire. | |
"Fables" | |
Jean de LA FONTAINE | |
LA GRENOUILLE QUI VEUT SE FAIRE AUSSI GROSSE QUE LE BOEUF | |
LE RENARD ET LA CIGOGNE | |
LA POULE AUX OEUFS D' OR | |
LE LOUP ET L'AGNEAU | |
LE LOUP ET LE CHIEN | |
LE LABOUREUR ET SES ENFANTS | |
CONSEIL TENU PAR LES RATS | |
LE SAVETIER ET LE FINANCIER | |
LE LION ET LE RAT | |
LE RENARD ET LE BOUC | |
LA MORT ET LE BUCHERON | |
LA LAITIERE ET LE POT AU LAIT | |
LE LIEVRE ET LA TORTUE | |
LE COCHET, LE CHAT ET LE SOURICEAU | |
LE HERON | |
LA GRENOUILLE QUI VEUT SE FAIRE AUSSI GROSSE QUE LE BOEUF | |
Une grenouille vit un boeuf | |
Qui lui sembla de belle taille | |
Elle, qui n'était pas grosse en tout comme un oeuf, | |
Envieuse, s'étend, et s'enfle, et se travaille, | |
Pour égaler l'animal en grosseur, | |
Disant: "Regardez bien, ma soeur: | |
Est-ce assez? dites-moi; n'y suis-je pas encore? | |
-Nenni. - A m'y voici donc? - Point du tout. - M'y voilà? | |
-Vous n'en approchez point " La chétive pécore | |
S'enfla si bien qu'elle creva. | |
Le monde est plein de gens qui ne sont pas sages: | |
Tout bourgeois veut bâtir comme les grands seigneurs, | |
Tout petit prince a des ambassadeurs, | |
Tout marquis veut avoir des pages. | |
LE RENARD ET LA CIGOGNE | |
Compère le Renard se mit un jour en frais , | |
Et retint à dîner commère la Cigogne . | |
Le repas fut petit et sans beaucoup d' apprêts : | |
Le galant, pour toute besogne , | |
avait un brouet clair; il vivait chichement . | |
ce brouet fut par lui servi sur une assiette : | |
La Cigogne au long bec n' en put attraper miette , | |
Et le drôle eut lapé le tout en un moment . | |
Pour se venger de cette tromperie , | |
a quelque temps de là la Cigogne le prie. | |
" Volontiers lui dit-il; car avec mes amis | |
Je ne fais point cérémonie . " | |
A l' heure dite, il courut au logis | |
De la Cigogne son hôtesse ; | |
Loua très fort sa politesse ; | |
Trouva le dîner cuit à point : | |
Bon appétit surtout; renards n' en manquent point . | |
Il se réjouissait à l'odeur de la viande , | |
Mise en menus morceaux, et qu' il croyait friande . | |
On servit, pour l'embarrasser , | |
En un vase à long col et d'étroite embouchure : | |
Le bec de la Cigogne y pouvait bien passer , | |
Mais le museau du sire était d'autre mesure . | |
Il lui fallut à jeun retourner au logis , | |
Honteux comme un renard qu'une poule aurait pris , | |
Serrant la queue et partant bas l'oreille . | |
Trompeurs, c'est pour vous que j' écris : | |
Attendez- vous à la pareille . | |
LA POULE AUX OEUFS D' OR | |
L'avarice perd tout en voulant tout gagner . | |
Je ne veux, pour le témoigner , | |
Que celui dont la Poule, à ce que dit la fable , | |
Pondait tous les jours un oeuf d' or . | |
Il crut que dans son corps elle avait un trésor : | |
Il la tua, l'ouvrit, et la trouva semblable | |
A celles dont les oeufs ne lui rapportaient rien , | |
S'étant lui-même ôté le plus beau de son bien . | |
Belle leçon pour les gens chiches ! | |
Pendant ces derniers temps, combien en a-t-on vus , | |
Qui du soir au matin sont pauvres devenus , | |
Pour vouloir trop tôt être riches ! | |
LE LOUP ET L'AGNEAU | |
La raison du plus fort est toujours la meilleure : | |
Nous l'allons montrer tout à l'heure. | |
Un agneau se désaltérait | |
Dans le courant d'une onde pure. | |
Un loup survient à jeun,qui cherchait aventure, | |
Et que la faim en ces lieux attirait. | |
" Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage? | |
Dit cet animal plein de rage : | |
Tu seras châtié de ta témérité. | |
- Sire, répond l'agneau, que Votre Majesté | |
Ne se mette pas en colère ; | |
Mais plutôt qu'Elle considère | |
Que je me vas désaltérant | |
Dans le courant, | |
Plus de vingt pas au-dessous d'Elle ; | |
Et que par conséquent, en aucune façon, | |
Je ne puis troubler sa boisson. | |
- Tu la troubles, reprit cette bête cruelle, | |
Et je sais que de moi tu médis l'an passé. | |
- Comment l'aurais-je fait si je n'étais pas né ? | |
Reprit l'agneau, je tète encor ma mère. | |
- Si ce n'est toi, c'est donc ton frère. | |
- Je n'en ai point. - C'est donc quelqu'un des tiens : | |
Car vous ne m'épargnez guère, | |
Vous, vos bergers, et vos chiens. | |
On me l'a dit : il faut que je me venge." | |
Là-dessus, au fond des forêts | |
Le loup l'emporte, et puis le mange, | |
Sans autre forme de procès. | |
Fables, livre I, fable X. | |
Hachette | |
LE LOUP ET LE CHIEN | |
Un Loup n'avait que les os et la peau | |
Tant les chiens faisaient bonne garde. | |
Ce Loup rencontre un Dogue aussi puissant que beau, | |
Gras, poli, qui s'était fourvoyé par mégarde. | |
L'attaquer, le mettre en quartiers, | |
Sire Loup l'eût fait volontiers; | |
Mais il fallait livrer bataille, | |
Et le mâtin était de taille | |
A se défendre hardiment. | |
Le Loup donc l'aborde humblement, | |
Entre en propos, et lui fait compliment | |
Sur son embonpoint qu'il admire. | |
" Il ne tiendra qu'à vous, beau sire, | |
D' être aussi gras que moi, lui repartit le Chien. | |
Quittez les bois, vous ferez bien: | |
Vos pareils y sont misérables, | |
Cancres, hères, et pauvres diables, | |
Dont la condition est de mourir de faim. | |
Car, quoi ? rien d'assuré; point de franche lippée; | |
Tout à la pointe de l'épée ! | |
Suivez-moi, vous aurez un bien meilleur destin. " | |
Le Loup reprit : " Que me faudra-t-il faire ? | |
- Presque rien, dit le Chien : donner la chasse aux gens | |
Portant bâtons, et mendiants; | |
Flatter ceux du logis, à son maître complaire; | |
Moyennant quoi votre salaire | |
Sera force reliefs de toutes les façons, | |
Os de poulets, os de pigeons; | |
Sans parler de mainte caresse " | |
Le Loup déjà se forge une félicité | |
Qui le fait pleurer de tendresse. | |
Chemin faisant, il vit le cou du Chien pelé. | |
" Qu'est-ce là ? lui dit-il. Rien.-Quoi ! rien ?- Peu de chose. | |
- Mais encore ?- Le collier dont je suis attaché | |
De ce que vous voyez et peut-être la cause. | |
- Attaché ! dit le Loup: vous ne courrez donc pas | |
Où vous voulez ? - Pas toujours; mais qu'importe ? | |
- Il importe si bien, que de tous vos repas | |
Je ne veux en aucune sorte, | |
Et ne voudrais pas même à ce prix un trésor. " | |
Cela dit, maître Loup s'enfuit, et court encore. | |
LE LABOUREUR ET SES ENFANTS | |
Travaillez, prenez de la peine : | |
C'est le fonds qui manque le moins. | |
Un riche Laboureur, sentant sa mort prochaine, | |
Fit venir ses enfants, leur parla sans témoins : | |
" Gardez-vous, leur dit-il, de vendre l'héritage | |
Que nous ont laissé nos parents : | |
Un trésor est caché dedans. | |
Je ne sais pas l'endroit; mais un peu de courage | |
Vous le fera trouver : vous en viendrez à bout. | |
Remuez votre champ dès qu'on aura fait l'oût; | |
Creusez; fouillez; bêchez; ne laissez nulle place | |
Où la main ne passe ,et repasse. " | |
Le père mort, les fils vous retournent le champ, | |
Deçà, delà, partout, si bien qu'au bout de l'an | |
Il en rapporta davantage. | |
D'argent point de caché. Mais le père fut sage | |
De leur montrer, avant sa mort, | |
Que le travail est un trésor. | |
CONSEIL TENU PAR LES RATS | |
Un Chat, nommé Rodilardus, | |
Faisait de rats telle déconfiture | |
Que l'on n'en voyait presque plus, | |
tant-il en avait mis dedans la sépulture. | |
Le peu qu'il en restait, n'osant quitter son trou, | |
Ne trouvait à manger que le quart de son soûl, | |
et Rodilard passait, chez la gent misérable, | |
Non pour un chat, mais pour un diable. | |
Or, un jour qu'au haut et au loin | |
Le galant alla chercher femme, | |
Pendant tout le sabbat qu'il fit avec sa dame, | |
Le demeurant des rats tint chapitre en un coin | |
Sur la nécessité présente. | |
Dès l'abord, leur doyen, personne fort prudente, | |
Opina qu'il fallait, et plus tôt que plus tard, | |
Attacher un grelot au cou.de Rodilard; | |
Qu'ainsi, quand il irait en guerre, | |
De sa marche avertis, ils s'enfuiraient sous terre; | |
Qu'il n'y avait que ce moyen. | |
Chacun fut de l'avis de monsieur le doyen : | |
Chose ne leur parut à tous plus salutaire. | |
La difficulté fut d'attacher le grelot. | |
L'un dit: " Je n'y vas point : je ne suis pas si sot! " | |
L'autre : " Je ne saurais. " Si bien que sans rien faire | |
On se quitta. J'ai maints chapitres vus, | |
Qui pour néant se sont ainsi tenus; | |
Chapitres non de rats, mais chapitres de moines, | |
Voire chapitres de chanoines. | |
Ne faut-il que délibérer ? | |
La cour en conseillers foisonne; | |
Est-il besoin d'exécuter ? | |
L'on ne rencontre plus personne. | |
LE SAVETIER ET LE FINANCIER | |
Un Savetier chantait du matin jusqu'au soir : | |
c'était merveilles de le voir, | |
Merveilles de l'ouïr, il faisait des passages, | |
Plus content qu'aucun des Sept Sages. | |
Son voisin, au contraire, étant tout cousu d'or, | |
Chantait peu, dormait moins encore : | |
C'était un homme de finance. | |
Si, sur le point du jour, parfois il sommeillait, | |
Le Savetier alors en chantant l'éveillait ; | |
Et le Financier se plaignait | |
Que les soins de la Providence | |
N'eussent pas au marché fait vendre le dormir, | |
Comme le manger et le boire. | |
En son hôtel il fait venir | |
Le chanteur, et lui dit: " Or çà, sire Grégoire, | |
Que gagnez vous par an ?- Par an, ma foi, monsieur, | |
Dit avec un ton de rieur | |
Le gaillard Savetier, ce n'est point ma manière | |
De compter de la sorte; et je n'entasse guère | |
Un jour sur l'autre : il suffit qu'à la fin | |
J'attrape le bout de l'année; | |
Chaque jour amène son pain. | |
- Eh bien que gagnez-vous, dites-moi, par journée ? | |
- Tantôt plus, tantôt moins; le mal est que toujours | |
( Et sans cela nos gains seraient assez honnêtes ), | |
Le mal est que dans l'an s'entremêlent des jours | |
Qu'il faut chômer : on nous ruine en fêtes. | |
L'une fait tort à l'autre; et monsieur le curé | |
De quelque nouveau saint charge toujours son prône. " | |
Le Financier, riant de sa naïveté, | |
Lui dit : " Je veux vous mettre aujourd'hui sur le trône. | |
Prenez ces cent écus; gardez-les avec soin, | |
Pour vous en servir au besoin. " | |
Le Savetier crut voir tout l'argent que la terre | |
Avait, depuis plus de cent ans, | |
Produit pour l'usage des gens. | |
Il retourne chez lui : dans sa cave il enserre | |
L'argent, et sa joie à la fois. | |
Plus de chant : il perdit la voix | |
Du moment qu'il gagna ce qui cause nos peines. | |
Le sommeil quitta son logis : | |
Il eut pour hôtes les soucis, | |
Les soupçons, les alarmes vaines. | |
Tout le jour il avait l'oeil au guet; et la nuit, | |
Si quelque chat faisait du bruit, | |
Lz chat prenait l'argent. A la fin le pouvre homme | |
S'en courut chez celui qu'il ne réveillait plus : | |
" Rendez-moi, lui dit-il, mes chansons et mon somme, | |
Et reprenez vos cent écus. " | |
LE LION ET LE RAT | |
Il faut, autant qu'on peut, obliger tout le monde ; | |
On a souvent besoin d'un plus petit que soi ... | |
Entre les pattes d'un Lion | |
Un Rat sortit de terre assez à l'étourdie. | |
Le roi des animaux, en cette occasion, | |
Montra ce qu'il était, et lui donna la vie. | |
Ce bienfait ne fut pas perdu. | |
Quelqu'un aurait-il jamais cru | |
Qu'un lion d'un rat eut affaire ? | |
Cependant il avait qu'au sortir des forêts | |
Ce Lion fut pris dans des rêts | |
Dont ses rugissements ne le purent défaire. | |
Sire rat accourut, et fit tant par ses dents | |
Qu'une maille rongée emporta tout l'ouvrage. | |
Patience et longueur de temps | |
Font plus que force ni que rage. | |
LE RENARD ET LE BOUC | |
Capitaine Renard allait de compagnie. | |
Avec son ami Bouc, des plus haut encornés. | |
Celui-ci ne voyait pas plus loin que son nez ; | |
L'autre était passé maître en fait de tromperie. | |
La soif les obligea de descendre en un puits ; | |
Là, chacun d'eux se désaltère. | |
Après qu'abondamment tous deux en eurent pris, | |
Le Renard dit au Bouc : "Que ferons-nous, compère ? | |
Ce n'est pas tout de boire, il faut sortir d'ici. | |
Lève tes pieds en haut, et tes cornes aussi ; | |
Mets-les contre le mur : le long de ton échine | |
Je grimperai premièrement ; | |
Puis sur tes cornes m'élevant, | |
A l'aide de cette machine, | |
De ce lieu-ci je sortirai ; | |
Après quoi je t'en tirerai. | |
- Par ma barbe, dit l'autre, il est bon, et je loue | |
Les gens bien sensés comme toi. | |
Je n'aurais jamais, quant à moi, | |
Trouvé ce secret, je l'avoue. " | |
Le Renard sort du puits, laisse son compagnon, | |
Et vous lui fait un beau sermon | |
Pour l'exhorter à patience. | |
" Si le ciel t'eût, dit-il, donné par excellence | |
Autant de jugement que de barbe au menton, | |
Tu n'aurais pas, à la légère, | |
Descendu dans ce puits. Or adieu : j'en suis hors ; | |
Tâche de t'en tirer, et fais tous tes efforts ; | |
car pour moi, j'ai certaine affaire | |
Qui ne me permet pas d'arrêter en chemin. " | |
En toute chose, il faut considérer la fin. | |
LA MORT ET LE BUCHERON | |
Un pauvre Bûcheron, tout couvert de ramée, | |
Sous le faix du fagot aussi bien que des ans, | |
Gémissant et courbé, marchait à pas pesants, | |
Et tâchait de gagner sa chaumine enfumée. | |
Enfin, n'en pouvant plus d'effort et de douleur, | |
Il met bas son fagot, il songe à son malheur. | |
Quel plaisir a-t-il eu depuis qu'il est au monde ? | |
En est-il un plus pauvre en la machine ronde ? | |
Point de pain quelquefois, et jamais de repos. | |
Sa femme, ses enfants, les soldats, les impôts, | |
Le créancier, et la corvée, | |
Lui font d'un malheureux la peinture achevée. | |
Il appelle la Mort. Elle vient sans tarder, | |
Lui demande ce qu'il faut faire. | |
" C'est, dit-il, afin de m'aider | |
A recharger ce bois ; tu ne tarderas guère. " | |
Le tépas vient tout guérir ; | |
Mais ne bougeons d'où nous sommes : | |
Plutôt souffrir que mourir, | |
C'est la devise des hommes. | |
LA LAITIERE ET LE POT AU LAIT | |
Perrette, sur sa tête ayant un pot au lait | |
Bien posé sur un coussinet, | |
Prétendait arriver sans encombre à la ville. | |
Légère et court vêtue, elle allait à grands pas, | |
Ayant mis ce jour là, pour être plus agile, | |
Cotillon simple et souliers plats. | |
Notre laitière ainsi troussée | |
Comptait déjà dans sa pensée | |
Tout le prix de son lait ; en employait l'argent ; | |
Achetait un cent d'oeufs ; faisait triple couvée: | |
La chose allait à bien par son soin diligent. | |
" Il m'est, disait-elle, facile | |
D'élever des poulets autour de ma maison ; | |
Le renard sera bien habile | |
S'il ne m'en laisse assez pour avoir un cochon. | |
Le porc à s'engraisser coûtera peu de son ; | |
Il était, quand je l'eus, de grosseur raisonnable ; | |
J'aurai, le revendant, de l'argent bel et bon. | |
et qui m'empêchera de mettre en notre étable, | |
Vu le prix dont il est, une vache et son veau, | |
Que je verrai sauter au milieu du troupeau ? | |
Perrette là-dessus saute aussi, transportée : | |
Le lait tombe ; adieu veau, vache, cochon, couvée. | |
La dame de ces biens, quittant d'un oeil marri | |
sa fortune ainsi répandue, | |
Va s'excuser à son mari, | |
En grand danger d'être battue. | |
Le récit en farce fut fait ; | |
On l'appela le Pot au lait. | |
LE LIEVRE ET LA TORTUE | |
Rien ne sert de courir ; il faut partir à point : | |
Le Lièvre et la Tortue en sont un témoignage. | |
" Gageons, dit celle-ci, que vous n'atteindrez point | |
Sitôt que moi ce but.- Sitôt ! êtes-vous sage ? | |
Repartit l'animal léger : | |
Ma commère, il faut vous purgez | |
Avec quatre grains d'ellébore. | |
- Sage ou non, je parie encore. " | |
Ainsi fut fait ; et de tous deux | |
On mit près du but les enjeux: | |
Savoir quoi, ce n'est pas l'affaire, | |
Ni de quel juge l'on convint. | |
Notre lièvre n'avait que quatre pas à faire ; | |
J'entends de ceux qu'il fait lorsque, près d'être atteint, | |
Il s'éloigne des chiens, les renvoie aux calendes, | |
Et leur fait arpenter les landes. | |
Ayant, dis-je, du temps de reste pour brouter, | |
Pour dormir, et pour écouter | |
D'où vient le vent, il laisse la Tortue | |
Aller son train de sénateur. | |
Elle part, elle s'évertue ; | |
Elle se hâte avec lenteur. | |
Lui cependant méprise une telle victoire, | |
Tient la gageure à peu de gloire, | |
Croit qu'il y va de son honneur | |
De partir tard. Il broute, il se repose ; | |
Il s'amuse à tout autre chose | |
Qui à la gageure. A la fin, quand il vit | |
Que l'autre touchait presque au bout de la carrière, | |
Il partit comme un trait ; mais les élans qu'il fit | |
Furent vains; la Tortue arriva la première. | |
" Hé bien ! lui cria-t-elle, avais-je pas raison ? | |
De quoi vous sert votre vitesse ? | |
Moi l'emporter ! et que serait-ce | |
Si vous portiez une maison , " | |
Livre VI | |
LE COCHET, LE CHAT ET LE SOURICEAU | |
Un Souriceau tout jeune, et qui n'avait rien vu, | |
Fut presque pris au dépourvu. | |
Voici comme il conta l'aventure à sa mère : | |
" J'avais franchi les monts qui bornent cet Etat, | |
Et trottais comme un jeune rat | |
Qui cherche à se donner carrière | |
Lorsque deux animaux m'ont arrêté les yeux : | |
L'un doux, bénin, et gracieux, | |
Et l'autre turbulent et plein d'inquiétude ; | |
Il a la voix perçante et rude, | |
Sur la tête un morceau de chair, | |
Une sorte de bras dont il s'élève en l'air | |
Comme pour prendre sa volée, | |
La queue en panache étalée. " | |
Or, c'était un Cochet dont notre Souriceau | |
Fit à sa mère le tableau, | |
Comme d'un animal venu de l'Amérique. | |
" Il se battait, dit-il, les flancs avec ses bras, | |
Faisant tel bruit et tel fracas, | |
Que moi, qui grâce aux dieux, de courage me pique. | |
En ai pris la fuite de peur, | |
Le maudissant de très bon coeur. | |
Sans lui j'aurais fait connaissance | |
Avec cet animal qui m'a semblé si doux. | |
Il est velouté comme nous, | |
Marqueté, longue queue, une humble contenance, | |
Un modeste regard, et pourtant l'oeil luisant. | |
Je le crois fort sympathisant | |
Avec messieurs les rats ; car il a des oreilles | |
En figure aux nôtres pareilles. | |
Je l'allais aborder, quand, d'un son plein d'éclat, | |
L'autre m'a fait prendre la fuite. | |
- Mon fils, dit la Souris, ce doucet est un chat, | |
Qui, sous son minois hypocrite, | |
Contre toute ta parenté | |
D'un malin vouloir est porté. | |
L'autre animal, tout au contraire, | |
Bien loin de nous mal faire, | |
Servira quelque jour peut-être à nos repas. | |
Quand au Chat, c'est sur nous qu'il fonde sa cuisine. | |
Garde-toi, tant que tu vivras, | |
De juger les gens sur la mine. | |
Fables | |
LE HERON | |
Un jour, sur ses longs pieds, allait je ne sais où, | |
Le héron au long bec emmanché d'un long cou. | |
Il côtoyait une rivière. | |
L'onde était transparente ainsi qu'aux plus beaux jours ; | |
Ma commère la carpe y faisait mille tours, | |
Avec le brochet son compère. | |
Le héron en eût fait aisément son profit : | |
Tous approchaient du bord ; l'oiseau n'avait qu'à prendre. | |
Mais il crut mieux faire d'attendre | |
Qu'il eût un peu plus d'appétit : | |
Il vivait de régime, et mangeait à ses heures. | |
Après quelques moments, l'appétit vint : l'oiseau, | |
S'approchant du bord, vit sur l'eau. | |
Des tanches qui sortaient du fond de ces demeures. | |
Le mets ne lui plut pas ; il s'attendait à mieux, | |
Et montrait un goût dédaigneux, | |
Comme le rat du bon Horace. | |
" Moi, des tanches ! dit-il. moi, héron, que je fasse | |
Une si pauvre chère ? Et pour qui me prend-on ? " | |
La tranche rebutée, il trouva du goujon. | |
" Du goujon ! c'est bien là le dîner d'un héron ! | |
J'ouvrirais pour si peu le bec ! aux dieux ne plaise ! " | |
Il l'ouvrit pour bien moins : tout alla de façon | |
Qu'il ne vit plus aucun poisson. | |
La faim le prit : il fut tout heureux et tout aise | |
De rencontrer un limaçon. | |
Ne soyons pas si difficiles : | |
Les plus accommodants ce sont les plus habiles ; | |
On hasarde de perdre en voulant trop gagner. | |
Gardez-vous de rien dédaigner, | |
Surtout quand vous avez à peu près votre compte... | |
LA MOTTE | |
LA BREBIS ET LE BUISSON | |
Une Brebis choisit, pour éviter l'orage, | |
Un buisson épineux qui lui tendait les bras. | |
La Brebis ne se mouilla pas, | |
Mais sa laine y resta. La trouvez-vous bien sage ? | |
Plaideur, commente ici mon sens. | |
Tu cours aux tribunaux pour rien, pour peu de chose | |
Du temps, des frais, des soins; puis tu gagnes ta cause | |
Le gain valait -il les dépenses ? | |
"Fables nouvelles livre III" | |
Jean LABRAU | |
FIN D' OCTOBRE | |
Le tilleul nu et noir pleure au bout de ses branches, | |
La grille pleure au long de ses barreaux, | |
Et la maison pleure au bout de ses tuiles, | |
Dans le pin mouillé un nid de chenilles | |
Brille | |
Comme un flacon d'argent ; | |
L' eau de la petite pluie, | |
En s'écoulant dans le zinc, | |
Fait un bruit de tambourin ; | |
L'âtre sent les jours frais, les sarments et la suie. | |
"La voix de là - bas" | |
LA CHAMBAUDIE | |
LE GLAND ET LE CHAMPIGNON | |
Un gland tombe d'un chêne et blesse un champignon. | |
Celui-ci lui dit :" Compagnon, | |
Tu pouvais bien prendre la peine | |
De tomber quelques pas plus loin ..." | |
Le gland répond :" Est-il besoin | |
Que le fils d'un antique chêne | |
Respecte un avorton méprisable, inconnu, | |
On ne sait pas comment sur un fumier venu ? | |
-Je te vaux bien, je l'imagine, | |
Reprend le champignon ; et, quoique sans aïeux, | |
Je suis un mets délicieux, | |
Et quand j'irai des rois enrichir la cuisine, | |
Tu seras dévoré par quelque vil pourceau ..." | |
Plus d'un sot descendit d'une illustre origine, | |
Plus d'un homme célèbre eut un humble berceau. | |
"livre 3 fable 13" | |
Jacques LAFONT | |
AU PAYS DE L'ALPHABET | |
Au pays de l'alphabet | |
les lettres s'ennuyaient; | |
chacune dans son coin, inutiles, | |
elles ne savaient que faire, | |
elles ne savaient que dire! | |
Mais un jour, | |
le E, le A, le U | |
se rencontrèrent... | |
Eau! dirent - elles ensemble. | |
Oh! s'exclamèrent les autres. | |
Le C, le R, le I poussèrent un cri, | |
signe qu'ils avaient compris! | |
Et c'est ainsi que tout a commencé. | |
"Fabliettes" in Jeunes Années Magazine | |
Jules LAFORGUE | |
COUCHANT D'HIVER | |
Quel couchant douloureux nous avons eu ce soir ! | |
Dans les arbres pleurait un vent de désespoir, | |
Abattant du bois mort dans les feuilles rouillées, | |
A travers le lacis des branches dépouillées | |
Dont l'eau-forte sabrait le ciel bleu-clair et froid, | |
Solitaire et navrant, descendait l'arbre-roi. | |
O Soleil ! l'autre été, magnifique en ta gloire, | |
Tu sombrais, radieux comme un grand Saint-Ciboire, | |
Incendiant l'azur ! A présent, nous voyons | |
Un disque safrane, malade, sans rayons, | |
Qui meurt à l'horizon balayé de cinabre, | |
Tout seul, dans un décor poitrinaire et macabre, | |
Colorant faiblement les nuages frileux | |
En blanc morne et livide, en verdâtre fielleux. | |
Vieil or, rose fané, gris de plomb, lilas pâle, | |
Oh ! c'est fini, fini ! Longuement le vent râle, | |
Tout est jaune et poussif ; les jours sont révolus, | |
La Terre a fait son temps ; | |
"Le sanglot de la terre" |
Bobby LAPOINTE | |
LE POISSON FA | |
Il était une fois | |
Un poisson fa. | |
Il aurait pu être poisson scie, | |
Ou raie, | |
Ou sole, | |
Ou tout simplement poisson d'eau | |
Ou même un poisson un peu là, | |
Non, non, il était poisson fa : | |
Un poisson fa, | |
Voilà. | |
"1975 intersong Paris" | |
Warner Chappel Music Fran | |
A. LAPONNE | |
GOURMANDISE | |
J'étais allé chez l'épicier | |
| |
Du café, du savon, de l'huile | |
Du sel ou bien des allumettes. | |
En passant devant le comptoir | |
| |
Des caramels et des sucettes, | |
Peut-être cent, peut-être mille. | |
Mais alors je n'ai plus pensé | |
A ce qu'il fallait acheter. | |
Et j'ai demandé tout bas | |
|
M.F. LAVAUR | |
L' ELEPHANTASTIQUE | |
Ils jouaient dans la classe | |
avec les mots et les images. | |
Ils apprivoisaient | |
peu à peu le langage. | |
Ils faisaient des charades | |
Des rébus des comptines | |
des bouts-rimés des acrostiches | |
et des calligrammes. | |
Ils dessinaient tout un bestiaire | |
d'oiseaux quadrupèdes | |
velus ou bicéphales | |
des marteaureaux et des cerfeuille | |
des serpaons des escargorilles. | |
C'est ainsi qu'il est né | |
avec sa trompe longue | |
de papillon et ses | |
huit pattes frêles | |
l'éléphantastique. | |
Trace |
Madeleine LE FLOCH | |
VERT DE MER | |
Un poisson connaissait par coeur les noms de tous | |
les autres poissons. | |
Il connaissait les algues, les courants, les sédiments, | |
les coquillages. | |
C'était un érudit. | |
Il exigeait d'ailleurs qu'on l'appelât " Maître "! | |
Il savait tout de la mer mais il ignorait tout | |
de l'homme. | |
Et un jour il se laissa prendre ou bout d'un | |
tout petit hameçon. | |
"Petits contes verts pour le printemps et pour l'hiver." | |
Le cherche midi éditeur | |
Gérard Le GOUIC | |
SUPPLIQUE | |
Ne m'enterrez pas par si grand froid, | |
janvier chez vous n'a pas de toit, | |
ne m'enterrez pas en février, | |
la lune aux loups le givre fait briller, | |
ne m'enterrez pas en mars, | |
tiges et bourgeons le printemps délace, | |
me laisserez - vous courir l'avril, | |
dans le sous - bois mai chante sa comptine, | |
ne m'enterrez pas en ce mois coquet, | |
chaque année un oiseau niche dans mon bonnet | |
un fils eut en juin ma mère, | |
ce mois - là ne le lui rendez pas amer, | |
ne m'enterrez pas en juillet | |
la Celtie fête le pardon, non le gibet, | |
plutôt que femme en août on courtise les blés | |
qui prendrait la peine de me draper; | |
en septembre la vigne on détrousse, | |
qui se signerait sous le glas qui sonne, | |
ne m'enterrez pas en octobre, | |
la terre m'enlèverait bas et robe, | |
ne m'enterrez pas en novembre, | |
de nuit je ne saurais manoeuvrer l'ancre, | |
ne m'enterrez pas en décembre, | |
la Nouvelle je voudrais encore attendre. | |
Enterrez - moi sans trahison | |
en toute autre colline, | |
en toute autre saison | |
"Poèmes de mon vivant" |
Annaïk LE LEARD | |
LE CERISIER | |
Mon beau cerisier, | |
Jaloux du rosier, | |
A paré ses branches | |
De fleurs toutes blanches. | |
Et l'on croirait voir, | |
Surtout vers le soir, | |
Une immense gerbe | |
Qui jaillit superbe! | |
Au plus léger vent | |
Qui passe en chantant, | |
Un pétale vole | |
De chaque corolle. | |
Et tout doucement | |
En batifolant, | |
Se forme un corège; | |
On dirait qu'il neige! | |
"Le joli petit Bois." | |
Philéas LEBESGUE | |
PAQUERETTE | |
PETIT VILLAGE | |
PAQUERETTE | |
Pâquerette, pâquerette, | |
Il y a des gouttes d'eau | |
Sur ta collerette, | |
Et tu plies un peu le dos... | |
Pâquerette, pâquerette, | |
Le beau soleil printanier | |
Viendra-t-il les essuyer ? | |
Pâquerette, pâquerette, | |
Qui souris près du sentier, | |
Je te le souhaite... | |
Pâquerette, pâquerette, | |
Il y a sur ton coeur d'or | |
Un frelon en fête : | |
Tant il est ivre qu'il dort ! | |
Pâquerette, pâquerette, | |
L'aile du vent printanier | |
Va-t-elle le balayer ? | |
Pâquerette, pâquerette, | |
Qui rêves près du sentier, | |
Je te le souhaite... | |
Pâquerette, pâquerette, | |
Eh ! je crains pour toi, ce soir, | |
La folle fillette | |
Qui marchande de l'espoir ! | |
Pâquerette, pâquerette, | |
M'amie aux jolis souliers | |
Viendra-t-elle t'effeuiller ? | |
Pâquerette, pâquerette, | |
Dans les herbes du sentier, | |
Cache bien ta tête. | |
"Triptolème ébloui" | |
PETIT VILLAGE | |
Petit village au bord des bois, | |
Petit village au bord des plaines | |
Parmi les pommiers, non loin des grands chênes, | |
Lorsque j'aperçois | |
Le coq et la croix | |
De ton clocher d'ardoises grises, | |
De ton clocher fin, | |
A travers ormes et sapins, | |
D'étranges musiques me grisent; | |
Je vois des yeux dans le soir étoilé : | |
Là, je suis né. | |
Petit village au bord des champs, | |
Petit village entre les haies, | |
Tour à tour paré de fleurs et de haies, | |
Lorsque les doux chants | |
De ton frais printemps, | |
Quand l'odeur de tes violettes, | |
De tes blancs muguets | |
Pénètrent mon coeur inquiet, | |
J'oublie et tumulte et tempêtes; | |
J'entends des voix dans le soir parfumé | |
Là, j'ai aimé! ... | |
Petit village aux courtils verts, | |
Petit village de silence, | |
Où la cloche sonne un vieil air de France, | |
J'aime les éclairs | |
De tes cieux couverts, | |
Ton soleil fin entre les arbres, | |
Les feux de tes nuits, | |
L'oeil fixe et profond de tes puits, | |
Ton doux cimetière sans marbres, | |
Plein d'oiseaux fous et luisant comme un pré: | |
Là, je viendrai... | |
" Les chansons de Margot " | |
Jean LEBRAU | |
LA ROUTE TOURNAIT ... | |
La route tournait sous la pluie. | |
Novembre ...Les eaux étaient grises. | |
Les enfants cueillaient des olives, | |
Le village sentait la suie. | |
L'église contre la montagne, | |
N'était qu'une aile lassée. | |
Une bourrasque était passée, | |
Un troupeau regagnait l'Espagne | |
Sur un tapis de feuilles mortes, | |
Et la dernière rose blanche | |
S'ennuyait comme le dimanche | |
Dont le vent tourmentait les portes | |
" Corbières " | |
Maxime LEVY | |
LE LION CAPTIF | |
Le lion du désert, dans sa cage, est pensif. | |
A quoi songe un lion captif ? | |
Serait-ce au dompteur qui le garde ? | |
A la foule bête et hagarde | |
Qui le regarde ? | |
A ses bourreaux ? | |
A sa captivité sans terme ? | |
Non, il se dit, en voyant les barreaux : | |
L'homme est méchant, puisqu'on l'enferme. | |
"Fables." | |
Editions Firmin Didot, D.R. | |
Madeleine LEY | |
LE PÊCHER ROSE | |
DANS LA CHAMBRE DU GRAND-PERE | |
LE PÊCHER ROSE | |
J' ai vu fleurir le pêcher rose , | |
Le vieux pêcher noir et chenu . | |
Il rit sous le ciel ingénu | |
Il rit de sa métamorphose ! | |
Le mois d' avril est revenu : | |
J' ai vu fleurir le pêcher rose , | |
Le vieux pêcher noir et chenu . | |
Devant le toit de tuiles roses , | |
Un oiseau gris parfois se pose | |
Sur le bout d' un rameau ténu | |
Et chante son bonheur menu ... | |
Le mois d' avril esr revenu . | |
"Petites voix" | |
DANS LA CHAMBRE DU GRAND-PERE | |
Dans la chambre du grand-père | |
il y avait un coquillage | |
qui soupirait et chantait | |
comme le vent de la mer. | |
Dans la chambre du grand-père | |
il y avait un petit coffre | |
en bois luisant jaune clair, | |
qu'il rapporta de ses voyages | |
et que lui seul savait ouvrir. | |
Il y avait deux Japonais | |
en ivoire, sous un globe; | |
et tout au fond d'un tiroir, | |
dans son écrin de velours vert, | |
- bijou poli par les vagues - | |
la pipe en écume de mer! | |
"Petites Voix" | |
Stock | |
Anthony LHERITIER | |
SERENADE | |
PASSAGE DU VENT | |
SERENADE | |
J'entends | |
Le vent | |
Qui vient en pleurant | |
A travers tant de plaines | |
De mers incertaines | |
Pour semer en chemin | |
Son chagrin | |
Son chagrin | |
De coureur solitaire | |
Fais-le taire | |
Donne-moi la main. | |
Voici la pluie | |
Qui s'en mêle aussi | |
Et sa chanson menteuse | |
Pauvre voyageuse | |
Chuchote sur les toits | |
Souviens-toi | |
Souviens-toi | |
Que tout est inutile | |
Soeur fragile | |
Reste auprès de moi. | |
Et puis | |
La nuit | |
N'a pas réussi | |
Malgré tous les manèges | |
Tous ses sortilèges | |
A tuer le soleil | |
Dans le ciel | |
Dans le ciel | |
Dans mon coeur sans nuage | |
Camarade | |
Voici le soleil | |
"Mi-raisin" | |
PASSAGE DU VENT | |
Je suis d'ici | |
D'ailleurs aussi | |
Je suis le vent porteur de pluie | |
Et de soleil | |
Pour tous les rêves | |
Et je viens de partout ... | |
Je suis d'ici | |
D'ailleurs aussi | |
J'ai chanté pours les hommes | |
Dans leur langage fraternel | |
Je suis le vent de la plaine et le vent de la mer ... | |
Je suis d'ici | |
D'ailleurs aussi | |
Je suis le vent de la montagne | |
J'ai pleuré sur vos routes | |
Et vous avez pleuré d'ignorer mes chemins ... | |
Frères qui m'écoutez, où serez-vous demain? | |
"Silences." | |
Marie Madeleine MACHET | |
LA FÊTE DU MONDE | |
Tous les printemps aujourd'hui sont éclos | |
Mille ans d'espoir entr'ouvrent leurs paupières | |
Mille ans pour le bonheur de sèves éclatées | |
à la fontaine où s'épuise l'hiver. | |
Le jour ondoie et lustre | |
les vivants nouveau-nés. | |
La fête est commencée. | |
Le monde - roi danse avec la lumière | |
s'enivre de soleil. | |
Les fleurs animent leurs couleurs | |
les vents soufflent sur la terre | |
les nourritures du ciel. | |
Hâte - toi, c'est ton tour | |
pour le bonheur qui passe. | |
La fête est commencée pour toujours | |
mais toi, c'est ton instant, | |
le seul. | |
"Les fêtes du monde." | |
Jean - Hugues MALINEAU | |
LE PERROQUET | |
C'est très coquet | |
Un perroquet | |
Des plumes rouges | |
Bleues violettes | |
Ca vit ça bouge | |
Et ça répète | |
C'est très coquet | |
Un perroquet | |
Dans un baquet | |
Un perroquet | |
Ca fait trempette | |
Et ça répète | |
C'est très coquet | |
Un perroquet | |
C'est beau, c'est sec | |
Après toilette | |
Et ça répète | |
Du bout du bec | |
C'est très coquet | |
Un perroquet | |
Tais ton caquet | |
Vieux perroquet | |
Mais ça répète | |
Saperlipopette | |
C'est très coquet | |
Un perroquet | |
"Prête-moi tes plumes" | |
édition l'école des loisirs | |
Samuel MARCHAK | |
( choisis, traduits et présentés par Jean Luc Moreau ) | |
LA FÊTE DE LA FÔRET | |
Que plantons-nous | |
En plantant | |
Des forêts ? | |
Le mât, l' espar, | |
Pour tenir les agrès; | |
Le pont, la coque | |
Et l' abri du sextant | |
Pour naviguer | |
Par mer calme ou gros temps. | |
Que plantons-nous | |
En plantant | |
Des forêts ? | |
L' aile qui nous soulève au ciel d' un trait ; | |
Le banc, la table | |
Où nous nous asseyons, | |
La feuille blanche | |
Et même le crayon. | |
Que plantons-nous | |
En plantant | |
Des forêts ? | |
Une maison | |
Pour renards et furets, | |
Pour l' écureuil, | |
Sa femme | |
Et ses petits, | |
Pour le pivert | |
Et ses pizzicati. | |
Que plantons-nous | |
En plantant | |
Des forêts ? | |
De l' eau | |
De l' ombre | |
Et des feuillages frais ; | |
Le houx l' hiver, | |
Au printemps les chatons ... | |
C' est tout cela | |
Qui aujourd' hui | |
Nous plantons. | |
"Poèmes de Russie" |
Pierre MENANTEAU | |
LE MANEGE ENDORMI | |
LE VIEUX ET SON CHIEN | |
L'OISEAU | |
RENOUVEAU | |
BALLADE AU BORD DE LA MER | |
FLEURETTE | |
LE MANEGE ENDORMI | |
Mes beaux chevaux de bois, ne vous arrêtez plus. | |
Ne tournerez-vous plus, montures de l'enfance ? | |
Le village engourdi partage le silence | |
Entre sa vieille église et ses vieux toits moussus. | |
Ah ! tournez beaux chevaux, battez l'air en cadence ! | |
Que vos galops brillants passent, rêves confus | |
De pattes, de naseaux, coupant d'angles aigus | |
Le cercle de ce bruit qui s'arrête et s'élance. | |
Mes beaux chevaux de bois, ne tournerez-vous plus ? | |
L'orgue de Barbarie a rompu le silence. | |
Le manège s'éveille. O bonheur de l'enfance. | |
Mes beaux chevaux de bois, ne vous arrêtez plus. | |
LE VIEUX ET SON CHIEN | |
S'il était le plus laid | |
De tous les chiens du monde | |
Je l'aimerais encore | |
A cause de ses yeux. | |
Si j'étais le plus vieux | |
De tous les vieux du monde | |
L'amour luirait encore | |
Dans le fond de ses yeux. | |
Et nous serions tout deux, | |
Lui si laid, moi si vieux, | |
Un peu moins seuls au monde | |
A cause de ses yeux. | |
"Ce que m'a dit l'alouette" | |
Editions Les Nouvelles Presses françaises | |
L'OISEAU | |
L'oiseau brisa du bec | |
Un barreau de sa cage | |
Et s' envola avec | |
Un cri vers les nuages. | |
Son bec s' était brisé | |
Mais dans les champs de blé, | |
On l' entendit quand même | |
Chanter à perdre haleine, | |
Chanter mieux qu' en sa cage, | |
Chanter en liberté, | |
Chanter émerveillé | |
Sous le jeu des nuages. | |
"Le miroir aux alouettes ." | |
RENOUVEAU | |
Du mois d' avril au mois de mai | |
La terre se fait plus gentille. | |
Un joli temps de jeune fille, | |
tire l' aiguille, prend le dé . | |
Parfois un bel arc irisé | |
Pavoise l' averse qui brille. | |
Du mois d' avril au mois de mai | |
La terre se fait plus gentille . | |
La violette est dans le pré ; | |
Dans la clairière, la jonquille. | |
Sous l' arbre en espoir de famille | |
On entend le merle chanter | |
Du mois d' avril au mois de mai . | |
"A l' école du buisson." | |
BALLADE AU BORD DE LA MER | |
Les Dinosaures sont partis, | |
Reste leur empreinte au bord du sable, | |
Et même dans certains pays | |
Restent leurs oeufs : un oeuf cassable | |
Traverse des ères d'oubli. | |
Les Dinosaures sont partis. | |
Longue, longue fut la ballade! | |
Pourquoi ces monstres ont-ils péri? | |
L'espèce fut elle malade? | |
Qui pourrait le dire aujourd'hui? | |
"Au rendez-vous de l'arc-en-ciel" | |
FLEURETTE | |
J'ai beau faire ma toilette | |
Sous les ronces d'un buisson | |
Je ne suis qu'une fleurette | |
Que fréquente un puceron. | |
Ma voisine la Coccinelle, | |
Est très fière qu'on l'appelle | |
A tous vents Bête à Bon Dieu: | |
Ce joli nom lui va mieux | |
Moi je suis un peu simplette, | |
Je n'ai même pas de nom, | |
On m'appelle la Fleurette | |
Et j'attends le papillon. | |
"Chansons venues par la fenêtre" |
Louis MERCIER | |
PSAUME A LA NEIGE | |
C'EST LE VENT ... C'EST LA PLUIE | |
PSAUME A LA NEIGE | |
Louange à la neige blanche, amie | |
des grands sapins noirs ! | |
Parce qu'elle préfère nos ramures | |
à celles des autres arbres. | |
Parce que ses papillons se prennent | |
innombrables aux aiguilles de notre feuillage. | |
Parce qu'elle est légère, silencieuse, | |
Immaculée. | |
Parce qu'elle nous revêt d'une blancheur | |
plus blanche que tout ce qu'il y a de blanc au monde. | |
Plus blanche que les fleurs du narcisse | |
et du lys. | |
Plus blanche que l'écume du ruisseau qui | |
saute sur les pierres. | |
Plus blanche que la face de la lune par les | |
claires nuits d'hiver. | |
Plus blanche que les étoiles qui fleurissent | |
dans les prés de la nuit. | |
Louange à la neige, amie des sapins noirs. | |
C'EST LE VENT ... C'EST LA PLUIE | |
... C'est le vent, | |
Le grand vent qui passe | |
Avec le tumulte énorme et mouvant | |
D'un fleuve submergeant l'espace ; | |
Durant des jours, durant des nuits | |
Il ruisselle, il s'enfle, il déborde. | |
Et le comble s'émeut, et le grenier bruit, | |
Sous l'assaut hurlant de ses hordes ... | |
Puis il s'écoule, il s'épuise et décroit : | |
On entend ses ondes obscures | |
Traîner au lointain des bois | |
Leurs derniers murmures ; | |
Puis tout se tait, | |
Le grenier redevient tranquille | |
Et la maison repose en paix | |
Sous ses tuiles. | |
Mais dans le grand silence un nouveau bruit renaît, | |
Un bruit confus, léger, et qui marche, on dirait, | |
Sur des milliers de pieds agiles. | |
Cela vient. La rumeur s'étend, fourmille, court, | |
Et son approche rend tout le pays sonore. | |
Elle frémit déjà sur les bois d'alentour, | |
Et crépite, plus proche encore, | |
Aux arbres du jardin, aux pavés de la cour ; | |
La voilà qui s'abat sur le toit, infinie, | |
Harmonieuse et fraîche. C'est la pluie, | |
La pluie agile | |
Qui danse sur les tuiles, | |
Et le grenier silencieux | |
Ecoute cheminer aux profondeurs des cieux | |
Le long, le monotone et doux bruit de la pluie. | |
" Le poème de la maison " | |
Armand MONJO | |
AU MARCHE | |
Les joues de la fruitière | |
Sont en peau d'abricot | |
La grande charcutière | |
Est ronde comme un jambonneau | |
La petite marchande de fleurs | |
Fine comme un pois de senteur | |
Le boulanger | |
Qui n'est pas gros | |
Est un Pierrot enfariné | |
Mais sa femme la boulangère | |
Qui n'est pas légère légère | |
Sent bon le sucre et le pain chaud | |
Claude MORAND | |
LA GOMME | |
Gomme à tout faire, quel métier | |
dit la gomme. | |
effacer deux et deux font cinq , | |
quelle tristesse, quelle misère ... | |
Le calcul, les maths, l' histoire , | |
la géo, la grammaire, l' ortho- | |
graphe, toutes les bonnes gommes | |
vous le diront : elle détestent ! | |
Beaucoup de travail et puis , | |
aucune garantie d' emploi ! | |
Les vieilles gommes au garage , | |
sur la touche, jetées au fond | |
d' un tiroir, effritées , | |
mordillées, sucées, oubliées ... | |
Aujourd' hui on nous déguise. | |
En ampoule, en esquimau, et même | |
en voiture. à propos, je refuse | |
de gommer "othomobile". Vrounr - vroum , | |
je mets la gomme, et toc ! | |
Gomme à tout faire, c' est fini , | |
dit la gomme. | |
Jean Luc MOREAU | |
LE TRAINEAU DU REVE | |
LE CERF - VOLANT | |
SI ... | |
LE TRAINEAU DU REVE | |
(Traduit du finnois par Jean Luc MOREAU) | |
Do l'enfant do, le tout petit, | |
Je berce l'enfant pour qu'il dorme, | |
Je chante pour que l'enfant dorme, | |
Je le mène au traîneau du rêve. | |
Viens, sommeil, et dérobe-le | |
Descends, petit garçon du songe, | |
Place-le dans ta luge d'or, | |
Prends-le dans le traîneau d'argent. | |
Lorsqu'il sera dans le traîneau, | |
Quand tu l'auras mis dans ta luge, | |
Galope en la plaine de cuivre, | |
Par la belle route d'étain. | |
Emporte mon bel enfançon | |
Mon cher trésor emmène-le | |
Sur la cirne du mont d'argent, | |
Là-haut sur la montagne d'or, | |
Au fond de la belle boulaie, | |
Où chantent des coucous en or, | |
Où jasent les oiseaux d'argent. | |
LE CERF - VOLANT | |
Soulevé par les vents jusqu' au plus haut des cieux , | |
Un cerf-volant plein de superbe . | |
Vit, qui dansait au ras de l' herbe , | |
Un petit papillon, tout vif et tout joyeux . | |
- Holà ! minable animalcule , | |
Cria du zénith l' orgueilleux , | |
Ne crains-tu pas le ridicule ? | |
Pour te voir, il faut de lons yeux : | |
Tu rampes comme un ver ... Moi je grimpe, je grimpe | |
Jusqu' à l' Olympe , | |
Séjour des dieux . | |
- C' est vrai, dit l' autre avec simplesse , | |
Mais, moi, libre, à mon gré, je peux voler partout , | |
Tandis que toi, pauvre toutou, | |
Un enfant te promène en laisse . | |
"La poésie comme elle s' écrit" | |
SI ... | |
Si la sardine avait des ailes, | |
Si Gaston s'appelait Gisèle, | |
Si l'on pleurait lorsque l'on rit, | |
Si le Pape habitait Paris, | |
Si l'on mourait avant de naître, | |
Si la porte était la fenêtre, | |
Si l'agneau dévorait le loup, | |
Si les Normands parlaient zoulou, | |
Si la Mer Noire était la Manche, | |
Et la Mer Rouge la Mer Blanche, | |
Si le monde était à l'envers, | |
Je marcherais les pieds en l'air, | |
Le jour je garderais la chambre, | |
J'irais à la plage en décembre, | |
Deux et un ne feraient plus trois... | |
Quel ennui ce monde à l'endroit! | |
"L'arbre perché" | |
les éditions ouvrières | |
Alfred de MUSSET | |
BALLADE A LA LUNE | |
A LA MI-CARÊME | |
MARS | |
BALLADE A LA LUNE | |
C'était, dans la nuit brune, | |
Sur le clocher jauni, | |
La lune, | |
Comme un point sur un i. | |
Lune, quel esprit sombre | |
Promène au bout d'un fil | |
Dans l'ombre, | |
Ta face et ton profil ? ... | |
Qui t'avait éborgnée | |
L'autre nuit ? T'étais-tu | |
Cognée | |
A quelque arbre pointu ? | |
Car tu vins, pâle et morne, | |
Coller sur mes carreaux | |
Ta corne, | |
A travers les barreaux ... | |
Et qu'il vente ou qu'il neige | |
Moi-même, chaque soir, | |
Que fais-je, | |
Venant ici m'asseoir ? | |
Je viens voir, à la brume, | |
Sur le clocher jauni | |
La lune | |
Comme un point sur un i. | |
A LA MI-CARÊME | |
Le carnaval s'en va, les roses vont éclore; | |
Sur le flanc des coteaux déjà court le gazon. | |
Cependant du plaisir la frileuse saison | |
Sous ses grelots légers rit et voltige encore, | |
Tandis que, soulevant les voiles de l'aurore, | |
Le Printemps inquiet paraît à l'horizon. | |
Du pauvre mois de mars il ne faut pas médire, | |
Bien que le laboureur le craigne justement; | |
L'univers y renaît; il est vrai que le vent, | |
La pluie et le soleil s'y disputent l'empire. | |
Qui y faire? Au temps des fleurs, le monde est un enfant, | |
C'est sa première larme et son premier sourire[...] | |
" Poésies nouvelles " | |
MARS | |
Ah! que Mars est un joli mois! | |
C'est le mois des surprises. | |
Du matin au soir dans les bois, | |
Tout change avec les brises. | |
Le ruisseau n'est plus engourdi, | |
La terre n'est plus dure, | |
Le vent qui souffle du midi | |
Prépare la verdure. | |
Le rossignol n'est pas venu | |
Rempli de douces notes, | |
Mais déjà sur le hêtre nu | |
Résonnent les linottes. | |
Par-dessus la haie en éveil | |
Fier de ses fleurs écloses | |
On voit le pêcher au soleil | |
Ouvrir ses bourgeons roses. | |
Gelée et vent, pluie et soleil, | |
Alors tout a des charmes; | |
Mars a le visage vermeil | |
Et sourit dans ses larmes. | |
NEOU YANG SIOU | |
XXXX | |
Les paysans font pousser le riz | |
Le mandarin distille le riz | |
En fait du vin, laisse la lie pourrir. | |
Il vend le vin très cher. | |
Les paysans qui font pousser le riz | |
N'ont rien dans leur marmite | |
Ils achètent au mandarin | |
La lie et la mangent. | |
Le mandarin dit: | |
"Moi, je bois le vin, | |
Vous, mangez la lie." | |
"Trésor de la poésie chinoise3" | |
Pablo NERUDA | |
LES PECHEURS ET LA MER | |
A LA MER | |
LES PECHEURS ET LA MER | |
Oh mer, tu t'appelles ainsi, | |
Oh camarade océan | |
ne perds pas le temps et l'eau, | |
ne te secoue pas tellement, | |
aide-nous. | |
Nous ne sommes que des pêcheurs | |
des hommes du rivage, | |
nous avons froid et faim, | |
tu es notre ennemi, | |
ne frappe pas si fort, | |
ne crie pas ainsi, | |
ouvre ta boîte verte | |
et dépose entre nos mains | |
à tous | |
ton cadeau d'argent : | |
le poisson de chaque jour. | |
A LA MER | |
J'ai autour de l'île | |
la mer | |
que de mer! | |
Elle déborde d'elle même | |
à chaque instant | |
elle dit oui, elle dit non, | |
elle dit non, non, et non, | |
elle dit oui en bleu | |
en écume, en galop | |
elle dit non et non. | |
Elle ne peut pas rester tranquille, | |
elle répète: je suis la mer | |
en frappant sur une pierre | |
sans pouvoir la convaincre, | |
alors | |
avec les sept langues vertes | |
de sept chiens verts, | |
de sept tigres verts, | |
de sept mers vertes, | |
elle la parcourt, l'embrasse, | |
la trempe | |
et se frappe la poitrine | |
en répétant son nom. | |
Oh mer, tu t'appelles ainsi | |
oh camarade océan, | |
ne perds pas le temps et l'eau, | |
ne te secoue pas tellement, | |
aide-nous. | |
Nous ne sommes que des pêcheurs, | |
des hommes du rivage, | |
nous avons froid et faim, | |
tu es notre ennemi, | |
ne frappe pas si fort, | |
ne crie pas ainsi, | |
ouvre ta boîte verte | |
et dépose entre nos mains | |
à tous, | |
ton cadeau d'argent: | |
le poisson de chaque jour. | |
Ici dans chaque maison | |
nous le voulons | |
et qu'il soit d'argent, | |
de cristal ou de lune, | |
il est né pour les pauvres | |
cuisines de la terre. | |
Ne le garde pas, | |
avare, | |
glissant froid comme | |
comme un éclair mouillé | |
sous tes vagues. | |
Viens maintenant, | |
ouvre-toi | |
et laisse-le | |
près de nos mains. | |
Aide-nous, océan, | |
père profond et vert, | |
à supprimer un jour | |
la misère terrestre. | |
récolter la moisson | |
infinie de tes vies, | |
de tes blés, de tes raisins, | |
tes boeufs et tes métaux, | |
la splendeur mouillée | |
et le fruit submergé. | |
"odes élémentaires." | |
Gérard de NERVAL | |
LES PAPILLONS (extrait) | |
récitant | De toutes les belles choses |
Qui nous manquent en hiver, | |
Qu'aimez-vous mieux ? | |
1ère voix | Moi, les roses ! |
2ème voix | Moi, l'aspect d'un beau pré vert ! |
3ème voix | Moi, la moisson blondissante, |
chevelure des sillons ! | |
4ème voix | Moi, le rossignol qui chante ! |
5ème voix | Et moi, les beaux papillons ! |
récitant | Le papillon, fleur sans tige, |
Qui voltige | |
Que l'on cueille en un réseau | |
Dans la nature infinie, | |
Harmonie | |
Entre la plante et l'oiseau ! ... | |
Comme un éventail de soie, | |
Il déploie | |
Son manteau semé d'argent ; | |
Et sa robe bigarée | |
Est dorée | |
D'un or verdâtre et changeant. | |
"Petits châteaux de Bohême" | |
Comtesse de NOAILLES | |
L'HIVER | |
C'est l'hiver sans parfums ni chants ... | |
Dans le pré, des brins de verdure | |
Percent de leurs jets fléchissants | |
La neige étincelante et dure ... | |
Quelques buissons gardent encor | |
Des feuilles dures et cassantes | |
Que le vent âpre et rude mord | |
Comme font les chèvres grimpantes. | |
Et les arbres silencieux | |
Que toute cette neige isole | |
Ont cessé de se faire entre eux | |
Leurs confidences bénévoles ... | |
Bois feuillus qui, pendant l'été, | |
Au chaud des feuilles cotonneuses, | |
Avez connu les voluptés | |
Et les cris des huppes chanteuses, | |
Vous qui, dans la douce saison, | |
Respiriez la senteur des gommes, | |
Vous frissonnez à l'horizon | |
Avec des gestes qu'ont les hommes. | |
Vous êtes las, vous êtes nus, | |
Plus rien dans l'air ne vous protège, | |
Et vos coeurs, tendres ou chenus, | |
Se désespèrent sous la neige. | |
Et près de vous, frère orgueilleux, | |
Le sapin où le soleil brille | |
Balance les fruits écailleux | |
Qui luisent entre ses aiguilles ... | |
" poèmes " | |
FRANC-NOHAIN | |
L'ARROSOIR ET LA PLUIE | |
LA LOCOMOTIVE REGARDE UNE VACHE EN PASSANT | |
L'ARROSOIR ET LA PLUIE | |
Avec dédain et raillerie | |
La pluie | |
Regardait l'arrosoir joufflu s'époumoner | |
A donner | |
Aux pauvres salades flétries, | |
Aux petits pois atteints de la pépie, | |
Aux tristes fleurs du jardinet, | |
Une eau rapidement tarie. | |
- Le malheureux arrive à peine à les mouiller, | |
Dit-elle, | |
En dépit de son zèle | |
Il n'a pas de sa tâche accompli la moitié : | |
Si moi-même | |
Je ne m'en mêle, | |
Ces plantes vont sécher sur pié, | |
Et vraiment c'est une pitié !... | |
Aussitôt dit, la pluie, en trombe, | |
Tombe, | |
Tombe, et bientôt tout le jardin | |
Est transformé en flaques, | |
En lac, | |
N'est plus que rigoles, | |
Ravins, | |
Tant et tant elle dégringole ; | |
Fleurs, légumes, atteints par un même destin, | |
Ne forment plus qu'un horrible mélange | |
Et gisent noyés dans la fange ; | |
Et la pluie, encore et toujours, | |
Toute fière d'un si beau tour, | |
Tape sur l'arrosoir comme sur un tambour. | |
- Voilà comme je suis, voilà comme j'arrose !... | |
Moi, je fais grandement les choses !... | |
L'excès en tout est un défaut : | |
On l'a dit avant moi, en vers ainsi qu'en prose ; | |
De l'eau | |
Il en faut | |
Mais pas trop, | |
Et le mal et le bien sortent des mêmes causes ; | |
Les dons heureux dont tu disposes | |
Ne vaudront que trouble et tourment, | |
Sans la mesure et le discernement | |
"Dites-nous quelque chose" | |
LA LOCOMOTIVE REGARDE UNE VACHE EN PASSANT | |
Calme, immobile, | |
Dans le petit pré tranquille, au long de la ligne, | |
C'est une vache qui rumine. | |
Pour tant de vaches qui regardèrent | |
Passer des chemins de fer, | |
Il convient aussi qu'on le sache, | |
Il y a des locomotives qui regardent les vaches. | |
Et c'est avec des yeux d'envie, | |
Leurs gros yeux rouges, | |
Qu'elles contemplent les prairies, | |
Où, paresseuses, l'on se couche, | |
Et l'on flâne en se divertissant au vol des mouches ... | |
Laisser monter en soi le vin de la paresse, | |
Suivant le mot | |
d'Arthur Rimbaud ! ... | |
Mais, quand on est locomotive, il faut | |
Qu'on parte, et reparte, et se presse. | |
(Car ce n'est pas à dix-huit, ni à seize, | |
C'est à dix-sept, | |
Qu'inéluctable est la correspondance de l'express | |
Avec le rapide Bordeaux - Cette) | |
Ah ! la préoccupation de l'horaire, | |
Quand il ferait si bon s'étendre | |
Sur l'herbe tendre ! ... | |
Mais il faut poursuivre sa tâche, | |
En marche ! en marche ! | |
Sans relâche ... | |
Et c'est avec des soupirs de regret | |
Que passe la locomotive au long des prés, | |
Où sont immobiles les vaches, | |
Et songe en regardant les veaux | |
Batifoler près de leur mère, | |
Songe à l'impossible chimère, | |
Et se détourne le coeur gros, | |
Jouir en paix de la nature, | |
Avec une progéniture | |
De petits locomotiveaux ... | |
"Dites-nous quelque chose" | |
Jean NOVEMBRE | |
LA THALASSE | |
La nuit en baie d'Audierne les mâts se prélassent | |
et sur le quai sinistre les nasses entassées | |
ont le sommeil sournois des chats de quartier | |
le marin pêcheur tanguant comme un thonier | |
cogne ses gros sabots sur le dos des pavés | |
à Concarmeau | |
dans la rue Duguay-Trouin un vieux lampadaire | |
somnole dans les brouillards face au bar des Sargasses | |
une ombre un instant sur un trou de lumière : | |
- Salut Jean Marie !! t'as laissé la Thalasse | |
amarrée aux gouleaux ! | |
les rires fusent comme des coups de couteau | |
la porte s'est refermée sur l'homme en caban | |
la nuit se resserre, les sirènes de brume | |
lâchent leurs coups de trompe de Penmarch aux Glénans | |
la Baie des Trépassés est blanche d'écume | |
et les bateaux aveugles n'osent plus avancer. | |
les sirènes de brume ont des sons désolés | |
jusqu'aux phares de Tréboul et de Douarnenez | |
René de OBALDIA | |
J'AI TREMPE MON DOIGT DANS LA CONFITURE | |
LE SECRET | |
J'AI TREMPE MON DOIGT DANS LA CONFITURE | |
J'ai trempé mon doigt dans la confiture | |
Turelure. | |
Ca sentait les abeilles | |
Ca sentait les groseilles | |
Ca sentait le soleil. | |
J'ai trempé mon doigt dans la confiture. | |
Puis je l'ai sucé ! | |
Comme on suce les joues de bonne grande maman | |
Qui n'a plus mal aux dents | |
Et qui parle de fée ... | |
Puis je l'ai sucé | |
Sucé | |
Mais tellement sucé | |
Que je l'ai avalé. | |
LE SECRET | |
Sur le chemin près du bois | |
J'ai trouvé tout un trésor: | |
Une coquille de noix | |
Une sauterelle en or | |
Un arc-en-ciel qui était mort. | |
A personne je n'ai rien dit | |
Dans ma main je les ai pris | |
Et je l'ai tenue fermée | |
Fermée jusqu'à à l'étrangler | |
Du lundi au samedi. | |
Le dimanche je l'ai rouverte | |
Mais il n'y avait plus rien! | |
Et j'ai raconté au chien | |
Couché dans sa niche verte | |
Comme j'avais de chagrin. | |
Il m'a dit sans aboyer: | |
"Cette nuit tu vas rêver" | |
La nuit, il faisait si noir | |
Que j'ai cru à une histoire | |
Et que tout était perdu. | |
Mais d'un seul coup j'ai bien vu | |
Un navire dans le ciel | |
Traîné par une sauterelle | |
Sur des vagues d'arc-en-ciel. | |
"Innocentines" | |
Jean ORIZET | |
LES CROCUS | |
Les crocus éclos sur le pré | |
sont les yeux dorés de la terre | |
guettant la venue du printemps. | |
Bientôt, suivront les primevères | |
les violettes, puis le muguet | |
signe avant - coureur de l' été . | |
Le jeune merle qui piétine | |
cette minuscule forêt | |
s' en soucie comme d' une guigne | |
il préfère les vers bien frais . | |
Charles d' ORLEANS (1391-1465) | |
RONDEAU | |
Le temps a laissé son manteau | |
De vent, de froidure et de pluie, | |
Et s'est vêtu de broderie, | |
De soleil luisant, clair et beau. | |
Il n'y a bête, ni oiseau, | |
Qu'en son jargon ne chante ou crie : | |
Le temps a laissé son manteau ! | |
De vent, de froidure et de pluie. | |
Rivière, fontaine et ruisseau | |
Portent en livrée jolie, | |
Gouttes d'argent, d'orfèvrerie ; | |
Chacun s'habille de nouveau: | |
Le Temps a laissé son manteau. |
Louisa PAULIN | |
L'OISEAU SAUVAGE | |
1ère voix | Ils te prendront, petit oiseau sauvage. |
2ème voix | Père, mon père, je veux voir du pays |
1ère voix | Ils te prendront, petit oiseau sauvage. |
2ème voix | Père, mon père, je reste au bord du nid |
1ère voix | Ils te prendront, petit oiseau sauvage. |
2ème voix | Père, mon père, notre arbre est trop petit |
1ère voix | Ils te prendront, petit oiseau sauvage. |
2ème voix | Père, mon père, je reste au bord du nid |
1ère voix | Ils te prendront, petit oiseau sauvage. |
2ème voix | Père, mon père, je vole près d'ici |
1ère voix | Ils te prendront, petit oiseau sauvage. |
2ème voix | Père, mon père, je vois encore le nid. |
1ère voix | Ils te prendront, petit oiseau sauvage. |
2ème voix | Père, mon père, que le monde est joli ! |
1ère voix | Ils te prendront, petit oiseau sauvage. |
2ème voix | Père, mon père, ô mon père ... ils m'ont pris ! |
Pascal PAUTRAT, Jacqueline SALOUADJI | |
PAUVRES CHAMPIGNONS | |
Quand je vais dans la forêt | |
Je regarde les champignons | |
L' amanite elle a la grippe | |
La coulemelle n' est pas très belle | |
La morille est mangée de ch' nilles | |
Le bolet n' est pas frais, frais, frais | |
La girolle fait un peu la folle | |
La langue de boeuf n' a plus l' foie neuf | |
Le lactaire est très en colère | |
La clavaire çà c' est son affaire | |
Le cêpe de son côté perd la tête | |
Moi, je préfère les champignons d' Paris | |
Eux, au moins, n' ont pas d' maladies | |
"Fête comme nous" | |
Charles PEGUY | |
LA GUERRE | |
CHATEAUX DE LOIRE | |
LA GUERRE | |
Pour un blessé que nous soignons par hasad, pour un enfant à qui nous | |
donnons à manger, la guerre infatigable en fait par centaines, elle, et tous les | |
jours, des blessés, des malades et des abandonnés. Tous nos efforts sont | |
vains ; nos charités sont vaines. La guerre est la plus forte à faire la | |
souffrance. Ah ! maudite soit-elle ! Et maudits ceux qui l'ont apportée sur la | |
terre de France. | |
Nous aurons beau faire, nous aurons beau faire, ils iront toujours plus vite que | |
nous, ils en feront toujours plus que nous, davantage que nous. Il ne faut | |
qu'un briquet pour brûler une ferme. Il faut, il a fallu des années pour la bâtir. | |
Ca n'est pas difficile ; ça n'est pas malin. Il faut des mois et des mois, il a fallu | |
du travail et du travail pour pousser une moisson. Et il ne faut qu'un briquet | |
pour flamber une moisson. Il faut des années et des années pour faire | |
pousser un homme, il a fallu du pain et du pain pour le nourrir, et du travail et | |
du travail et des travaux et des travaux de toutes sortes. Et il suffit d'un coup | |
pour tuer un homme. Un coup de sabre, et ça y est. | |
"Jeanne d'Arc" | |
CHATEAUX DE LOIRE | |
Le long du coteau courbe et des nobles vallées | |
Les châteaux sont semés comme des reposoirs, | |
Et dans la majesté des matins et des soirs | |
La Loire et ses vassaux s'en vont par ces allées. | |
Cent-vingt châteaux lui font une suite courtoise, | |
Plus nombreux, plus nerveux, plus fins que des palais. | |
Ils ont nom Valençay, Saint-Aignan et Langeais, | |
Chenonceaux et Chambord, Azay, le Lude, Amboise. | |
Et moi j'en connais un dans les châteaux de Loire | |
Qui s'élève plus haut que le château de Blois, | |
Plus haut que la terrasse où les derniers Valois | |
Regardaient le soleil se coucher dans sa gloire. | |
La moulure est plus fine et l'arceau plus léger. | |
La dentelle de pierre est plus dure et plus grave. | |
La décence et l'honneur et la nuit qui s'y grave | |
Ont inscrit leur histoire au coeur de ce verger. | |
Et c'est le souvenir laissé sur ces bords | |
Une enfant qui menait son cheval vers le fleuve. | |
Son âme était récente et sa cotte était neuve, | |
Innocente elle allait vers le plus grand des sorts. | |
Car celle qui venait du pays tourangeau, | |
C'était la même enfant qui quelques jours plus tard, | |
Gouvernant d'un seul mot le rustre et le soudard, | |
Descendait devers Meung ou montait vers Jargeau. | |
A. BLANC - PERIDIER | ||
LE PAGE ET LE PERROQUET | ||
récitant | Le page de la reine | |
Le perroquet du roi, | ||
Pleurant à perdre haleine, | ||
Criant à pleine voix | ||
Ont porté leur dispute | ||
Devant le tribunal | ||
Où siégeaient quatre juges | ||
Et quatorze avocats. | ||
le perroquet | Hélas ! Monsieur le Juge, | |
Le récitant | Disait le perroquet | |
Le perroquet | Il m'arracha deux plumes ! | |
le page | Il m'a mordu le nez ! | |
Le perroquet | Il m'a fait la grimace ! | |
le page | Il m'a traité de sot ! | |
Le perroquet | Qu'on l'envoie en disgrâce ! ... | |
le page | Qu'on étrangle Jacko ! | |
Le récitant | Messieurs, faites justice ! | |
le page | Pour moi j'ai le bon droit | |
Punissez la malice | ||
Du méchant Cacatois | ||
J'aviserai la reine | ||
Le perroquet | J'irai me plaindre au roi. | |
le page | Moi je porte la traîne. | |
Le perroquet | Je perche sur son doigt. | |
Le récitant | Sous leur grande perruque, | |
Dans un noir embarras | ||
Le président, les juges | ||
Ne se décidaient pas | ||
un juge | Deux si hauts personnages ! | |
Faut-il les acquitter ? | ||
Faut-il pendre le page ? | ||
Plumer le perroquet ? | ||
Le récitant | La reine jeune et belle | |
Passait à ce moment ; | ||
S'enquit de la querelle | ||
Et sourit gentiment. | ||
Donna deux chiquenaudes | ||
Au page et à l'oiseau | ||
A son page une rose, | ||
Un biscuit à Jacko. | ||
Sur son perchoir, fort sage, | ||
Le perroquet s'endort | ||
Et le page gambade : | ||
Tout le monde est d'accord. | ||
Et la magistrature | ||
S'en va pompeusement | ||
Noter cette aventure | ||
Et ses considérants. | ||
Cécile PERIN | |
AUBE | |
VERGER | |
AUBE | |
Un invisible oiseau dans l'air pur a chanté. | |
Le ciel d'aube est bleu suave et velouté. | |
C'est le premier oiseau qui s'éveille et qui chante. | |
Ecoute! Les jardins sont frémissants d'attente. | |
Ecoute! un autre nid s'éveille, un autre nid, | |
Et c'est un pépiement éperdu qui jaillit. | |
Qui chanta le premier? Nul ne le sait. C'est l'aurore. | |
Comme un abricot mûr le ciel pâli se dore. | |
Qui chanta le premier? Qui importe? On a chanté. | |
Et c'est un beau matin de l'immortel été. | |
"Sansot" | |
VERGER | |
Il n'y a que des fleurs sur les arbres: des fleurs | |
Et le bourdonnement continu des abeilles, | |
Sur le verger d'aurore où danse et s'émerveille | |
La vie. Et le coteau ruisselle de blancheurs. | |
Assez tôt le bourgeon dans l'aube printanière | |
S'entrouvira, petit auvent prudent qui uit | |
Et les feuilles, dont l'ombre sera douce aux fruits, | |
Dilateront leur frisson vert dans la lumière. | |
Assez tôt ce sera le frêle envolement | |
Des pétales rosés dans le vent qui les blesse, | |
Ce sera le destin: l'orgueil et la détresse | |
De mûrir dans l'horreur d'un long effeuillement. | |
"Variations du coeur pensif." | |
Ernest PEROCHON | |
LA CHANSON DU PAUVRE CHASSEUR | |
Il était un petit bonhomme | |
Qui aimait beaucoup à chasser. | |
On le voyait dans la campagne | |
Courant après le gros gibier. | |
Il
avait plus de cent cartouches. | |
Sur
son dos battait un carnier. | |
Il portait une carabine, | |
Mais il n'avait jamais rien tué. | |
Quand il visait dans les nuages, | |
Il tirait toujours à ses pieds. | |
Un
jour qu'il chassait une biche, | |
Il
tua le coq du clocher. | |
Si vous recontrez ce pauvre homme, | |
Mettez - vous bien vite de côté. | |
Il viserait une montagne | |
Et c'est vous qui seriez tué. | |
"Au
point du jour" | |
Carine PETIT | |
LES OISEAUX PERDUS | |
Le matin compte ses oiseaux | |
Et ne retrouve pas son compte . | |
Il manque aujourd' hui trois moineaux | |
Un pinson et quatre colombes . | |
Ils ont volé si haut, les étourdis , | |
Qu' à l' aube, ils n' ont plus retrouvé trace | |
De notre terre dans l' espace . | |
Pourvu qu' une étoile filante | |
Les prenne sur sa queue brillante | |
Et les ramène ! | |
Il fait si doux | |
Quand les oiseaux chantent pour nous . | |
Francis PONGE | |
LE CAGEOT | |
A mi-chemin de la cage au cachot la langue française a cageot, simple | |
caissette à claire-voie vouée au transport de ces fruits qui de la moindre | |
suffocation font à coup sûr une maladie. | |
Agencé de façon qu' au terme de son usage il puisse être brisé sans effort, il | |
ne sert pas deux fois. Ainsi dure-t-il moins encore que les denrées fondantes | |
nuageuses qu' il enferme. | |
A tous les coins des rues qui aboutissent aux halles, il bruit alors de l' éclat | |
sans vanité du bois blanc. Tout neuf encore, et légèrement ahuri d'être dans | |
une pose maladroite à la voirie jeté sans retour, cet objet est en somme des | |
plus sympathiques, - sur le sort duquel il convient toutefois de ne s'appesantir | |
longuement. | |
"Le parti pris des choses." | |
Editions Gallimard |
J.J. PORCHAT | |
LE PERE ET L'ENFANT | |
l'enfant | Père, apprenez-moi, je vous prie, |
Ce qu'on trouve après le coteau | |
Qui borne à mes yeux la prairie ? | |
le père | On trouve un espace nouveau : |
Comme ici, des bois, des campagnes, | |
Des hameaux, enfin des montagnes. | |
l'enfant | Et plus loin ? |
le père | D'autres monts encore. |
l'enfant | Après ces monts ? |
le père | Un autre bord. |
l'enfant | Et puis ? |
le père | On avance, on avance, |
Et l'on va si loin, mon petit, | |
Si loin, toujours faisant sa ronde, | |
Qu'on trouve enfin le bout du monde ... | |
Au même lieu d'où l'on partit. |
Christian POSLANIEC | |
CARMAGNOLE | |
Je voudrais bien te dire | |
Mon enfant d' aujourd' hui | |
Que j' ai peur de tes jouets | |
Qui marchent, télévirent | |
Et crachent des boulets. | |
Je crains qu' un jour, bientôt, | |
Tes autos jouent sans toi, | |
Tes poupées s' amusent entre elles. | |
Et tu resteras là | |
Dans un coin, le coeur gros, | |
A les regarder jouer | |
Electriques et glacés. | |
Et puis tu rouilleras | |
Comme un jouet d' autrefois | |
Longtemps abandonné, | |
Le ressort cassé | |
Le coeur froid. | |
"fleurs de carmagnole" | |
Edition : Saint Germain des Prés | |
Henri POURRAT | |
LE VENT DE LA MONTAGNE | |
Le vent qui souffle à travers la montagne | |
Me rendra fou. | |
Je veux partir, je veux prendre la porte, | |
Je veux aller | |
Là où le vent n'a plus de feuilles mortes | |
A râteler | |
Plus haut que l'ombre aux vieilles salles basses | |
Où le feu roux | |
Pour la veillée éclaire des mains lasses | |
Sur les genoux; | |
Aller plus haut que le col et l'auberge | |
Que ces cantons | |
Où la pastoure à la cape de serge | |
Paît ses moutons; | |
Que les sentiers où chargés de deux bannes | |
Sous les fayards | |
Le mulet grimpe au gris des feux de fanes | |
Faisant brouillard. | |
Ce vent me prend, me pousse par l'épaule, | |
Me met dehors, | |
La tête en l'air, le coeur à la renvole, | |
Le diable au corps. | |
Il faut partir et prendre la campagne | |
En loup-garou: | |
Le vent qui souffle à travers la montagne | |
M'a rendu fou. | |
" Le vent de la montagne " | |
" Liberté " |
Jacques PREVERT | |
EN SORTANT DE L'ECOLE | |
CHANSON DES ESCARGOTS QUI VONT A L'ENTERREMENT | |
PAGE D'ECRITURE | |
FLEURS ET COURONNES | |
POUR FAIRE LE PORTRAIT D'UN OISEAU | |
TANT DE FORETS | |
SOYEZ POLIS | |
LE CANCRE | |
DEJEUNER DU MATIN | |
L'ACCENT GRAVE | |
L'ADDITION | |
NOEL DE RAMASSEURS DE NEIGE | |
QUAND LA VIE | |
LE PETIT GARCON ET LA LUNE | |
CORTEGE | |
EN SORTANT DE L'ECOLE | |
En sortant de l'école, | |
Nous avons rencontré | |
Un grand chemin de fer | |
Qui nous a emmenés | |
Tout autour de la terre, | |
Dans un wagon doré, | |
Tout autour de la terre, | |
Nous avons rencontré | |
La mer qui se promenait | |
Avec tous ses coquillages | |
Ses îles parfumées | |
Et puis ses beaux naufrages | |
Et ses saumons fumés. | |
Au-dessus de la mer | |
Nous avons rencontré | |
La lune et les étoiles | |
Sur un bateau à voiles | |
Partant pour le Japon. | |
Et les trois mousquetaires, | |
Des cinq doigts de la main | |
Tournant la manivelle | |
D'un petit sous-marin | |
Plongeant au fond des mers | |
Pour chercher des oursins. | |
Revenant sur la terre, | |
Nous avons rencontré, | |
Sur la voie du chemin de fer, | |
Une maison qui fuyait, | |
Fuyait tout autour de la terre, | |
Fuyait tout autour de la mer, | |
Fuyait devant l'hiver | |
Qui voulait l'attraper, | |
Mais nous, sur notre chemin de fer, | |
On s'est mis à rouler, | |
Rouler derrière l'hiver | |
Et on l'a écrasé. | |
Et la maison s'est arrêtée, | |
Et le printemps nous a salués. | |
C'était lui le garde-barrière | |
Et il nous a bien remerciés, | |
Et toutes les fleurs de toute la terre | |
Soudain, se sont mises à pousser, | |
Pousser à tort et à travers, | |
Sur la voie du chemin de fer | |
Qui ne voulait plus avancer | |
De peur de les abîmer. | |
Alors on est revenu à pied, | |
A pied, | |
Tout autour de la terre, | |
A pied, | |
Tout autour de la mer, | |
Tout autour du soleil, | |
De la lune et des étoiles, | |
A pied, à cheval, en voiture et en bateau à voiles. | |
CHANSON DES ESCARGOTS QUI VONT A L'ENTERREMENT | |
A l'enterrement d'une feuille morte | |
Deux escargots s'en vont | |
Ils ont la coquille noire | |
Du crêpe autour des cornes | |
Ils s'en vont dans le noir | |
Un très beau soir d'automne | |
Hélas quand ils arrivent | |
C'est déjà le printemps | |
Les feuilles qui étaient mortes | |
Sont toutes ressuscitées | |
Et les deux escargots | |
Sont très désappointés | |
Mais voilà le soleil | |
Le soleil qui leur dit | |
Prenez prenez la peine | |
La peine de vous asseoir | |
Prenez un verre de bière | |
Si le coeur vous en dit | |
Prenez si ça vous plaît | |
L'autocar pour Paris. | |
Il partira ce soir | |
Vous verrez du pays | |
Mais ne prenez pas le deuil | |
C'est moi qui vous le dis | |
Ca noircit le blanc de l'oeil | |
Et puis ça enlaidit | |
Les histoires de cercueils | |
C'est triste et pas joli | |
Reprenez vos couleurs | |
Les couleurs de la vie | |
Alors toutes les bêtes | |
Les arbres et les plantes | |
Se mettent à chanter | |
A chanter à tue-tête | |
La vraie chanson vivante | |
La chanson de l'été | |
Et tout le monde de boire | |
Tout le monde de trinquer | |
C'est un très joli soir | |
Un joli soir d'été | |
Et les deux escargots | |
S'en retournent chez eux | |
Ils s'en vont très émus | |
Ils s'en vont très heureux | |
Comme ils ont beaucoup bu | |
Ils titubent un p'tit peu | |
Mais là-haut dans le ciel | |
La lune veille sur eux. | |
"Paroles" | |
PAGE D'ECRITURE | |
Deux et deux quatre | |
quatre et quatre huit | |
huit et huit font seize. | |
Répéter ! dit le maître | |
Deux et deux quatre | |
quatre et quatre huit | |
huit et huit font seize. | |
Mais voilà l'oiseau lyre | |
qui passe dans le ciel | |
l'enfant le voit | |
l'enfant l'entend | |
l'enfant l'appelle | |
Sauve-moi | |
joue avec moi | |
oiseau ! | |
Alors l'oiseau descend | |
et joue avec l'enfant | |
Deux et deux quatre... | |
Répétez ! dit le maître | |
et l'enfant joue | |
l'oiseau joue avec lui... | |
Quatre et quatre huit | |
et huit et huit font seize | |
seize et seize qu'est-ce qu'ils font ? | |
Ils ne font rien seize et seize | |
et surtout pas trente deux | |
de toute façon | |
et ils s'en vont. | |
Et l'enfant a caché l'oiseau | |
dans son pupitre | |
et tous les enfants entendent sa chanson | |
et tous les enfants entendent la musique | |
et huit et huit à leur tour s'en vont | |
et quatre et quatre et deux et deux | |
à leur tour fichent le camp | |
et un et un ne font ni une ni deux | |
un et un s'en vont également. | |
Et l'oiseau lyre joue | |
et l'enfant chante | |
et le professeur crie : | |
Quand vous aurez fini de faire le pitre ! | |
Mais tous les autres enfants | |
écoutent la musique | |
et les murs de la classe | |
s'écroulent tranquillement. | |
Et les vitres redeviennent sable | |
l'encre redevient eau | |
les pupitres redeviennent arbres | |
la craie redevient falaise | |
le porte-plume redevient oiseau. | |
"Paroles" | |
FLEURS ET COURONNES | |
Homme | |
Tu as regardé la plus triste la plus morne de toutes | |
Les fleurs de la terre | |
Et comme aux autres fleurs tu lui as donné un nom | |
Tu l'as appelée Pensée. | |
Pensée. | |
C'était comme on dit bien observé | |
Bien pensé. | |
Et ces sales fleurs qui ne vivent et ne se fanent jamais | |
Tu les as appelées immortelles... | |
C'était bien fait pour elles... | |
Mais le lilas, tu l'as appelé Lilas | |
Lilas c'était tout à fait ça | |
Lilas... Lilas... | |
Aux marguerites tu as donné un nom de femme | |
Ou bien aux femmes tu as donné un nom de fleur. | |
C'est pareil. | |
L'essentiel c'était que ce soit joli | |
Que ça fasse plaisir... | |
Enfin tu as donné les noms simples à toutes les fleurs simples. | |
Et la plus grande la plus belle | |
Celle qui pousse toute droite sur le fumier de la misère | |
Celle qui se dresse à côté des vieux ressorts rouillés | |
A côté des vieux chiens mouillés | |
A côté des vieux matelas éventrés | |
A côté des baraques en planches où vivent les sous-alimentés | |
Cette fleur tellement vivante | |
Toute jaune toute brillante | |
Celle que les savants appellent Héliante | |
Toi tu l'as appelée Soleil. | |
...Soleil... | |
Hélas ! hélas hélas et beaucoup de fois hélas ! | |
Qui regarde le soleil hein ? | |
Qui regarde le soleil | |
Personne ne regarde plus le soleil | |
Les hommes sont devenus ce qu'ils sont devenus | |
Des hommes intelligents... | |
POUR FAIRE LE PORTRAIT D'UN OISEAU | |
Peindre d'abord une cage | |
avec une porte ouverte | |
peindre ensuite | |
quelque chose de joli | |
quelque chose de simple | |
quelque chose de beau | |
quelque chose d'utile | |
pour l'oiseau | |
placer ensuite la toile contre un arbre | |
dans un jardin | |
dans un bois | |
ou dans une forêt | |
se cacher derrière l'arbre | |
sans rien dire | |
sans bouger... | |
Parfois l'oiseau arrive vite | |
mais il peut aussi bien mettre de longues années | |
avant de se décider | |
Ne pas se décourager | |
attendre | |
attendre s'il le faut pendant des années | |
La vitesse ou la lenteur de l'arrivée de l'oiseau | |
n'ayant aucun rapport | |
avec la réussite du tableau | |
... Quand l'oiseau arrive | |
s'il arrive | |
observer le plus profond silence | |
attendre que l'oiseau entre dans la cage | |
et quand il est entré | |
fermer doucement la porte avec le pinceau | |
puis | |
effacer un à un tous les barreaux | |
en ayant soin de ne toucher aucune des plumes de l'oiseau | |
Faire ensuite le portrait de l'arbre | |
en choisissant la plus belle de ses branches | |
pour l'oiseau | |
peindre aussi le vert feuillage et la fraîcheur du vent | |
la poussière du soleil | |
et le bruit des bêtes de l'herbe dans la chaleur de l'été | |
et puis attendre que l'oiseau se décide à chanter | |
Si l'oiseau ne chante pas | |
C'est mauvais signe | |
signe que le tableau est mauvais | |
mais s'il chante c'est bon signe | |
signe que vous pouvez signer | |
alors vous arrachez tout doucement | |
une des plumes de l'oiseau | |
et vous écrivez votre nom dans un coin du tableau. | |
"Paroles" | |
TANT DE FORETS | |
Tant de forêts arrachées à la terre | |
et massacrées | |
achevées | |
rotativées | |
Tant de forêts sacrifiées pour la pâte à papier | |
des milliards de journaux attirant annuellement | |
l'attention des lecteurs sur les dangers du | |
déboisement des bois et des forêts. | |
"La pluie et le beau temps" | |
SOYEZ POLIS | |
Il faut être très poli avec la terre | |
Et avec le soleil | |
Il faut les remercier le matin en se réveillant | |
Il faut les remercier | |
Pour la chaleur | |
Pour les arbres | |
Pour les fruits | |
Pour tout ce qui est bon à manger | |
Pour tout ce qui est beau à regarder | |
A toucher | |
Il faut les remercier | |
Il ne faut pas les embêter...les critiquer | |
Ils savent ce qu'ils ont à faire | |
Le soleil et la terre | |
Alors il faut les laisser faire. | |
Ou bien, ils sont capables de se fâcher | |
Et puis après | |
On est changé | |
En courge | |
En melon d'eau | |
Ou en pierre à briquet | |
Et on est bien avancé... | |
Le soleil est amoureux de la terre | |
La terre est amoureuse du soleil | |
Ca les regarde | |
C'est leur affaire | |
Et quand il y a des éclipses | |
Il n'est pas prudent ni discret de les regarder | |
Au travers de sales petits morceaux de verre fumé | |
Ils se disputent | |
C'est des histoires personnelles | |
Mieux vaut ne pas s'en mêler... | |
Parce que | |
Si on s'en mêle on risque d'être changé | |
En pomme de terre gelée | |
Ou en fer à friser. | |
Le soleil aime la terre | |
C'est comme ça | |
En somme pour résumer | |
Deux points, ouvrez les guillemets : | |
"Il faut que tout le monde soit poli, ou alors il y a des guerres ... des | |
épidémies, des tremblements de terre, des paquets de mer, des coups de fusil | |
Et de grosses méchantes fourmis rouges qui viennent vous dévorer les pieds | |
pendant qu'on dort la nuit". | |
" Histoires " | |
LE CANCRE | |
Il dit non avec la tête | |
mais il dit oui avec le coeur | |
il dit oui à ce qu'il aime | |
il dit non au professeur | |
il est debout | |
on le questionne | |
et tous les problèmes sont posés | |
soudain le fou rire le prend | |
et il efface tout | |
les chiffres et les mots | |
les dates et les noms | |
les phrases et les pièges | |
et malgré les menaces du maître | |
sous les huées des enfants prodiges | |
avec des craies de toutes les couleurs | |
sur le tableau noir du malheur | |
il dessine le visage du bonheur. | |
" Paroles " | |
DEJEUNER DU MATIN | |
Il a mis le café | |
Dans la tasse | |
Il a mis le lait | |
Dans la tasse de café | |
Il a mis le sucre | |
Dans le café au lait | |
Avec la petite cuiller | |
Il a tourné | |
Il a bu le café au lait | |
Et il a reposé la tasse | |
Sans me parler | |
Il a allumé | |
Une cigarette | |
Il a fait des ronds | |
Avec la fumée | |
Il a mis les cendres | |
Dans le cendrier | |
Sans me parler | |
Sans me regarder | |
Il s'est levé | |
Il a mis | |
Son chapeau sur sa tête | |
Il a mis son manteau de pluie | |
Parce qu'il pleuvait | |
Et il est parti | |
Sous la pluie | |
Sans une parole | |
Sans me regarder | |
Et moi j'ai pris | |
Ma tête dans ma main | |
Et j'ai pleuré. | |
" Paroles " | |
L'ACCENT GRAVE | |
LE PROFESSEUR | |
Elève Hamlet ! | |
L'ELEVE
HAMLET | |
(sursautant)
| |
... Hein... Quoi... Pardon... Qu'est-ce qui se passe... Qu'est-ce qu'il y a... | |
Qu'est-ce-que c'est ? | |
LE PROFESSEUR | |
(mécontent) | |
Vous ne pouvez pas répondre "présent" comme tout le monde ? Pas | |
possible, vous êtes encore dans les nuages. | |
L'ELEVE HAMLET | |
Etre ou ne pas être dans les nuages ! | |
LE PROFESSEUR | |
Suffit. Pas tant de manières. Et conjuguez-moi le verbe être, comme tout le | |
monde, c'est tout ce que je vous demande. | |
L'ELEVE HAMLET | |
To be... | |
LE PROFESSEUR | |
En Français, s'il vous plaît, comme tout le monde. | |
L'ELEVE HAMLET | |
Bien Monsieur. (Il conjugue :) | |
Je suis ou je ne suis pas | |
Tu es ou tu n'es pas | |
Il est ou il n'est pas | |
Nous sommes ou nous ne sommes pas... | |
LE PROFESSEUR | |
(excessivement mécontent) | |
Mais c'est vous qui n'y êtes pas, mon pauvre ami ! | |
L'ELEVE HAMLET | |
C'est exact, monsieur le Professeur, | |
Je suis "où" je ne suis pas | |
Et, dans le fond, hein, à la réflexion, | |
Etre "où" ne pas être | |
C'est peut-être aussi la question. | |
"Recueil" | |
Edition : Gallimard | |
L'ADDITION | |
LE CLIENT | |
Garçon, l'addition ! | |
LE GARCON | |
Voilà (il sort son crayon et note). Vous avez... deux oeufs durs, | |
un veau, un petit pois, une asperge, un fromage avec beurre, | |
une amande verte, un café filtre, un téléphone. | |
LE CLIENT | |
Et puis des cigarettes ! | |
LE GARCON | |
(il commence à compter) | |
C'est ça même... des cigarettes... | |
... Alors ça fait | |
LE CLIENT | |
N'insistez pas mon ami, c'est inutile, vous ne réussirez jamais. | |
LE GARCON | |
! ! ! | |
LE CLIENT | |
On ne vous a donc pas appris à l'école que c'est ma-thé-ma-ti- | |
-quement impossible d'additionner des choses d'espèces différentes ! | |
LE GARCON | |
! ! ! | |
LE CLIENT | |
(élevant la voix) | |
Enfin, tout de même, de qui se moque-t-on ?... Il faut réellement | |
être insensé pour oser essayer de tenter d"additionner" un veau | |
avec des cigarettes, des cigarettes avec un café filtre, un café | |
filtre avec une amande verte et des oeufs durs avec des petits | |
pois, des petits pois avec un téléphone... Pourquoi pas un petit | |
pois avec un grand officier de la Légion d'honneur, pendant que | |
vous y êtes (il se lève). | |
Non, mon ami, croyez-moi, n'insistez pas, ne vous fatiguez pas, | |
ça ne donnerait rien, vous entendez, rien, absolument rien, | |
pas même un pourboire ! | |
(Et il sort en emportant le rond de serviette à titre gracieux). | |
"Histoires" | |
Editions Gallimard | |
NOEL DE RAMASSEURS DE NEIGE | |
(Quand elle tombe à Noël) | |
Nos cheminées sont vides | |
nos poches retournées | |
ohé ohé ohé | |
nos cheminées sont vides | |
nos souliers sont percés | |
ohé ohé ohé | |
et nos enfants livides | |
dansent devant nos buffets | |
ohé ohé ohé | |
Et pourtant c'est Noël | |
Noël qu'il faut fêter | |
Fêtons fêtons Noël | |
ça se fait chaque année | |
Ohé la vie est belle | |
Ohé joyeux Noël | |
Mais v'là la neige qui tombe | |
qui tombe de tout en haut | |
Elle va se faire mal | |
en tombant de si haut | |
ohé ohé ohé | |
Pauvre neige nouvelle | |
courons courons vers elle | |
courons avec nos pelles | |
courons la ramasser | |
puisque c'est notre métier | |
ohé ohé ohé | |
Jolie neige nouvelle | |
toi qu'arrives du ciel | |
dis-nous dis -nous la belle | |
ohé ohé ohé | |
Quand est ce qu'à Noël | |
Tomberont de là-haut | |
des dindes de Noël | |
avec leurs dindonneaux | |
ohé ohé ého | |
( La plume et le beau temps ) | |
QUAND LA VIE | |
Quand la vie est un collier | |
chaque jour est une perle | |
Quand la vie est une cage | |
chaque jour est une larme | |
Quand la vie est une forêt | |
chaque jour est un arbre | |
Quand la vie est un arbre | |
chaque jour est une branche | |
Quand la vie est une branche | |
chaque jour est une feuille | |
Quand la vie c'est la mer | |
chaque jour est une vague | |
chaque vague est une plainte | |
une chanson un frisson. | |
"Fatras" | |
Edition : Gallimard | |
LE PETIT GARCON ET LA LUNE | |
Laissez-moi m'endormir sans berceuse, laissez-moi retourner sur la lune. Je | |
reviendrai demain matin et même pour aller plus vite je prendrai un aérolithe. | |
- Qui est-ce que c'est? | |
- Des petits astres qui font le taxi. | |
- Ca doit coûter des prix astronomiques? | |
- Non. | |
C'est comme le téléphérique qui roule sur la voie lactée: | |
on peut monter, descendre en marche, on ne paie jamais, ça n'a pas de prix. | |
- Mais on risque de se faire mal! | |
- Non, là-bas, on rebondit! | |
Oh! Laissez-moi m'en aller de la nuit. | |
Laissez-moi retourner sur la lune. | |
Le soleil va m'accompagner, car j'ai en froid toute la journée | |
- L'école n'était pas chauffée? | |
- Un petit peu et même presque pas, mais j'ai en surtout froid dans la tête | |
parce que je m'ennuyais beaucoup. Il y avait du calcul mental et des guerres | |
de religion. J'aime bien mieux le quatorze juillet | |
Quand on ouvre tout grand les prisons | |
Et quand le Génie de la Bastille | |
Met la lumière dans les lampions ... | |
" L'opéra de la Lune " | |
CORTEGE | |
Un vieillard en or avec une montre deuil | |
Une reine de peine avec un homme d'Angleterre | |
Et des travailleurs de la paix avec des gardiens de la mer | |
Un hussard de la farce avec un dindon de la mort | |
Un serpent à café avec un moulin à lunettes | |
Un chasseur de corde avec un danseur de tête | |
Un maréchal d' écume avec une pipe en retraite | |
Un chiard en habit noir avec un gentleman au maillot | |
Un compositeur de potence avec un gibier de musique | |
Un ramasseur de conscience avec un directeur de mégots | |
Un repasseur de Coligny avec un amiral de ciseaux | |
Une petite soeur du Bengale avec un tigre de Saint Vincent de Paul | |
Un professeur de porcelaine avec un raccommodeur de philosophie | |
Un contrôleur de la Table Ronde avec des chevaliers de la Compagnie du | |
Gaz de Paris. | |
un canard à Saint Hélène avec un Napoléon à l' orange | |
Un conservateur de Samothrace avec une Victoire de cimetière | |
Un remorqueur de famille nombreuse avec un père de haute mer | |
Un membre de la prostate avec une hypertrophie de l' Académie française | |
Un gros cheval in partibus avec un grand évêque du cirque | |
Un contrôleur à la croix de bois avec un petit chanteur d' autobus | |
Un chirurgien terrible avec un enfant dentiste | |
Et le général des huîtres avec un ouvreur des jésuites | |
"Paroles" | |
Edition : Gallimard | |
Xavier PRIVAS | |
LA RONDE DES OISEAUX | |
L'oiseau vert vient de passer, | |
Vole, vole, | |
Bel oiseau vole, | |
L'oiseau vert vient de passer; | |
Nous irons après l'école | |
Nous irons en bande folle | |
Dans les chemins verts, danser; | |
Vole, vole, | |
Bel oiseau, vole, | |
Le printemps va commencer ! | |
L'oiseau bleu vient de passer, | |
Vole, vole, | |
Bel oiseau vole, | |
L'oiseau bleu vient de passer; | |
Nous irons après l'école, | |
Nous irons en bande folle | |
Dans les chemins bleus, danser, | |
Vole, vole, | |
Bel oiseau, vole, | |
Car l'été va commencer ! | |
L'oiseau gris vient de passer, | |
Vole, vole, | |
Bel oiseau vole, | |
L'oiseau gris vient de passer; | |
Nous irons après l'école, | |
Nous irons en bande folle | |
Dans les chemins gris, danser; | |
Vole, vole, | |
Bel oiseau, vole, | |
L'automne va commencer! | |
L'oiseau blanc vient de passer, | |
Vole, vole, | |
Bel oiseau vole, | |
L'oiseau blanc vient de passer; | |
Nous irons après l'école | |
Nous irons en bande folle | |
Dans les chemins blancs, glisser; | |
Vole, vole, | |
Bel oiseau vole, | |
Car l'hiver va commencer. | |
"Chantez, Petits!" | |
Henri QUEFFELEC | |
NOSTALGIE BRETONNE | |
Qui me rendra la lande effritée | |
cachée dans la dune, | |
la fumée des goémons faisant brume, | |
et le vent | |
le vent? | |
Les vergers et la lande, | |
les flots, les îles, tous les talus | |
et tous les caps, | |
les chevaux galopant les grèves, | |
et le vent | |
le vent? | |
qui me rendra la mouche qui monologue, | |
le tictac du cadran, | |
la porte basse et | |
l'enfant qui chante, | |
et le vent | |
le vent? | |
" Solitudes " | |
Raymond QUENEAU | |
LA LECON DE CHOSES. | |
LA CIMAISE ET LA FRACTION | |
LA LECON DE CHOSES. | |
Venez, poussins, | |
asseyez-vous | |
je vais vous instruire | |
sur l'oeuf | |
dont tous | |
vous venez, poussins | |
L'oeuf est rond | |
mais pas tout à fait | |
Il serait plutôt | |
ovoïde | |
avec une carapace | |
Et vous en sortez tous, poussins | |
Il est blanc | |
pour votre race | |
crème ou même orangé | |
avec parfois collé | |
un brin de paille | |
mais ça | |
c'est un supplément | |
............................ | |
A l'intérieur il y a | |
Mais pour y voir | |
faut le casser | |
et alors d'où - vous poussins - sortiriez? | |
"Le chien à la mandoline" | |
LA CIMAISE ET LA FRACTION | |
La cimaise ayant chaponné tout l'éternueur | |
Se tuba fort dépurative quand la bixacée fut verdie : | |
Pas un sexué pétrographique morio de mouffette ou de verrat. | |
Elle alla crocher frange | |
Chez la fraction sa volcanique | |
La processionnant de lui primer | |
Quelque gramen pour succomber | |
Jusqu'à la salanque nucléaire. | |
" Je vous peinerai, lui discorda-t-elle, | |
Avant l'apanage, folâtrerie d'Annamite! | |
Interlocutoire et priodonte." | |
La fraction n'est pas prévisible : | |
C'est là son moléculaire défi. | |
" Que ferriez-vous au tendon cher? | |
Discorda-t-elle à cette énarthrose. | |
- Nuncupation et joyau à tout vendeur, | |
Je chaponnais, ne vous déploie. | |
- Vous chaponniez? J'en suis fort alarmante. | |
Eh bien! débagoulez maintenant | |
(Queneau a remplacé chaque adjectif, chaque nom et chaque verbe du texte de | |
La FONTAINE par le septième de son espèce tel qu'il se trouve dans un dictionnaire) | |
"Oulipo, la littérature potentielle." | |
les éditions ouvrières | |
Charles-Ferdinand RAMUZ | |
CHALEUR | |
LE PAYS | |
CHALEUR | |
L'ombre du tilleul tourne dans la cour. | |
La fontaine fait un bruit de tambour. | |
Un oiseau s'envole du poirier ; le mur | |
brûle ; sur le toit brun et rouge, | |
La fumée d'un feu de bois bouge | |
contre le ciel tellement bleu qu'il est obscur. | |
On n'entend pas un bruit dans les champs ; | |
personne n'est en vue la route ; | |
seules dans les poulaillers, les poules | |
gloussent encore, de temps en temps. | |
Puis plus rien qu'un arbre qui penche, | |
dans l'opacité de ses branches, | |
avec son ombre de côté, | |
comme sous un poids qui l'accable ; | |
et cet autre se laisse aller | |
en avant, comme un dormeur | |
qui a les coudes sur la table. | |
"Le petit village." | |
LE PAYS | |
C'est un petit pays qui se cache parmi | |
ses bois et ses collines ; | |
il est paisible, il va sa vie | |
sans se presser sous ses noyers ; | |
il a de beaux vergers et de beaux champs de blé, | |
des champs de trèfle et de luzerne, | |
roses et jaunes dans les prés, | |
par grands carrés mal arrangés ; | |
il monte vers les bois, il s'abandonne aux pentes | |
vers les vallons étroits où coulent des ruisseaux | |
et, la nuit, leurs musiques d'eau | |
semblent agrandir encore le silence. | |
Son ciel et dans les yeux de ses femmes, | |
la voix des fontaines dans leur voix ; | |
on garde de sa terre aux gros souliers qu' on a | |
pour s' en aller dans la campagne ; | |
on s'égare aux sentiers qui ne vont nulle part | |
et d'où le lac paraît, la montagne, les neiges | |
et le miroitement des vagues ; | |
et, quand on s'en revient, le village est blotti | |
autour de son église, | |
parmi l'espace d'ombre ou hésite et retombe | |
la cloche inquiète du couvre-feu. | |
"Le petit village" | |
Henri de REGNIER | |
ODELETTE 1 | |
J'ENTENDS LA MER ... | |
ODELETTE 1 | |
Un petit roseau m'a suffi | |
Pour faire frémir l'herbe haute | |
Et tout le pré | |
Et les doux saules | |
Et le ruisseau qui chante aussi ; | |
Un petit roseau m'a suffi | |
A faire chanter la forêt. | |
Ceux qui passent l'ont entendu | |
Au fond du soir, en leurs pensées, | |
Dans le silence et dans le vent, | |
Clair ou perdu, | |
Proche ou lointain ... | |
Ceux qui passent, en leurs pensées, | |
En écoutant, au fond d'eux-mêmes | |
L'entendront encore et l'entendent | |
Toujours qui chante. | |
Il m'a suffi | |
De ce petit roseau cueilli | |
A la fontaine où vint l'Amour | |
Mirer, un jour, | |
Sa face grave | |
Et qui pleurait, | |
Pour faire pleurer ceux qui passent | |
Et trembler l'herbe et frémir l'eau ; | |
Et j'ai, du souffle d'un roseau, | |
Fait chanter toute la forêt. | |
"Les jeux rustiques et divins" | |
Mercure de France | |
J'ENTENDS LA MER ... | |
J'entends la mer | |
Murmurer au loin, quand le vent | |
Entre les pins, souvent, | |
Porte son bruit rauque et amer | |
Qui s'assourdit, roucoule ou siffle, à travers | |
Les pins rouges sur le ciel clair ... | |
Parfois | |
Sa sinueuse, sa souple voix | |
Semble ramper à l'oreille, puis recule | |
Plus basse au fond du crépuscule | |
Et puis se tait pendant des jours | |
Comme endormie | |
Avec le vent | |
Et je l'oublie... | |
Mais un matin elle reprend | |
Avec la houle et la marée, | |
Plus haute, plus désespérée, | |
Et je l'entends. | |
C'est un bruit d'eau qui souffre et gronde et se lamente | |
Derrière les arbres sans qu'on la voie... | |
" Les médailles d'argent " | |
Jules RENARD | |
LE COCHON | |
LA POULE | |
LE COCHON | |
Grognon, mais familier comme si nous t'avions gardé ensemble, tu fourres le | |
nez partout et tu marches autant avec lui qu'avec les pattes. | |
Tu caches sous tes oreilles en feuilles de betterave tes petits cassis. | |
Tu es ventru comme une groseille à maquereau. | |
Tu as de longs poils comme elle, comme elle la peau claire et une courte | |
queue bouclée. | |
Et les méchants t'appellent : "Sale cochon !" | |
Ils disent que si rien ne te dégoûte, tu dégoûtes tout le monde et que tu | |
n'aimes que l'eau de vaisselle grasse. | |
Mais ils te calomnient. | |
Qu'ils te débarbouillent et tu auras bonne mine. Tu te négliges par leur faute. | |
Comme on fait ton lit, tu te couches, et la malpropreté n'est que ta seconde | |
nature. | |
LA POULE | |
Pattes jointes, elle saute du poulailler, dès qu'on lui ouvre la porte. | |
C'est une poule commune, modestement parée et qui ne pond jamais d'oeufs | |
d'or. | |
Eblouie de lumière, elle fait quelques pas, indécise, dans la cour. | |
Elle voit d'abord le tas de cendres où, chaque matin, elle a coutume de | |
s'ébattre. | |
Elle s'y roule, s'y trempe, et, d'une vive agitation d'ailes, les plumes gonflées, | |
elle secoue ses puces de la nuit. | |
Puis elle va boire au plat creux que la dernière averse a rempli. | |
Elle ne boit que de l'eau. | |
Elle boit par petits coups et dresse le col, en équilibre sur le bord du plat. | |
Ensuite elle cherche sa nourriture éparse. | |
Les fines herbes sont à elles, et les insectes et les graines perdues. | |
Elle pique, elle pique, infatigable. | |
De temps en temps, elle s'arrête. | |
Droite, sous son bonnet phrygien, l'oeil vif, le jabot avantageux, elle écoute de | |
l'une et de l'autre oreille. Et sûre qu'il n'y a rien de neuf, elle se remet en | |
quête! Elle lève haut ses pattes raides, comme ceux qui ont la goutte. Elle | |
écarte les doigts et les pose avec précaution, sans bruit. | |
On dirait qu'elle marche pieds nus. | |
Werner RENFER | |
D' UNE PIERRE ON PEUT FAIRE UN POEME | |
D' une pierre on peut faire un poème , | |
le rire s' y mêle aux larmes et rien ne dure | |
que la durée qu'il faut pour changer | |
et pour rester pareil à soi - même. | |
La musique des fanfares ne m' émeut plus, | |
mais la foule des passants me touche toujours , | |
j' aime les voix perdues au fond des cascades du jour , | |
et le flot sans nombre des pas qui martèlent les rues | |
dans le dédale des solitudes. | |
D' une larme, d' une rire on peut faire un poème , | |
et la pierre s' y mêle au long des sanglots. | |
Le bûcheron qui fait des trous dans la forêt, | |
avec sa hache étincelante dans les arbres | |
fait retentir comme une cloche dans ma vie, | |
et la plainte infinie qui s' échappe de l' aurore | |
mêle à mon sang le parfum des sèves fraîches. | |
d' une pierre on peut faire un poème, | |
d' une simple pierre au bord du chemin ; | |
et tout ce que j' aime y est pour toujours vivant | |
comme un poème. | |
"La beauté du monde" | |
Raymond RICHARD | |
FEUILLES MORTES | |
Ce matin devant ma porte, | |
J'ai trouvé trois feuilles mortes. | |
La première aux tons de sang | |
M'a dit bonjour en passant | |
Puis au vent s'en est allée. | |
La seconde dans l'allée, | |
Au creux d'une flaque d'eau | |
A sombré comme un bateau. | |
La troisième couleur d'ambre | |
Quand l'hiver sera venu, | |
Quand les arbres seront nus, | |
Cette feuille desséchée, | |
Contre le mur accrochée | |
Me parlera des beaux jours | |
Dont j'attends le gai retour. | |
" A petits pas " | |
Jean RICHEPIN | |
OISEAUX DE MER | |
LA PLAINTE DU BOIS | |
LA MARCHE SOUS LA PLUIE | |
LA NEIGE TOMBE | |
OISEAUX DE MER | |
Mouettes, gris et goélands | |
Mêlent leurs cris et leurs élans. | |
Leur vol fou qui passe et repasse | |
Tend comme un filet dans l'espace. | |
Mouettes, goélands et gris | |
Mêlent leurs élans et leurs cris. | |
Holà ! ho ! du coeur à l'ouvrage ! | |
La mer grossit. Proche est l'orage. | |
Mouettes, goélands et gris | |
Mêlent leurs élans et leurs cris. | |
" La mer " | |
LA PLAINTE DU BOIS | |
Dans l'âtre flamboyant le feu siffle et détone; | |
Et le vieux bois gémit d'une voix monotone. | |
Il dit qu'il était né pour vivre dans l'air pur, | |
Pour se nourrir de terre et s'abreuver d'azur, | |
Pour grandir lentement et pousser chaque année | |
Plus haut, toujours plus haut sa tête couronnée, | |
Pour parfumer Avril de ses grappes de fleurs, | |
Pour abriter les nids et les oiseaux siffleurs, | |
Pour jeter dans le vent mille chansons joyeuses | |
Pour vêtir tour à tour ses robes merveilleuses : | |
Son manteau de printemps de fins bourgeons couverts | |
Et le pourpre en automne et l'hermine en hiver. | |
Il dit que l'homme est dur, avare et sans entrailles | |
D'avoir à coups de hache et par d'âpres entailles | |
Tué l'arbre, car l'arbre est un être vivant ; | |
Il dit comme il fut bon pour l'homme bien souvent, | |
Et qu'ingrats, oubliant notre amour, notre enfance, | |
Nous coupons sans pitié le géant sans défense. | |
LA MARCHE SOUS LA PLUIE | |
Plic, ploc, plac, | |
Il tombe de l'eau plein mon sac. | |
Il pleut, ça mouille, | |
Et pas du vin. | |
Quel temps divin | |
Pour la grenouille | |
Plic, ploc, plac, | |
Il tombe de l'eau plein mon sac. | |
Après la pluie viendra le vent. | |
En arrivant | |
Il vous essuie. | |
Plic, ploc, plac, | |
Il tombe de l'eau plein mon sac. | |
"La chanson des gueux." | |
LA NEIGE TOMBE | |
Toute blanche dans la nuit brune | |
La neige tombe en voletant, | |
O pâquerettes! une à une | |
Toutes blanches dans la nuit brune! | |
Qui donc là-haut plume la lune? | |
O frais duvet! flocons flottants! | |
Toute blanche dans la nuit brune | |
La neige tombe en voletant. | |
La neige tombe, monotone, | |
Monotonement, par les cieux; | |
Dans le silence qui chantonne, | |
La neige tombe monotone, | |
Elle file, tisse, ourle et festonne | |
Un suaire silencieux. | |
La neige tombe, monotone, | |
Monotonement par les cieux. |
Arthur RIMBAUD | |
MA BOHEME | |
VOYELLES | |
LE BUFFET | |
MA BOHEME | |
Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées ; | |
Mon paletot aussi devenait idéal ; | |
J'allais sous le ciel, Muse ! et j'étais ton féal ; | |
Oh ! là là ! que d'amours splendides j'ai rêvées ! | |
Mon unique culotte avait un large trou. | |
- Petit-Poucet rêveur, j'égrenais dans ma course | |
Des rimes. Mon auberge était à la Grande-Ourse. | |
- Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou. | |
Et je les écoutais, assis au bord des routes, | |
Ces bons soirs de septembre où je sentais des gouttes | |
De rosée à mon front, comme un vin de vigueur ; | |
Où, rimant au milieu des ombres fantastiques, | |
Comme des lyres, je tirais les élastiques | |
De mes souliers blessés, un pied près de mon coeur ! | |
VOYELLES | |
A noir, E blanc, I rouge, V vert, O bleu : voyelles, | |
Je dirai quelque jour vos naissances latentes : | |
A, noir corselet velu des mouches éclatantes | |
Qui bombinent autour des puanteurs cruelles, | |
Golfes d'ombre ; E, candeurs des vapeurs et des tentes, | |
Lances des glaciers fiers, rois blancs, frissons d'ombelles ; | |
I, pourpres, sang craché, rire des lèvres belles | |
Dans la colère ou les ivresses pénitentes ; | |
U, cycles, vibrements divins des mers virides, | |
Paix des pâtis semés d'animaux, paix des rides | |
Que l'alchimie imprime aux grands fronts studieux ; | |
O suprême Clairon plein des strideurs étranges, | |
Silences traversés des Mondes et des Anges : | |
- O l'Oméga, rayon violet de Ses Yeux ! | |
LE BUFFET | |
C'est un large buffet sculpté ; le chêne sombre, | |
Très vieux, a pris cet air si bon des vieilles gens ; | |
Le buffet est ouvert, et verse dans son ombre | |
Comme un flot de vin vieux, des parfums engageants, | |
Tout plein, c'est un fouillis de vieilles vieilleries, | |
De linges odorants et jaunes, de chiffons | |
De femmes ou d'enfants, de dentelles flétries, | |
De fichus de grand-mère où sont peints des griffons ; | |
C'est là qu'on trouverait les médaillons, les mèches | |
De cheveux blancs ou blonds, les portraits, les fleurs sèches | |
Dont le parfum se mêle à des parfums de fruits. | |
O buffet du vieux temps, tu sais bien des histoires, | |
Et tu voudrais conter tes contes, et tu bruis | |
Quand s'ouvrent lentement tes grandes portes noires. | |
"Poésies Complètes" | |
Marcel RIOUTORD | |
TU AIMES ... | |
Tu aimes les renards autour de ton cou | |
mais quand ils sont morts. | |
Tu aimes la pluie | |
mais quand il pleut | |
tu fermes ta fenêtre à la pluie. | |
Tu aimes les fleurs | |
mais tu leur coupes la queue. | |
Tu aimes les poissons | |
Mais tu leur coupes la tête | |
... et puis tu les manges. | |
Alors ... | |
Quand tu dis que tu m'aimes | |
tu me fais un peu peur ! | |
Paul Alexis ROBIC | |
LES DOUZE LUTINS | |
Ils sont douze lutins | |
Dans ce joli village | |
De songe et de cristal | |
Derrière les montagnes | |
Trois qui frappent l'enclume | |
Et remplissent d'étoiles | |
La forge du grand gel | |
Trois qui font à l'enseigne | |
Du Rire de l'Hiver | |
De frais gâteaux de neige. | |
Trois qui tirent l'alêne | |
En secret dans la basse | |
Echoppe du sommeil | |
Trois autres qui allument | |
Leurs petites lanternes | |
Et n'attendent qu'un signe | |
Pour s'en aller sonner | |
Les cloches de Noël | |
" La part du vent ( 1957) " |
Maurice ROLLINAT | |
LA BICHE BRAME | |
LE LISERON | |
LA BICHE BRAME | |
La biche brame au clair de lune | |
Et pleure à se fondre les yeux ; | |
Son petit faon délicieux | |
A disparu dans la nuit brune. | |
Pour raconter son infortune | |
A la forêt de ses aïeux, | |
La biche brame au clair de lune | |
Et pleure à se fondre les yeux. | |
Mais aucune réponse, aucune, | |
A ses longs appels anxieux ! | |
Et, le cou tendu vers les cieux, | |
Folle d'amour et de rancune, | |
La biche brame au clair de lune. | |
"Le livre de la nature ?" | |
"Les névroses." | |
LE LISERON | |
Le liseron est un calice | |
Qui se balance à fleur de sol; | |
L'éphémère y suspend son vol, | |
Et la coccinelle s'y glisse. | |
Le champignon rugueux et lisse, | |
Parfois lui sert de parasol, | |
Le liseron est un calice | |
Qui se balance à fleur de sol. | |
Or, quand les champs sont au supplice, | |
Brûlés par un ciel espagnol, | |
Il tend toujours son petit bol | |
Afin que l'averse l'emplisse; | |
Le liseron est un calice. | |
"Oeuvres" |
Edmond ROSTAND | |
UN VIEUX MUR | |
HYMNE AU SOLEIL | |
JOUJOUX | |
UN VIEUX MUR | |
... Mais il est admirable, | |
Ce vieux mur, crêté d'herbes, enguirlandé, couvert | |
Ici de vigne rouge, ici de lierre vert, | |
Ici de glycine mauve aux longues grappes floches, | |
Et là de chèvrefeuille, et là d'aristoloches ! | |
Ce vieux mur centenaire et croulant, dont les trous | |
Laissent prendre au soleil d'étanges cheveux roux, | |
Qui de petites fleurs charmantes se constelle, | |
Ce mur sur qui la mousse est d'une épaisseur telle | |
Qu'il fait à l'humble banc scellé dans sa paroi, | |
Un dossier de velours comme au trône d'un roi. | |
HYMNE AU SOLEIL | |
Je t'adore, Soleil ! ô toi dont la lumière, | |
Pour bénir chaque front et mûrir chaque miel, | |
Entrant dans chaque fleur et dans chaque chaumière, | |
Se divise et demeure entière | |
Ainsi que l'amour maternel ! | |
Tu fais tourner les tournesols du presbytère | |
Luire le frère d'or que j'ai sur le clocher, | |
Et quand, par les tilleuls, tu viens avec mystère, | |
Tu fais bouger des ronds par terre | |
Si beaux qu'on n'ose plus marcher! | |
Tu changes en émail le vernis de la cruche; | |
Tu fais un étendard en séchant un torchon; | |
La meule a, grâce à toi, de l'or sur sa capuche, | |
Et sa petite soeur la ruche | |
A de l'or sur son capuchon! | |
Gloire à toi sur les prés ! Gloire à toi dans les vignes ! | |
Sois béni parmi l'herbe et contre les portails, | |
Dans les yeux des lézards et sur l'aile des cygnes! | |
O toi qui fais les grandes lignes | |
Et qui fais les petits détails. | |
C'est toi qui découpant la soeur jumelle et sombre, | |
qui se couche et s'allonge au pied de ce qui luit, | |
De tout ce qui nous charme as su doubler le nombre, | |
A chaque objet donnant une ombre | |
Souvent plus charmante que lui! | |
Je t'adore, Soleil ! Tu mets dans l'air des roses, | |
Des flammes dans la source, un dieu dans le buisson! | |
Tu prends un arbre et tu l'apothéoses! | |
O Soleil ! toi sans qui les choses | |
Ne seraient que ce qu'elles sont! | |
" Chantecler " | |
JOUJOUX | |
Ils regardent, les pauvres gosses, | |
Le polichinelle à deux bosses | |
Qui coûte cher, | |
Les poupons en chaussons de laine, | |
Les bébés dont la porcelaine | |
Paraît en chair; | |
Ils comptent les ballons, les balles; | |
Par un clown jouant des cymbales | |
Très étonnés, | |
Et ce sont des heures d'extase | |
Devant cette vitrine où s'écrase | |
Leur petit nez. | |
Ils en ont oublié qu'il gèle | |
Ils ne battent plus la semelle, | |
Mais quelquefois, | |
Leur souffle ayant terni la glace | |
Pour mieux voir, ils essuient la place | |
Avec leurs doigts. | |
Jean ROUSSELOT | |
L'ORDINATEUR ET L'ELEPHANT | |
LA CIGALE ET LA FOURMI | |
L'ORDINATEUR ET L'ELEPHANT | |
Parce qu'il perdait la mémoire | |
Un ordinateur alla voir | |
Un éléphant de ses amis : | |
- C'est sûr, je vais perdre ma place, | |
Lui dit-il, viens donc avec moi. | |
Puisque jamais ceux de ta race | |
N'oublient rien, tu me soufleras. | |
Pour la paie, on s'arrangera. | |
Ainsi firent les deux compères. | |
Mais l'éléphant était vantard : | |
Voilà qu'il raconte ses guerres, | |
Le passage du Saint-Bernard, | |
Hannibal et Jules César... | |
Les ingénieurs en font un drame : | |
Ca n'était pas dans le programme ! | |
Et l'éléphant, l'ordinateur | |
Tous les deux, les voilà chômeurs. | |
De morale je ne vois guère | |
A cette histoire, je l'avoue. | |
Si vous en trouvez une, vous, | |
Portez-la chez le Commissaire ; | |
Au bout d'un an, elle est à vous | |
Si personne ne la réclame. | |
"Petits poèmes pour coeurs pas cuits" | |
LA CIGALE ET LA FOURMI | |
La cigale ayant chanté | |
Tout l'été | |
Moyennant de gros cachets | |
Dans les casinos chics du midi de la France, | |
Se trouva tellement pourvue | |
Lorsque la bise fut venue | |
Qu'elle chercha quelqu'un pour gérer ses finances | |
Pendant que tout l'hiver il lui faudrait dormir. | |
Elle passa une annonce. | |
La fourmi d'accourir: | |
- Je m'y connais, dit - elle, et puis vous garantir | |
Que de vos capitaux vous ne perdrez pas une once. | |
- Et pour les intérêts? demande la chanteuse | |
Qui déjà dort plus qu'à demi. | |
- Cent pour cent, répond la fourmi. | |
Trouvant la chose merveilleuse, | |
L'autre lui remet son argent | |
Et va se coucher en bâillant. | |
Et puis l'hiver s'en vient | |
Qui jamais n'a fait grâce à la moindre cigale. | |
De tout ce bien volé, la fourmi se régale | |
s'offre des meubles, des parfums | |
des robes de soie, des bijoux d'or fin. | |
Elle est sur le point d'acheter | |
Une auto des plus confortables | |
Quand, sans même la voir, un être fourmidable | |
( C'est l'homme, dont je veux parler ) | |
Ecrabouille la misérable. | |
Moralité? Je n'en vois qu'une: | |
Pas d'avenir pour la fortune | |
Quoi qu'on fasse pour l'acquérir. | |
Mieux vaut chanter pour son plaisir. | |
"Il y aura une fois" |
Claude ROY | |
LIMERICK DES GENS EXCESSIVEMENT POLIS | |
LA CLEF DES CHAMPS | |
LES SOUCIS DU CIEL | |
CHANT DU VENT A DECORNER LES BOEUFS | |
LE BRUIT DE LA MER | |
L ' ENFANT QUI BATTAIT LA CAMPAGNE | |
LA NUIT | |
ETOURDIS ETOURNEAUX | |
LES QUATRES ELEMENTS | |
LIMERICK DES GENS EXCESSIVEMENT POLIS | |
Excusez-moi, je vous en prie | |
Disait le Monsieur Très Poli | |
tout ourlé de Bonnes Manières | |
quand il croisait un dromadaire | |
Je suis charmé vraiment ravi | |
Disait le Monsieur Si Gentil | |
en rencontrant rue de Lisbonne | |
un pangolin avec sa bonne | |
Je vous présente mes respects | |
Disant le Monsieur Circonspect | |
en dépassant dans l'escalier | |
un i sans point très essoufflé | |
Veuillez agréer mes hommages | |
Disait le Monsieur Tout en Nage | |
en arrivant très en retard | |
au bal masqué des nénuphars | |
Après vous je n'en ferai rien | |
Disait le Monsieur Vraiment Bien | |
lorsque la Mort sonnant chez ui | |
le trouvera toujours poli | |
L'ennui avec les gens polis | |
c'est qu'ils n'ont jamais fini | |
tout en saluts et en courbettes | |
mais trop polis pour être honnêtes. | |
"Le Parfait Amour" | |
Edition Seghers | |
LA CLEF DES CHAMPS | |
une voix | Qui a volé la clef des champs ? |
La pie voleuse ou le geai bleu ? | |
une voix | Qui a perdu la clef des champs ? |
La marmotte ou le hoche queue ? | |
Qui a trouvé la clef des champs ? | |
Le lièvre brun ? Le renard roux ? | |
une voix | Qui a gardé la clef des champs ? |
Le chat, la belette ou le loup ? | |
une voix | Qui a rangé la clef des champs ? |
La couleuvre ou le hérisson ? | |
une voix | Qui a touché la clef des champs ? |
La musaraigne ou le pinson ? | |
une voix | Qui a perdu la clef des champs ? |
Le porc-épic ? Le renard roux ? | |
une voix | Qui a volé la clef des champs ? |
une voix | Ce n'est pas moi, ce n'est pas vous. |
Elle est à personne et partout | |
La clef des champs, la clef de tout. | |
LES SOUCIS DU CIEL | |
A- Le ciel apprend par coeur les couleurs du matin | |
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A- Il n'a pas de mémoire il compte sur ses mains | |
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A- Le ciel bleu est chargé de dire à la nuit noire | |
comment était le jour tout frais débarbouillé | |
B- Mais il perd en chemin ses soucis la mémoire | |
C- il rentre à la maison | |
D- il a tout embrouillé | |
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D- Le ciel plie ses draps bleus tentant de retrouver | |
ce qu'il couvrait le jour d'un grand regard surpris | |
E- le monde très précis qu'il croit avoir rêvé | |
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E- Le ciel n'en finit plus d'imaginer le jour | |
A- il cherche dans la nuit songeant les yeux ouverts | |
aux couleurs que le noir évapore toujours. | |
" Poésies " | |
Editions Gallimard | |
CHANT DU VENT A DECORNER LES BOEUFS | |
Le vent court à brise abattue | |
Il court il court à perdre haleine. | |
Pauvre vent perdu et jamais au but. | |
Où cours-tu si vite à travers la plaine? | |
Où je cours si vite où je cours si vite. | |
Le vent en bégaye d'émotion et d'indignation. | |
Se donner tant de mal et de gymnastique | |
et qu'on vous pose après pareille question! | |
A quoi bon souffler si fort et si bête | |
et puis s'en aller sans rien emporter? | |
Quelle vie de chien qui toujours halète | |
Qui tire sa langue de chien fatigué! | |
Jusqu'au bout du monde il faut que tu ailles | |
poussant ton charroi de vent qui rabâche | |
Vente vent têtu de sac et de paille | |
" Un seul poème " | |
LE BRUIT DE LA MER | |
Si tu trouves sur la plage | |
un très joli coquillage | |
compose le numéro | |
OCEAN, O, O | |
Et l'oreille à l'appareil | |
La mer te racontera | |
Dans sa langue des merveilles | |
Que papa te traduira | |
"Enfantasques" | |
Editions Gallimard | |
L ' ENFANT QUI BATTAIT LA CAMPAGNE | |
Vous me copierez deux cents fois le verbe : | |
Je n'écoute pas. Je bats la campagne. | |
Je bats la campagne, tu bats la campagne, | |
Il bat la campagne à coups de bâton . | |
La campagne ? Pourquoi la battre ? | |
Elle ne m' a jamais rien fait. | |
C' est ma seule amie, la campagne. | |
Je baye aux corneilles, je cours la campagne. | |
Il ne faut jamais battre la campagne : | |
On pourrait casser un nid et ses oeufs. | |
On pourrait briser un iris, une herbe, | |
On pourrait fêler le cristal de l'eau. | |
Je n'écouterai pas la leçon. | |
Je ne battrai pas la campagne. | |
"Enfantasques" | |
Editions Gallimard | |
LA NUIT | |
Elle est venue la nuit de plus loin que la nuit | |
à pas de vent de loup de fougère et de menthe | |
voleuse de parfum impure fausse nuit | |
fille aux cheveux d'écume issus de l'eau dormante | |
Après l'aube la nuit tisseuse de chansons | |
s'endort d'un songe lourd d'astres et de méduses | |
et les jambes mêlées aux fuseaux des saisons | |
veille sur le repos des étoiles confuses | |
Sa main laisse glisser les constellations | |
le sable fabuleux des mondes solitaires | |
la poussière de Dieu et de sa création | |
la semence de feu qui féconde les terres. | |
Mais elle vient la nuit de plus loin que la nuit | |
à pas de vent de mer de feu de loup de piège | |
bergère sans troupeaux glaneuse sans épis | |
aveugle aux lèvres d'or qui marche sur la neige | |
"Poésies" | |
"L'enfance de l'Art" | |
éditions ouvrières | |
Sucession Claude Roy, D.R. | |
ETOURDIS ETOURNEAUX | |
Les étourneaux | |
sont étourdis. | |
On le dit. | |
Ils font des tours | |
et des détours | |
et ils rient. | |
Les étourneaux | |
n'ont pas de tête. | |
On le dit. | |
Mais ils sont gais, | |
les étourneaux, | |
légers là - haut! | |
Ils font dans le ciel | |
des anneaux, | |
des anneaux gais à tire - d'aile | |
les étourneaux | |
"La cour de récréation" | |
LES QUATRES ELEMENTS | |
L'air c'est rafraicissant | |
le feu c'est dévorant | |
la terre c'est tournant | |
l'eau - c'est tout différant | |
L'air c'est toujours du vent | |
le feu c'est toujours bougeant | |
la terre c'est toujours virant | |
l'eau - c'est toujours différent | |
Lair c'est toujous changeant | |
le feu feu c'est toujours mangeant | |
la terre c'est toujours germant | |
l'eau - c'est tout différent | |
Et combien davantage encore ces drôles d'hommes | |
espèces de vivants | |
qui ne se croient jamais dans leur vrai élément. | |
éditions ouvrières |
RUTEBEUF | |
QUE SONT MES AMIS DEVENUS | |
Que sont mes amis devenus | |
Que j'avais de si près tenus | |
Et tant aimés ? | |
Je crois qu'il sont trop clairsemés : | |
Ils ne furent pas bien semés, | |
Point n'ont levé. | |
De tels amis m'ont bien trahi | |
Car tant que Dieu m'a assailli | |
De tous côtés, | |
N'en vis un seul en ma maison, | |
Le vent, je crois, les m'a ôtés, | |
L'amour est morte. | |
Ce sont amis que vent emporte, | |
Et il ventait devant ma porte : | |
Sont emportés. | |
François RUY - VIDAL | |
LES PETITS MENSONGES BLANCS | |
Moi je voudrais être poisson | |
Poisson de l'onde | |
Qui pourrait nager partout, | |
Dans l'eau des lacs et des rivières, | |
Dans celle des mers et des océans. | |
- Allons ne rêve pas | |
Tu n'es qu'un enfant! | |
- Oui, je sais: je suis un enfant | |
Mais qui peut voyager seul | |
Sans craindre le danger, | |
Sans être accompagné. | |
- Encore un songe | |
Couleur de ta jeunesse! | |
- Je partirai, ce n'est pas un mensonge. | |
- Non ce n'est pas un mensonge | |
Puisque c'est un tout petit mensonge! | |
Un de ceux, par milliers, qui peuple | |
Tes songes. | |
- Ils sont blancs mes mensonges, | |
Ce sont mes flocons de neige | |
Qui tourbillonnent et tourbillonnent | |
Dans mes pensées | |
Et quelquefois s'assemblent... | |
- ... Pour donner forme | |
A ce n'existe pas. | |
A ce qui n'est que rêve! | |
- Si j'étais ce poisson de l'onde, | |
J'irais partout, au fond de l'eau, | |
Pour connaître | |
Le froid des ruisseaux de montagne | |
Et la tiédeur | |
Des eaux lentes qui somnolent | |
Sous les arbres des berges. | |
D'en bas, du fond de l'onde, | |
Je verrais, à travers la vitre mouvante, | |
Le renard assoiffé | |
Qui, tôt le matin, | |
Avant que les hommes ne se lèvent | |
Viendrait boire son eau | |
A petites lampées. | |
"Les petits mensonges blancs" | |
Joël SADELER | |
ALLERGIE | |
Moi j' aime les routiers | |
I' sont sympas | |
Mais papa les aime pas | |
Parce qu' ils vous crachent dessus | |
Qu' ils toussent et éternuent | |
J' ai beau lui dire | |
Qu' ils ont le rhume des freins | |
Ca ne fait rien | |
I' les aime pas | |
Mais moi je sais pourquoi | |
Ils ont des gros biceps | |
Et papa n' a que deux bras | |
"In éclats de lire n° 8 décembre 85." | |
George SAND | |
LA REINE MAB | |
Quand la lune se lève | |
Sur le pâle rayon | |
Elle vient comme un rêve, | |
Dansante vision. | |
Le duvet que promène | |
Le souffle d'un lutin | |
Est le char qui l'emmène | |
Au retour du matin. | |
Au bord des lacs humides, | |
Dans la brume des soirs, | |
De ses ailes rapides | |
Effleurant les flots noirs, | |
Sur un flocon d'écume | |
Que le vent fait voguer, | |
Molle comme une plume | |
Elle aime à naviguer. | |
Lorsqu'à grand bruit l'orage | |
Court sur le bois flétri, | |
La fleur d'un lis sauvage | |
Souvent lui sert d'abri : | |
La tempête calmée, | |
Elle prend son essor | |
Et s'envole embaumée | |
D'une poussière d'or ... | |
Joseph Paul SCHNEIDER | |
TU DIS | |
Tu dis sable | |
et déjà | |
la mer est à tes pieds | |
Tu dis forêt | |
et déjà | |
les arbres te tendent leurs bras | |
Tu dis colline | |
et déjà | |
le sentier court avec toi vers le sommet | |
Tu dis nuages | |
et déjà | |
un cumulus t' offre la promesse de voyage | |
Tu dis poème | |
et déjà | |
les mots volent et dansent | |
comme étincelles dans ta cheminée | |
" dans Jean Orizet: Les plus beaux poèmes du monde " | |
Jean Paul SERMONTE | |
LE POETE | |
( à Frédérico Garcia Lorca ) | |
On l'a emprisonné | |
Et on lui a dit de parler | |
Alors il a chanté | |
Une chanson avec un seul mot. | |
Ils se sont sentis méprisés | |
Ils lui ont dit " salaud " | |
Après l'avoir insulté, ils l'ont frappé | |
Il a continué à chanter | |
Alors ils l'ont torturé. | |
La mâchoire brisée | |
Il ne pouvait plus parler | |
Il a siffloté | |
Ils l'ont baillonné | |
Alors ses yeux ont chanté | |
Ils l'ont aveuglé | |
Il n'avait plus d'utilité | |
Alors ils l'ont tué | |
Mais de sa poitrine transpercée | |
Un oiseau s'est envolé | |
Et l'oiseau a chanté | |
La même chanson avec un seul mot: | |
LIBERTE ! | |
Philippe SOUPAULT | |
GRAMMAIRE | |
Peut-être et toujours peut-être | |
adverbes que vous m'ennuyez | |
avec vos presque et presque pas | |
quand fleurissent les apostrophes | |
Et vous points et virgules | |
qui grouillez dans les viviers | |
où nagent les subjonctifs | |
Je vous empaquette vous ficelle | |
Soyez maudits paragraphes | |
pour que les prophéties s'accomplissent | |
bâtards honteux des grammairiens | |
et mauvais joueurs de syntaxe. | |
Sucez vos impératifs | |
et laissez-nous dormir | |
une bonne fois | |
c'est la nuit | |
et la canicule. | |
"L'arme secrète, poèmes et poésies" | |
Editions Grasset | |
Jules SUPERVIELLE | |
MATHEMATIQUES | |
Quarante enfants dans une salle. | |
Un tableau noir et son triangle, | |
Un grand cercle hésitant et sourd | |
Son centre bat comme un tambour. | |
Des lettres sans mots ni patrie | |
Dans une attente endolorie. | |
Le parapet dur d'un trapèze, | |
Une voix s'élève et s'apaise | |
Et le problème furieux | |
Se tortille et se mord la queue. | |
La mâchoire d'un angle s'ouvre. | |
Est-ce une chienne ? Est-ce une louve ? | |
Et tous les chiffres de la terre, | |
Tous ces insectes qui défont | |
Et qui refont leur fourmilière | |
Sous les yeux fixes des garçons. | |
"Gravitations" | |
Editions Gallimard | |
Anne SYLVESTRE | |
A SEPT ANS | |
A un an on tombe tout le temps | |
Un petit peu moins à deux ans | |
A trois ans la marche est haute | |
Mais à quatre ans on la saute | |
A cinq ans on cabriole | |
A six ans la grande école | |
Mais à sept ans on perd ses dents | |
On les met sous son oreiller | |
Une souris vient les chercher | |
Et on vous donne à sa place | |
Un jouet que l'on casse . | |
Jean TARDIEU | |
CONVERSATION | |
CONSEILS DONNES PAR UNE SORCIERE | |
CONVERSATION CONVERSATION | |
(Sur le pas de la porte avec bonhomie) | |
Comment ça va sur la terre ? | |
- Ca va ça va, ça va bien. | |
Les petits chiens sont-ils prospères ? | |
- Mon Dieu oui merci bien. | |
Et les nuages ? | |
- Ca flotte. | |
Et les volcans ? | |
- Ca mijote. | |
Et les fleuves ? | |
- Ca s'écoule. | |
Et le temps ? | |
- Ca se déroule. | |
Et votre âme ? | |
- Elle est malade | |
le printemps était trop vert | |
elle a mangé trop de salade. | |
"Le fleuve caché " | |
Editions Gallimard | |
CONSEILS DONNES PAR UNE SORCIERE | |
Retenez-vous de rire | |
dans le petit matin ! | |
N'écoutez pas les arbres | |
qui gardent les chemins ! | |
Ne dites votre nom | |
à la terre endormie | |
qu'après minuit sonné ! | |
A la neige, à la pluie | |
ne tendez pas la main ! | |
N'ouvrez votre fenêtre | |
qu'aux petites planètes | |
que vous connaissez bien ! | |
Confidence pour confidence | |
vous qui venez me consulter | |
méfiance, méfiance ! | |
on ne sait pas ce qui peut arriver | |
"Le fleuve caché" | |
Editions Gallimard | |
Edouard TAVAN | |
LA RONDE DES MOIS | |
Janvier grelottant, neigeux et morose, | |
Commande la ronde éternellement ; | |
Déjà Février sourit par moment ; | |
Mars cueille frileux une fleur éclose. | |
Avril est en blanc, tout ruché de rose | |
Et Mai, pour les nids, tresse un dais clément ; | |
Dans les foins coupés, Juin s'ébat gaîment, | |
Sur les gerbes d'or, Juillet se repose. | |
Derrière Août qui baîlle au grand ciel de feu | |
Se voile Septembre en un rêve bleu ; | |
Le pampre couronne Octobre en démence. | |
Novembre, foulant du feuillage mort, | |
Fuit l'âpre Décembre au souffle qui mord. | |
Et le tour fini - sans fin recommence. | |
"La coupe d'onyx." | |
Editions Payot | |
Guy TIROLIEN | |
PRIERE D'UN PETIT ENFANT NEGRE | |
Seigneur, je suis très fatigué, | |
Je suis né fatigué. | |
Et j'ai beaucoup marché depuis le chant du coq | |
Et le morne est bien haut qui mène à leur école. | |
Seigneur, je ne veux plus aller à leur école ; | |
Faites, je vous en prie, que je n'y aille plus. | |
Je veux suivre mon père dans les ravines fraîches | |
Quand la nuit flotte encore dans le mystère des bois | |
Où glissent les esprits que l'aube vient chasser. | |
Je veux aller pieds nus par les rouges sentiers | |
Que cuisent les flammes de midi, | |
Je veux dormir ma sieste au pied des lourds manguiers, | |
Je veux me réveiller | |
Lorsque là-bas, mugit la sirène des blancs | |
Et que l'Usine | |
Sur l'océan des cannes | |
Comme un bateau ancrée | |
Vomit dans la campagne son équipage nègre... | |
Seigneur, je ne veux plus aller à leur école, | |
Faites, je vous en prie, que je n'y aille plus. | |
Ils racontent qu'il faut qu'un petit nègre y aille | |
Pour qu'il devienne pareil | |
Aux messieurs de la ville, | |
Aux messieus comme il faut. | |
Mais moi je ne veux pas | |
Devenir, comme ils disent, | |
Un monsieur de la ville, | |
Un monsieur comme il faut... | |
Je préfère flâner le long des sucreries | |
Où sont les sacs repus | |
Que gonfle un sucre brun autant que ma peau brune. | |
Je préfère vers l'heure où la lune amoureuse | |
Parle bas à l'oreille des cocotiers penchés | |
Ecouter ce que dit dans la nuit | |
La voix cassée d'un vieux qui raconte en fumant | |
Les histoires de Lamba et de compère Lapin | |
Et bien d'autres choses encore | |
Qui ne sont pas dans les livres. | |
Les nègres, vous le savez, n'ont que trop travaillé. | |
Pourquoi faut-il, de plus, apprendre dans les livres | |
Qui nous parlent de choses qui ne sont point d'ici ? | |
Et puis elle est vraiment trop triste, leur école, | |
Triste comme | |
Ces messieurs de la ville, | |
Ces messieurs comme il faut | |
Qui ne savent plus danser le soir au clair de lune, | |
Qui ne savent plus marcher sur la chair de leurs pieds, | |
Qui ,ne savent plus conter les contes aux veillées. | |
Seigneur, je ne veux plus aller à leur école ! | |
"Balles d'or" | |
C. TREMOLIERE | |
ET SI ON RETENAIT LES 6 TACTIQUES . | |
DE LA DIETETIQUE ... | |
Pour croquer le monde entier, | |
composez menus variés. | |
Trop c'est trop, | |
et trop peu n'est pas assez. | |
Buvez et buvez plusieurs fois | |
dans la journée. | |
Evitez les faux amis : | |
sucre, graisse et compagnie. | |
Mâchez, mâchez, mâchez, | |
et trois fois n'est pas assez. | |
J'écoute, j'écoute mon corps | |
me dire ce qui lui plaît. | |
"Bon appétit la vie." | |
Julian TUWIM | |
LES LUNETTES | |
Il court, il crie, maître Louis : | |
" Mes lunettes ont disparu ! " | |
Il fouille tout - son pantalon, | |
Ses chaussures et son veston. | |
Il met tout sans dessus dessous | |
Dans son armoire, il devient fou! | |
" Mais on a dû me les voler | |
Elles n'ont pas pu s'envoler! " | |
Il regarde sous le piano | |
Et puis sous les doubles rideaux. | |
Il soulève le canapé, | |
Tousse et glousse, tout essouflé. | |
De rage il va pour arracher | |
La moquette de son plancher | |
Ou pour appeler la police | |
Lorsque tout à coup, son oeil glisse | |
Sur un miroir - ce n'est pas vrai, | |
Il regarde encore - ça y est, | |
Les lunettes sont retrouvées! | |
Il les avait sur son nez. | |
"Pourquoi le concombre ne chante-t-il pas?" | |
le cherche midi | |
Marie VANCALYS | |
LA DISPUTE | |
La poule est fière d'avoir pondu | |
Kot, un bel oeuf sur la paille. | |
La voisine lui a répondu | |
Kot, j'en ai un dans l'étable | |
Oui, mais le mien est plus beau | |
Kot, sur la paille. | |
Celui que j'ai fait est plus gros | |
Kot, dans l'étable. | |
Le mien ... | |
Le mien ... | |
Sur la paille ... | |
Dans l'étable ... | |
Plus beau ... | |
Plus gros ... | |
Cocorico ! | |
Le coq se dresse sur ses ergots | |
Personne ne dit plus mot. | |
"Mon beau sabot doré" | |
Jean Louis VANHAM | |
LA BERGERE ET LE MEUNIER | |
TROIS MICROBES | |
LA BERGERE ET LE MEUNIER | |
-Oui, je suis la bergère | |
De la vieille chanson. | |
Il pleut sur mes moutons | |
Des gouttes de lumière. | |
-Moi, je suis le meunier | |
Et je dors...mais d'un oeil. | |
Il tourne bien tout seul, | |
Mon moulin enchanté. | |
-Mes moutons sont rentrés. | |
Mon moulin arrêté. | |
Il ne pleut plus, bergère. | |
Le pain est cuit, meunier. | |
-Mets ta robe légère | |
Et tes jolis souliers | |
Sur la chanson des blés | |
Je t'emmène danser. | |
TROIS MICROBES | |
Trois microbes, sur mon lit, | |
Se consultent, bien assis. | |
L'un s'appelle Scarlatine | |
Il parle d'une voix fine. | |
L'autre s'appelle Rougeole | |
Et prend souvent la parole. | |
Et le trosième Oreillons, | |
Ressemble à un champignon. | |
Ils discutent pour savoir | |
Lequel dormira ce soir | |
Dans mon beau petit lit blanc. | |
Mais fuyons tant qu'il est temps! | |
Ces trois microbes, ma foi, | |
Dormiront très bien sans moi. | |
"Dans la lune" | |
Sabam Bruxelles |
Léon VERANE | |
LIED | |
Il est venu dans le sentier, | |
A regardé dans le jardin, | |
J'ai cru qu'il allait pousser la barrière, | |
Mais il a passé, | |
Il a passé. | |
Pourtant les oiseaux du jardin chantaient | |
Et mes bras s'ouvraient pour l'accueillir. | |
Il sait combien je vais souffrir | |
Et il a passé | |
Sans s'arrêter. | |
D'autres l'attendaient aussi | |
Comme moi-même, comme moi-même, | |
Et peut-être est-il assis | |
Dans un jardin | |
Et sourit-il aux fruits que des mains lui tendent. | |
Mais s'il était entré ici | |
Il se serait miré dans la fontaine | |
Et la fontaine aurait gardé son cher reflet | |
Il est venu dans le sentier, | |
Mais il a passé, | |
Il a passé. | |
Emile VERHAEREN | |
LE PRINTEMPS | |
LES ALOUETTES | |
LE CHANT DE L'EAU | |
A PAQUES | |
LES PIES | |
LE VENT | |
LES USINES | |
OCTOBRE | |
LE PRINTEMPS | |
Un peu de neige au bord des toits. | |
Une branche à moitié blanche | |
Que le vent penche | |
Sur la fontaine, | |
Et puis le clos, et puis la plaine, | |
Et puis les arbres nus, et puis les hameaux froids | |
En cortège, vers l'infini, là-bas. | |
Les fleurs douces et volontaires | |
Sont couvertes encor de lourds frimas, | |
Mais entre elles causent déjà | |
De l'avril clair qui s'en viendra | |
Rompre leur somme sous la terre. | |
La pervenche qui sera mauve | |
Avant la fin du mois | |
Entend, ce soir, le rouge-gorge | |
Chanter et annoncer au bois | |
Que mille fleurs en grappes fauves | |
Pendent au long des charmes et des aulnes. | |
Tel se prépare le printemps | |
A rayonner au bon moment, | |
Tandis que, pour venir à lui, | |
Du fond de l'infini | |
Les hirondelles | |
Passent à longs coups d'ailes | |
Le bois obscur et le mont clair, | |
Et l'espace écumeux et mouvant de la mer. | |
"La multiple Splendeur " | |
LES ALOUETTES | |
L'azur est scintillant | |
De grands nuages blancs | |
Qui vont, viennent et passent ; | |
Comme des balles dans l'espace | |
Le tablier mouvant des blés | |
Projette, | |
Jusques au ciel les alouettes. | |
Elles fusent et jaillissent si haut | |
Vers la lumière et ses joyaux, | |
Que leur élan s'y noie | |
Et qu'elles voient sans qu'on les voie. | |
Mais les nuages blancs et lents | |
Qui, tout là-haut, font route, | |
Ecoutent | |
Leur chant | |
Et leurs cris et leurs trilles | |
Qui brillent | |
Tels des micas diamantés | |
Dans l'air torride et sec du flamboyant été. | |
LE CHANT DE L'EAU | |
L'entendez-vous, l'entendez-vous, | |
Le menu flot sur les cailloux ? | |
Il passe et court et glisse, | |
Et doucement dédie aux branches, | |
Qui sur son cours se penchent, | |
Sa chanson lisse. | |
Là-bas, | |
Le petit bois de cornouillers | |
Où l'on disait que Mélusine | |
Jadis, sur un tapis de perles fines, | |
Au clair de lune, en blancs souliers, | |
Dansa ; | |
Le petit bois de cornouillers | |
Et tous ses hôtes familiers, | |
Et les putois et les fouines, | |
Et les souris et les mulots, | |
Ecoutent | |
Loin des sentes et loin des routes, | |
Le bruit de l'eau. | |
Parmi les prés, parmi les bois, | |
Chaque caillou que le courant remue | |
Fait entendre sa voix menue | |
Comme autrefois ; | |
Et peut-être que Mélusine | |
Quant la lune, à minuit, répand comme à foison | |
Sur les gazons | |
Ses perles fines, | |
S'éveille et lentement décroise ses pieds d'or, | |
Et, suivant que le flot anime sa cadence, | |
Danse encore | |
Et danse. | |
"Les blés mouvants" | |
A PAQUES | |
Frère Jacques, frère Jacques, | |
Réveille-toi de ton sommeil d'hiver. | |
Les fins taillis sont déjà verts | |
Et nous voici au temps de Pâques, | |
Frère Jacques... | |
Hier matin, malgré le froid, | |
Deux jonquilles, trois anémones | |
Ont soulevé leurs pétales roses ou jaunes | |
Vers toi, | |
Et la mésange à tête blanche, | |
Fragile et preste, a sautillé | |
Sur la branche de cornouiller | |
Qui vers ton large lit de feuillages mouillés | |
Se penche. | |
Et tu dors, et tu dors toujours, | |
Au coin du bois profond et sourd... | |
Pourtant, voici qu'à travers ton somme | |
Tu as surpris, dès l'aube, s'en aller | |
Le cortège bariolé | |
Des cent cloches qui vont à Rome... | |
Et secouant alors | |
De ton pesant manteau que les ronces festonnent | |
Les glaçons de l'hiver et les brumes d'automne, | |
Frère Jacques, tu sonnes | |
D'un bras si rude et si fort | |
Que tout se hâte aux prés et s'enfièvre aux collines | |
A l'appel clair de tes matines. | |
Et du bout d'un verger le coucou te répond ; | |
Et l'insecte reluit de broussaille en broussaille ; | |
Et les sèves sous terre immensément tressaillent... | |
"Les blés mouvants" | |
LES PIES | |
De branche en branche | |
|
|
Sautent, noires et blanches, | |
|
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|
|
Monumental comme une grange en marche, | |
Sur la montée, à contre-ciel, près d'un village, | |
|
|
Les fers des gros chevaux résonnent, | |
Le charroi passe, énorme et lourd, | |
Les petites maisons frissonnent | |
|
|
Tandis qu'aux alentours, | |
|
|
De branche en branche | |
|
|
|
|
"Toute la Flandre" | |
LE VENT | |
Sur la bruyère longue infiniment | |
Voici le vent cornant Novembre, | |
Sur la bruyère infiniment | |
Voici le vent | |
Qui se déchire et de démembre, | |
En souffles lourds, battant les bourgs, | |
Voici le vent | |
Le vent sauvage de Novembre. | |
Aux puits des fermes | |
Les seaux de fer et les poulies | |
Grincent. | |
Aux citernes des fermes | |
Les seaux et les poulies | |
Grincent et crient | |
Toute la mort dans leurs mélancolies. | |
Le vent rafle le long de l'eau | |
Les feuilles mortes des bouleaux, | |
Le vent sauvage de Novembre ; | |
Le vent mord dans les branches | |
Des nids d'oiseaux ; | |
Le vent râpe du fer | |
Et peigne au loin les avalanches, | |
Rageusement, du vieil hiver, | |
Rageusement, le vent, | |
Le vent sauvage de Novembre. | |
" Les villages illusoires " | |
LES USINES | |
(...) Là-bas: les doigts méticuleux des métiers prestes, | |
A bruits menus, à petits gestes, | |
Tissent des draps, avec des fils qui vibrent | |
Légers et fins comme des fibres. | |
Au long d'un hall de verre et de fer, | |
Des bandes de cuir transversales | |
Courent de l'un à l'autre bout des salles. | |
Et les volants larges et violents | |
Tournent, pareils aux ailes dans le vent | |
Des moulins fous, sous les rafales | |
(...) Automatiques et minutieux | |
Des ouvriers silencieux | |
Règlent le mouvement | |
D'universel tictacquement | |
Qui fermente de fièvre et de folie | |
Et déchiquette, avec ses dents d'entêtement, | |
La parole humaine abolie. | |
(...) | |
OCTOBRE | |
Sur l'épaule de l'humide matin, la brume | |
A doucement posé ses longs vêtements blancs. | |
De ci, de là, les toits et les chaumes s'exhument, | |
La brume est molle et claire, et le soleil est lent. | |
L'air immobile attend on ne sait quoi de l'heure, | |
Tout pas semble dormir, tout vol semble fermé. | |
Point de ruisseau qui fuit, point de source qui pleure, | |
Ce qui croissait est mort, après avoir germé. | |
L'automne règne: aucun arbre ne se balance | |
Au long des prés, des bois et des chemins seulets, | |
L'heure est de pourpre et d'or, et répand en silence | |
Un feuillage jauni sur les champs violets. | |
" A la vie qui s'éloigne " | |
Paul VERLAINE | |
LE CIEL EST, PAR DESSUS LE TOIT ... | |
LA PLAINE SOUS LA NEIGE | |
ARIETTES OUBLIEES (VII) | |
CHANSON D'AUTOMNE | |
ECOUTEZ LA CHANSON BIEN DOUCE | |
MARINE | |
LE CIEL EST, PAR DESSUS LE TOIT ... | |
Le ciel est, par-dessus le toit, | |
Si bleu, si calme ! | |
Un arbre, par-dessus le toit, | |
Berce sa palme. | |
La cloche dans le ciel qu'on voit | |
Doucement tinte. | |
Un oiseau sur l'arbre qu'on voit | |
Chante sa plainte. | |
Mon Dieu, mon Dieu, la vie est là, | |
Simple et tranquille. | |
Cette paisible rumeur là | |
Vient de la ville ! | |
Qu'as-tu fait, ô toi que voilà | |
Pleurant sans cesse, | |
Dis, qu'as-tu fait, toi que voilà, | |
De ta jeunesse ? | |
"Sagesse" | |
LA PLAINE SOUS LA NEIGE | |
Dans l'interminable | |
Ennui de la plaine | |
La neige incertaine | |
Luit comme du sable. | |
Le ciel est de cuivre | |
Sans lueur aucune, | |
On croirait voir vivre | |
Et mourir la lune. | |
Comme des nuées | |
Flottent gris les chênes | |
Des forêts prochaines | |
Parmi les buées. | |
Le ciel est de cuivre | |
Sans lueur aucune | |
On croirait voir vivre | |
Et mourir la lune. | |
Corneille poussive | |
Et vous, les loups maigres, | |
Par ces bises aigres | |
Quoi donc vous arrive ? | |
Dans l'interminable | |
Ennui de la plaine, | |
La neige incertaine | |
Luit comme du sable. | |
"Romance sans paroles" | |
ARIETTES OUBLIEES (VII) | |
Dans l'interminable | |
Ennui de la plaine | |
La neige incertaine | |
Luit comme du sable. | |
Le ciel est de cuivre | |
Sans lueur aucune. | |
On croirait voir vivre | |
Et mourir la lune. | |
Comme des nuées | |
Flottent gris les chênes | |
Des forêts prochaines | |
Parmi les buées. | |
Le ciel est de cuivre | |
Sans lueur aucune. | |
On croirait voir vivre | |
Et mourir la lune. | |
Corneille poussive | |
Et vous, les loups maigres, | |
Par ces bises aigres | |
Quoi donc vous arrive? | |
Dans l'interminable | |
Ennui de la plaine | |
La neige incertaine | |
Luit comme du sable | |
"Romances sans paroles" | |
Editions Booking International | |
CHANSON D'AUTOMNE | |
Les sanglots longs | |
Des violons | |
De l'automne | |
Blessent mon coeur | |
D'une langueur | |
Monotone. | |
Tout suffocant | |
Et blême, quand | |
Sonne l'heure, | |
Je me souviens | |
Des jours anciens | |
Et je pleure ; | |
Et je m'en vais | |
Au vent mauvais | |
Qui m'emporte | |
Deça, delà, | |
Pareil à la | |
Feuille morte. | |
"Poèmes saturniens" | |
Editions Booking International | |
ECOUTEZ LA CHANSON BIEN DOUCE | |
Ecoutez la chanson bien douce | |
Qui ne pleure que pour vous plaire. | |
Elle est discrète, elle est légère : | |
Un frisson d'eau sur de la mousse ! | |
La voix vous fut connue (et chère !) | |
Mais à présent elle est voilée | |
Comme une veuve désolée. | |
Pourtant comme elle est encore fière. | |
Et dans les longs plis de son voile | |
Qui palpite aux brises d'automne, | |
Cache et montre au coeur qui s'étonne | |
La vérité comme une étoile. | |
Elle dit, la voix reconnue, | |
Que la bonté c'est notre vie, | |
Que de la haine et de l'envie | |
Rien ne reste, la mort venue | |
"Sagesse, XVI" | |
Editions Booking International | |
MARINE | |
L'océan sonore | |
Palpite sous l'oeil | |
De la lune en deuil | |
Et palpite encore, | |
Tandis qu'un éclair | |
Brutal et sinistre | |
Fend le ciel de bistre | |
D'un long zigzag clair, | |
Et que chaque lame, | |
En bonds convulsifs, | |
Le long des récifs | |
Va, vient, luit et clame, | |
Et qu'au firmament, | |
Où l'ouragan erre, | |
Rugit le tonnerre | |
Formidablement. | |
"poèmes saturniens" | |
éditions Bookking International, Paris | |
Charles VILDRAC | |
LA POMME ET L' ESCARGOT | |
Il y avait une pomme | |
A la cime d'un pommier; | |
Un grand coup de vent d'automne | |
La fit tomber sur le pré. | |
- Pomme, pomme, t'es-tu fait mal? | |
J'ai le menton en marmelade, | |
Le nez fendu et l'oeil poché! | |
Elle roula, quel dommage! | |
Sur un petit escargot | |
Qui s'en allait au village | |
Sa demeure sur le dos | |
Pomme, pomme, t'es-tu fait mal? | |
J'ai le menton en marmelade, | |
Le nez fendu et l'oeil poché! | |
Ah! stupide créature, | |
Gérnit l'animal cornu, | |
T'as défoncé ma toiture | |
Et me voici faible et nu | |
Pomme, pomme, t'es-tu fait mal? | |
J'ai le menton en marmelade, | |
Le nez fendu et l'oeil poché! | |
Dans la pomme à demi blette | |
L'escargot, comme un gros ver, | |
Rongea, creusa sa chambrette, | |
Afin d'y passer l'hiver. | |
Pomme, pomme, t'es-tu fait mal? | |
J'ai le menton en marmelade, | |
Le nez fendu et l'oeil poché! | |
Ah mange-moi, dit la pomme, | |
Puisque c'est là mon destin; | |
Par testament je te nomme | |
Héritier de mes pépins. | |
Pomme, pomme t'es-tu fait mal? | |
J'ai le menton en marmelade, | |
Le nez fendu et l'oeil poché! | |
Tu les mettras la terre | |
Vers le mois de février, | |
Il en sortira, j'espère, | |
De jolis petits pommiers | |
"Recueil de six chansons" | |
François VILLON | |
REGRETS DE JEUNESSE PERDUE | |
... Hé ! Dieu si j'eusse étudié | |
Au temps de ma jeunesse folle, | |
Et à bonnes moeurs dédié, | |
J'eusse maison et couche molle ! | |
Mais quoi ? je fuyais l'école | |
Comme fait le mauvais enfant ... | |
En écrivant cette parole | |
A peu que le coeur ne me fend. | |
Louise de VILMORIN | |
FADO | |
L'ami docile a mis là | |
Fade au sol ciré la sole, | |
Ah, si facile à dorer. | |
Récit d'eau | |
Récit las | |
Fado | |
L'âme, île amie | |
S'y mire effarée. | |
L'art est docile à l'ami. | |
La sole adorée dort et | |
L'ami la cirée, dorée. | |
Récit d'eau | |
Récit las | |
Fado | |
L'âme, île amie | |
S'y mire effarée. | |
Sire et fade au sol ciré, | |
L'adoré, dos raide aussi, | |
L'ami dort hélas ici. | |
Récit d'eau | |
Récit las | |
Fado | |
L'âme, île amie | |
S'y mire effarée. | |
Edition Gallimard. | |
Wang WEI | |
LA PLUIE NOUVELLE | |
La pluie nouvelle mouille la colline. | |
Le crépuscule est un petit automne. | |
La lune brille entre les pins. | |
Le torrent est clair parmi les rochers. | |
A travers les bambous | |
J'entends rire les lavandières | |
qui reviennent à la maison. | |
Le parfum du printemps inspire puis expire | |
Comment le retenir avant qu'il ne s'échappe. | |
" Trésor de la poésie chinoise " | |
Adapté par Claude ROY | |
XXX | |
UNE MERE | |
L'ETOURDIE | |
UNE MERE | |
Des milliers d'étoiles dans le ciel, | |
Des milliers d'oiseaux dans les arbres, | |
Des milliers de fleurs au jardin, | |
Des milliers d'abeilles sur les fleurs, | |
Des milliers de coquillages sur les plages, | |
Des milliers de poissons dans les mers, | |
Et seulement, seulement, une mère. | |
L'ETOURDIE | |
Dimanche, j'ai perdu mon chien | |
Mercredi, j'ai perdu mon dé. | |
Jeudi, mon cahier de dessin. | |
Vendredi, j'ai perdu mes clefs. | |
"Que va-t-elle perdre demain ?" | |
Pense ma mère épouvantée. | |
Hélas, c'est vrai, j'ai un peu peur | |
Pour mon nouveau mouchoir à fleurs, | |
Je suis tellement étourdie , | |
Que vais-je oublier samedi ? ... | |
J'aurais déjà perdu mon nez | |
S'il n'était si bien attaché. | |