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LISTE DES AUTEURS
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A Retour au tableau des auteurs
AGEL Geneviève
ALHAU Max
ALLAIS Alphonse
AMADE Louis
AMMEUX-ROUBINET Henriette
ANGELLIER Auguste
ANOUILH Jean
APOLLINAIRE Guillaume
ARAGON Louis
ARÈNE Paul
AYGUESPARSE A.
B Retour au tableau des auteurs
BANCTEL Daniel
BANVILLE Théodore de
BATAILLE F.
BAUDELAIRE Charles
BAZIN Hervé
BÉARN Pierre
BEAU Michel
BEIDLER Barbara
BEISNER Monika
BENS Jacques
BERIMONT Luc
BESSE Robert
BLANC-PERIDIER A.
BOSQUET Alain
BOURG ERIE Rémi
BRECHT Berthold
BREL Jacques
BRIANES Jean
BRIZEUX Auguste
CRetour au tableau des auteurs
CADOU René Guy
CAIR André
CARBET A.M.
CARCO Francis
CAREME Maurice
CARRON Geneviève
CAUSSIMON Jean Roger
CENDRARS Blaise
CHAPONNIERE Pernette
CHAPOUTON Anne-Marie
CHARPENTREAU Jacques
CHRESTIEN DE TROYES
CLAUDEL Paul
CLAUSARD Robert
CLAVEL Bernard
CLEMENT Claude
COCTEAU Jean
CODET L.
COLETTE
COLOMBIE Jean-Pierre
CORAN Pierre
COSSA Marie
COSSON R.
CROS Charles
DRetour au tableau des auteurs
DADIE Bernard B.
DELAHAYE Robert
DELARUE-MARDRUS Lucie
DELAUNAY G.
DELIGNAC Jane
DEREME Tristan
DERRY François
DESNOS Robert
DIETI Erhard
DROZ G.
DRUON-KESSEL-MARLY
DUBUS H.
DURRY Marie-Jeanne
DUTEIL Yves
ERetour au tableau des auteurs
ELUARD Paul
ESOPE
FRetour au tableau des auteurs
FABBRI Robert
FABIE F.
FARGUE Léon-Paul
FILLOL Luce
FLORIAN JP Claris de
FOMBEURE Maurice
FONTAINE Anne
FORT Paul
FRANCK Anne
FREMINE Ch.
GRetour au tableau des auteurs
GALCZYNSKY K-J
GAMARRA Pierre
GANACHAUD Guy
GARNIER Auguste Pierre
GAUTIER Théophile
GERALDY Paul
GERARD Rosemonde
GIDE André
GIVAUDAN Maud Elisa G
GLAUZY Jean
GOETHE Wolfgang
GREGH Fernand
GU JI Dame
GUERIN Charles
GUILLEVIC Eugène
HRetour au tableau des auteurs
HARDY Raoul
HAULOT Arthur
HAVEL Vaclav
HELIAS Per Jakes
HIKMET Nazim
HUANG WAN CHUING
HUGO Victor
HUTIN DESGREES Magdeleine
IRetour au tableau des auteurs
 
JRetour au tableau des auteurs
JABES Edmond
JACOB Jean-Louis
JACOB Max
JACQUENAUX Edith
JAMMES Francis
JEAN Georges
KRetour au tableau des auteurs
KADARE Ismaël
KIPLING Rudyard
KLINGSOR Tristan
KRYLOV Ivan
LRetour au tableau des auteurs
LA FONTAINE Jean de
LA MOTTE
LABRAU Jean
LACHAMBAUDIE
LAFONT Jacques
LAFORGUE Jules
LAPOINTE Bobby
LAPONNE A.
LAVAUR M-F
LE FLOCH Madeleine
LE GOUIC Gérard
LE LEARD Annaûk
LEBESGUE Philéas
LEBREAU Jean
LEVY Maxime
LEY Madeleine
LHERITIER Anthony
MRetour au tableau des auteurs
MACHET Marie-Madeleine
MARCHAK Samuel
MENANTEAU Pierre
MERCIER Louis
MOREAU Jean-Luc (Trad. du finnois par)
MUSSET Alfred de
NRetour au tableau des auteurs
NEOU YANG SIOU
NERUDA Pablo
NERVAL Gérard de
NOAILLES Comtesse de
NOHAIN Franc
NOVEMBRE Jean
ORetour au tableau des auteurs
OBALDIA René de
ORIZET Jean
ORLEANS Charles d'
PRetour au tableau des auteurs
PAULIN Louisa
PAUTRAT P. et SALOUADJI J.
PEGUY Charles
PERIN Cécile
PEROCHON Ernest
PETIT Carine
PONGE Francis
PORCHAT J-J
POSLANIEC Christian
POURRAT Henri
PRÉVERT Jacques
PRIVAS Xavier
QRetour au tableau des auteurs
QUEFFELEC Henri
QUENEAU Raymond
RRetour au tableau des auteurs
RAMUZ Charles Ferdinand
REGNIER Henri de
RENARD Jules
RENFER Werner
RICHARD Raymonde
RICHEPIN Jean
RIMBAUD Arthur
RIOUTORD Marcel
ROBIC Paul Alexis
ROLLINAT Maurice
ROSTAND Edmond
ROUSSELOT Jean
ROY Claude
RUTEBEUF
RUY-VIDAL François
SRetour au tableau des auteurs
SADELER Joël
SAND George
SCHNEIDER Joseph Paul
SERMONTE Jean-Paul
SOUPAULT Philippe
SUPERVIELLE Jules
SYLVESTRE Anne
TRetour au tableau des auteurs
TARDIEU Jean
TAVAN Édouard
TIROLIEN G.
TREMOLIERE C.
TUWIM Julian
VRetour au tableau des auteurs
VANCALYS Marie
VANHAM Jean-Louis
VERANE Léon
VERHAEREN Émile
VERLAINE Paul
VILDIAU Charles
VILLON François
VILMORIN Louise de
WRetour au tableau des auteurs
WANG WEI

 

 

 Geneviève AGEL
 
LE ZEBRE AMOUREUX
 
Un zèbre amoureux d'une fleur. Elle se moque de lui : "tu as l'air d'un tapis,
d'un grillage, d'une page d'écriture, tu es drôle". Alors il se tourne sur lui-
même, se met en boule, rentre ses longues jambes et se tient immobile.
Regarde ... Je suis devenu une fleur, dit-il gracieusement ... et elle rit aux
larmes en le voyant ainsi ...

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 Max ALHAU
LES GALETS
Les galets écoutent la mer
qui leur raconte des légendes.
Le temps passe sur eux
enracinés à même le sable
ils imaginent peut-être
ce qu'ils aperçoivent au loin
et qu'ils ne connaîtront jamais.
Les galets demeurent sans bruit
veillant avec les étoiles
sur le sommeil du monde
qui se ferme dans la nuit.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 Alphonse ALLAIS
LE MONSIEUR ET LE QUINCAILLIER
Le monsieur : Bonjour, monsieur.
Le quincaillier : Bonjour, monsieur.
Le monsieur : Je désire acquérir un de ces appareils qu'on adapte aux portes et qui font qu'elles se ferment d'elles-mêmes.
Le quincaillier : Je vois ce que vous voulez, monsieur. C'est un appareil pour la fermeture automatique des portes.
Le monsieur : Parfaitement. Je désirerais un système pas trop cher.
Le quincaillier : Oui, monsieur, un appareil bon marché pour la fermeture automatique des portes.
Le monsieur : Et pas trop compliqué.
Le quincaillier : C'est-à-dire que vous désirez un appareil simple et peu coûteux pour la fermeture automatique des portes.
Le monsieur : Exactement, et puis, pas un de ces appareils qui ferment les portes si brusquement...
Le quincaillier : ...Qu' on dirait un coup de canon ! Je vois ce qu' il vous faut : un appareil simple, peu coûteux, pas trop brutal, pour la fermeture automatique des portes.
Le monsieur : Tout juste. Mais pas non plus un de ces appareil qui ferment les portes si lentement.
Le quincaillier : ... Qu'on croirait mourir ! L'article que vous désirez, en somme, c'est un appareil simple, peu coûteux, ni trop lent, ni trop brutal, pour
Le monsieur : Vous m' avez compris tout à fait. Ah ! et que mon appareil n'exige pas, comme certains systèmes que je connais, la force d' un taureau pour ouvrir la porte.
Le quincaillier : Bien entendu. Résumons-nous. Ce que vous voulez, c'est un appareil simple, peu coûteux, ni trop lent, ni trop brutal, d' un maniement aisé, pour la fermeture automatique des
Le monsieur : Eh bien ! montrez-moi un modèle.
Le quincaillier : Je regrette, monsieur, mais je ne vends aucun système pour la fermeture automatique des portes.
"Les templiers." Editions des 4-Vents

 

 

 

 

 

 

 Louis AMADE
LA FLEUR QUI PARLE
J'ai découvert la fleur qui parle
dans un grand champ de romarin
pas très loin de la route d'Arles
il était très tôt le matin.
Une pierre presque violette
la soutenait comme un écrin
elle perdait un peu la tête
et moi aussi, je le crois bien.
 
 

 Henriette AMMEUX - ROUBINET
LE PRINTEMPS
RENCONTRE AVEC LE PRINTEMPS
 
 
LE PRINTEMPS
Ce matin
Au détour du chemin
Je rencontrai le Printemps
Des fleurs à son chapeau
des fleurs à son manteau
Et même sur son dos .
Les unes blanches cernées de rouge ,
D' autres mauves
Et d' autres rouges et d' autres bleues .
Quelle joie c' était pour mes yeux !
 

 RENCONTRE AVEC LE PRINTEMPS

Ce matin
Au détour du chemin
Je rencontrai le Printemps .
Vêtu comme un marquis, il avait mis
Des fleurs à son chapeau
Des fleurs à son manteau
Et même sur son dos .

Les unes blanches semées de rouge
D' autres mauves
Et d' autres rouges et d' autres bleues.
Quelle joie c' était pour mes yeux !
Et je lui dis: " Tu es merveilleux "
Et il me regardait
Et il riait, et il riait !
Et ses yeux étaient comme des fleurs de lumière
Parmi toutes ces fleurs printanières .
Et il s' en fut le chemin
En chantant quelque chansonnette .
En sautant un peu sur un pied
Et puis un peu sur l' autre pied,
Comme font les enfants joyeux
Quand ils s' entraînent à quelque jeu .
Et je le vis disparaître au loin,
Avec des fleurs sur son manteau
Avec ses fleurs sur son chapeau .
Et il a ainsi parcouru le monde
Pimpant, joyeux et tout fleuri
Et le monde entier lui a souri
 
"Poèmes de x à y"
 
 
 
 

 

 

 

 

 Auguste ANGELLIER
LES CHRYSANTHEMES
Le jardin n'a plus que des chrysanthèmes !
Les rosiers sont morts, et les diadèmes
Des derniers soleils
Tombent, en pliant leurs tiges séchées,
Dans l'herbe où les fleurs sont déjà couchées
Pour les longs sommeils.
Le jardin n'a plus que des chrysanthèmes !
Mais l'année a mis ses grâces suprêmes
Dans ces pâles fleurs.
Leur seule rosée est la fine pluie,
Parfois un rayon presque froid essuie
Leur visage en pleurs.
Le jardin n'a plus que des chrysanthèmes !
Allons en cueillir puisque tu les aimes
A l'égal des lis,
Des amaryllis de larmes trempées,
Et des sombres coeurs entourés d'épées
De tes chers iris.
 

 Jean ANOUILH
LA CIGALE
La cigale ayant chanté
Tout l'été
Dans maints casinos, maintes boîtes
Se trouva fort bien pourvue
Quand la bise fut venue.
Elle en avait à gauche, elle en avait à droite,
Dans plusieurs établissements.
Restait à assurer un fécond placement.
Elle alla trouver un renard,
Spécialisé dans les prêts hypothécaires
Qui, la voyant entrer l'oeil noyé sous le fard,
Tout enfantine et minaudière,
Crut qu'il tenait la bonne affaire.
"Madame, lui dit-il, j'ai le plus grand respect
Pour votre art et pour les artistes.
L'argent, hélas ! n'est qu'un aspect
Bien trivial, je dirais bien triste,
Si nous n'en avions tous besoin,
De la condition humaine.
De l'argent réclame des soins.
Il ne doit pourtant pas devenir une gêne.
A d'autres qui n'ont pas vos dons de poésie
Vous qui planez, laissez, laissez le rôle ingrat
De gérer vos économies,
A de trop bas calculs votre art s'étiolera.
Vous perdriez votre génie.
Signez donc ce petit blanc-seing
Et ne vous occupez de rien."
Souriant avec bonhomie,
" Croyez, Madame, ajouta-t-il, je voudrais, moi,
Pouvoir, tout comme vous, ne sacrifier qu'aux muses !"
Il tendait son papier." Je crois que l'on s'amuse" ,
Lui dit la cigale, l'oeil froid.
Le renard, tout sucre et tout miel,
Vit un regard d'acier briller sous le rimmel.
" Si j'ai frappé à votre porte,
Sachant le taux exorbitant que vous prenez,
C'est que j'entends que la chose rapporte.
Je sais votre taux d'intérêt.
C'est le mien. Vous l'augmenterez
Légèrement, pour trouver votre bénefice.
J'entends que mon tas d'or grossisse.
J'ai un serpent
pour avocat.
Il passera demain discuter du contrat;"
L'oeil perdu, ayant vérifié son fard,
Drapée avec élégance
Dans une cape de renard
( Que le renard feignit de ne pas avoir vue),
Elle précisa en sortant:
" Je veux que vous prêtiez aux pauvres seulement..."
( Ce dernier trait rendit au renard l'espérance.) "
Oui, conclut la cigale au sourire charmant,
On dit qu'en cas de non paiement
D'une ou l'autre des échéances,
C'est eux dont on vend tout le plus facilement."
Maître renard qui se croyait cynique
S'inclina. Mais depuis, il apprend la musique
 
"Fables" "éditions de la Table Ronde 1962."
 
 
 
 
 

 Guillaume APPOLINAIRE
 
SALTIMBANQUES
AUTOMNE MALADE
LE PONT MIRABEAU
AUTOMNE
 
 
 
 

 

 SALTIMBANQUES
 

Dans la plaine les baladins
S'éloignent au long des jardins
Devant l'huis des auberges grises
Par les villages sans églises.

Et les enfants s'en vont devant
Les autres suivent en rêvant
Chaque arbre fruitier se résigne
Quand de très loin ils lui font signe

Ils ont des poids ronds ou carrés
Des tambours des cerceaux dorés
L'ours et le singe animaux sages
Quêtent des sous sur leur passage

 
Guillaume APPOLINAIRE (1880-1918)
"Alcools"

 

 AUTOMNE MALADE
 

Automne malade et adoré
Tu mourras quand l'ouragan soufflera dans les roseraies
Quand il aura neigé
Dans les vergers

Pauvre automne
Meurs en blancheur et en richesse
De neige et de fruits mûrs
Au fond du ciel
Des éperviers planent
Sur les nixes nicettes aux cheveux verts et naines
qui n'ont jamais aimé

Aux lisières lointaines
Les cerfs ont bramé

Et que j'aime ô saison que j'aime tes rumeurs
Les fruits tombant sans qu'on les cueille
Le vent et la forêt qui pleurent
Toutes leurs larmes en automne feuille à feuille

 Les feuilles
Qu'on foule
Un train
qui roule
La vie
S'écoule
 
Guillaume APOLLINAIRE (1880 -1918)
( Alcools )

 

 LE PONT MIRABEAU
 

Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Et nos amours
Faut-il qu'il m'en souvienne
La joie venait toujours après la peine

Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure

Les mains dans les mains restons face à face
Tandis que sous
Le pont de nos bras passe
Des éternels regards l'onde si lasse

Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure

L'amour s'en va comme cette eau courante
L'amour s'en va
Comme la vie est lente
Et comme l'Espérance est violente

Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure

Passent les jours et passent les semaines
Ni temps passé
Ni les amours reviennent
Sous le pont Mirabeau coule la Seine

Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure.

 
"Alcools"

 

 AUTOMNE
 
Dans le brouillard s'en vont un paysan cagneux
Et son boeuf lentement dans le brouillard d'automne
Qui cache les hameaux pauvres et vergogneux.
 
Et s'en allant là-bas le paysan chantonne
Une chanson d'amour et d'infidélité
Qui parle d'une bague et d'un coeur que l'on brise.
 
Oh ! l'automne l'automne a fait mourir l'été
Dans le brouillard s'en vont deux silhouettes grises.
 
" Alcools "

 

 Louis ARAGON
 
LE CONSCRIT DES CENT VILLAGES
LES TROIS PÂQUES DE L'ANNEE
BALLADE DE CELUI QUI CHANTE DANS LES SUPPLICES
 
 
 

 

 

 LE CONSCRIT DES CENT VILLAGES
 
Prairie adieu mon espérance
Adieu belle herbe adieu les blés
Et les raisins que j'ai foulés
Adieu mes eaux vives ma France
 
Adieu le ciel et la maison
Tuile saignante ardoise grise
Je vous laisse oiseaux les cerises
Les filles l'ombre et l'horizon
 
J'emmène avec moi pour bagage
Cent villages sans lien sinon
L'ancienne antienne de leurs noms
L'odorante fleur du langage
 
Une romance à ma façon
Amour de mon pays mémoire
Un collier sans fin ni fermoir
Le miracle d'une chanson
 
Adieu Forléans Marimbault
Vollore-Ville Volmerange
Avize Avoine Vallerange
Ainval-Septoutre Mongibaud
 
Fains-la-Folie Aumur Audance
Guillaume-Peyrouse Escarmin
Dancevoir Parmilieu Parmain
Linthes-Pleurs Caresse Abondance ...
 

Musiques s'il n'est pas trop tard
Parfumez le vent parfumé
Sanglotez les cent noms aimés
Que j'écoute au loin vos guitares.

 
" La Diane française "
Ecrit sous l'occupation allemande ( 1940-1944 ). E voque le départ d'un jeune patriote pour le maquis et les combats.
 

 

 LES TROIS PÂQUES DE L'ANNEE
 
A la première Pâque il fleurit des lilas La terre est toute verte oublieuse d'hiver Tout le ciel est dans l'herbe et se voit à l'envers A la première Pâque
 
A la Pâque d'été j'ai perdu mon latin Il fait si bon dormir dans l'abri d'or des meules Quand le jour brûle bien la paille des éteules A la Pâque d'été
 
A la Pâque d'hiver il soufflait un grand vent Ouvrez ouvrez la porte à ces enfants de glace Mais les feux sont éteints où vous prendriez place A la Pâque d'hiver
 
Trois pâques ont passé revient le Nouvel An C'est à chacun son tour cueillir les perce-neige L'orgue tourne aux chevaux la chanson du manège Trois Pâques ont passé
 
Revient le Nouvel An qui porte un tablier Comme un grand champ semé de neuves violettes Et la feuille verdit sur la forêt squelette Revient le Nouvel An
 
Saisons de mon pays variables saisons Qu'est-ce que cela fait si ce n'est plus moi-même Qui sur les murs écris le nom de ce que j'aime Saisons de mon pays
 
Saisons belles saisons
 
" Le Nouveau Crève-Coeur " Gallimard

 

 BALLADE DE CELUI QUI CHANTE DANS LES SUPPLICES
 
Et s'il était à refaire
Je referais ce chemin
Une voix monte des fers
Et parle des lendemains
 
On dit que dans sa cellule
Deux hommes cette nuit-là
Lui murmuraient Capitule
De cette vie es-tu las
 
Tu peux vivre tu peux vivre
tu peux vivre comme nous
Dès le mot qui te délivre
Et tu peux vivre à genoux
 
Et s'il était à refaire
Je referais ce chemin
La voix qui monte des fers
Parle pour les lendemains
 
Rien qu'un mot la porte cède
S'ouvre et tu sors Rien qu'un mot
Le bourreau se dépossède
Sésame Finis tes maux
 
Rien qu'un mot rien qu'un mensonge
Pour transformer ton destin
Songe songe songe songe
A la douceur des matins
 
Et si c'était à refaire
Je referais ce chemin
La voix qui monte des fers
Parle aux hommes de demain
 
J'ai dit tout ce qu'on peut dire
L'exemple du roi Henri
Un cheval pour mon empire
Une messe pour Paris
 
Rien à faire Alors qu'ils partent
Sur lui retombe son sang
C'était son unique carte
Périsse cet innocent
 
Et si c'était à refaire
Referait-il ce chemin
La voix qui monte des fers
Dit Je le ferai demain
 
Je meurs et la France demeure
Mon amour et mon refus
O mes amis si je meurs
Vous saurez pourquoi ce fut
 
Ils sont venus pour le prendre
Ils parlent en allemand
L'un traduit Veux-tu te rendre
Il répète calmement
 
Et si c'était à refaire
Je referais ce chemin
Sous vos coups chargés de fers
Que chantent les lendemains
 
Il chantait lui sous les balles
Des mots sanglants est levé
D'une seconde rafale
Il a fallu l'achever
 
Une autre chanson française
A ses lèvres est montée
Finissant la Marseillaise
Pour toute l'humanité.
 

 

 Paul ARENE
PAYSAGE
L'automne à Chaville est superbe ;
Le bois par place est resté vert ;
Ailleurs, tournant au vent d'hiver
Les feuilles s'abattent sur l'herbe ;
Mais les grands chênes fiers encor,
Gardent leur parure tenace,
Et, sentant que le froid menace
S'habillent de cinabre et d'or,
Qu'importe si le ciel est sombre,
Quand on a la claire forêt !
Son feuillage ardent qui paraît
Plus radieux au sein de l'ombre
Nous garde en ses rameaux vermeils,
Dans ses feuilles d'or pur baignées
Et de longs rayons imprégnées,
Le souvenir des vieux hivers.

 

 Albert AYGUESPARSE
COTE UBAC
LANGAGE
 
COTE UBAC
Après la fête des fauchaisons,
L'été essaye sur la pierre
Le tranchant de ses jours.

Au pied des montagnes
La source noircit les socs.
Couronnée de chardons et d'oiseaux,
La ville regarde sous elle
La coulée solaire de l'exil.
Son armure de schiste
Brille dans l'herbe mûre.
A menus coups de langue,
L'eau lente du fleuve
Lustre sa peau d'ardoise
Au flanc des vallées calcinées
D'or et d'ombre peintes,
Le soleil s'endort sur les scories
 
"Ecrire la pierre"
 
 
 
 
LANGAGE
Je dis : nuit, et le fleuve des étoiles coule sans bruit, se tord comme le bras du laboureur autour d'une belle taille vivante.
Je dis : neige, et les tisons noircissent le bois des skis.
Je dis : mer, et l'ouragan fume au-dessus des vagues, troue les falaises où le soleil accroche des colliers de varechs.
Je dis : ciel, quand l'ombre de l'aigle suspendue dans le vide ouvre les ailes pour mourir.
Je dis : vent, et la poussière s'amoncelle sur les dalles, ensevelit les bouquets de perles, ferme les paupières encore mouillées d'images de feu.
Je dis : sang, et mon coeur s'emplit de violence et de glaçons fous.
Je dis : encre, et les larmes se mettent à bruire toutes ensemble.
Je dis : feu sur les orties, et il pousse des roses sur l'encolure des chalets.
Je dis : pluie, pour noyer les bûchers qui s'allument chaque jour.
Je dis : terre, comme le naufragé dit terre quand son radeau oscille au sommet de la plus haute vague et les oiseaux effrayés par mes cris abandonnent les îles qui regardent de leurs prunelles mortes les merveilles des nuages.
 
"Encres couleur de sang"

 Daniel BANCTEL
QUAND
une voixQuand je serai grand
dit l'enfant
J'aurai une armée de cerfs-volants
(petite pause)
et je serai les ailes du vent
plusieurs voix et nous irons chercher des couleurs hors du temps.
une voixEn silence
nous survolerons le puits de l'ignorance
où des hommes puisent
la science
une voixEn silence
nous irons et ne reviendrons
plusieurs voix En silence
nous oublierons les tic les toc
les attaques du temps
une voixNous le noierons avec la science
dans l'absence
et ... nous irons
une voixnous irons au pays des cerfs-volants
avec ses couleurs hors du temps
plusieurs voix nous serons ... vrai
comme un rêve ...

 

 Théodore de BANVILLE
 
 
LE JOUR
BALLADE DES PAUVRES GENS
 
 
 
 
LE JOUR
 
Tout est ravi quand vient le jour
Dans les cieux flamboyants d'aurore.
Sur la terre en fleur qu'il décore
La joie immense est de retour.
 
Les feuillages au pur contour
Ont un bruissement sonore ;
Tout est ravi quand vient le jour
Dans les cieux flamboyants d'aurore.
 
La chaumière comme la tour
Dans la lumière se colore,
L'eau murmure, la fleur adore
Les oiseaux chantent, fous d'amour.
Tout est ravi quand vient le jour.
 
 
 
 
 
BALLADE DES PAUVRES GENS
 
Rois qui serez jugés à votre tour,
Songez à ceux qui n'ont ni sou ni maille;
Ayez pitié du peuple tout amour,
Bon pour fouiller le sol, bon pour la taille
Et la charrue, et bon pour la bataille.
Les malheureux sont damnés, - c'est ainsi!
Et leur fardeau n'est jamais adouci.
Les moins meurtris n'ont pas le nécessaire.
Le froid , la pluie et le soleil aussi,
Aux pauvres gens tout est peine et misère.
 
Le pauvre hère en son triste séjour
Et tout pareil à ses bêtes qu'on fouaille.
Vendange-t-il, a-t-il chauffé le four
Pour un festin ou pour une épousaille,
Le seigneur vient, toujours plus endurci:
Sur son vassal, d'épouvante saisi,
Il met sa main, comme un aigle sa serre,
Et lui prend tout en disant :" me voici!"
Aux pauvres gens tout est peine et misère.
 
 
 
 
 

 

 

 

Frédéric BATAILLE
LA GRAND'MERE
Silencieuse devant l'âtre
Où la flamme gaiement folâtre,
Grand-mère songe au bon vieux temps,
Au clair soleil de ses vingt ans.
Elle a gardé fraîche mémoire
Et raconte plus d'une histoire
Aux petits, qui n'ont pas encor
Le regret de leurs rêves d'or.
Souriante, la chère vieille
Branle la tête puis sommeille ;
Les voisins se sont dit adieu ;
Le chat ronronne au coin du feu.
Ron ! ron ! Dormez, grand-mère.
Le rêve est doux quand on espère !
Dormez ! Le vent d'hiver s'est tu...
Que le printemps vous soit rendu !

 Charles BAUDELAIRE
LE CHAT
De sa fourrure blonde et brune
Sort un parfum si doux, qu'un soir
J'en fus embaumé, pour l'avoir
Caressée une fois, rien qu'une.
C'est l'esprit familier du lieu ;
Il juge, il préside, il inspire
Toutes choses dans son empire ;
Peut-être est-il fée, est-il dieu ?
Quand mes yeux, vers ce chat que j'aime,
Tirés comme par un aimant,
Se retournent docilement
Et que je regarde en moi-même,
Je vois avec étonnement
Le feu de ses prunelles pâles,
Clairs fanaux, vivantes opales,
Qui me contemplent fixement.
 
 
"Les fleurs du mal"
 
 
 
 

 Hervé Bazin
VERT DE MER
Un poisson connaissait par coeur les noms de tous les autres poissons.
Il connaissait les algues, les courants, les sédiments, les coquillages.
C'était un érudit.
Il exigeait d'ailleurs qu'on l'appelât " Maître "!
Il savait tout de la mer mais il ignorait tout de l'homme.
Et un jour il se laissa prendre ou bout d'un tout petit hameçon.
 
 
Madeleine LE FLOCH
"Petits contes verts pour le printemps et pour l'hiver."
 
Le cherche midi éditeur
 

 Pierre BEARN
LES ARAIGNEES ET LES DICTONS
Araignée du matin : chagrin,
pensait un bébé coccinelle
cherchant à libérer ses ailes.
Araignée du midi : souci,
grognait un rat dans son chagrin
de voir un chat près de sa belle.
Araignée du soir : espoir,
disait au briquet l'étincelle
mourant dans le vent du jardin.
Mais l'araignée dans sa nacelle
prisonnière à vie de sa faim
rêvait qu'elle était hirondelle.
 
 
" Le livre d'or des poètes n°1 Seghers "

 Michel BEAU
L'ETOURDI
A B C
qui a vu passer
D E F
la tête à Joseph
G H I
quand elle est partie
J K L
elle avait des ailes
M N O
pour aller là-haut
P Q R
voler dans les airs
V W
pour la retrouver
X Y Z
il faut que tu m'aides.
 
 
"Jonglerimes"
droits réservés

 Barbara BEIDLER
REFLEXIONS APRES UN ARROSAGE AU NAPALM SUR LES VILLAGES PRES DE HAIPHONG
Tout était calme.
Le soleil se leva dans les pins argentés,
Au-dessus des toits verts des huttes endormies,
Au-dessus des fraîches rizières,
A travers la forêt d'émeraude,
Puis il gagna le plein ciel.
Et puis soudain l'éclair. Argent et or,
Argent et or.
Vol d'oiseaux d'argent.
Averse d'or.
L'eau nouvelle enflamma les rizières.
La forêt brûla, dorée, lâchant des oiseaux de feu,
De petits animaux en fourrure de flammes.
Et puis les enfants s'enflammèrent.
Ils couraient. Leurs vêtements volaient comme des cerfs-volants.
Ils criaient. Leurs cris mouraient sur leurs visages consumés.
Ceux des hommes s'embrasaient sur les rizières.
Alors vint la pluie.
Un chiffon noirci de suie se mit à flotter.
Un rond de fumée sortit d'une tige de riz.
La forêt resta là, consumée et roussie.
Une hutte s'effondra.
Et puis, tout fut calme.

 Monika BEISNER
SI TU VEUX VOYAGER LOIN
Si tu veux voyager loin
Voler plus vite que le faucon
Prends un peu d' huile,
Un peu de neige
Fais-les bouillir dans la marmite
Pendant une lune et demie
Sur un feu de charbon de bois.
Mets tout ça dans un sac,
Laisse bien reposer
Puis mélange avec le charbon calciné,
Erase le tout sur une table d' albâtre
Et verse la poudre dans une corne,
Prends-en une pincée
Que tu glisses dans un gros livre.
Mets le livre dans ta robe,
Dans une poche bien cachée.
Prends le livre dans ta main,
Pense à l' endroit où tu veux aller;
Penses-y fort, fort, fort.
Quand tu seras prête à t' envoler
Dis trois fois sispi, sispi, sispi
Et te voilà bien arrivée.
Si tu veux t' en retourner
Dis trois fois tsi, tsi, tsi
Et te voilà bien retournée.
 
"Enchantements et sortilèges"
Traduction française Jenny Ladoix

 

 Jacques BENS
MODESTE
Parfois, mes amis boudent, me font grise mine
Et me tournent le dos. Pour lors, je m'examine.
Par exemple, je crois qu'on me dit prétentieux.
 
Non vraiment, blague à part : je n'ai pas l'air modeste ?
Prétentieux ! pas de reproche plus fallacieux !
Je ne juge jamais, ne tranche, ni n'incrimine !
Sur les autres, jamais mon avis ne domine !
(Pourtant, presque toujours, c'est le plus judicieux. )
Objectivement, moi, je me trouve modeste.
Bien plus : considérez tel autre qui proteste
Et qui, probablement, se voit plus que parfait.
Ecoutez-le parler : sans cesse il admoneste,
Conseille, contredit, exhorte, manifeste !
Et c'est moi qu'on vient accuser de ce forfait ?
 
 
"41 sonnets irrationnels."
Editions Gallimard
 

 Luc BERIMONT
LES POINTS SUR LES I
Je te promets qu' il n' y aura pas d' i verts
Il y aura des i bleus
Des i blancs
Des i rouges
Des i violets, des i marron
Des i guanes, des i guanodons
Des i grecs et des i mages
Des i cônes, des i nattentions
Mais il n' y aura pas d' i verts
 
 
"La poésie comme elle s' écrit "

 Robert BESSE
L'ARC EN CIEL
De sa cage de nuages et de pluie
Un bel oiseau s' est évadé
Pour se poser sur les doigts du soleil
Bleu indigo violet
Vert jaune orangé rouge
Plus un enfant ne bouge
Le bel oiseau a déployé
Ses plumes sur le ciel
 
"Poèmes pour un oiseau"
Editions Trace

 

 A.BLANC - PERIDIER
LE PAGE ET LE PERROQUET
 
récitantLe page de la reine
 Le perroquet du roi,
Pleurant à perdre haleine,
Criant à pleine voix
Ont porté leur dispute
Devant le tribunal
Où siégeaient quatre juges
Et quatorze avocats.
le perroquetHélas ! Monsieur le Juge,
récitantDisait le perroquet
Le perroquetIl m'arracha deux plumes !
le pageIl m'a mordu le nez !
le perroquetIl m'a fait la grimace !
le pageIl m'a traité de sot !
le perroquetQu'on l'envoie en disgrâce ! ...
le pageQu'on étrangle Jacko !
récitantMessieurs, faites justice !
le pagePour moi j'ai le bon droit
 Punissez la malice
Du méchant Cacatois
le perroquetJ'aviserai la reine
 J'irai me plaindre au roi.
le pageMoi je porte la traîne.
le perroquetJe perche sur son doigt.
récitantSous leur grande perruque,
 Dans un noir embarras,
Le président, les juges
Ne se décidaient pas.
un jugeDeux si hauts personnages !
 Faut-il pendre le page ?
Plumer le perroquet ?
récitantLa reine jeune et belle
 Passait à ce moment ;
S'enquit de la querelle
Et sourit gentiment.
Donna deux chiquenaudes
Au page et à l'oiseau
A son page une rose,
Un biscuit à Jacko.
Sur son perchoir, fort sage,
Le perroquet s'endort
Et le page gambade :
Tout le monde est d'accord.
Et la magistrature
S'en va pompeusement
Noter cette aventure
Et ses considérants
 

 

 Alain BOSQUET
 
 
MER
 
POEME POUR UN ENFANT LOINTAIN
 
 
 
 
MER
 
La mer écrit un poisson bleu,
efface un poisson gris.
La mer écrit un croiseur qui prend feu,
efface un croiseur mal écrit.
Poète plus que les poètes,
musicienne plus que les musiciennes,
elle est mon interprète,
la mer ancienne,
la mer future,
poteuse de pétales,
porteuse de fourrure.
Elle s'installe
au fond de moi : la mer écrit un soleil vert,
mer écrit un soleil entrouvert
sur mille requins qui se sauvent.
 
" Deuxième testament 1959 Gallimard
 
 
 
POEME POUR UN ENFANT LOINTAIN
 
Tu peux jouer au caillou :
il suffit de ne pas bouger,
très longtemps, très longtemps.
 
Tu peux jouer à l'hirondelle :
il suffit d'ouvrir les bras
et de sauter très haut, très haut.
Tu peux jouer à la rivière :
il suffit de pleurer
pas très fort, pas très fort.
 
Tu peux jouer à l'arbre :
il suffit de porter quelques fleurs,
qui sentent bon, qui sentent bon.
 
Tu peux jouer à l'étoile :
il suffit de fermer l'oeil,
puis de le rouvrir,
beaucoup de fois , beaucoup de fois.
 
"Le cheval applaudit"
 

 BOURGERIE Rémi
LES BOIS
 
Les bois gémissent sous les tourments
que leur claque la pluie, que leur siffle le vent ,
les bois gémissent, et les feuilles meurtries
tournoient et tombent lentement .
 
Les maisons du village tapi au coin du bois
se groupent et se pressent .
pour résister au vent qui frôle la terre
et vient en ricanant
tordre les fumées bleues des cheminées craintives
 
 
"Graines dans le Vent"
 

 Bertold BRECHT
 
 
MON GENERAL, VOTRE TANK EST SI SOLIDE!
 
Il couche une forêt, il écrase
cent hommes.
Mais il a un défaut :
il a besoin d'un mécanicien.
 
Mon général, votre bombardier est si puissant !
il vole plus vite que l'orage
et transporte plus qu'un éléphant.
Mais il a un défaut :
il a besoin d'un pilote.
 
Mon général, l'homme est très utile!
Il sait voler, il sait tuer.
Mais il a un défaut :
il sait penser.
 
"Chansons et poésies"
 

 Jacques BREL
LE PLAT PAYS
 
Avec la Mer du Nord
Pour dernier terrain vague
Et des vagues de dunes
Pour arrêter les vagues
Et de vagues rochers
Que les marées dépassent
Et qui ont à jamais
Le coeur à marée basse
Avec infiniment
De brumes à venir
Avec le vent d'Ouest
Ecoutez-le tenir
Le plat pays qui est le mien.
 
Avec des cathédrales
Pour uniques montagnes
Et de noirs clochers
Comme mâts de cocagne
Où des diables en pierre
Décrochent les nuages
Avec le signe des jours
Pour unique voyage
Et des chemins de pluie
Pour unique bonsoir
Avec le vent de l'Est
Ecoutez-le vouloir
Le plat pays qui est le mien.
 
Avec un ciel si bas
Qu'un canal s'est perdu
Avec un ciel si bas
Qu'il fait l'humilité
Avec un ciel si gris
Qu'un canal s'est pendu
Avec un ciel si gris
Qu'il faut lui pardonner
Avec le vent du Nord
Qui vient s'écarteler
Avec le vent du Nord
Ecoutez-le craquer
Le plat pays qui est le mien.
 
Avec de l'Italie
Qui descendrait l'Escault
Avec Frida la blonde
Quand elle devient Margot
Quand les fils de Novembre
Nous reviennent en Mai
Quand la plaine est fumante
Et tremble sous juillet
Quand le vent est au blé
Quand le vent est au Sud
Ecoutez le chanter
Le plat pays qui est le mien.
 
SEMI et POUCHENEL BRUXELLES

 Jean BRIANES
. . . . . . . . . . .
 
 
A Il a marché toute la nuit
B il a traversé les torrents
C il a dansé dans les prairies
D il a chanté dans la forêt
et lié conversation avec les hiboux
 
A il a grimpé aux arbres et caressé les renards endormis
B il s'est déguisé en fouine puis en belette
C il a joué à cache-cache avec les écureuils
D personne n'a dormi dans la montagne
 
A il a frappé au volet chez Doucelin
B il est allé parler aux chevaux dans l'écurie de la ferme du Rossignol
C il a détaché les chèvres de la Renardière
et ri à la lune dans l'eau de la fontaine du Saule
D il a même compté les étoiles
dans la mare de la Clémence
ça lui a pris un bout de temps
 
A puis est allé voir les bergers du côté du Jas de l'Etoile
B c'était presque l'aube il a trait les brebis avec eux
C puis il s'est couché dans l'herbe
D et il a roulé jusqu'aux gorges
 
tous :
là on ne l'a plus vu
le soleil se levait
et l'a bu pour son déjeuner
 
 
Chansons

 BRIZEUX Auguste
 
 
LA BAIE DES TREPASSES
... Devant ce cap du monde,
Dont la crête s'élève à trois cents pieds de l'onde,
Dans ces mornes courants, par le temps le meilleur,
Nul ne passa jamais sans mal ou sans frayeur !
En face, la voici, l'effroi de l'Armorique,
L'Ile-des-Sept-Sommails, Sein, l'île druidique,
Si basse à l'horizon, qu'elle semble un radeau
Entouré d'un millier de récifs à fleur d'eau !
Ah ! demain, venez voir entre la pointe et l'île,
Les perfides courants briller comme de l'huile ;
Venez voir bouillonner la mer ; et, sur les rocs,
Ouvrez encor l'oreille au grand bruit de ses chocs !
L'épouvante est partout sur ce haut promontoire,
Et chacun de ses noms dit assez son histoire.
A gauche, ces rochers de la couleur du feu,
C'est l'enfer de Plô-Goff ; sur la droite au milieu
De ces dunes à pic, c'est l'exécrable baie,
La baie des Trépassés, blanche comme la craie :
Son sable pâle est fait des ossements broyés,
Et les bruits de ses bords sont les cris des noyés ! ...
 
Les chants bretons, dixième
 

René-Guy CADOU
 
 
AUTOMNE
LETTRE A DES AMIS PERDUS
L' ENFANT
 
 
 
AUTOMNE
 
Odeur des pluies de mon enfance,
Derniers soleils de la saison !
A sept ans comme il faisait bon,
Après d'ennuyeuses vacances,
Se retrouver dans sa maison !
 
La vieille classe de mon père,
Pleine de guêpes écrasées,
Sentait l'encre, le bois, la craie,
Et ces merveilleuses poussières
Amassées par tout un été.
 
O temps charmant des brumes douces,
Des gibiers, des longs vols d'oiseaux !
Le vent souffle sous le préau,
Mais je tiens entre paume et pouce
Une rouge pomme à couteau.
 
 
"Les amis d'enfance"
 
 
 
 
LETTRE A DES AMIS PERDUS
 
Vous étiez là je vous tenais
Comme un miroir entre mes mains
La vague et le soleil de juin
Ont englouti votre visage
 
Chaque jour
je vous ai écrit
Je vous ai fait porter mes pages
Par des ramiers par des enfants
Mais aucun d'eux n'est revenu
Je continue à vous écrire
 
Tout le mois d'août s'est bien passé
Malgré les obus et les roses
Et j'ai traduit diverses choses
En langue bleue que vous savez
 
Maintenant j'ai peur de l'automne
Et des soirées d'hiver sans vous
Viendriez-vous pas au rendez-vous
Que cet ami perdu vous donne
En son pays du temps des loups
 
Venez donc car je vous appelle
Avec tous les mots d'autrefois
Sous mon épaule il fait bien froid
Et j'ai des trous noirs dans les ailes
 
 
 
 
L' ENFANT
 
Tu as sept ans et tu vas à l'école
Tes vêtements sentent la colle
De menuisier
Tu as rempli de fleurs champêtres ton plumier
Tu marches lentement en évitant la fange
Tu as des étoiles dans tes cheveux qui te démangent
Tu regrettes un peu l'odeur des grands sapins
Tu voudrais t'arrêter et partager ton pain
Avec la petite fille qui passe
Tu n'es pas toujours le premier en classe
Tu es bavard
Tu dessines des chats sur ton papier buvard
Tu regardes souvent le ciel par la fenêtre tu rêves à de bons bergers qui t'ont vu naître
mais tu sais lire aussi et déjà dans le vent
Tu découvres tout seul des tas de mots savants
Des mots qui prononcés font du bien à tes lèvres
Tu sais tresser le jonc et conduire les chèvres
D'un geste simple et doux apaiser les chevaux.
 
"Les amis d'enfance in poésie la vie entière."
 
 

CAIR André
 
 
LA POULETTE
ON LISAIT DES POESIES
 
 
 
 
LA POULETTE
 
Cot cot cot cot codette
Je suis la jolie poulette
J'ai pondu trois jolis oeufs
Un tout vert et un tout bleu
Le troisième est orangé
Cot cot cot cot cot codé.
 
J'ai couvé mes jolis oeufs
Le vert, l'orangé, le bleu,
Et j'ai eu trois beaux poussins
Qui avaient l'air très malins :
Le premier qui était vert
A couru toutes les mers ;
Le second qui était bleu
A fait des sauts de sept lieues ;
Le troisième l'orangé
Passe son temps à chanter...
 
Ce sont des poussins fameux
L'orangé, le vert, le bleu
Et moi je suis la poulette
Cot cot cot cot cot codette
 
"Farfelettis"
 
 
 
 
ON LISAIT DES POESIES
 
On lisait des poésies
on a oublié le rôti.
Le rôti est tout brûlé
charbonné
calciné.
 
Nous ne l'avons pas mangé
le rôti tout brûlé
charbonné
calciné.
 
On a mangé un sandwich
du fromage et des radis
en lisant des poésies.
 
"Farfelettis"
 

 Marie Magdeleine CARBET
L'ACACIA
 
Le vent
Passait, pleurant
L'acacia dit : " Vent d'automne
Au front gris,
Tu t'ennuies :
Je te donne
Mes feuilles
Prends, cueille
Et va jouer au volant
Avec ton amie
La pluie.
Le printemps,
En son temps,
M'en fera de plus jolies ! "
 
" Mini-poèmes sur trois méridiens "

 

 

 Francis CARCO
 
 
LA FENETRE EST OUVERTE
 
La fenêtre est ouverte et le jardin s'endort,
Longuement, avec des bruits d'eau et des murmures
D'invisibles oiseaux blottis dans les ramures
Que le soir a tiédies de sa caresse d'or.
 
La fenêtre est ouverte. Et monte le silence
Du coeur des fleurs, du coeur de l'ombre jusqu'à nous
Qui, pensifs, l'écoutons venir à pas très doux
Du fond de notre obscure et grave conscience.
 
La fenêtre est ouverte... et le jardin n'est plus
Qu'une chose confuse et doucement lointaine
Où l'on entend parfois, aux rumeurs des fontaines,
Bouger les ailes des oiseaux qui se sont tus.
 
"La Bohême et mon coeur"

 

 

 

Maurice CAREME
LE HERISSON
L'ECOLE
LES BOULEAUX
TU ES BELLE, MA MERE
LE JEU DE CARTES
TROIS ESCARGOTS
J'ENRAGE
LE GIVRE
LE CRABE
AU CIRQUE
LE MOINEAU
JE DANSE
LE RETOUR DU ROI
POUR MON PERE
LE HIBOU
LA MESANGE ET LE PÊCHER
L'ECOLIERE
L'HEURE DU CRIME
L'ECUREUIL ET LA FEUILLE
LIBERTE
 
 
 
 
LE HERISSON
 
Bien que je sois très pacifique,
Ce que je pique et pique et pique,
Se lamentait le hérisson.
Je n'ai pas un seul compagnon.
Je suis pareil à un buisson,
Un tout petit buisson d'épines
Qui marcherait sur des chaussons.
J'envie la taupe, ma cousine,
Douce comme un gant de velours
Emergeant soudain de labours.
Il faut toujours que tu te plaignes,
Me reproche la musaraigne.
Certes, je saois me mettre en boule
ainsi qu'une grosse châtaigne,
Mais c'est surtout lorsque je roule
Plein de piquants, sous un buisson,
Que je pique, et pique et repique,
Moi qui suis si, si pacifique,
Se lamentait le hérisson.
 
 
 
 
L'ECOLE
 
L'école était au bord du monde,
L'école était au bord du temps.
Au-dedans, c'était plein de rondes ;
Au-dehors, plein de pigeons blancs.
 
On y racontait des histoires
Si merveilleuses, qu'aujourd'hui,
Dès que je commence à y croire,
Je ne sais plus bien où j'en suis.
 
Des fleurs y grimpaient aux fenêtres
Comme on n'en trouve nulle part,
Et, dans la cour gonflée de hêtres,
Il pleuvait de l'or en miroirs.
 
Sur les tableaux d'un noir profond,
Vogaient de grandes majuscules
Où, de l'aube au soir, nous glissions
Vers de nouvelles péninsules.
L'école était au bord du monde,
L'école était au bord du temps,
Ah ! que ne suis-je encore dedans
Pour voir, au-dehors les colombes !
 
La flûte au verger
Fondation Maurice Carême
 
 
 
 
LES BOULEAUX
 
Se profilant, tous blancs de tronc,
Sur le bleu doux de l'horizon,
Six bouleaux sont plantés en rond.
 
Le premier croît au bord de l'eau
Et, tendu vers les matelots,
Regarde passer les bateaux.
 
Le deuxième à l'orée d'un champ,
Les branches basses et rêvant,
Se laisse bercer par le vent.
 
Le troisième, rempli d'oiseaux
Chante comme un immense nid
Dans l'air bourdonnant de midi.
 
Le quatrième abrite un mort.
Depuis le jour de l'accident,
Jamais, jamais on ne l'entend.
 
Et le cinquième et le sixième
Ne sont pas d'accord, car ils aiment
L'un, la flûte, l'autre, le cor.
 
Se profilant, tous blancs de tronc,
Sur le bleu doux de l'horizon,
Six bouleaux sont plantés en rond.
 
Quand des bouleaux si différents
Vivent heureux sous le soleil,
Pourquoi nous veut-on tous pareils,
Nous autres, les enfants ?
 
 
"La lanterne magique"
 
 
 
 
TU ES BELLE, MA MERE
 
Tu es belle, ma mère,
Comme un pain de froment
Et dans tes yeux d'enfant,
Le monde tient à l'aise.
 
Ta chanson est pareille
Au bouleau argenté
Que le matin couronnne
D'un murmure d'abeilles.
 
Tu sens bon la lavande,
La cannelle et le lait,
Ton coeur candide et frais
Parfume la maison.
 
Et l'automne est si doux
Que les derniers coucous
Autour de tes cheveux
Viennent te dire adieu.
 
 
"Mère"
 
 
 
 
LE JEU DE CARTES
 
Quel étrange jeu de cartes !
Les rois n'aiment pas les reines,
Les valets veulent combattre
Et les dix n'ont pas de veine.
 
Les piques, plus pacifiques,
Se comprennent assez bien,
Ils adorent la musique
Et vivent en bohémiens.
 
Les trèfles sont si distraits
Qu'ils tombent sur les carreaux.
Quand un cinq rencontre un sept
Ils se traitent de nigauds.
 
Quel étrange jeu de cartes !
Le diable même en a peur
Car il s'est brûlé la patte
En retournant l'as de coeur.
 
 
 
TROIS ESCARGOTS
 
J'ai rencontré trois escargots,
Qui s'en allaient cartable au dos.
 
Et, dans le pré, trois limaçons
Qui disaient par coeur leur leçon.
 
Puis, dans les champs, quatre lézards
Qui écrivaient un long devoir.
 
Où peut se trouver leur école ?
Au milieu des avoines folles ?
 
Et leur maître, est-il ce corbeau
Que je vois dessiner là-haut
De belles lettres au tableau ?
 
 
 
J'ENRAGE
 
Il pleut, il pleut, il mouille.
J'en veux à la grenouille
A la mésange bleue
Qui chantent quand il pleut.
Je donnerais mes billes,
Ma balle et mes groseilles
Pour qu'un peu de soleil
Sorte sur ses béquilles.
 
Mais que peut un enfant
Sinon montrer les dents
Sans jamais oser mordre !
.
 
Depuis l'aube, j'enrage
Ah ! si je pouvais tordre
Le cou à ces nuages.
 
 
 
 
LE GIVRE
 
Mon Dieu! comme ils sont beaux
Les tremblants animaux
Que le givre a fait naître
La nuit sur ma fenêtre!
 
Ils broutent des fougères
Dans un bois plein d'étoiles
Et l'on voit la lumière
A travers leurs corps pâles.
 
Il y a un chevreuil
Qui me connaît déjà.
Il soulève pour moi
Son front d'entre les feuilles
 
Et quand il me regarde
Ses grands yeux sont si doux
Que je sens mon coeur battre
Et trembler mes genoux.
 
Laissez-moi, ô décembre!
Ce chevreuil merveilleux
Je resterai sans feu
Dans ma petite chambre.
 
 
 
 
LE CRABE
 
Crabe, crabe, méchant crabe
Rouge et jaune comme un diable
Je te tiens dans mon filet.
Ah ! que tu es misérable,
Crabe, crabe, gringalet ,
Quand tu n' es plus sur le sable
Où la mer coud ses ourlets !
Que vais-je faire de toi,
Crabe, crabe méchant crabe
Je te vois sauter d' effroi,
Mordre dans mon filet vert
Et courir tout de travers
Allons, bon, je te pardonne.
Je vais te rendre à la mer
Tout étoilée d' anémones.
Crabe, crabe souviens-toi :
Ne me pince plus les doigts.
 
 
 
 
AU CIRQUE
 
Ah ! si le clown était venu !
Il aurait bien ri, mardi soir :
Un magicien en cape noire
A tiré d' un petit mouchoir
Un lapin, puis une tortue
Et, après, un joli canard.
Puis il les a fait parler
En chinois, en grec, en tartare.
Mais le clown était enrhumé :
Auguste était bien ennuyé.
Il dut faire l' équilibriste
Tout seul sur un tonneau percé.
C' est pourquoi je l' ai dessiné
Avec des yeux tout ronds, tout tristes
Et de grosses larmes qui glissent
Sur son visage enfariné.
 
 
"La Fête en poésie"
 
 
 
 
LE MOINEAU
 
"Je suis né moineau
Sur le bord d' un toit.
Je suis comme il faut
Que le moineau soit.
 
Allègre, narquois,
Tout en petits sauts ,
Je suis né moineau
En mai, sur le toit.
 
Je ne suis pas beau
Et j' ai peur des chats.
Oui, mais quelle joie
Quand je crie là-haut
Sur le bord du toit ! "
 
 
"A cloche pied."
 
 
 
 
JE DANSE
 
Je danse dans la nuit,
Je danse dans le vent.
Mes douces mains qui plient
Tiennent légèrement
Ma robe d'rgandi
Ma robe, souplement
Pirouette et s'éploie
Tandis, qu'autour de moi,
Dans la nuit, dans le vent,
Les astres pirouettent
Dans leur robe d'argent.
 
 
"La lanterne magique "
 
 
 
 
LE RETOUR DU ROI
 
Casque de fer, jambe de bois,
Le roi revenait de la guerre,
Jambe de bois, casque de fer,
Il claudiquait, mais chantait clair
A la tête de ses soldats .
 
Soie de Nemours, velours de Troie,
La reine attendait sur la tour.
Velours de Troie, soie de Nemours,
La reine était rose de joie
Et riait doux comme le jour.
 
Souliers troués, fleur au chapeau,
On dansait ferme sur les quais.
Fleur au chapeau, souliers troués,
Le vent faisait claquer l' été
Sur les places comme un drapeau.
 
Fifres au clair, tambour battant,
Le roi marchait de travers.
Tambour battant, fifres au clair,
Il n' avait pas gagné la guerre,
Mais il en revenait vivant.
 
 
"La grange bleue."
 
 
 
 
POUR MON PERE
 
Mon père aimé, mon père à moi,
Toi qui me fais bondir
Sur tes genoux
Comme un chamois
 
Que pourrais-je te dire
Que tu ne sais déjà ?
Il fait si doux
 
Quand ton sourire
Eclaire tout
Sous notre toit !
 
Je me sens fort,
Je me sens roi
Quand je marche à côté de toi.
 
Volière
 
 
 
 
LE HIBOU
 
Caillou, genou, chou, pou, joujou, bijou,
Répetait sans fin le petit hibou .
 
Joujou, bijou, pou, chou, caillou, genou
Non, se disait-il, non, ce n' est pas tout.
 
Il y en a sept pourtant, sept en tout :
Bijou, caillou, pou, genou, chou, joujou.
 
Ce n' est ni bambou, ni clou, ni filou
Quel est donc le septième ? Et le hibou,
 
La patte appuyée au creux de sa joue,
Se cachait de honte à l' ombre du houx.
 
Et il se désolait, si fatigué
Par tous des devoirs de jeune écolier
 
Qu' il oubliait, en regardant le ciel
Entre les branches épaisses du houx
Que son nom, oui, son propre nom, hibou,
Prenait, lui aussi, un X au pluriel.
 
 
"L'Arlequin"
 
 
 
 
LA MESANGE ET LE PÊCHER
 
Légère comme un ange
Dans le matin doré,
La petite mésange caresse le pêcher.
 
Et le voilà tout drôle,
L'arbuste, en sa candeur,
D'entendre battre un coeur
Contre ses branches folles.
 
Il en devient tout rose
Et bien avant les roses,
Il éclate soudain,
 
Comme un grand feu d'abeilles,
De fleurs et de soleil,
Au milieu du jardin.
 
 
"La cage aux grillons"
 
 
 
 
L'ECOLIERE
 
Mon dieu ! que de choses à faire !
Enlève tes souliers crottés
Pends donc ton écharpe au vestiaire,
Lave tes mains pour le goûter.
 
Revois tes règles de grammaire
Ton problème est-il résolu ?
Et la carte de l'Angleterre
Dis, quand la dessineras-tu ?
 
Aurai-je le temps de bercer
Un tout petit peu ma poupée,
De rêver assise pa terre
Devant mes châteaux de nuées ?
 
Mon dieu ! que de choses à faire !
 
 
 
 
L'HEURE DU CRIME
 
Minuit. Voici l'heure du crime.
Sortant d'une chambre voisine,
Un homme surgit dans le noir.
  Il ôte ses souliers,
  S'approche de l'armoire
 Sur la pointe des pieds
 Et saisit un couteau
Dont l'acier luit, bien éguisé.
Puis, masquant ses yeux de fouine
Avec un pan de son manteau,
Il pénètre dans la cuisine
Et, d'un seul coup, comme un bourreau
Avant que ne crie la victime,
Ouvre le coeur d'un artichaut.
 
 
"Au clair de la lune"
 
 
 
 
 
L'ECUREUIL ET LA FEUILLE
 
Un écureuil, sur la bruyère,
Se lave avec de la lumière.
 
Une feuille morte descend,
Doucement portée par le vent.
 
Et le vent balance la feuille
Juste au-dessus de l'écureuil ;
 
Le vent attend, pour la poser,
Légèrement sur la bruyère,
 
Que l'écureuil soit remonté
Sur le chêne de la clairière
 
Où il aime à se balancer
Comme une feuille de lumière.
 
 
"La lanterne magique"
 
 
 
 
LIBERTE
 
Prenez du soleil
Dans le creux des mains,
Un peu de soleil
Et partez au loin.
 
Partez dans le vent,
Suivez votre rêve ;
Partez à l'instant,
La jeunesse est brève !
 
Il est des chemins
Inconnus des hommes,
Il est des chemins
Si aériens !
 
Ne regrettez pas
Ce que vous quittez.
Regardez, là-bas,
L'horizon briller.
 
Loin, toujours plus loin,
Partez en chantant.
Le monde appartient
A ceux qui n'ont rien.
 
 
"La lanterne magique"

 

Geneviève CARRON
VIRGULE
POINT D'INTERROGATION
POINT VIRGULE
POINT
POINT D'EXCLAMATION
 
 
 
 
 
VIRGULE
 
Hep là ! pensez à moi ! je m'appelle virgule,
Je suis une courte inspiration,
Je sers à une bonne compréhension.
Je m'appelle virgule
Je fragmente discrètement,
Vos longues tirades, de petits temps.
Je m'appelle virgule
Plus légère qu'un souffle,
Je m'appelle virgule
Et personne ne s'essouffle.
Je m'appelle virgule,
J'ai l'air insignifiante,
Ne vous y trompez pas, je suis très importante.
Je m'appelle virgule
M'avez-vous remarquée ?
Je m'appelle virgule,
Je me suis envolée.
 
 
"Vagabondages n° 35"
 
 
 
 
POINT D'INTERROGATION
 
Hein ? Quoi ? C'est à mon tour ?
Ne puis-je seulement faire demi-tour ?
Qui suis-je ?
Qui dois je interpréter ?
Quel est mon rôle et mon identité ?
S'il vous plaît ai-je mon nom ?
Hein ? quoi ? Vous dites ? Pardon ?
Si grande est ma confusion ...
Peut-être suis-je Question ?
Non ??? comment ? Pourquoi ?
Je vous en prie dites-moi quoi ?
Dans le chaos de mes émotions
Ma mémoire est un point d'interrogation.
 
"Vagabondages n° 35"
 
 
 
 
 
POINT VIRGULE
 
Un moment s'il vous plaît !
Je suis le point-virgule ;
Physiquement moins gracieux que ma soeur Virgule
Et moins léger aussi, mais elle est minuscule ;
Aussi mes interventions dans les phrases
Sont-elles plus pesantes, ont-elles plus d'emphase ;
Mais nous nous ressemblons Virgule et moi,
D'ailleurs elle est ma soeur, rien d'étonnant à cela !
Nous respectons les mots et ne les jugeons pas
Nous respectons leur sens et ne le changeons pas ;
Nous nous contentons de modérer leur débit
Nous ne leur demandons qu'un très léger petit répit
Pour leur laisser poursuivre ensuite la même idée,
Qui courait mot à mot lorsque nous sommes entrés.
On m'appelle aussi intermède
Puisque je laisse reprendre l'idée qui me précède.
 
 
"Vagabondages n° 35"
 
 
 
 
POINT
 
Stop ici. L'on ne va pas plus loin.
On va fermer la phrase dont je suis le point.
Je suis la limite de passage des mots.
La Virgule les ordonne, moi je coupe quand il faut.
J'empêche les cohues, les manifestations.
Je coupe à la limite de la compréhension.
Je suis la sentinelle qui retient le désordre
Et la voix baisse d'un ton avant que l'on m'aborde.
D'ailleurs, juste après moi, arrive un mot gradé
Important Chef de Phrase, d'une Majuscule orné.
Il peut mener à la suite au gré de son idée
Il a même permission de changer de sujet.
Dans ce cas-là d'ailleurs, je suis point à la ligne
Mais quel que soit mon nom, je suis incorruptible.
 
 
"Vagabondages n° 35"
 
 
 
 
POINT D'EXCLAMATION
 
Ca alors, c'est incroyable !
Tu fais preuve d'un talent admirable !
Eh bien, moi, sans hésitation,
Je suis le point d'exclamation !
J'assène les propos vifs et les interjections
Et j'ai toujours d'alertes réactions !
Bruyant soit ! Je ne suis pas atone !
Je ponctue les volées de mots qui résonnent !
Je ris. Je crie. Je claque. J'interpelle !
Je tempête. Je harcèle. Je martèle
Pif ! Paf ! Crac ! Boum ! Ha ! Ha !
Je suis l'ennemi des propos modérés
Et je vis aux éclats, n'en soyez point outrés!
 
 
"Vagabondages n° 35"

 Jean-Roger Caussimon
LA CHANSON DES COMEDIENS
 
Les comédiens
On dit souvent
Ca vend du vent
A la sauvette
Ils vont
De scène en scène et partent en tournée
Et dès qu'ils sont vêtus
Des habits qu'on leur prête
Ils deviennent Jésus
Harpagon ou Hamlet
Les comédiens ne seraient rien
Sans les lumières
Et comme ils veulent être aimés
Ils jouent
Même en plein jour
Comme disait Molière
Avant que les chandelles aient été allumées
Les comédiens
Disent les gens
C'est plus changeant
Que girouette
Ils jouent avec le mal
Ils jouent avec le bien
Ils versent de vrais pleurs
Ou font la pirouette
Ils ont de faux bonheurs
Ils ont de faux chagrins
Les comédiens
Quand le soir vient
Se reconnaissent
Ils savent qu'ils existent
Au creux de leur miroir
Lorsque le fond de teint
Leur rend une jeunesse
Qu'ils démaquilleront
Vers minuit moins le quart
Les comédiens
Disent les gens
Ont bien souvent
Des amourettes
A force de jouer
Ils se prennent au jeu
Sans être Roméo
On s'éprend de Juliette
Juste le temps qu'il faut
Pour en souffrir un peu
Les comédiens
Quand l'âge vient
Quittent la scène
Et quand il leur advient
De vivre de longs jours
Sur cour ou sur jardin
Tout seul ils se souviennent
De ce fichu métier
Qu'ils ont aimé
D'amour.
 

 Blaise CENDRARS
L' OISEAU BLEU
 
Mon oiseau bleu a le ventre tout bleu
Sa tête est d'un vert mordoré
Il a une tache noire sous la gorge
Ses ailes sont bleues avec
Des touffes de petites plumes jaune doré
Au bout de la queue il y a des traces de vermillon
Son dos est zébré de noir et de vert
Il a le bec noir les pattes incarnat et
Deux petits yeux de jais
Il adore faire trempette, se nourrir de bananes et pousse
Un cri qui ressemble au sifflement d'un tout petit jet de vapeur
On le nomme le septicolore.
 
 
" Oeuvres complètes " tome 1

 Pernette CHAPONNIERE
LE SAPIN DE NOEL
 
Le petit sapin sous la neige
Rêvait aux beaux étés fleuris.
Bel été, quand te reverrai-je ?
Soupirait-il sous le ciel gris.
 
Vint à passer sur le chemin
Un gaillard à grandes moustaches.
Hop ! là, en deux coups de sa hache
A coupé le petit sapin.
 
Il ne reverra plus l'été,
Le petit sapin des montagnes,
Il ne verra plus la gentiane,
L'anémone et le foin coupé.
 
Mais on l'a paré de bougies,
Saupoudré de neiges d'argent.
Des clochettes de féerie
Pendent à ses beaux rameaux blancs.
 
Le petit sapin de Noël
Ne regrette plus sa clairière
Car il rêve qu'il est au ciel
Tout vêtu d'or et de lumière.
 
 
Vingt Noëls pour les enfants

 CHAPOUTON Anne-Marie
AUTOMNE
L' ETE
 
 
 
 
AUTOMNE
 
Il pleut
Des feuilles jaunes
Il pleut Des feuilles rouges .
L' été
Va s' endormir
Et l' hiver
Va venir
Sur la pointe
De ses souliers Givrés
 
 
"Poèmes petits"
 
 
 
 
L' ETE
 
Silence
silence
l'été
se balance
sur la branche
où l'oiseau
se tait
 
l'herbe
séchée
tremble
dans l'air
brûlé
 
silence
silence
l'été
chante
dans les blés
 
 
"Poèmes petits"

 Jacques CHARPENTREAU
L'ECOLE
LA MER S'EST RETIREE
L' ARBRE
L' EMBOUTEILLAGE
 
 
 
 
 
 
L'ECOLE
 
Dans notre ville, il y a
Des tours, des maisons par milliers,
Du béton, des blocs, des quartiers,
Et puis mon coeur, mon coeur qui bat
Tout bas.
 
Dans mon quartier, il y a
Des boulevards, des avenues,
Des places, des ronds-points, des rues,
Et puis mon coeur, mon coeur qui bat
Tout bas.
 
Dans notre rue, il y a
Des autos, des gens qui s'affolent,
Un grand magasin, une école
Et puis mon coeur, mon coeur qui bat
Tout bas.
 
Dans cette école, il y a
Des oiseaux chantant tout le jour
Dans les marronniers de la cour.
Mon coeur, mon coeur, mon coeur qui bat
Est là.
 
 
"La ville enchantée"
 
 
 
 
LA MER S'EST RETIREE
 
La mer s'est retirée,
Qui la ramènera !
 
La mer est démontée,
Qui la remontera ?
 
La mer est emportée,
Qui la rapportera ?
 
La mer est déchaînée,
Qui la rattachera ?
 
Un enfant sur la plage
Avec un collier de coquillages.
 
( poèmes pour les amis )
 
 
 
 
L' ARBRE
 
Perdu au milieu de la ville,
L' arbre tout seul, à quoi sert-il ?
Les parkings c'est pour stationner,
Les camions pour embouteiller,
Les motos pour pétarader,
Les vélos pour se faufiler.
 
L' arbre tout seul, à quoi sert-il ?
Les maisons, c' est pour habiter,
Les bétons pour embétonner,
Les néons pour illuminer,
Les feux rouges pour traverser
 
L' arbre tout seul, à quoi sert-il ?
Les ascenceurs, c' est pour grimper,
Les présidents pour présider,
Les montres pour se dépêcher,
Les mercredis pour s' amuser
 
L' arbre tout seul, à quoi sert-il ?
Il suffit de le demander
A l' oiseau qui chante à la cime.
 
 
 
 
L' EMBOUTEILLAGE
 
Feu vert feu vert Feu vert !
Le chemin est ouvert !
Tortues blanches, tortues grises, tortues noires,
Tortues têtues Tintamarre !
Les autos crachotent
Toussotent, cahotent
Quatre centimètres
Puis toutes s' arrêtent.
 
Feu rouge Feu rouge Feu rouge !
Pas une ne bouge !
Tortues jaunes, tortues beiges, tortues noires,
Tortues têtues, Tintamarre !
Hoquettent, s' entêtent,
Quatre millimètres,
Pare-chocs à pare-chocs
Les voitures stoppent.
 
Blanches, grises, vertes, bleues,
Tortues à la queue leu leu,
Jaunes, rouges, beiges, noires,
Tortues têtues Tintamarre !
Bloquées dans vos carapaces
Regardez-moi bien : je passe !
 
 
"La ville enchantée"

 CHRESTIEN DE TROYES
LES TISSEUSES
 
Il vit jusqu'à trois cents jeunes filles,
Occupées à divers travaux.
Elles travaillaient des fils d'or et de soie
Chacune de son mieux,
Mais dans une telle misère
Que beaucoup étaient sans coiffe et sans ceinture...
Leurs robes étaient déchirées,
Et leurs chemises sales dans le dos.
De faim et de mal elles avaient
Cous grêles et visages pâles.
 
Nous tisserons toujours des étoffes de soie
Et n'en serons jamais mieux vêtues.
Toujours nous serons pauvres et nues
Et toujours nous aurons faim et soif ;
Jamais nous ne saurons gagner
Assez pour avoir à manger.
Nous avons du pain à grand-peine,
Un peu le matin, moins le soir ;
Car jamais du travail de ses mains,
Chacune n'aura pour vivre
Plus de quatre deniers à la livre.
Avec cela nous ne pouvons pas
Avoir assez de nourriture et d'étoffe ;
Car qui gagne chaque semaine
Vingt sols n'est pas hors de peine.
Sachez-le bien :
Il n'y a aucune de nous
Qui gagne vingt sous ou davantage.
Un duc serait riche avec cela !
Notre pauvreté est grande
Et il est riche de notre misère
Celui pour qui nous peinons.
Nous veillons une grande partie de la nuit
Et tout le jour pour avoir un gain
 
; Mais que vous raconterai-je ?
Nous avons tant de mal et de honte
Que je ne puis vous en dire le cinquième.
 
 
"Le chevalier au lion"

 PAUL CLAUDEL
LA MERE ET LE PERE
 
La mère est ce qu'il y a de patient et de fidèle et de tout près et de toujours
pareil et de toujours présent.
C'est toujours la même figure attentive, et c'est toujours, sous son regard, le
même enfant,
Qui sait que tout lui appartient sans pitié et qui vous trépigne de ses deux
pieds sur le ventre.
Mais le père est ce qui n'est jamais là, il sort et l'on ne sait jamais au juste
quand il rentre.
L'hôte aux rares paroles du repas que le journal dès qu'il a quitté la table,
réengloutit.
Un bonjour, un bonsoir distraits, une ou deux questions de temps en temps,
une explication difficile et pas finie.
Puis subitement parfois quelques jeux violents et courts et l'intervention
terrifiante de ce gros camarade.
Et cependant c'est bon, cette grosse main quand on ne sait plus au juste où
l'on est, qui vous prend, ou sur
le front cette caresse furtive quand on est malade.
 
 
"Feuilles de Saints"

 Robert CLAUSARD
LA PUCE
 
Une puce prit le chien
Pour aller à la ville
Au hameau voisin
A la station du marronnier
Elle descendit
Vos papiers dit l'ane
Coiffé d'un képi
Je n'en ai pas
Alors que faites vous ici
Je suis infirmière
Et fais des piqûres
A domicile.
 
 
L'enfant et la poésie

 Bernard CLAVEL
LA RUE DU DIMANCHE
 
La rue est triste, le dimanche,
Sourtout les soirs où il pleut,
Le reflet de l'arbre se penche
A la recherche de l'oiseau bleu.
L'oiseau bleu n'est pas sur la branche
Il est parti vers d'autres cieux
La rue est triste, le dimanche,
Quand le ciel oublie d'être bleu.
 
 
"Rouge pomme"

 Claude CLEMENT
DANS LE GRENIER DE MA GRAND-MERE
 
Ma grande-mère a un grenier
plein de toiles d' araignées ;
mais dans les coffres de bois
on y trouve des merveilles :
de vieux jouets d' autrefois,
des dentelles, des corbeilles,
des fourchettes édentées,
des guitares, des poupées,
des livres lourds de poussière,
un berceau, une théière
et un très joli pantin
au pantalon de satin...
Mais moi, ce que je préfère,
c' est la robe de mariée
avec ses fleurs d'oranger t
outes jaunies par le temps.
Qu'elle était belle, Grand-Mère,
quand elle avait dix-huit ans !
 
 
"Dessine-moi un poème"

 Jean COCTEAU
SOLEIL
 
Soleil, je t'adore comme les sauvages,
à plat ventre sur le rivage.
 
Soleil, tu vernis tes chromos,
tes paniers de fruits, tes animaux.
 
Fais-moi le corps tanné, salé ;
fais ma grande douleur s'en aller.
 
Le nègre, dont brillent les dents,
est noir dehors, rose dedans.
 
Moi, je suis noir dedans et rose
dehors, fais la métamorphose.
 
Arrache mon mal, tire fort,
charlatan au carrosse d'or.
 
Que j'ai chaud ! C'est qu'il est midi.
Je ne sais plus ce que je dis.
 
Je n'ai plus mon ombre autour de moi
soleil, ménagerie des mois.
 
Soleil, Buffalo-Bill, Barnum,
tu grises mieux que l'opium.
 
Tu es un clown, un toréador,
tu as des chaînes de montre en or.
 
Soleil, je supporte tes coups ;
tes gros coups de poing sur mon cou.
 
C'est encore toi que je préfère,
Soleil, délicieux enfer.
 
 
Batteries

 

 Louis CODET
CHANSON DU JOLI FEU DE BOIS
 
Claque, claque, mon joli feu,
Qui flambes dans ma cheminée,
Claque, mon joli feu de bois,
Claque, claque ;
Comme le postillon du roi !
 
Le jeune postillon à perruque poudrée
S'en va au grand galop sur la route royale,
Pressant son blanc cheval entre ses cuisses bleues,
Et il fait, d'un bras joyeux,
Claquer son fouet,
Qui arrache trois feuilles vertes
A cette branche de printemps...
 
Claque, mon joli feu de bois,
Comme le postillon du roi !...
 
Dansez, hautes flammes légères,
Trémoussez-vous, comme dansaient
En robes claires,
Comme dansait, hier encore,
En robe blanche, en robe d'or,
La reine avec toutes ses femmes
Dans ses Tuileries
Chaudes et fleuries !...
 
Dansez, molles et belle flammes,
Comme la reine entre ses femmes !
 
A présent, meurs vite, éteins-toi,
Meurs mon joli feu de bois,
 
Comme sont morts
Dans leurs décors
Les charmants héros d'autrefois,
Les jeunes postillons du roi
Et les reines dans leurs palais,
Tous les printemps, toutes les fêtes,
Tous les poètes...
 
 
"Poèmes et chansons"

 COLETTE
LA MERE CHATTE
 
Un, deux, trois, quatre... Non. Je me trompe. Un, deux, trois, quatre,
cinq, six... Non cinq. Où est le sixième ? Un, deux, trois, Dieu, que c'est
fatigant ! A présent, ils sont plus que quatre. J'en deviendrai folle. Petits !
Petits ! Mes fils, mes filles, où êtes-vous ?
...
Où sont-ils ? Où sont-ils ? Un, deux... Deux seulement ! Et les quatre
autres ? Répondez, vous deux, sottement occupés l'un à manger une ficelle,
l'autre à chercher l'entrée de cette caisse qui n'a pas de porte ! Oui, vous
n'avez rien vu, rien entendu, laids petits chats-huants que vous êtes, avec vos
yeux ronds !
...Ni dans la cuisine, ni dans le bûcher ! Dans la cave ? Je cours, je descends,
je flaire... rien... Je remonte, le jardin m'éblouit... Où sont les deux que je
gourmandais tout à l'heure ? Perdus aussi ? Mes enfants ! Mes enfants ! Au
secours, ô Deux-Pattes, accourez, j'ai perdu tous mes enfants !
...
Tiens ! d'où sort-il, celui-ci ?... C'est ma foi mon lourdeau de premier,
tout rond, suivi de son frère sans malice, et d'où vient celle-ci, petite femelle
impudente, prête à me braver et qui jure déjà, en râlant de la gorge. Un, deux,
trois,... trois, quatre, cinq... ; Viens, mon sixième, délicat et plus faible que les
autres, plus tendre aussi et plus léché ...Quatre cinq, six... Assez ! Assez ! Je
n'en veux pas davantage ! Venez tous dans la corbeille, à l'ombre fine de
l'acacia. Dormons, ou prenez mon lait, en échange d'une heure de répit - je
n'ai pas dit de repos, car mon sommeil prolonge ma vigilance éperdue, et c'est
en rêve que je vous cherche et vous compte : un, deux, trois, quatre...
 
 
"La paix chez les bêtes"

 Jean-Pierre COLOMBIE
LECONS DE TENEBRES
 
Les grenouilles disent sous les eaux
des mots transparents comme des flûtes
des mots lointains sous les miroirs
que les éclats de lune noircissent
 
Beaux miroirs des bassins enfouis
sous les branches rêches des pins
les oiseaux de jour vous rayèrent
mais la nuit vous êtes parfaits
 
C' est seulement que l' air des grenouilles
fume légèrement sous nos verres
comme une brume de sons limpides
ou une grande flamme tremblante
 
Belles boîtes d' eau à musique
éparses parmi les jardins
petites chanteuses de soie
bercez ma veille endolorie.
 
 
"Leçon de ténèbres"

 

 Marie COSSA
COMME FONT LES ENFANTS
 
Comme font les enfants j'ai rapporté des coquillages...
je les ai ramassés sur la longue plage d'où la mer se retirait
un soir de septembre,
le sable était dur que foulaient mes pieds,
où brillaient parfois, mouillés enore
des coquillages et des cailloux...
le ciel était clair et pâle au-dessus de Port-en-Drô...
Bretagne, que je voudrais, ce soir d'octobre
m'en aller vers toi, je sais quelle route là-bas
je suivrais
et soudain ignorant les tristes villas,
les hôtels fermés,
je retrouverais,
- odeur de goëmon, douceur âcre
ô toi, bruit de soie, chanson, murmure, plainte -
La mer.
 
 
"Arpèges"

 R. COSSON
POUR UN ANNIVERSAIRE
 
Espiègles, paresseux et désobéissants,
Endiablés, dissipés, étourdis, négligents,
Ne sachant pas toujours dire la vérité,
Revenant tout salis, nos habits déchirés,
Voilà ce que peuvent, pour son anniversaire.
Présenter en ce jour deux enfants à leur mère.
Nous en sommes bien tristes, bien confus, bien penauds,
Et nous devons le dire, les yeux grands et tout haut,
Que Jean, qu'Yves, souvent, ont été bien méchants
Oui, mais c'est nous, maman, qui sommes tes enfants.
 
Sois fêtée, ô maman, et ne vois en ce jour
Que tes deux garnements qui t'offrent leur amour.
Puisque rien ne peut faire que s'arrête le temps ;
Demain, tu seras vieille, et nous, nous serons grands.
Tant de soin, de peines, et puis tant de travaux
T'auront fait désirer le calme et le repos ;
Alors, nous serons là, sans que tu le demandes,
Impatients de donner ce qui ne peut se rendre,
A tes côtés, toujours, puisque nous t'aimons tant,
Nous qui sommes, maman, tes deux petits enfants.
 
 
"Inédit in : Ecrire et Parler ( livre du maître )" "P. Verret et P. Furcy"

 Charles CROS
LE HARENG SAUR
 
Il était un grand mur blanc -nu, nu, nu,
Contre le mur une échelle -haute, haute, haute,
Et, par terre, un hareng saur-sec, sec, sec.
 
Il vient, tenant dans ses mains-sales, sales, sales,
Un marteau lourd, un grand clou-pointu, pointu, pointu,
Un peloton de ficelle-gros, gros, gros.
 
Alors il monte à l'échelle-haute, haute, haute,
Et plante le clou pointu-toc, toc, toc,
Tout en haut du grand mur blanc-nu, nu, nu.
 
Il laisse aller le marteau-qui tombe, qui tombe, qui tombe,
Attache au clou la ficelle-longue, longue, longue,
Et, au bout, le hareng saur-sec, sec, sec.
 
Il redescend de l'échelle-haute, haute, haute,
L'emporte avec le marteau-lourd, lourd, lourd,
Et puis, il s'en va ailleurs-loin, loin, loin.
 
Et, depuis, le hareng saur-sec, sec, sec,
Au bout de cette ficelle-longue, longue, longue,
Très lentement se balance -toujours, toujours, toujours.
 
J'ai composé cette histoire-simple, simple, simple,
Pour metttre en fureur les gens-graves, graves, graves,
Et amuser les enfants-petits, petits, petits.
 
 
"Le coffret de Santal"

 

Bernard B. DADIE 
LE VENT
 
Le Vent
sur le miroir fleuve
ramasse
les confidences des pêcheurs.
Le Vent
Sur les sources parées de nénuphars
recueille
les rires des porteuses d'eau.
Le Vent sur les sentiers
dans les ramures et dans les herbes
récolte
les chants des travailleurs
 
...
 
Assis
sur le toit des cases
sur le toit des portes
Couché sous les préaux
Rallumant des braises assoupies
le Vent
Compte
les rêves hommes
dans les arbres
Le Vent agite
les jeunes branches
Pour dire adieu à l'enfant.
 
Sifflant dans les racines
Par-dessus les océans et les cités
S'arrêtant à peine à une vieille auberge
Dans un champ de fleurs
 
Le Vent
Sur les vieilles routes du monde
Dans un pli de temps
 
Emporte
Sa moisson de souvenirs.
 
 
"Hommes de tous les continents."

Robert DELAHAYE
LE CHIEN ENCHAINE
 
A l'entrée de la ferme
Dans un tonneau défoncé
Le chien mal rasé
Aux yeux de saltimbanque
Regardait la lune
Vagabonder à son aise.
Il n'aboyait jamais
Sa voix était cassée.
Il n'attendait personne.
Son maître rentrait tard
La nuit
En titubant.
Le vent caressait son échine
Mais les enfants avaient peur de sa mauvaise mine
Quand il sortait de sa niche
Sa chaîne
Derrière lui
Faisait un bruit d'enfer.
Il ne songeait à rien
Pas même à la liberté
Et sculptait des os
Pour tuer le temps
Devant les canards médusés
Plantés devant sa loge
Comme devant un musée.
On l'avait condamné à la réclusion
A perpétuité.
Maintenant
Il lapait sa soupe à petits coups de langue
Dans la somnolence des pierres et des racines
Et mesurait d'un oeil limpide
La profondeur du ciel.
 
Lorsqu'il mourut
De vieillesse
Ou d'oubli
On lui ôta son carcan
Pour la première fois.

Lucie DELARUE-MARDRUS
COMPLIMENT
LE PRINTEMPS
L'HIVER
 
 
 
 
COMPLIMENT
 
Chers parents, en ce jour de fête,
Je veux vous dire mon désir
De vous faire à tous deux plaisir,
Mais je bredouille un peu... C'est bête !
 
Voici mon petit compliment.
Je jure d'être toujours sage...
Toujours... Hum ! Je n'ai que mon âge,
Pourrais-je tenir mon serment ?
 
Car, rester tout le temps docile,
Ne pas faire ce qu'on défend,
Quelquefois, quand on est enfant,
C'est une chose difficile.
 
Non ! J'aime mieux ne pas jurer.
Toujours sage ? Oh ! Je le souhaite,
Mais je crains ma mauvaise tête...
Toujours sage ?... Eh bien J'essaierai.
 
Chers parents, acceptez, de grâce,
Ce pauvre petit compliment...
Merci, papa ! Merci maman !
Et maintenant, je vous embrasse.
 
 
"Poèmes mignons pour les enfants"
 
 
 
 
LE PRINTEMPS
 
Au printemps on est un peu fou.
Toutes les fenêtres sont claires,
Les prés sont pleins de primevères,
On voit des nouveautés partout.
 
Oh ! regarde ! une branche verte !
Ses feuilles sortent de l'étui !
Une tulipe s'est ouverte...
Ce soir, il ne fera pas nuit.
 
Les oiseaux chantent à tue-tête,
Et tous les enfants sont contents.
On dirait que c'est une fête...
Ah ! que c'est joli, le printemps.
 
 
 
 
L'HIVER
 
L'hiver, s'il tombe de la neige,
Le chien blanc a l'air beige.
 
Les arbres seront bientôt touffus
Comme dans l'été qui n'est plus.
 
Les oiseaux marquent les allées
Avec leurs pattes étoilées.
 
Aussitôt qu'il fait assez jour,
Dans le jardin bien vite on court.
 
Notre maman nous emmitoufle,
Même au soleil, la bise souffle.
 
Pour faire un grand bonhomme blanc,
Tout le monde prend son élan.
 
Après ça, bataille de neige!
On s'agite, on crie, on s'assiège.
 
Et puis on rentre, le nez bleu,
Pour se sécher autour du feu
 
 
"Poèmes mignons pour les enfants"

G. DELAUNAY
FEUILLES MORTES
 
Un bruit léger devant ma porte...
A mes pieds une feuille morte...
Elle cherche un trou pour dormir
Pour dormir bien tranquillement.
Elle en a assez de courir
Et de jouer avec le vent.
 
Un bruit léger devant ma porte...
A mes pieds deux feuilles mortes...
Un petit rayon de soleil
Les sèche et les réchauffe un peu.
Tranquilles jusqu'à leur réveil
Elles dorment en levant la queue.
 
Un froufrouti devant ma porte...
Un beau tapis de feuilles mortes...

Jane DELIGNAC
 
 
LE CHANTIER
POUR LE GESTE
 
 
LE CHANTIER
 
Deux grues,
Ferrailles et contre-poids,
Font le pied de grue,
A l'ombre de mon toit.
 
Elles attendent les hommes,
Les hommes qui les manoeuvrent,
Pour nous faire à pied d'oeuvre
Un semblant de chef-d'oeuvre.
Soudain, c'est la sirène :
Un autre jour commence,
Avec la vie qu'il ramène
Le calvaire recommence.
Pétarades de moteurs ...
Scies, perceuses électriques ...
Marteaux-piqueurs ...
Et engins mécaniques ...
Pour les voisins que nous sommes,
Jusqu'en nous les bruits résonnent.
Enfin,
Voici midi qui sonne !
Dans le chantier assoupi,
Ne verrons plus personne
Pour deux heures de répit.
 
Deux grues,
Ferrailles et contre-poids,
Font le pied de grue,
A l'ombre de mon toit.
 
" La vie mécanique 1971 "
 
 
 
POUR LE GESTE
 
une voix une allumette
 
une voix plus cigarette
 
ensemble Egale fumée
 
une voix Fumée, fumée,
fumée, volupté,
volupté de fumer
Cigarette consumée
 
ensemble Egale mégot
 
une voix Que l'on jette
dans un geste
Dégagé
Chez soi,
Dans la rue,
Ou dans l'eau
 
ensemble Puis, une nouvelle allumette,
Nouvelle cigarette
 
une voix Jusqu'à tant
Tout n'a qu'un temps
 
une voix Que le paquet
Sans un regret
 
une voix Soit consommé
Et envolé
 
ensemble En fumée !
 

Tristan DERÊME
 
 
BONNE ANNEE
L'ETOILE
LE POISSON ROUGE
 
 
 
 
 
 
BONNE ANNEE
Nouvel an! Joie et bonheur!
Pourquoi ne suis-je sonneur
De cloches, carillonneur,
Pour mieux dire à tout le monde
Aceux qui voguent sur l'onde
Ou qui rient dans leurs maisons
Tous les voeux que nous faisons.[...]
 
"Les compliments en vers de Patachou"
 
 
L'ETOILE
 
Quand j'étais un petit garçon
On me chantait une chanson :
La chanson du cueilleur d'étoiles.
Je rêvais d'un navire à voiles
Pour m'emporter à l'horizon.
L'horizon, cette ligne où le ciel touche l'onde ...
Ma tante répondait : -Ce n'est pas la saison !
Pour les petits garçons la mer est trop profonde.
 
Je veux, disait l'enfant, qu'on m'apprenne à nager,
Je naviguerai sans danger :
Je pourrai me sauver si le vaisseau chavire.
Mais les astres, là-bas, sont au ras de la mer ;
Pour les prendre, il suffit de mettre un doigt en l'air,
Et j'en emplirai le navire.
 
Ma tante reprenait : -Je n'ai pas de vaisseau !
Attends d'être plus grand pour t'en aller sur l'eau ;
Les étoiles pourtant luisaient dans le sureau
Où dormaient les deux tourterelles,
Et je les contemplais à travers les carreaux
Comme des fleurs surnaturelles.
 
"Un caprice"
 
 
LE POISSON ROUGE
 
Je vous offre ce poisson rouge,
Il n'est bouquet pourvu de plus tendres couleurs.
 
C'est un poisson fort ordinaire,
Et l'éclair pourpre de son flanc
N'est point suivi d'un éclat de tonnerre ;
Donc, il a beau faire l'étincelant,
On peut le regarder les oreilles ouvertes.
 
Ce n'est pas un poisson volant ;
Donc, inutile de chercher
A l'attacher ;
Ayez pitié de son jeune âge ;
Un dur lien
En le blessant ne servirait à rien.
C'est peut-être un oiseau qui nage ...
 
Ce poisson qui tourne et qui luit,
C'est aussi rose qu'une rose,
Et ça ne fait pas plus de bruit
Sur votre table où je le pose ...*
 
" L'enlèvement sans clair de lune "
 
 
 
 
 
 
 
 
 

François DERRY
 
 
LE PÊCHEUR A LA LIGNE ET LE POISSON MORIBOND
 
Un pêcheur à la ligne
Qui se plaint de la guigne
Et d'une méchante fringale
Patiente près d'une eau sale.
Enfin, quand même, ça mord :
Il ramène sur le bord
Un souffreteux poisson
Qui se dit moribond
Et pas le moins mangeable
-" Cette eau n'est plus vivable !"
Fait-il dans un soupir,
" Vous voyez un martyr :
Je me sens pris de toux
Aux viles odeurs d'égout,
Les nappes d'hydrocarbure
M'en font voir des pas mûres
Et le manque d'oxygène
Me vaut de fortes migraines !
C'est un conseil d'ami
Qui on m'avale cru ou frit
Même avec une cannette
Je ne veux pas tripette !
Donc ayez un bon geste :
Je jure d'être indigeste
Pour le plus fort boyau
N'étant qu'écailles et piques !
Remettez-moi à l'eau !"
Dit la bête aquatique .
Notre homme plein de défiance
Redoute une manigance
Et appréhende par trop
Qu'on lui monte un bateau.
Il n'entend pas raison
Et avale le poisson,
Et sur lui une rasade.
Sur l'heure il tombe malade.
 
Ce mangeur de poisson
Crie pour lui cette leçon :
Le monde à l'heure qu'il est
Etouffe sous ses déchets.
Bien rare est l'eau limpide !
La mer se fait putride
Par la seule faute des hommes.
Voilà où nous en sommes.
 
" Fables" Livret III
Nîmes- Mars 1981

 Robert DESNOS
 
IL ETAIT UNE FEUILLE
LA VOIX
LA GRENOUILLE AUX SOULIERS PERCES
LE ZEBRE
IL ETAIT UNE FEUILLE
 
"Il était une feuille avec ses lignes
Ligne de vie
Ligne de chance
Ligne de coeur
Il était une branche au bout de la feuille
Ligne fourchue signe de vie
Signe de chance
Signe de coeur
Il était un arbre au bout de la branche
Un arbre digne de vie
Digne de chance
Digne de coeur
Coeur gravé, percé, transpercé,
Un arbre que nul jamais ne vit.
Il était des racines au bout de l'arbre
Racines vignes de vie
Vignes de chance
Vignes de coeur
Au bout de ces racines il était la terre
La terre tout court
La terre toute ronde
La terre toute seule au travers du ciel
La terre
 
 
LA VOIX
 
Une voix, une voix qui vient de si loin
Qu'elle ne fait plus tinter les oreilles,
Une voix, comme un tambour, voilée,
Parvient pourtant, distinctement jusqu'à nous ...
 
Je l'écoute. Ce n'est qu'une voix humaine
Qui traverse les fracas de la vie et des batailles,
L'écroulement du tonnerre et le murmure des
bavardages ...
 
Et vous? Ne l'entendez-vous pas?
Elle dit " La peine sera de courte durée"
Elle dit " La belle saison est proche"
 
Ne l'entendez-vous pas?
 
 
LA GRENOUILLE AUX SOULIERS PERCES
 
La grenouille aux souliers percés
A demandé la charité.
 
Les arbres lui ont donné
Des feuilles mortes et tombées.
 
Les champignons lui ont donné
Le duvet de leur grand chapeau.
 
L'écureuil lui a donné
quatre poils de son manteau.
 
L'herbe lui a donné
Trois petites graines.
 
Le ciel lui a donné
Sa plus douce haleine.
 
Mais la grenouille demande toujours, demande encore la charité
Car ses souliers sont toujours, sont encore percés.
 
"La ménagère de Tristan"
Destinée arbitraire Gallimard
 
 
LE ZEBRE
 
Le zèbre, cheval des ténèbres,
Lève le pied, ferme les yeux
Et fait résonner ses vertèbres
En hennissant d'un air joyeux.
 
Au clair soleil de Barbarie,
Il sort alors de l'écurie
Et va brouter dans la prairie
Les herbes de sorcellerie.
 
Mais la prison, sur son pelage,
A laissé l'ombre du grillage.
 
"Chantefables et chantefleurs."
 

 

Erhard DIETI
XXXX
 
Parfois je rêve que je suis
un astronaute .
Je me pose avec ma fusée
sur une planète éloignée .
Quand je raconte
aux enfants de là - bas
que, sur la terre ,
l' école est obligatoire
et que, chaque soir
nous avons des devoirs,
ils se tordent de rire .
Alors je décide de rester avec eux ,
longtemps, ... longtemps ...
Enfin, jusqu' aux grandes vacances !
 
 
 

GUSTAVE DROZ
L'AUTOMNE
 
Connaissez-vous l'automne? l'automne en plein champs, avec ses
bourrasques, ses longs soupirs, ses feuilles jaunies qui tourbillonnent au loin,
ses sentiers détrempés, ses beaux couchers de soleil, pâle comme le sourire
d'un malade, ses flaques d'eau dans les chemins?... Connaissez-vous
tout cela?
 
Si vous avez vu toutes ces choses, vous n'y êtes certes pas restés
indifférents. On les déteste ou on les aime follement. Je suis au nombre de
ceux qui les aiment, et je donnerais deux étés pour un automne.
 
" Monsieur, Madame et Bébé "
 

Maurice DRUON, Joseph KESSEL, Anne MARLY
 
LES PARTISANS
( CHANT DE LA LIBERATION )
 
Ami, entends-tu
Le vol noir des corbeaux
Sur nos plaines?
 
Ami, entends-tu
Les cris sourds du pays
Qu' on enchaîne?
 
Ohé Partisans
Ouvriers et Paysans
C'est l'alarme!
 
Ce soir l'ennemi
Connaîtra le prix du sang
Et les larmes
 
Montez de la mine
Descendez des collines
Camarades,
 
Sortez de la paille
Les fusils, la mitraille
Les grenades!
 
Ohé les tueurs
A la balle et au couteau
Tuez vite!
 
Ohé saboteur
Attention à ton fardeau
Dynamite!
 
C'est nous qui brisons
Les barreaux des prisons
Pour nos frères!
 
La haine à nos trousses
Et la faim qui nous pousse
La misère...
 
Il y a des pays
Où les gens au creux des lits
Font des rêves
 
Ici, nous, vois-tu,
Nous on marche et nous on tue
Nous on crève
 
Ici, chacun sait
Ce qu'il veut, ce qu'il fait
Quand il passe...
 
Ami, si tu tombes
Un ami sort de l'ombre
A ta place.
 
Demain, du sang noir
Sèchera au grand soleil
Sur les routes
 
Sifflez compagnons...
Dans la nuit la liberté
Nous écoute...
 
 
 

 H. DUBUS
LA NEIGE PAPILLONNE
 
La blanche neige papillonne
Et fleurit les branches de houx.
Elle se joue et tourbillonne
En nous frôlant tout doux, tout doux.
 
La blanche neige papillonne
Et, voletant sur les troits roux,
Vient mettre une coiffe mignonne
Aux vieilles maisons de chez nous.
 
"Le livre de la joie"

 

 

 

 

 

 

 

 

 Marie Jeanne DURRY
 
CHANSON
 
J'ai volé un petit nuage
Pour me promener
 
Je flotte sur les villages
D'un monde abandonné
 
Vous pouvez vous mettre en chasse
Vous ne m'attraperez pas
 
Mais d'en haut je tends mes nasses
Viens partager mon repas
 
De gouttes et d'étincelles
Viens partager mon repas
 
Je plonge et je te soulève
Jusqu'à mon nid dans le ciel
 
Le soleil est sur nos lèvres
Un gâteau de miel
 
Ecoute comme je chante
Vois naître dans l'air
 
Les agiles couleurs changeantes
Qui frémissent sur la mer.
 
"Lignes de vie"
Editions Saint Germain-des-Près
 
 
 

 Yves DUTEIL
LA LANGUE DE CHEZ NOUS
 
C' est une langue belle avec des mots superbes
Qui porte son histoire à travers ses accents
Où l' on sent la musique et le parfum des herbes
Le fromage de chèvre et le pain de froment
 
Et du mont Saint-Michel jusqu' à la Contrescarpe
En écoutant parler les gens de ce pays
On dirait que le vent s' est pris dans une harpe
Et qu' il en a gardé toutes les harmonies
 
Dans cette langue belle aux couleurs de Provence
Où la saveur des choses est déjà dans les mots
C' est d' abord en parlant que la fête commence
Et l' on boit des paroles aussi bien que de l' eau
 
Les voix ressemblent aux cours des fleuves et des rivières
Elles répondent aux méandres, au vent dans les roseaux
Parfois même aux torrents qui charrient du tonnerre
en polissant les pierres sur le bord des ruisseaux
 
C' est une langue belle à l' autre bout du monde
Une bulle de France au nord d' un continent
Sertie dans un étau mais pourtant si féconde
Enfermée dans les glaces au sommet d' un volcan
 
Elle a jeté des ponts par-dessus l' Atlantique
Elle a quitté son nid pour un autre terroir
Et comme une hirondelle au printemps des musiques
Elle revient nous chanter ses peines et ses espoirs
 
Nous dire que là-bas dans ce pays de neige
Elle a fait face aux vents qui soufflent de partout
Pour imposer ses mots jusque dans les collèges
Et qu' on y parle encore la langue de chez nous
 
C' est une langue belle à qui sait la défendre
Elle offre les trésors de richesses infinies
Les mots qui nous manquaient pour pouvoir nous comprendre
Et la force qu' il faut pour vivre en harmonie
 
Et de l' île d' Orléans jusqu' à la Contrescarpe
En écoutant chanter les gens de ce pays
On dirait que le vent s' est pris dans une harpe
Et qu' il a composé toute une symphonie .
 
Paroles et musique Yves Duteil
Avec L' aimable autorisation des éditions de l' Ecritoire .
 
 

 Paul ELUARD
LIBERTE
 
Sur mes cahiers d'écolier
Sur mon pupitre et les arbres
Sur le sable, sur la neige
J'écris ton nom
 
Sur toutes les pages lues
Sur toutes les pages blanches
Pierre, sang, papier ou cendre
J'écris ton nom
 
Sur les images dorées
Sur les armes des guerriers
Sur la couronne des rois
J'écris ton nom
 
Sur la jungle et le désert
Sur les nids, sur les genêts
Sur l'écho de mon enfance
J'écris ton nom ...
 
Sur les champs sur l'horizon
Sur les ailes des oiseaux
Et sur le moulin des ombres
J'écris ton nom
 
Sur les sentiers éveillés
Sur les routes déployées
Sur les places qui débordent
J'écris ton nom
 
Sur le tremplin de ma porte
Sur les objets familiers
sur le flot du feu béni
J'écris ton nom
 
Sur mes refuges détruits
Sur mes phares écroulés
Sur les murs de mon ennui
J'écris ton nom.
 
Sur la santé revenue
Sur le risque disparu
Sur l'espoir sans souvenirs
J'écris ton nom
 
Et par le pouvoir d'un mot
Je recommence ma vie
Je suis né pour te connaître
Pour te nommer
Liberté.
 
 
 
 
 

ESOPE
 
LA CIGALE ET LES FOURMIS
LE LION ET LE RAT RECONNAISSANT
LA CIGALE ET LES FOURMIS
 
Pendant l'hiver, leur blé étant humide, les fourmis le faisaient sécher. La
cigale, mourant de faim, leur demandait de la nourriture. Les fourmis lui
répondirent: " Pourquoi, en été, n'amassais-tu pas de quoi manger? - Je
n'étais pas inactive, dit celle-ci, mais je chantais mélodieusement." Les
fourmis se mirent à rire. " Eh bien, si en été tu chantais, maintenant que c'est
l'hiver, danse.
" Cette fable montre qu'il ne faut pas être négligent en quoi que ce soit, si l'on
veut éviter le chagrin et les dangers.
 
 
LE LION ET LE RAT RECONNAISSANT
 
Un lion dormait; un rat s'en vint trotter sur son corps. Le lion, se réveillant, le
saisit, et il allait le manger, quand le rat le pria de le relâcher, promettant, s'il
lui laissait la vie, de le payer de retour. Le lion se mit à rire et le laissa aller.
Or il arriva que, peu de temps après, il dut son salut à la reconnaissance du
rat. Des chasseurs en effet le prirent et l'attachèrent à un arbre avec une
corde. Alors le rat, l'entendant gémir, accourut, rongea la corde et le délivra.
" Naguère, dit-il, tu t'es moqué de moi, parce que tu n'attendais pas de retour
de ma part; sache maintenant que, chez les rats aussi, on trouve de la
reconnaissance."
Cette fable montre que, dans les changements de fortune, les gens les plus
puissants ont besoin des faibles.
 

 

Robert FABBRI
 
DIALOGUE DE FLEURS
 
Ce n'est pas une vie,
De toujours vivre empoté
Dit le mauve pétunia
 
Ce n'est pas une vie,
De toujours vivre sous serre
Dit la botte d'oeillets
 
Ce n'est pas une vie,
De toujours vivre sous cloche
Dit la rose du Petit-Prince.
 
Comme ils sont heureux
Les asphodèles et les volubilis
Avec leur nom à coucher dehors !
 
"Arbroiseaux"
édition Saint-germain-des-prés/le cherche-midi
 

 

F. FABIE
L'AUTOMNE
A toute autre saison je préfère l'automne;
Et je préfère aux chants des arbres pleins de nids
La lamentation confuse et monotone
Que rend la harpe d'or des grands chênes jaunis.
Je préfère aux gazons semés de pâquerettes
Où la source égrenait son collier d'argent vif,
La clairière déserte où, tristes et discrètes,
Les feuilles mortes font leur bruit doux et plaintif.
Ici, c'est un grand feu de fougère flétrie
D'où monte dans le ciel la fumée aux flots bleus,
Et, comme elle, la vague et lente rêverie
Du pâtre regardant l'horizon nébuleux
Plus loin, un laboureur, sur la lande muette,
S'appuie à la charrue, et le soleil couchant
Détache sur fond d'or la fière silhouette
Du bouvier et des boeufs arrêtés en plein champ.
L'on se croirait devant un vitrail grandiose,
Où quelque artiste ancien, saintement inspiré,
Aurait représenté dans une apothéose
Le serf et l'attelage, et l'araire sacré ...
" Le clocher "

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Léon Paul FARGUE
 
INTERIEUR
 
Des toiles, des choses sèches pendent aux poutres ...
Le vieux fusil dort fixement
Au mur clair ...
Rêve à ton gré. Tout est comme autrefois.
Ecoute ...
La haute cheminée
Fait sa plainte ancienne et son odeur éteinte
Et tasse son échine de viel oiseau noir ...
Elle porte encore au front ses images d'âme crue
Et ses vases de loterie aux prénoms d'or
Et l'horloge recluse dans l'ombre et la bure
Berce son coeur avec une douceur obscure ...
 
Pareils à des visages ronds de spectateurs
Les plats se penchent aux balcons du vieux dressoir
Où des files de fruits qui font la chaîne, fleurent
Dans leur ruelle d'ombre couleur d'aubergine ...
J'ouvre un tiroir où je vois passer des noix vides,
Un gros couteau à vingt lames, qui contient tout,
Et l'ombre de mes mains qui glisse sur les choses ...
 
Un vent tiède pousse des guêpes
Frapper à la lucarne bleue ...
Un grand chat doucement passe comme on chuchote,
Et vous lève un regard où veille l'ennui sage
Du soleil dans la douve aux lentilles d'or vert ...
 
Sois calme. Tout est là comme autrefois.
Ecoute .
 
"Pour la musique"
 

Luce FILLOL
MAMAN, LE CADEAU QUE TU PREFERES
 
Maman,
Ton collier le plus cher
Je le sais:
Mes deux bras autour de ton cou!
 
Maman,
Le trésor dont tu es fière
Je le connais:
C'est ton bébé sur tes genoux!
 
Maman,
Le cadeau que tu préfères,
Je te le fais:
Un gros baiser sur tes deux joues!
 
"Une hirondelle m'a dit"
 

Maurice FOMBEURE
 
LE COQUILLAGE
MENUISIER DU ROI
 
 
 
LE COQUILLAGE
 
Ronfle coquillage
Où l'on entend tout le bruit de la mer
Vague par vague,
Où l'on entend marcher les petits crabes
Où l'on entend mugir le vent amer.
 
Ronfle coquillage
Ah ! je revois tous les bateaux de bois,
Les voiles blanches
Claires comme un matin de beau dimanche
Ailes de la joie.
 
Ronfle coquillage !
En toi je retrouve les beaux jours vivants,
Où les mouettes claquaient au vent
Dans un grand ciel bleu gonflé de nuages,
De nuages blancs, signe du beau temps ! ...
 
Ronfle coquillage.
 
" A dos d'oiseau "
 
 
MENUISIER DU ROI
 
- Je stipule,
dit le roi,
que les grelots de ma mule
seront des grelots de bois.
 
- Je stipule,
dit la reine,
que les grelots de ma mule
seront des grelots de frêne.
 
- Je stipule,
dit le dauphin,
que les grelots de ma mule
seront en coeur de sapin.
 
- Je stipule,
dit l'infante
élégante,
que les grelots de ma mule
seront faits de palissandre.
 
- Je stipule,
dit le fou,
que les grelots de ma mule
seront des grelots de houx.
 
Mais, quand on appela le menuisier,
Il n'avait que du merisier.
 
"Les silences sur le toit"

Anne FONTAINE
 
LA PIE
 
Ce soir, je n'ai pas vu la lune.
Je l'ai cherchée derrière le mur
Et sous les feuilles mortes.
J'ai retourné les poches des passants,
Les oreilles des lièvres
Et la queue du castor,
J'ai battu la haie
Et le fond du lavoir,
J'ai fouillé l'herbe,
Ouvert, les roseaux,
Soulevé l'écorce du bouleau
Et ne l'ai point trouvée.
Mais ce rai qui luit dans le nid de la pie,
Ce rai que le vent berce dans les branches
Est-ce la lune, ma mie?
Est-ce la lune?
 
"L'oiseleur"
édition Grasset
 

JP Claris de FLORIAN
 
LE CHIEN ET LE CHAT
LE BOITEUX, LE BOSSU ET L' AVEUGLE
 
LE CHIEN ET LE CHAT
 
Un chien vendu par ses maîtres
Brisa sa chaîne, et revint
Au logis qui le vit naître.
Jugez de ce qu'il devint
Lorsque, pour prix de son zèle,
Il fut de cette maison
Reconduit par le bâton
Vers sa demeure nouvelle.
Un vieux-chat, son compagnon,
Voyant sa surprise extrême,
En passant lui dit ce mot :
Tu croyais donc, pauvre sot,
Que c'est pour nous qu'on nous aime !
 
"Livre 1 fable 9."
 
 
LE BOITEUX, LE BOSSU ET L' AVEUGLE
 
" Me voilà vraiment bien loti
Avec ma jambe en raccourci,
Clopin par-là, clopin par-ci!"
Disait certain boiteux. " Or çà, dame Nature,
N'attendez pas un grand merci;
Car je fais dans ce monde ci
Une pénitence assez dure.
- Eh! ne suis-je pas, moi, bien joliment bâti?"
Répondit un bossu, passant par aventure.
" Il faut, pour m'avoir fait ainsi,
Qu'on se soit trompé de mesure."
Un aveugle, les entendant,
Tout aussitôt se mit à dire: "
Dussé-je aller toujours en clopinant,
Etre bossu par-derrière et devant,
Ah! si j'avais un pauvre oeil seulement,
Que leurs propos me feraient rire!"
Tel se plaint d'être mal qui serait bien content
S'il songeait qu'on peut être pire.
 
"Fables"
 
 
 
 

Paul FORT
 
LA GRENOUILLE BLEUE
LE DIT DU PAUVRE VIEUX
L' ECUREUIL
 
LA GRENOUILLE BLEUE
 
I - LA PRIERE AU BON FORESTIER
 
Nous vous en prions à genoux, bon forestier, dites-nous le !
à quoi reconnaît-on chez vous la fameuse grenouille bleue ?
 
à ce que les autres sont vertes , à ce qu'elle est pesante ,
alerte ? à ce qu'elle fuit les canards, ou se balance aux nénuphars ?
 
à ce que sa voix est perlée , à ce qu'elle porte une houppe ?
à ce qu'elle rêve par troupe ? en ménage ? ou bien isolée ?
 
Ayant réfléchi très longtemps et reluquant un vague étang,
le bonhomme nous dit : Eh ! mais, à ce qu'on ne la voit jamais.
 
II - REPONSE AU FORESTIER
 
Tu mentais, forestier. Aussi ma joie éclate ! Ce matin je l'ai vue :
un vrai saphir à pattes. Complice du beau temps, amante du ciel
pur, elle était verte, mais réfléchissait l'azur.
 
 
LE DIT DU PAUVRE VIEUX
 
Quand le froid vient me saisir, je me mets à réfléchir.
Dans les jours de ma jeunesse, l'été je fauchais le foin,
l'automne je battais le grain, l'hiver je chauffais mes mains.
Je n'ai pas dans ma vieillesse, même un chien qui me caresse
et me chauffe un peu les mains de sa langue de bon chien.
Décembre, toujours décembre. Jamais de feu dans la chambre.
Las ! tous les boutons de portes me sont de glace. Mais qu'importe !
Tous les coeurs sont de glace. Alors je passe, je passe...
 
 
L' ECUREUIL
 
L'ENFANT
- Ecureuil du printemps, écureuil de l'été, qui domines la terre avec vivacité,
que penses-tu là haut de notre humanité ?
 
L'ECUREUIL
- Les hommes sont des fous qui manquent de gaieté !
 
L'ENFANT
- Ecureuil, queue touffue, doré trésor des bois, ornement de la vie et fleur de
la nature, juché sur ton pin vert, dis-nous ce que tu vois ?
 
L'ECUREUIL
- La terre qui poudroie sous des pas qui murmurent.
 
L'ENFANT
- Ecureuil, voltigeant, frère du pic bavard, cousin du rossignol, ami de la
corneille, dis-nous ce que tu vois par delà nos brouillards ?
 
L'ECUREUIL
- Des lances, des fusils, menacer le soleil.
 
L'ENFANT
- Ecureuil aux yeux vifs, pétillants, noirs et beaux, humant la sève d'or, la
pomme entre tes pattes, que vois-tu sur la plaine autour de nos hameaux ?
 
L'ECUREUIL
- Monter le lac de sang des hommes qui se battent.
 
L'ENFANT
- Ecureuil de l'automne, écureuil de l'hiver, qui lances vers l'azur, avec tant de
gaieté, ces pommes. Que vois-tu ?
 
L'ECUREUIL
- Demain tout comme hier,
les hommes sont des fous et pour l'éternité.
 
"Ballades françaises"
Editions Flammarion

Anne FRANCK
 
A QUOI SERT LA GUERRE ?
 
A quoi sert cette guerre, à quoi sert-elle? Pourquoi les hommes ne peuvent-ils
pas vivre en paix? Pourquoi cette dévastation?
Question compréhensible, mais personne n'a encore trouvé la réponse finale.
Au fait, pourquoi construit-on en Angleterre des avions toujours plus grands
avec des bombes toujours plus lourdes, et, à côté de cela, des habitations en
commun pour la reconstruction? Pourquoi dépense-t-on chaque jour des
millions à la guerre, et n'y a-t-il pas un sou disponible pour la médecine, les
artistes, les pauvres?
Pourquoi y a-t-il des hommes qui souffrent de la faim, alors que dans d'autres
parties du monde la nourriture pourrit sur place par surabondance? Oh!
pourquoi les hommes sont-ils si fous?
Je ne croirai jamais que seuls les hommes puissants, les gouvernants et les
capitalistes soient responsables de la guerre. Non, l'homme de la rue est tout
aussi content de la faire, autrement les peuples se seraient révoltés il y a
longtemps! Les hommes sont nés avec l'instinct de détruire, de massacrer,
d'assassiner et de dévorer; tant que toute l'humanité, sans exception, n'aura
pas subi une énorme métamorphose, la guerre fera rage; les reconstructions,
les terres cultivées seront détruites à nouveau, et l'humanité n'aura qu'à
recommencer.
 
"JOURNAL ( 3 mai 1944 )"
 

Charles FREMINE
NOEL
 
Coupez le gui ! Coupez le houx !
Feuillage vert, feuillage roux ;
Mariez leurs branches !
Perles rouges et perles blanches.
Coupez le gui ! Coupez le houx !
C'est la Noël ! Fleurissez-vous.
 
Courez à la forêt prochaine,
Courez à l'enclos des fermiers ;
Coupez le gui sur le grand chêne,
Coupez le gui sur les pommiers !
 
Chassez les grives et les merles,
Chassez la mésange au dos bleu
Du gui dont les fleurs sont des perles
Du houx dont les fleurs sont du feu !
 

 

Konstanty Ildefons GALCZYNSKY
SI J' AVAIS ONZE CHAPEAUX
 
Si j' avais onze chapeaux...
Et bien !
J' en mettrais un au fond de l' armoire
à cause de la poussière, ce qui est normal ;
 
Le second chapeau, bien empaqueté,
J' enverrais par la poste, en recommandé.
Dans le troisième - je garderais des petits riens.
Grâce au quatrième, je serais peut-être magicien ...
 
Le cinquième remplacerait ma cloche à fromage,
et c' est à Jean que je donnerais le sixième - s' il est sage.
 
Le septième - je l' accrocherais au portemanteau,
qu' il y reste tranquillement !
 
Du huitième je ferais peut-être un abat-jour.
Dans le neuvième j' élèverais,
pourquoi pas ?
une poule qui pondrait des oeufs d' or.
....
 
Quant au dixième, je n'en sais rien encore.
Mais mon onzième chapeau,
je ne le garderais pas, oh non !
 
Qu' il s' envole donc au grand vent !
Qu'il tombe dans la rivière !
Car, comme dit une de mes amies très chères :
" Un poète, ça n'a pas une tête à chapeaux. "
 
"Pourquoi le concombre ne chante-t-il pas ?"
 
 

Pierre GAMARRA
L'AUTOMOBILE
PEPIN DE POMME
MON CARTABLE
LES FEUX
OU DONC EST PASSE LE FEU ?
 
L'AUTOMOBILE
 
Une jeune automobile
pour la première fois se promenait en ville,
fière de ses fraîches couleurs,
de ses chromes, de son moteur.
- Ah ! disait-elle à ses soeurs,
voyez comme je suis belle !
Je peux filer pareille à l'hirondelle
plus vite que le vent et je peux m'arrêter
au moindre coup de frein. Je suis, en vérité,
la championne de la distance,
de la grâce et de la prestance
et de la rapidité.
Or, sachez que je ne dépense
qu'un peu d'huile et qu'un peu d'essence.
Je glisse sur mes quatre pneus
comme sur un tapis laineux,
franchissant les coteaux, les montagnes, les plaines...
On m'admire partout ; partout, je suis la Reine.
On ne saurait rêver plus splendide cadeau.
Une très vieille torpédo
qui sommeillait au garage,
grommela sur son passage :
- Je n'en disconviens pas. Tout ceci est fort bien,
tu vas, tu viens,
tu vires
mais tu ne servirais de rien
sans un chauffeur pour te conduire.
 
"Le Mandarin et la Mandarine"
 
 
PEPIN DE POMME
 
Graine de pomme dans ma main,
Goutte brune, tendre pépin,
Je tiens le pommier dans ma main.
 
Je tiens le tronc et les ramures
Et les feuilles et les murmures,
La chanson des oiseaux vivants
Et les mille routes du vent.
 
Graine fine, pépin léger,
Dans ma main, je tiens le pommier,
Pépin menu, graine fragile,
Si je te jette au sol profond,
Par dessous les pluies et les neiges,
Voici les fleurs, voici les fruits,
La lune sur les pommes bleues,
Le soleil sur les pommes rouges,
Et mon coeur qui bouge, qui bouge
Dans la romance des pommiers.
 
 
MON CARTABLE
 
Mon cartable a mille odeurs,
mon cartable sent la pomme,
le livre, l'encre, la gomme
et les crayons de couleurs.
 
Mon cartable sent l' orange,
le bison et le nougat,
il sent tout ce que l' on mange
et ce qu' on ne mange pas.
 
La figue, la mandarine,
le papier d' argent ou d' or,
et la coquille marine,
les bateaux sortant du port.
 
Les cow-boys et les noisettes,
la craie et le caramel,
les confettis de la fête,
les billes remplies de ciel.
 
Les longs cheveux de ma mère
et les joues de mon papa,
les matins dans la lumière,
la rose et le chocolat.
 
"La tarte aux pommes."
 
 
LES FEUX
 
Orange, tu passes
orange léger,
orange légère,
orange, tu deviens cerise.
Ne soyons pas surpris,
ne soyons pas surprise ...
 
Vert, orange, rouge,
les feux sont des fruits,
des coeurs qui scintillent,
des yeux qui s' allument
au coin de ma rue .
 
Rouge, vert, orange,
dans les soirs de brume,
dans les nuits de plume,
les feux sont des songes
au bout des trottoirs
 
Je m' arrête au rouge,
une rose bouge
dans l' or du matin.
 
Au vert, je m' en vais,
je m' en vais au vert,
je m' éloigne vers
des feuilles de jade,
un ciel de salade ...
Adieu, la cité
Le vert, c' est l' été
 
"La ville en poésie"
Gallimard
 
 
OU DONC EST PASSE LE FEU ?
 
Où donc est passé le feu ?
Je n' ai pas de cheminée !
Quand l' hiver au gros nez bleu
Vient à la fin de l'année,
 
Quand décembre blanc et noir
vient siffler devant ma porte
et quand la tempête emporte
les arbres au fond du soir,
 
je m'en vais à ma croisée,
je suis triste un petit peu,
je n' ai pas de cheminée.
Où donc est passé le feu ?
 
"La tarte aux pommes ."
L'école des loisirs
 

 
Guy GANACHAUD
REMERCIEMENT
 
Seigneur, très simplement,
je voudrais te remercier
de toutes tes bontés;
de ne pas m'avoir donné
trop de qualités,
moins encore de vertus.
Ainsi, lorsque je tombe,
c'est toujours d'assez bas.
C'est préférable, n'est-ce pas?
 

 

 

 

 

 

 

 

Auguste-Pierre GARNIER
 
LES LAVEUSES
 
Près de l'arche du pont, non loin des abattoirs,
Clapote tout le jour le fracas des battoirs.
Des femmes, à l'abri sous un auvent de planches,
Dans les eaux de savon déjà grasses et blanches,
Essorent en causant tout le linge mouillé.
Nul bras n'est engourdi. Nul gosier n'est rouillé.
La laveuse, de la finaude à l'ingénue,
Ajoute aux racontars, et suppose, insinue...
La main rougeaude claque au rebord du lavoir.
Toutes ont dit, ont vu, chacune a cru savoir...
Et l'on entend taper, pareils aux flots qui tanguent
Les forts coups de battoirs et les fins coups de langue.
 
"A vol d'oiseau"
 
 

Théophile Gautier (1811-1872)
PLAISIR D'ETE
LA TULIPE
PREMIER SOURIRE DU PRINTEMPS
SENTIER PRINTANIER
 
PLAISIR D'ETE
 
Quand à peine un nuage,
Flocon de laine, nage
Dans les champs du ciel bleu
Et que la moisson mûre,
Sans vagues ni murmure,
Dort sous le ciel de feu ;
 
Aux fentes des murailles
Quand luisent les écailles
Et les yeux du lézard,
Et que les taupes fouillent
Les près, où s'agenouillent
Les grands boeufs à l'écart ;
 
Qu'il fait bon ne rien faire ;
Libre de toute affaire,
Libre de tous soucis,
Et sur la mousse tendre
Nonchalamment s'étendre
Ou demeurer assis...
 
 
LA TULIPE
 
Moi, je suis la tulipe, une fleur de Hollande,
et telle est ma beauté que l'avare Flamand
Paie un de mes oignons plus cher qu'un diamant
Si mes fonds sont bien purs, si je suis droite et grande.
 
Mon air est féodal, et comme une Yolande
Dans sa jupe à longs plis étoffée amplement,
Je porte des blasons peints sur mon vêtement,
Gueules fascé d'argent, or avec pourpre en bande.
 
Le jardinier divin a filé de ses doigts
Les rayons du soleil et la pourpre des rois
Pour me faire une robe à trame douce et fine.
 
Nulle fleur du jardin n'égale ma splendeur,
Mais la nature, hélas ! n'a pas versé d'odeur
Dans mon calice fait comme un vase de Chine.
 
"Poésies complètes" 1876
 
 
PREMIER SOURIRE DU PRINTEMPS
 
Tandis qu'à leurs oeuvres perverses
Les hommes courent haletants,
Mars qui rit, malgré les averses,
Prépare en secret le printemps.
 
Pour les petites pâquerettes
Sournoisement, lorsque tout dort,
Il repasse des collerettes
Et cisèle des boutons d'or.
 
Dans le verger et dans la vigne,
ll s'en va furtif perruquier,
Avec une houppe de cygne,
Poudrer à frimas l'amandier.
 
La nature au lit se repose ;
Lui, descend au jardin désert
Et lace les boutons de rose
Dans leur corset de velours vert.
 
Tout en composant des solfèges,
Qu'aux merles il siffle à mi-voix,
Il sème aux prés les perce-neige
Et les violettes aux bois.
 
Sur le cresson de la fontaine
Où le cerf boit, l'oreille au guet,
De sa main cachée il égrène
Les grelots d'argent du muguet.
 
Sous l'herbe, pour que tu la cueilles,
Il met la fraise au teint vermeil,
Et te tresse un chapeau de feuilles
Pour te garantir du soleil.
 
Puis, lorsque sa besogne est faite,
Et que son règne va finir,
Au seuil d'avril tournant la tête,
Il dit : " Printemps, tu peux venir! "
 
"Emaux et Camées"
 
 
SENTIER PRINTANIER
 
Il est un sentier creux dans la vallée étroite,
Qui ne sait trop s'il marche à gauche ou bien à droite.
C'est plaisir d'y passer, lorsque moi sur ses bords
Comme un jeune prodigue égrène ses trésors.
L'aubépine fleurit; les frêles pâquerettes,
Pour fêter le printemps, ont mis leurs collerettes.
La pâle violette, en son réduit obscur,
Timide, essaie au jour son doux regard d'azur,
Et le gai bouton-d'or, lumineuse parcelle,
Pique le gazon vert de sa jaune étincelle.
Le muguet, tout joyeux, agite ses grelots.
Et les sureaux sont blancs de bouquets frais éclos
Les fossés ont des fleurs à remplir vingt corbeilles.
A rendre riche en miel tout un peuple d'abeilles.
 
" Poésies "
 
 
 

 

Paul GERALDY
LE BOURGEON
 
Comme un diable au fond de sa boîte ,
Le bourgeon s' est tenu caché ,
Mais dans sa prison trop étroite
Il baille et voudrait respirer .
 
Il entend des chants, des bruits d' ailes ,
Il a soif de grand jour et d' air ...
Il voudrait savoir des nouvelles ,
Il fait craquer son corset vert .
 
Pris d' un geste brusque, il déchire
Son habit étroit et trop court :
"" Enfin, se dit - il, je respire ...
Je vis, je suis libre ... Bonjour ! "
 

Rosemonde GERARD
 
BONNE ANNEE
LA RONDE DES MOIS
 
 
BONNE ANNEE
 
Bonne année à toutes les choses :
Au monde ! A la mer ! Aux forêts !
Bonne année à toutes les roses
Que l'hiver prépare en secret.
 
Bonne année à tous ceux qui s'aiment
Et qui m'entendent ici-bas...
Et bonne année aussi, quand même,
A tous ceux qui ne s'aiment pas !
 
in Amis Coop,
Statocce éd.
 
 
LA RONDE DES MOIS
 
Janvier prend la neige pour châle ;
Février fait glisser nos pas ;
Mars de ses doigts de soleil pâle,
Jette des grêlons aux lilas.
 
Avril s'accroche aux branches vertes ;
Mai travaille aux chapeaux fleuris ;
Juin fait pencher la rose ouverte
prés du beau foin qui craque et rit.
 
Juillet met les oeufs dans leurs coques
Aout sur les épis mûrs s'endort ;
Septembre aux grands soirs équivoques,
Glisse partout ses feuilles d'or.
 
Octobre a toutes les colères,
Novembre a toutes les chansons
Des ruisseaux débordant d'eau claire,
Et Décembre a tous les frissons.
 
"Les pipeaux"
Grasset.
 
 
 
 

 ANDRE GIDE
LES FRUITS
 
Il y en a que nous mangerons sur des terrasses,
Devant la mer et devant le soleil couchant.
Il y en a que l'on confit dans de la glace
Sucrée avec un peu de liqueur dedans.
 
Il y en a que l'on cueille sur les arbres
De jardins réservés, enclos de murs,
Et que l'on mange à l'ombre dans la saison tropicale.
 
On disposera de petites tables
Les fruits tomberont tout autour de nous
Dès qu'on agitera les branches
Où les mouches engourdies se réveilleront.
Les fruits tombés, on les recueillera dans des jattes
Et leur parfum déjà suffirait à nous charmer ...
 
Il y en a dont l'écorce tâche les lèvres
Et que l'on ne mange que lorsqu'on a très soif.
Nous les avions trouvés le long des routes sablonneuses,
Ils brillaient à travers le feuillage épineux
Qui déchira nos mains lorsque nous voulûmes les prendre ;
Et notre soif n'en fut pas beaucoup étanchée.
 
Il y en a dont on ferait des confitures
Rien qu'à les laisser cuire au soleil.
Il y en a dont la chair malgré l'hiver demeure sûre ;
De les avoir mordus les dents sont agacées.
Il y en a dont la chair paraît toujours froide, même l'été.
On les mange accroupi sur des nattes,
Au fond de petits cabarets.
Il y en a dont le souvenir vaut une soif
Dès qu'on ne peut plus les trouver.
 
"Les nourritures terrestres"
 
  

 Maud - Elisa GIVAUDAN
 
NOUVEL AN SOIS LE BIENVENU
 
Tout grelottant et tout nu
Nouvel an ! Sois le bienvenu !
Peut-être as-tu deux fils de laine
Pour la pauvre Madeleine ?
Un grain de blé pour le champ
Du vieux paysan ?
sans doute as-tu un peu de bien
Un peu de riz pour l' indien ?
Et cachée sous ta mante brune
La pierre de Lune ?
Pour le Désert la moitié
D' une goutte ... d' une goutte ...
Et pour le monde entier
Qui t' écoute ... qui t' écoute ...
Du nord au sud, de branche en brin
De l' Amour ... un brin.
Tout grelottant et tout nu
Nouvel an ! Sois le bienvenu !
 
"Sur trois notes de soleil"
 

Jean GLAUZY
 
LE VENT
 
Le vent n'a pas dormi
cette nuit
et j'ai souffert d'insomnie
comme lui.
 
Il s'est démené comme un diable
et je l'ai cru capable
de tout raser.
 
Il a emporté
la niche de mon chien,
cassé
l'olivier du jardin,
arraché
les volets du voisin.
 
Il soufflait fort comme quatre
On eût dit qu'il voulait abattre
le travail d'un titan;
 
Mais pendant
qu'il allait sans relâche
seul, se tuant
à la tâche,
C'est moi qui étais en sueur
car j'étais morte de peur.
 

Wolfgang GOETHE
 
CREPUSCULE
 
Le crépuscule est tombé.
Tout ce qui était proche déjà s' éloigne.*
Mais d' abord est montée
la douce lumière de l' étoile du soir.
Tout vacille, incertain.
Des brouillards en rampant s' élèvent.
Reflétant de profondes ténèbres,
Le lac noir repose.
 
Vers l' est seulement
Je pressens l' éclat de la lune.
La chevelure des saules élancés
caresse le flot proche .
A travers de vivants jeux d' ombres
Tremble le magique éclat de l' astre.
Et par les yeux, la fraîcheur
Au coeur s' insinue, caressante.
 
" Chansons "
 

Fernand GREGH
 
LA PLUS JEUNE FEE
IL PLEUT
L' ABEILLE
VENT D' AUTOMNE
UN SOIR
 
 
 
LA PLUS JEUNE FEE
 
C'est la plus jeune fée.
Blonde et blanche, de lis ou de lilas coillée,
Elle passe dans l'air
Où, sur les romarins et sur les renoncules,
Le sillage argenté de son char minuscule
Laisse deux tourbillons d'éclairs...
Elle visite le grillon
Qui chante aux pieds de Cendrillon,
Cache au fond d'un hallier les bijoux de Peau d'Ane,
Berce la Belle au Bois Dormant
Et guide le Prince Charmant,
Grimpe à la tour avec Soeur Anne,
Vole les clefs de Barbe-Bleue,
Chausse au Petit Poucet les bottes de sept lieues,
Brûle à l'ogre sa soupe,
Frise à Riquet sa houppe...
Elle prend aussi soin des moindres fleurs,
Calme le vent qui siffle,
Rit à la source en pleurs,
Jase avec tous les sylphes...
Blonde et blanche, de lis ou de lilas coiffée,
C'est la plus jeune fée.
 
"Les clartés humaines"
 
 
IL PLEUT
 
Il pleut,
Les vitres tintent.
Le vent de mai fait dans le parc un bruit d'automne,
Une porte, en battant sans fin, grince une plainte
Mineure et monotone,
Il pleut...
 
On dirait par moments qu'un million d'épingles
Se heurtent aux vitres et les cingle.
Il pleut,
Les vitres tintent.
 
Le ciel cache un à un ses coins épars de bleu
Sous de rapides nuées grises,
Il pleut :
La vie est triste !
 
"Les clartés humaines"
 
 
L' ABEILLE
 
Fière d' un précieux butin ,
De miel exquis toute chargée ,
Plus lourde et pourtant allégée ,
Je volais sur l' herbe et le thym .
 
Je t' ai frôlé trop près, sans doute ,
Car tu m' as, d' un doigt courroucé ,
Jetée au revers d' un fossé ...
ah ! ne m' achève pas ! Ecoute !
 
Tu ne connais pas la douceur
De descendre au fond d' une rose ,
Et, dans sa corolle mi - close ,
De boire longuement son coeur.
 
Tu ne sais pas l' heureux délire
De bourdonner, de voltîger ,
Et de pendre dans l' air léger
Ainsi qui une petite lyre !
 
Mais tu sais que le soir vermeil
dore au pied du chêne la mousse ;
Tu sais comme la vie est douce
Et comme est brillant le soleil .
Grâce !
 
 
VENT D' AUTOMNE
 
Passe dans les rameaux desséchés, vent d' automne ;
Dans l' ombre, enivre - toi de leur parfum amer ;
Berce entre les ifs noirs lune monotone ;
Fais murmurer sans fin la nuit, comme une mer .
 
Arrive dans le ciel les étoiles tremblantes ;
Disperse follement la poudre du chemin ,
Fais onduler sur les coteaux les herbes lentes
Comme un grand dos soyeux que caresse la main.
 
Tonne, gémis, décroîs, murmure, gronde encore
Au loin avec ta voix mystérieuse. Meurs ,
Renais, déferle ainsi qu' une vague sonore ,
Remplis enfin la nuit d' éternelles rumeurs
 
"La beauté de vivre ."
 
 
UN SOIR
 
Nous sommes là, ce soir, paisibles sous la lampe.
Mon père lit, sa main pâle contre sa tempe;
Mon frère est accoudé, les yeux ailleurs, auprès
De ma mère qui brode avec des doigts distraits
Où luit le reflet lent du foyer sur ses bagues;
Parfois le chien, perdu dans ses beaux songes vagues,
Etire de paresse et d' aise son flanc creux;
Et je rêve, parmi le grand silence, heureux.
Nous sommes là, ce soir d' hiver, humble famille,
Ecoutant à l' horloge indécise qui brille
Dans l' ombre, palpiter les instants fugitifs,
Groupés devant le feu, comme des primitifs.
 
"Les clartés humaines."
 

Dame GU JI ( Kou Ki )
( dynastie Ming )
LA PLUIE D'ETE
 
Légère et douce
la tiède pluie
dans la cour nue
fait pousser
l'herbe et la mousse.
 
Dans le verger
d'arbres en fleurs
un loriot vert
chante en mineur.
La jeune file
entend chanter
un autre oiseau
dedans son coeur.
 
"La cour de récréation"
 

Charles GUERIN
 
IL A PLU
 
Il a plu. Soir de juin. Ecoute ,
Par la fenêtre large ouverte ,
Tomber le reste de l' averse
De feuille en feuille, goutte à goutte .
 
C' est l' heure choisie entre toutes
Où flotte à travers la campagne
L' odeur de vanille qu' exhale
La poussière humide des routes .
 
L' hirondelle joyeuse jase .
Le soleil déclinant se croise
Avec la nuit sur les collines ;
 
Et son mourant sourire essuie
Sur la chair pâle des glycines
Les cheveux d' argent de la pluie .
 
"Le coeur solitaire."
 

Eugène GUILLEVIC
 
JE DIS DOUCEUR
L'ECOLE PUBLIQUE
J'AI VU LE MENUISIER
JE DIS DOUCEUR
 
Douceur,
Je dis : douceur.
Je dis : douceur des mots
Quand tu rentres le soir du travail harassant
Et que des mots t'accueillent
Qui te donnent du temps.
Car on tue dans le monde
Et tout massacre nous vieillit.
Je dis : douceur,
Pensant aussi
A des feuilles en voie de sortir du bourgeon,
A des cieux, à de l'eau dans les journées d'été,
A des poignées de main.
Je dis : douceur, pensant aux heures d'amitié,
A ces moments qui disent
Le temps de la douceur venant pour tout de bon,
Cet air tout neuf,
Qui pour durer s'installera.
 
"Terres à bonheur" Seghers 1952
 
L'ECOLE PUBLIQUE
 
A Saint-Jean-Brévelay notre école publique
Etait petite et très, très pauvre : des carreaux
Manquaient et pour finir c'est qu'il en manquait trop
Pour qu'on mette partout du carton par applique,
 
Car il faut voir bien clair lorsque le maître explique.
Alors le vent soufflait par tous ces soupiraux
Et nous avons eu froid souvent sous nos sarraus.
Par surcroît le plancher était épisodique
 
Et l'on sait qu'avec l'eau du toit la terre fait
Des espèces de lacs boueux d'un bel effet.
- Pourtant j'ai bien appris dans cette pauvre école :
 
Orthographe, calcul, histoire des Français,
Le quatorze juillet, Valmy, la Carmagnole,
Le progrès, ses reculs, et, toujours, son succès.
 
" Trente et un poèmes "
 
J'AI VU LE MENUISIER
 
J'ai vu le menuisier
Tirer parti du bois.
 
J'ai vu le menuisier
Comparer plusieurs planches.
 
J'ai vu le menuisier
Caresser la plus belle.
 
J'ai vu le menuisier
Approcher le rabot.
 
J'ai vu le menuisier
Donner la juste forme.
 
Tu chantais, menuisier,
En assemblant l'armoire.
 
Je garde ton image
Avec l'odeur du bois.
 
Moi j'assemble des mots
Et c'est un peu pareil.
 
Terre à bonheur
 
 
 

 Raoul HARDY
LES PAPILLONS DE MON JARDIN
 
Les papillons de mon jardin
Sont jolis comme des ombrelles,
Et la dentelle
De leurs ailes
Est vivante comme un satin
 
Il en est qui hantent les choux;
Ils sont légers comme des flammes;
Ils ont la blancheur de la lame
Qui écume sur les cailloux.
 
Ceux qui voltigent par les fleurs
Portent d'éclatantes tuniques;
Ils ont des taches symétriques
Sur leurs ailes de maraudeurs.
 
Mais qu'ils soient couleur du matin
Ou que l'or du couchant ruisselle
Sur la dentelle
De leus ailes
Ce sont des fleurs de mon jardin.
 
"Rustiques"
 
 
 
 

Arthur HAULOT
 
XXXX
 
Je voudrais t' apporter un jour un tel poème
Que nul coeur de maman n' en connût de plus doux ,
Poser entre tes mains, au creux de tes genoux ,
Tout ce que j' ai glané en ma folle bohême .
 
Il y aurait les mers, les îles méridiennes ,
Les palais fabuleux des Indes, du Pérou ,
Les ors, les diamants, les miroirs, les bijoux
De ces mille cités dont la gloire fut mienne .
 
J' y voudrais ajouter les forêts ténébreuses ,
Les ports, les pics neigeux, les glaciers, les torrents
Et les soirs enchantés, les aubes lumineuses ...
 
Mère, tout se réduit pourtant à cette image :
Ce que j' ai découvert de plus cher, de plus grand ,
C' est ton propre regard, ton coeur et ton visage .
 
"Poète de la vie"
 

 Vaclav HAVEL
SYNTHESE DIALECTIQUE
 
1er récitant
Pendant des siècles
et de façon erronée
les uns ont affirmé :
 
2ème récitant
que l'OEUF
a existé
avant la poule
 
1er récitant
Les autres ont affirmé :
 
2ème récitant
Que la POULE
a existé
avant l'oeuf
 
1er récitant
Et c'est seulement nous
qui examinant
cette question
sous l'angle de l'évolution
historico-dialectique de
LA POULE
et de
L'OEUF
savons que
 
2ème récitant
l'OEUF
existait
avant la poule
et qu'en même temps
LA POULE
existait
avant l'oeuf
 
1er récitant
et que c'est uniquement dans l'unité interne
de ces deux réalités historiques
que réside la vérité sur :
 
ensemble
L'OEUF
et
LA POULE
 
 
 
 
 
 

 Per Jakez HELIAS
 
CITE INTERDITE
SINGERIES
CITE INTERDITE
 
Devant un palais de la Chine
J'ai rencontré un grand dragon
Qui présentait farouche mine,
Rouge du corps, vert de l'échine,
Et j'ai voulu savoir son nom:
Mon nom, dit-il, est Lon Lu Tchi
Et j'étais le gardien d'ici
Au temps des maîtres et tyrans
Qui défendaient d'entrer dedans.
N'ayez pas peur de mes gros yeux
Ni des écailles de ma queue.
Ma gueule est pleine de dents d'or
Mais les manants plus je ne mords
Depuis qu'en ville de Pékin
Tout prolétaire est mandarin
 
" Le passe - vie "
 
SINGERIES
 
J'en connais des qui hurlent fort
Sans avoir rien à dire.
J'en connais des qui se harnachent d'oripeaux
Et qui sont nus à l'intérieur.
J'en connais des qui donnent de la voix pour
d'autres.
Sans être mandatés par eux.
J'en connais des qui se font trop connaître
En faisant semblant de m'importe quoi
Si ce quoi là est piège à mouches.
J'en connais des à oublier
d'extrême urgence.
C'est fait.
" Le passe - vie "
 

Nazim HIKMET
( Traduit du turc par CHARLES Dobzinski )
LE GLOBE
 
Offrons le globe aux enfants, au moins pour une journée.
Donnons-le leur afin qu'ils en jouent comme d'un ballon multicolore
Pour qu'ils jouent en chantant parmi les étoiles.
Offrons le globe aux enfants,
Donnons-le leur comme une énorme pomme
Comme une boule de pain toute chaude,
Qu'une journée au moins ils puissent manger à leur faim.
Offrons le globe aux enfants,
Qu'une journée au moins le globe apprenne la camaraderie,
Les enfants prendront de nos mains le globe,
Ils y planteront des arbres immortels.
 
Anthologie poétique (1964)
Le temps des cerises
 

Huang WAN CHIUNG
LA ROSEE PERLE
 
La rosée perle
Aux bambous verts
Comme une larme.
Le vent paresse
Et le lotus
Laisse tomber
Un pétale rose.
 
A pas très lents
La nuit avance
Et mon chemin
Est traversé
De vers luisants.
Un chant coulis:
C'est une flûte
De bambou
Qui chante doux.
 
"La Chine dans un miroir."
 
 
 

Victor HUGO
 
JE NE SAIS POURQUOI ...
CHANSON POUR FAIRE DANSER EN ROND LES PETITS ENFANTS
LA MATHEMATIQUE
PRENEZ GARDE AUX CHOSES QUE VOUS DITES
PRINTEMPS
JE NE SAIS POURQUOI ...
 
(...) je ne sais pourquoi
Tous les petits enfants viennent autour de moi.
Dès que je suis assis, les voilà tous qui viennent.
C'est qu'ils savent que j'ai leurs goûts : ils se souviennent
Que j'aime comme eux l'air, les fleurs, les papillons
Et les bêtes qu'on voit courir dans les sillons.
Ils savent que je suis un homme qui les aime,
Un être auprès duquel on peut jouer, et même
Crier, faire du bruit, parler à haute voix ;
Que je riais comme eux et plus qu'eux autrefois,
Et aujourd'hui, sitôt qu'à leurs ébats j'assiste,
Je leur souris encore bien que je sois plus triste ;
Ils disent, doux amis, que je ne sais jamais
Me fâcher ; qu'on s'amuse avec moi ; que je fais
Des choses en carton, des dessins à la plume.
Que je raconte, à l'heure où la lampe s'allume
Oh ! des contes charmants qui vous font peur la nuit ;
Enfin que je suis doux, pas fier et fort instruit.
 
"Les contemplations"
 
CHANSON POUR FAIRE DANSER EN ROND LES PETITS ENFANTS
 
Grand bal sous le tamarin.
On danse et l'on tambourine.
Tout bas parlent, sans chagrin,
Mathurine à Mathurin.
 
C'est le soir, quel joyeux train!
Chantons à pleine poitrine
Au bal, plutôt qu'au lutrin.
Mathurin à Mathurine,
Mathurine à Mathurin.
 
Découpé comme au burin,
L'arbre, au bord de l'eau marine,
Est noir sur le ciel serein.
Mathurin à Mathurine,
Mathurine à Mathurin.
 
Dans le bois rôde Isengrin.
Le magister endoctrine
Un moineau pillant le grain.
Mathurin à Mathurine,
Mathurine à Mathurin.
 
Broutant l'herbe brin à brin,
Le lièvre a dans la narine
L'appétit du romarin.
Mathurin à Mathurine
Mathurine à Mathurin.
 
Saus l'ormeau le pèlerin
Demande à la pèlerine
Un baiser pour un quatrain.
Mathurin à Mathurine
Mathurine à Mathurin.
 
Derrière un pli de terrain,
Nous entendons la clarine
Du cheval d'un voiturin.
Mathurin à Mathurine
Mathurine à Mathurin.
 
"L'art d'être grand-père" 1877
Poésie 2 L'intégrale Seuil
 
LA MATHEMATIQUE
 
... J' étais en proie à la mathématique .
Temps sombre! enfant ému du frisson poétique ,
Pauvre oiseau qui heurtais du crâne mes barreaux ,
On me livrait tout vif aux chiffres, noirs bourreaux ;
On me faisait de force ingurgiter l' algèbre ;
On me liait au fond d' un Boisbertrand funèbre ;
On me tordait, depuis les ailes jusqu' au bec ,
Sur l' affreux chevalet des X et des Y ;
Hélas, on me fourrait sous les os maxillaires
Le théorème orné de tous ses corollaires ;
Et je me débattais, lugubre patient
Du diviseur prêtant main - forte au quotient .
De là mes cris .
Un jour, quand l' homme sera sage,
Lorsqu' on n' instruira plus l' oiseau par la cage ,
Quand les sociétés difformes sentiront
Dans l' enfant mieux compris se redresser leur front ,
Que, des libres essors ayant sondé les règles ,
On connaîtra la loi de la croissance des aigles ,
Et que le plein midi rayonnera pour tous ,
Savoir étant sublime, apprendre sera doux ...
 
"Les contemplations"
( à propos d'Horace poème XIII du livre I )
 
PRENEZ GARDE AUX CHOSES QUE VOUS DITES
 
Braves gens, prenez garde aux choses que vous dites ,
Tout peut sortir d'un mot qu' en passant vous perdîtes ,
Tout, la haine et le deuil ! Et ne m' objectez pas
Que vos amis sont sûrs et que vous parlez bas .
Ecoutez bien ceci : tête à tête, en pantoufle ,
Porte close, chez vous sans un témoin qui souffle ,
Vous dites, à l' oreille, au plus mystérieux
De vos amis de coeur, ou si vous l' aimez mieux ,
Vous murmurez tout seul, croyant presque vous taire ,
dans le fond d' une cave, à trente pieds sous terre ,
Un mot désagréable à quelque individu .
Ce mot, que vous croyez qu' on n' a pas entendu ,
Court, à peine lâché, part, bondit, sort de l' ombre ;
Tenez, il est dehors ! Il connaît son chemin ;
Il marche, il a deux pieds, un bâton à la main ,
Il vous échappe, il fuit, rien ne l' arrêtera ;
Il suit le quai, franchit la place, et caetera ,
Passe l' eau sans bateau dans la saison des crues ,
Et va, tout à travers un dédale de rues ,
Droit chez le citoyen dont vous avez parlé .
Il sait le numéro, l' étage, il a la clé :
Il ouvre l' escalier, pousse la porte, passe
Entre, arrive, et, railleur, regardant l' homme en face ,
Dit : " me voilà ! Je sors de la bouche d' un tel . "
Et c' est fait, vous avez un ennemi mortel .
 
"Oeuvres posthumes ."
 
PRINTEMPS
 
Tout est lumière, tout est joie.
L'araignée au pied diligent
Attache aux tulipes de soie
Les rondes dentelles d'argent.
 
La frissonnante libellule
Mire les globes de ses yeux
Dans l'étang splendide où pullule
Tout un monde mystérieux.
 
La rose semble, rajeunie,
S'accoupler au bouton vermeil
L'oiseau chante plein d'harmonie
Dans les rameaux pleins de soleil.
 
Sous les bois, où tout bruit s'émousse,
Le faon craintif joue en rêvant;
Dans les verts écrins de la mousse,
Luit le scarabée, or vivant.
 
La lune au jour est tiède et pâle
Comme un joyeux convalescent;
Tendre elle ouvre ses yeux d'opale
D'où la douceur du ciel descend!
 
Tout vit et se pose avec grâce,
Le rayon sur le seuil ouvert,
L'ombre qui fuit sur l'eau qui passe,
Le ciel bleu sur le coteau vert!
 
La plaine brille, heureuse et pure;
Le bois jase; l'herbe fleurit.
- Homme! ne craint rien! la nature
Sait le grand secret, et sourit.
 
"Les rayons et les ombres"
 

Magdeleine HUTIN-DESGREES
SUR LA VERTE VAGUE
 
Sur la verte vague voguant
Quand les vergues vibrent au vent
Quand il va vite quand il vire
Oh, la voix de mon beau navire!
 
L'aile lente du goéland
Vient frôler le revers des voiles
On dirait un rêve volant
Qui volerait vers les étoiles.
 
Libre, vibre et vole avec lui
Mon navire, et vogue sans trêve,
Quand la Vie est vide de rêve
Le coeur chavire dans la nuit
 
"Anthologie de la poésie bretonne."
 

 Jean - Louis JACOB
 
LE CIRQUE
 
J'ai rêvé d'un cirque
fantastique
Dont le public très chic
Etait constitué
D'animaux distingués.
 
Au premier rang
Trônaient les imposants éléphants
Sur les bancs suivants
Les animaux vivants
De nos cinq continents
 
Les plus fameux artistes
Trapézistes, illusionnistes
Tortillèrent sur cette piste
D'êtres fantaisistes
 
Le spectacle terminé
Un seul numéro avait intéressé
Ce public blasé
Celui où il fut prouvé
Que par ses grimaces
L'homme, quoi qu'il fasse,
Descend du singe
 
"Poèmes pour bons petits diables de 8 à 12 ans"
 

Max JACOB
LE DEPART
CHAPEAU
JEUNES FILLES MODERNES A DOUARNENEZ
LE DEPART
 
Adieu l'étang et toutes mes colombes
Dans leur tour et qui mirent gentiment
Leur soyeux plumage au col blanc qui bombe
Adieu l'étang.
 
Adieu maison et ses toitures bleues
Où tant d'amis, dans toutes les saisons,
Pour nous revoir avaient fait quelques lieues,
Adieu maison.
 
Adieu vergers, les caveaux et les planches
Et sur l'étang notre bateau voilier,
Notre servante avec sa coiffe blanche,
Adieu vergers.
 
Adieu aussi mon fleuve clair ovale,
Adieu montagne ! adieu arbres chéris !
C'est vous qui tous êtes ma capitale
Et mon Paris.
 
"Le Laboratoire central"
 
CHAPEAU
 
Une volée de pigeons sur un pommier,
une volée de chasseurs, il n'y a plus de pigeons,
une volée de voleurs, il n'y a plus de pommes,
il ne reste plus qu'un chapeau d'ivrogne
pendu à la plus basse branche.
Bon métier que celui de marchand de chapeaux,
marchand de chapeaux d'ivrognes.
On en trouve partout dans les fossés
sur les prés, sur les arbres.
Il y en a toujours des neufs, chez Kermarec
marchand de chapeaux à Lannion.
C'est le vent qui travaille pour lui.
De petit tailleur que je suis
je me ferai marchand de chapeaux,
le cidre travaillera pour moi.
Quand je serai riche comme Kermarec
j'achèterai un verger de pommes à cidre
et des pigeons domestiques,
si j'étais à Bordeaux je boirais du vin
et je marcherais tête nue au soleil.
 
Poèmes de Morven le Gaëlique
Gallimard
 
JEUNES FILLES MODERNES A DOUARNENEZ
 
une voix Avec les brevets et les certificats

Il n'y a plus de pen-sardines

Qui ne veulent devenir madame

Adieu, petites coiffes serrées et tabliers roses

 
une voix Je serai comme la femme du maire
 
une voix Je serai comme la femme du docteur
 
une voix Je serai comme les dames d'usiniers
 
une voix A nous aussi, les robes sur la plage

et des raquettes pour jouer au tennis

Un amoureux ou deux autour de moi

S'ils sont riches j'irai dans les autos

 
une voix En attendant me voici receveuse des postes
 
une voix Me voici infirmière diplômée
 
une voix Institutrice au coin de la lande
 
une voix A la ferme, j'avais la compagnie

Le soir pour filer à la veillée

maintenant je suis toute seule

avec mon chapeau et mon miroir

... Hélas mon coeur n'a pas changé

Il saute quand passe un garçon

et j'ai peur quand il y a du vent

 

 

Edith JACQUENAUX
 
LA POUPEE OUBLIEE
 
Tout au fond du grenier
La poupée oubliée
Se souvient d'autrefois
- du temps de la dînette,
du temps de la toilette,
du temps des amourettes
avec le fils du roi.
 
Sur la paille, elle a froid,
elle a peur d'un vieux rat,
elle tremble, grelotte;
son amie l'araignée
dans un coin lui tricote
un très long cache-nez;
la girouette l'endort
avec des chants rouillés
 
Si tu vas au grenier
rapporte la poupée;
nous la réchaufferons
à notre feu de bois.
 
"Le pré aux fées"
 

 Edmond JABES
L'ARBRE VOLANT
 
Que les bois aient des arbres
Quoi de plus naturel?
Que les arbres aient des feuilles
Quoi de plus évident?
Mais que les feuilles aient des ailes
Voilà qui, pour le moins, est surprenant.
Volez, volez beaux arbres verts.
Le ciel vous est ouvert.
Mais prenez garde à l'automne, fatale
Saison, quand vos milliers et milliers
d'ailes,
redevenues feuilles
tomberont.
 

Francis JAMMES
IL VA NEIGER
LE VILLAGE A MIDI
LA SALLE A MANGER
AU BORD DE L'EAU VERTE
IL VA NEIGER
 
Il va neiger dans quelques jours. Je me souviens
De l'an dernier. Je me souviens de mes tristesses
Au coin du feu. Si l'on m'avait demandé : "Qu'est-ce ?"
J'aurais dit : "Laissez-moi tranquille. Ce n'est rien".
 
J'ai bien réfléchi, l'année d'avant, dans ma chambre,
Pendant que la neige lourde tombait dehors.
J'ai réfléchi pour rien. A présent comme alors
Je fume une pipe en bois avec un bout d'ambre.
 
Ma vieille commode en chêne sent toujours bon.
Mais moi j'étais bête parce que ces choses
Ne pouvaient pas changer et que c'est une pose
De vouloir chasser les choses que nous savons.
 
Pourquoi donc pensons-nous et parlons-nous ? C'est drôle ;
Nos larmes et nos baisers, eux ne parlent pas,
Et cependant nous les comprenons, et les pas
D'un ami sont plus doux que de douces paroles.
 
On a baptisé les étoiles sans penser
Qu'elles n'avaient pas besoin de nom, et les nombres
Qui prouvent que les belles comètes dans l'ombre
Passeront, ne les forceront pas à passer.
 
Et maintenant même, où sont mes vieilles tristesses
De l'an dernier ? A peine si je me souviens.
Je dirais : "Laissez-moi tranquille, ce n'est rien,"
Si dans ma chambre on venait me demander "Qu'est-ce ?"
 
LE VILLAGE A MIDI
 
Le village à midi. La mouche d'or bourdonne
Entre les cornes des boeufs.
Nous irons, si tu le veux,
Si tu le veux, dans la campagne monotone.
 
Entends le coq... Entends la cloche... Entends le paon...
Entends là-bas, là-bas, l'âne...
L'hirondelle noire plane.
Les peupliers au loin s'en vont comme un ruban.
 
Le puits rongé de mousse ! Ecoute sa poulie
Qui grince, qui grince encor,
Car la fille aux cheveux d'or
Tient le vieux seau tout noir d'où l'argent tombe en pluie.
 
La fillette s'en va d'un pas qui fait pencher
Sur sa tête d'or la cruche,
Sa tête comme une ruche,
Qui se mêle au soleil sous les fleurs du pêcher
Et dans le bourg voici que les toits noircis lancent
Au ciel bleu des flocons bleus ;
Et les arbres paresseux
A l'horizon qui vibre à peine se balancent.
 
"De l'angélus de l'aube à l'angélus du soir"
 
LA SALLE A MANGER
 
Il y a une armoire à peine luisante
qui a entendu les voix de mes grand-tantes,
qui a entendu la voix de mon grand-père,
qui a entendu la voix de mon père.
A ces souvenirs l'armoire est fidèle.
On a tort de croire qu'elle ne sait que se taire,
car je cause avec elle.
 
Il y a aussi un coucou en bois.
Je ne sais pourquoi il n'a plus de voix.
Je ne veux pas le lui demander.
Peut être bien qu' elle est cassée,
La voix qui était dans son ressort,
Tout bonnement comme celle des morts.
 
Il y a aussi un vieux buffet
qui sent la cire, la confiture,
la viande, le pain et les poires mûres.
C'est un serviteur fidèle qui sait
qu'il ne doit rien nous voler.
 
Il est venu chez moi bien des hommes et des femmes
qui n'ont pas cru à ces petites âmes.
Et je souris que l'on me pense seul vivant
quand un visiteur me dit en entrant :
Comment allez-vous, Monsieur Jammes?
" De l'angélus de l'aube à l'angélus du soir "
Les plus belles pages de la Poésie Française
Sélection du Reader's Digest
 
AU BORD DE L'EAU VERTE
 
Au bord de l'eau verte, les sauterelles
sautent ou se traînent,
ou bien sur les fleurs des carottes frêles
grimpent avec peine.
 
Dans l'eau tiède filent les poissons blancs
auprès d'arbres noirs
dont l'ombre sur l'eau tremble doucement
au soleil du soir.
Deux pies qui crient s'envolent loin, très loin,
loin de la prairie,
et bvont se poser sur des tas de foin
pleins d'herbes fleuries.
 
Trois paysans assis lisent un journal
en gardant les boeufs
près des râteaux aux manches luisants que
touchaient leus doigts calleux.
 
Les moucherons minces volent sur l'eau,
sans changer de place.
En se croisant, ils passent, puis repassent,
vont de bas en haut.
 
Je tape sur les herbes avec une gaule
en réfléchissant
et le duvet des pissenlits s'envole
en suivant le vent.
 
"De l'angélus de l'aube à l'angélus du soir"
 

Georges JEAN
 
LE TEMPS DES CONTES
LES GALETS DE MON AMI JEAN
LE TEMPS DES CONTES
 
S'il était une fois
Nous partirions à l'aventure,
Moi, je serais Robin des Bois,
Et toi tu mettrais ton armure.
 
Nous irions sur nos alezans
Animaux de belle prestance,
Nous serions armés jusqu'aux dents
Parcourant les forêts immenses.
 
S'il était encore une fois
Vers le château des contes bleus
Je serais le beau fils du Roi,
Et toi tu cracherais du feu.
 
Nous irions trouver Blanche Neige
Dormant dans son cercueil de verre,
Nous pourrions croiser le cortège
De Malbrough revenant de guerre.
 
S'il était encore une fois
Au balcon de Monsieur Perrault,
Nous irions voir Ma Mère l'Oye
Qui me prendrait pour un héros.
 
Et je dirais à ces gens-là :
Moi qui suis allé dans la lune,
Moi qui vois ce qu'on ne voit pas
Quand la télé le soir s'allume ;
 
Je vous le dis, vos fées, vos bêtes,
Font encore rêver mes copains
Et mon grand-père le poète
Quand nous marchons main dans la main.
 
"Les mots d'Apijo"
 
LES GALETS DE MON AMI JEAN
 
T' es-tu jamais demandé
Où bat le coeur du caillou ?
 
En faisant un petit trou
Peut-être on va le trouver ?
 
Mais j' ai peur de le blesser
Ce caillou que la mer laisse
Après l' avoir caressé !
 
Les pierres comme les gens
Comme les chats et les chiens
Comme le chêne et le pin
Sont sensibles mon enfant
Au point d' avoir mal aux dents
Quand elles mangent du zan !
 
Mais le coeur de mon caillou
Je veux savoir s' il est doux
J' aimerais un peu l' entendre
 
Alors prends-le dans ta main
Emmène -le dans ta chambre
Mets-le sous ton oreiller
 
Quand la lune va briller
Le petit coeur minéral
Te parlera

C' est fatal

En paroles de cristal.

 

Ismaël KADARE
L' ANTENNE
 
Quand vient la nuit
Vous dormez, dormez,
Tandis que moi je veille
Sur le toit incliné.
Les courants d'air m'assaillent de tous les côtés
La pluie souvent me trempe,
Parfois les vents me fouettent.
 
Je suis comme un bâton dressé vers les cieux,
Un morceau de fer,
Rien qu'un morceau de fer.
Mais chacun de mes millimètres
Connaît plus de langues
Que tous les linguistes
Vivants ou morts.
 
Chacun de mes millimètres qui capte les émissions
Comprend à la musique
Plus que tous les musiciens.
Chacune de mes particules
Sait plus de nouvelles
Que n'en savent ensemble
Les reporters et les politiciens.
 
Je les saisis toutes
Je les récolte toutes
Moi,
Le bâton dressé haut dans le ciel.
 
" in la nouvelle poésie albanaise."
 

 Rudyard KIPLING
Traduit par André MAUROIS
 
SI ...
 
Si tu peux voir détruit l'ouvrage de ta vie
Et sans dire un seul mot te mettre à rebâtir,
Ou perdre en un seul coup le gain de cent parties
Sans un geste et sans un soupir ;
Si tu peux être fort sans cesser d'être tendre,
Et, te sentant haï, sans haïr à ton tour,
Partout lutter et te défendre ;
Si tu peux supporter d'entendre tes paroles
Travesties par des gueux pour exciter des sots,
Et d'entendre mentir sur toi leurs bouches folles
Sans mentir toi-même d'un mot ;
Si tu peux rester digne en restant populaire,
Si tu peux rester peuple en conseillant les rois,
Et si tu peux aimer tous tes amis en frères
Sans qu'aucun d'eux soit tout pour toi ;
Si tu sais méditer, observer et connaître
Sans jamais devenir sceptique ou destructeur ;
Rêver, mais sans laisser ton rêve être ton maître,
Penser sans n'être qu'un penseur ;
Si tu peux être dur sans jamais être en rage,
Si tu peux être brave et jamais imprudent,
Si tu sais être bon, si tu sais être sage
Sans être moral ni pédant ;
Si tu peux renconter triomphe après défaite
Et recevoir ces deux menteurs d'un même front ;
Si tu peux conserver ton courage et ta tête
Quand tous les autres la perdront,
Alors les Rois, les Dieux, la Chance et la Victoire
Seront à tout jamais tes esclaves soumis
Et, ce qui vaut bien mieux que les rois et la gloire,
Tu seras un homme, mon fils.
 
" Revue hebdomadaire éditeur "
 

Tristan KLINGSOR
TROIS NOISETTES
PAYSAGES
TROIS NOISETTES
 
Trois noisettes dans le bois
Tout au bout d'une brindille
Dansaient la capucine vivement au vent
En virant ainsi que des filles
De roi.
 
Du roi des nains s'entend :
Car à peine étaient-elles hautes
Comme botte
De grenouilles et grosses
Comme petit doigt ou comme cosses
De pois.
 
Un escargot vint à passer :
"Mon beau Monsieur, emmenez-moi
Dans votre carrosse,
Je serai votre fiancée",
Disaient-elles toutes trois.
Mais le vieux sire sourd et fatigué,
Le sire aux quatre cornes sous les feuilles
Ne s'est point arrêté.
Et c'est l'ogre de la forêt, je crois,
C'est le jeune ogre rouge, gourmand et fûté,
Monsieur l'écureuil,
Qui les a croquées.
"Le valet de coeur"
Mercure de France
 
PAYSAGES
 
Les arbres du jardin
Se découpent dans l'air léger du soir
Comme s'ils étaient peints
Sur une fine soie ;
Le bel oiseau gris qui se balance
Sur la branche d'un pêcher fleuri
Se garde de troubler le silence
D'un seul cri ;
Et la lune qui se mire en l'eau du lac
Est comme une mince barque
Au milieu d'un parc illuminé d'or.
 
Shéhérazade
 
 

 

 

 

 

Ivan KRYLOV
L'ORACLE
 
Dans un temple païen, jadis, un dieu de bois
Passait pour un habile oracle.
Ses réponses étaient des lois
Et ses conseils faisaient miracle.
D'or et d'argent couvert des pieds jusqu'à la tête,
D'hommages assourdi, tout embrumé d'encens,
Il voyait affluer les voeux et les présents,
Tant les gens aveuglés croyaient à leur prophèté!
Tout à coup, scandale inoui,
Notre oracle un beau jour se trouble et déraisonne,
Répond n'importe quoi pour chaque avis qu'il donne,
Pis encore, restant court, ne dit ni non ni oui.
Grande rumeur, chacun de dire:
" Qu'arrive-t-il? Qui est devenu
Ce grand esprit qui savait lire
Les secrets du monde inconnu?"
Or voici le fin mot: la statue était creuse;
Des prêtres, dans ses flancs cachés en tapinois,
Prêtaient au dieu muet leur esprit et leur voix.
S'ils étaient gens experts, la chance était heureuse:
N'hésitant jamais sur le mot,
L'oracle aux consultants paraissait très habile.
Mais si le prêtre était un sot,
Le dieu n'était qu'un malhabile.
Maint savant chez nous, m'a-t-on dit,
Sait ainsi se tirer d'affaire.
Il peut passer pour érudit
Tant qu'il a un bon secrétaire.
 
"Fables"
 

 

 

 

Jean de LA FONTAINE
 
LA GRENOUILLE QUI VEUT SE FAIRE AUSSI GROSSE QUE LE BOEUF
LE RENARD ET LA CIGOGNE
LA POULE AUX OEUFS D' OR
LE LOUP ET L'AGNEAU
LE LOUP ET LE CHIEN
LE LABOUREUR ET SES ENFANTS
CONSEIL TENU PAR LES RATS
LE SAVETIER ET LE FINANCIER
LE LION ET LE RAT
LE RENARD ET LE BOUC
LA MORT ET LE BUCHERON
LA LAITIERE ET LE POT AU LAIT
LE LIEVRE ET LA TORTUE
LE COCHET, LE CHAT ET LE SOURICEAU
LE HERON
 
 
LA GRENOUILLE QUI VEUT SE FAIRE AUSSI GROSSE QUE LE BOEUF
 
Une grenouille vit un boeuf
Qui lui sembla de belle taille
Elle, qui n'était pas grosse en tout comme un oeuf,
Envieuse, s'étend, et s'enfle, et se travaille,
Pour égaler l'animal en grosseur,
Disant: "Regardez bien, ma soeur:
Est-ce assez? dites-moi; n'y suis-je pas encore?
-Nenni. - A m'y voici donc? - Point du tout. - M'y voilà?
-Vous n'en approchez point " La chétive pécore
S'enfla si bien qu'elle creva.
Le monde est plein de gens qui ne sont pas sages:
Tout bourgeois veut bâtir comme les grands seigneurs,
Tout petit prince a des ambassadeurs,
Tout marquis veut avoir des pages.
 
LE RENARD ET LA CIGOGNE
 
Compère le Renard se mit un jour en frais ,
Et retint à dîner commère la Cigogne .
Le repas fut petit et sans beaucoup d' apprêts :
Le galant, pour toute besogne ,
avait un brouet clair; il vivait chichement .
ce brouet fut par lui servi sur une assiette :
La Cigogne au long bec n' en put attraper miette ,
Et le drôle eut lapé le tout en un moment .
Pour se venger de cette tromperie ,
a quelque temps de là la Cigogne le prie.
" Volontiers lui dit-il; car avec mes amis
Je ne fais point cérémonie . "
A l' heure dite, il courut au logis
De la Cigogne son hôtesse ;
Loua très fort sa politesse ;
Trouva le dîner cuit à point :
Bon appétit surtout; renards n' en manquent point .
Il se réjouissait à l'odeur de la viande ,
Mise en menus morceaux, et qu' il croyait friande .
On servit, pour l'embarrasser ,
En un vase à long col et d'étroite embouchure :
Le bec de la Cigogne y pouvait bien passer ,
Mais le museau du sire était d'autre mesure .
Il lui fallut à jeun retourner au logis ,
Honteux comme un renard qu'une poule aurait pris ,
Serrant la queue et partant bas l'oreille .
 
Trompeurs, c'est pour vous que j' écris :
Attendez- vous à la pareille .
 
LA POULE AUX OEUFS D' OR
 
L'avarice perd tout en voulant tout gagner .
Je ne veux, pour le témoigner ,
Que celui dont la Poule, à ce que dit la fable ,
Pondait tous les jours un oeuf d' or .
Il crut que dans son corps elle avait un trésor :
Il la tua, l'ouvrit, et la trouva semblable
A celles dont les oeufs ne lui rapportaient rien ,
S'étant lui-même ôté le plus beau de son bien .
Belle leçon pour les gens chiches !
Pendant ces derniers temps, combien en a-t-on vus ,
Qui du soir au matin sont pauvres devenus ,
Pour vouloir trop tôt être riches !
 
LE LOUP ET L'AGNEAU
 
La raison du plus fort est toujours la meilleure :
Nous l'allons montrer tout à l'heure.
 
Un agneau se désaltérait
Dans le courant d'une onde pure.
Un loup survient à jeun,qui cherchait aventure,
Et que la faim en ces lieux attirait.
" Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage?
Dit cet animal plein de rage :
Tu seras châtié de ta témérité.
- Sire, répond l'agneau, que Votre Majesté
Ne se mette pas en colère ;
Mais plutôt qu'Elle considère
Que je me vas désaltérant
Dans le courant,
Plus de vingt pas au-dessous d'Elle ;
Et que par conséquent, en aucune façon,
Je ne puis troubler sa boisson.
- Tu la troubles, reprit cette bête cruelle,
Et je sais que de moi tu médis l'an passé.
- Comment l'aurais-je fait si je n'étais pas né ?
Reprit l'agneau, je tète encor ma mère.
- Si ce n'est toi, c'est donc ton frère.
- Je n'en ai point. - C'est donc quelqu'un des tiens :
Car vous ne m'épargnez guère,
Vous, vos bergers, et vos chiens.
On me l'a dit : il faut que je me venge."
Là-dessus, au fond des forêts
Le loup l'emporte, et puis le mange,
Sans autre forme de procès.
 
Fables, livre I, fable X.
Hachette
 
LE LOUP ET LE CHIEN
 
Un Loup n'avait que les os et la peau
Tant les chiens faisaient bonne garde.
Ce Loup rencontre un Dogue aussi puissant que beau,
Gras, poli, qui s'était fourvoyé par mégarde.
L'attaquer, le mettre en quartiers,
Sire Loup l'eût fait volontiers;
Mais il fallait livrer bataille,
Et le mâtin était de taille
A se défendre hardiment.
Le Loup donc l'aborde humblement,
Entre en propos, et lui fait compliment
Sur son embonpoint qu'il admire.
" Il ne tiendra qu'à vous, beau sire,
D' être aussi gras que moi, lui repartit le Chien.
Quittez les bois, vous ferez bien:
Vos pareils y sont misérables,
Cancres, hères, et pauvres diables,
Dont la condition est de mourir de faim.
Car, quoi ? rien d'assuré; point de franche lippée;
Tout à la pointe de l'épée !
Suivez-moi, vous aurez un bien meilleur destin. "
Le Loup reprit : " Que me faudra-t-il faire ?
- Presque rien, dit le Chien : donner la chasse aux gens
Portant bâtons, et mendiants;
Flatter ceux du logis, à son maître complaire;
Moyennant quoi votre salaire
Sera force reliefs de toutes les façons,
Os de poulets, os de pigeons;
Sans parler de mainte caresse "
Le Loup déjà se forge une félicité
Qui le fait pleurer de tendresse.
Chemin faisant, il vit le cou du Chien pelé.
" Qu'est-ce là ? lui dit-il. Rien.-Quoi ! rien ?- Peu de chose.
- Mais encore ?- Le collier dont je suis attaché
De ce que vous voyez et peut-être la cause.
- Attaché ! dit le Loup: vous ne courrez donc pas
Où vous voulez ? - Pas toujours; mais qu'importe ?
- Il importe si bien, que de tous vos repas
Je ne veux en aucune sorte,
Et ne voudrais pas même à ce prix un trésor. "
Cela dit, maître Loup s'enfuit, et court encore.
 
LE LABOUREUR ET SES ENFANTS
 
Travaillez, prenez de la peine :
C'est le fonds qui manque le moins.
 
Un riche Laboureur, sentant sa mort prochaine,
Fit venir ses enfants, leur parla sans témoins :
" Gardez-vous, leur dit-il, de vendre l'héritage
Que nous ont laissé nos parents :
Un trésor est caché dedans.
Je ne sais pas l'endroit; mais un peu de courage
Vous le fera trouver : vous en viendrez à bout.
Remuez votre champ dès qu'on aura fait l'oût;
Creusez; fouillez; bêchez; ne laissez nulle place
Où la main ne passe ,et repasse. "
Le père mort, les fils vous retournent le champ,
Deçà, delà, partout, si bien qu'au bout de l'an
Il en rapporta davantage.
D'argent point de caché. Mais le père fut sage
De leur montrer, avant sa mort,
Que le travail est un trésor.
 
CONSEIL TENU PAR LES RATS
 
Un Chat, nommé Rodilardus,
Faisait de rats telle déconfiture
Que l'on n'en voyait presque plus,
tant-il en avait mis dedans la sépulture.
Le peu qu'il en restait, n'osant quitter son trou,
Ne trouvait à manger que le quart de son soûl,
et Rodilard passait, chez la gent misérable,
Non pour un chat, mais pour un diable.
Or, un jour qu'au haut et au loin
Le galant alla chercher femme,
Pendant tout le sabbat qu'il fit avec sa dame,
Le demeurant des rats tint chapitre en un coin
Sur la nécessité présente.
Dès l'abord, leur doyen, personne fort prudente,
Opina qu'il fallait, et plus tôt que plus tard,
Attacher un grelot au cou.de Rodilard;
Qu'ainsi, quand il irait en guerre,
De sa marche avertis, ils s'enfuiraient sous terre;
Qu'il n'y avait que ce moyen.
Chacun fut de l'avis de monsieur le doyen :
Chose ne leur parut à tous plus salutaire.
La difficulté fut d'attacher le grelot.
L'un dit: " Je n'y vas point : je ne suis pas si sot! "
L'autre : " Je ne saurais. " Si bien que sans rien faire
On se quitta. J'ai maints chapitres vus,
Qui pour néant se sont ainsi tenus;
Chapitres non de rats, mais chapitres de moines,
Voire chapitres de chanoines.
 
Ne faut-il que délibérer ?
La cour en conseillers foisonne;
Est-il besoin d'exécuter ?
L'on ne rencontre plus personne.
 
LE SAVETIER ET LE FINANCIER
 
Un Savetier chantait du matin jusqu'au soir :
c'était merveilles de le voir,
Merveilles de l'ouïr, il faisait des passages,
Plus content qu'aucun des Sept Sages.
Son voisin, au contraire, étant tout cousu d'or,
Chantait peu, dormait moins encore :
C'était un homme de finance.
Si, sur le point du jour, parfois il sommeillait,
Le Savetier alors en chantant l'éveillait ;
Et le Financier se plaignait
Que les soins de la Providence
N'eussent pas au marché fait vendre le dormir,
Comme le manger et le boire.
En son hôtel il fait venir
Le chanteur, et lui dit: " Or çà, sire Grégoire,
Que gagnez vous par an ?- Par an, ma foi, monsieur,
Dit avec un ton de rieur
Le gaillard Savetier, ce n'est point ma manière
De compter de la sorte; et je n'entasse guère
Un jour sur l'autre : il suffit qu'à la fin
J'attrape le bout de l'année;
Chaque jour amène son pain.
- Eh bien que gagnez-vous, dites-moi, par journée ?
- Tantôt plus, tantôt moins; le mal est que toujours
( Et sans cela nos gains seraient assez honnêtes ),
Le mal est que dans l'an s'entremêlent des jours
Qu'il faut chômer : on nous ruine en fêtes.
L'une fait tort à l'autre; et monsieur le curé
De quelque nouveau saint charge toujours son prône. "
Le Financier, riant de sa naïveté,
Lui dit : " Je veux vous mettre aujourd'hui sur le trône.
Prenez ces cent écus; gardez-les avec soin,
Pour vous en servir au besoin. "
Le Savetier crut voir tout l'argent que la terre
Avait, depuis plus de cent ans,
Produit pour l'usage des gens.
Il retourne chez lui : dans sa cave il enserre
L'argent, et sa joie à la fois.
Plus de chant : il perdit la voix
Du moment qu'il gagna ce qui cause nos peines.
Le sommeil quitta son logis :
Il eut pour hôtes les soucis,
Les soupçons, les alarmes vaines.
Tout le jour il avait l'oeil au guet; et la nuit,
Si quelque chat faisait du bruit,
Lz chat prenait l'argent. A la fin le pouvre homme
S'en courut chez celui qu'il ne réveillait plus :
" Rendez-moi, lui dit-il, mes chansons et mon somme,
Et reprenez vos cent écus. "
 
LE LION ET LE RAT
 
Il faut, autant qu'on peut, obliger tout le monde ;
On a souvent besoin d'un plus petit que soi ...
 
Entre les pattes d'un Lion
Un Rat sortit de terre assez à l'étourdie.
Le roi des animaux, en cette occasion,
Montra ce qu'il était, et lui donna la vie.
Ce bienfait ne fut pas perdu.
Quelqu'un aurait-il jamais cru
Qu'un lion d'un rat eut affaire ?
Cependant il avait qu'au sortir des forêts
Ce Lion fut pris dans des rêts
Dont ses rugissements ne le purent défaire.
Sire rat accourut, et fit tant par ses dents
Qu'une maille rongée emporta tout l'ouvrage.
Patience et longueur de temps
Font plus que force ni que rage.
 
LE RENARD ET LE BOUC
 
Capitaine Renard allait de compagnie.
Avec son ami Bouc, des plus haut encornés.
Celui-ci ne voyait pas plus loin que son nez ;
L'autre était passé maître en fait de tromperie.
La soif les obligea de descendre en un puits ;
Là, chacun d'eux se désaltère.
Après qu'abondamment tous deux en eurent pris,
Le Renard dit au Bouc : "Que ferons-nous, compère ?
Ce n'est pas tout de boire, il faut sortir d'ici.
Lève tes pieds en haut, et tes cornes aussi ;
Mets-les contre le mur : le long de ton échine
Je grimperai premièrement ;
Puis sur tes cornes m'élevant,
A l'aide de cette machine,
De ce lieu-ci je sortirai ;
Après quoi je t'en tirerai.
- Par ma barbe, dit l'autre, il est bon, et je loue
Les gens bien sensés comme toi.
Je n'aurais jamais, quant à moi,
Trouvé ce secret, je l'avoue. "
Le Renard sort du puits, laisse son compagnon,
Et vous lui fait un beau sermon
Pour l'exhorter à patience.
" Si le ciel t'eût, dit-il, donné par excellence
Autant de jugement que de barbe au menton,
Tu n'aurais pas, à la légère,
Descendu dans ce puits. Or adieu : j'en suis hors ;
Tâche de t'en tirer, et fais tous tes efforts ;
car pour moi, j'ai certaine affaire
Qui ne me permet pas d'arrêter en chemin. "
En toute chose, il faut considérer la fin.
 
LA MORT ET LE BUCHERON
 
Un pauvre Bûcheron, tout couvert de ramée,
Sous le faix du fagot aussi bien que des ans,
Gémissant et courbé, marchait à pas pesants,
Et tâchait de gagner sa chaumine enfumée.
Enfin, n'en pouvant plus d'effort et de douleur,
Il met bas son fagot, il songe à son malheur.
Quel plaisir a-t-il eu depuis qu'il est au monde ?
En est-il un plus pauvre en la machine ronde ?
Point de pain quelquefois, et jamais de repos.
Sa femme, ses enfants, les soldats, les impôts,
Le créancier, et la corvée,
Lui font d'un malheureux la peinture achevée.
Il appelle la Mort. Elle vient sans tarder,
Lui demande ce qu'il faut faire.
" C'est, dit-il, afin de m'aider
A recharger ce bois ; tu ne tarderas guère. "
 
Le tépas vient tout guérir ;
Mais ne bougeons d'où nous sommes :
Plutôt souffrir que mourir,
C'est la devise des hommes.
 
LA LAITIERE ET LE POT AU LAIT
 
Perrette, sur sa tête ayant un pot au lait
Bien posé sur un coussinet,
Prétendait arriver sans encombre à la ville.
Légère et court vêtue, elle allait à grands pas,
Ayant mis ce jour là, pour être plus agile,
Cotillon simple et souliers plats.
Notre laitière ainsi troussée
Comptait déjà dans sa pensée
Tout le prix de son lait ; en employait l'argent ;
Achetait un cent d'oeufs ; faisait triple couvée:
La chose allait à bien par son soin diligent.
" Il m'est, disait-elle, facile
D'élever des poulets autour de ma maison ;
Le renard sera bien habile
S'il ne m'en laisse assez pour avoir un cochon.
Le porc à s'engraisser coûtera peu de son ;
Il était, quand je l'eus, de grosseur raisonnable ;
J'aurai, le revendant, de l'argent bel et bon.
et qui m'empêchera de mettre en notre étable,
Vu le prix dont il est, une vache et son veau,
Que je verrai sauter au milieu du troupeau ?
Perrette là-dessus saute aussi, transportée :
Le lait tombe ; adieu veau, vache, cochon, couvée.
La dame de ces biens, quittant d'un oeil marri
sa fortune ainsi répandue,
Va s'excuser à son mari,
En grand danger d'être battue.
Le récit en farce fut fait ;
On l'appela le Pot au lait.
 
LE LIEVRE ET LA TORTUE
 
Rien ne sert de courir ; il faut partir à point :
Le Lièvre et la Tortue en sont un témoignage.
" Gageons, dit celle-ci, que vous n'atteindrez point
Sitôt que moi ce but.- Sitôt ! êtes-vous sage ?
Repartit l'animal léger :
Ma commère, il faut vous purgez
Avec quatre grains d'ellébore.
- Sage ou non, je parie encore. "
Ainsi fut fait ; et de tous deux
On mit près du but les enjeux:
Savoir quoi, ce n'est pas l'affaire,
Ni de quel juge l'on convint.
Notre lièvre n'avait que quatre pas à faire ;
J'entends de ceux qu'il fait lorsque, près d'être atteint,
Il s'éloigne des chiens, les renvoie aux calendes,
Et leur fait arpenter les landes.
Ayant, dis-je, du temps de reste pour brouter,
Pour dormir, et pour écouter
D'où vient le vent, il laisse la Tortue
Aller son train de sénateur.
Elle part, elle s'évertue ;
Elle se hâte avec lenteur.
Lui cependant méprise une telle victoire,
Tient la gageure à peu de gloire,
Croit qu'il y va de son honneur
De partir tard. Il broute, il se repose ;
Il s'amuse à tout autre chose
Qui à la gageure. A la fin, quand il vit
Que l'autre touchait presque au bout de la carrière,
Il partit comme un trait ; mais les élans qu'il fit
Furent vains; la Tortue arriva la première.
" Hé bien ! lui cria-t-elle, avais-je pas raison ?
De quoi vous sert votre vitesse ?
Moi l'emporter ! et que serait-ce
Si vous portiez une maison , "
 
Livre VI
 
LE COCHET, LE CHAT ET LE SOURICEAU
 
Un Souriceau tout jeune, et qui n'avait rien vu,
Fut presque pris au dépourvu.
Voici comme il conta l'aventure à sa mère :
" J'avais franchi les monts qui bornent cet Etat,
Et trottais comme un jeune rat
Qui cherche à se donner carrière
Lorsque deux animaux m'ont arrêté les yeux :
L'un doux, bénin, et gracieux,
Et l'autre turbulent et plein d'inquiétude ;
Il a la voix perçante et rude,
Sur la tête un morceau de chair,
Une sorte de bras dont il s'élève en l'air
Comme pour prendre sa volée,
La queue en panache étalée. "
Or, c'était un Cochet dont notre Souriceau
Fit à sa mère le tableau,
Comme d'un animal venu de l'Amérique.
" Il se battait, dit-il, les flancs avec ses bras,
Faisant tel bruit et tel fracas,
Que moi, qui grâce aux dieux, de courage me pique.
En ai pris la fuite de peur,
Le maudissant de très bon coeur.
Sans lui j'aurais fait connaissance
Avec cet animal qui m'a semblé si doux.
Il est velouté comme nous,
Marqueté, longue queue, une humble contenance,
Un modeste regard, et pourtant l'oeil luisant.
Je le crois fort sympathisant
Avec messieurs les rats ; car il a des oreilles
En figure aux nôtres pareilles.
Je l'allais aborder, quand, d'un son plein d'éclat,
L'autre m'a fait prendre la fuite.
- Mon fils, dit la Souris, ce doucet est un chat,
Qui, sous son minois hypocrite,
Contre toute ta parenté
D'un malin vouloir est porté.
L'autre animal, tout au contraire,
Bien loin de nous mal faire,
Servira quelque jour peut-être à nos repas.
Quand au Chat, c'est sur nous qu'il fonde sa cuisine.
 
Garde-toi, tant que tu vivras,
De juger les gens sur la mine.
 
Fables
 
LE HERON
 
Un jour, sur ses longs pieds, allait je ne sais où,
Le héron au long bec emmanché d'un long cou.
Il côtoyait une rivière.
L'onde était transparente ainsi qu'aux plus beaux jours ;
Ma commère la carpe y faisait mille tours,
Avec le brochet son compère.
Le héron en eût fait aisément son profit :
Tous approchaient du bord ; l'oiseau n'avait qu'à prendre.
Mais il crut mieux faire d'attendre
Qu'il eût un peu plus d'appétit :
Il vivait de régime, et mangeait à ses heures.
Après quelques moments, l'appétit vint : l'oiseau,
S'approchant du bord, vit sur l'eau.
Des tanches qui sortaient du fond de ces demeures.
Le mets ne lui plut pas ; il s'attendait à mieux,
Et montrait un goût dédaigneux,
Comme le rat du bon Horace.
" Moi, des tanches ! dit-il. moi, héron, que je fasse
Une si pauvre chère ? Et pour qui me prend-on ? "
La tranche rebutée, il trouva du goujon.
" Du goujon ! c'est bien là le dîner d'un héron !
J'ouvrirais pour si peu le bec ! aux dieux ne plaise ! "
Il l'ouvrit pour bien moins : tout alla de façon
Qu'il ne vit plus aucun poisson.
La faim le prit : il fut tout heureux et tout aise
De rencontrer un limaçon.
 
Ne soyons pas si difficiles :
Les plus accommodants ce sont les plus habiles ;
On hasarde de perdre en voulant trop gagner.
Gardez-vous de rien dédaigner,
Surtout quand vous avez à peu près votre compte...
 

LA MOTTE
LA BREBIS ET LE BUISSON
 
Une Brebis choisit, pour éviter l'orage,
Un buisson épineux qui lui tendait les bras.
La Brebis ne se mouilla pas,
Mais sa laine y resta. La trouvez-vous bien sage ?
 
Plaideur, commente ici mon sens.
Tu cours aux tribunaux pour rien, pour peu de chose
Du temps, des frais, des soins; puis tu gagnes ta cause
Le gain valait -il les dépenses ?
 
"Fables nouvelles livre III"
 

Jean LABRAU
FIN D' OCTOBRE
 
Le tilleul nu et noir pleure au bout de ses branches,
La grille pleure au long de ses barreaux,
Et la maison pleure au bout de ses tuiles,
Dans le pin mouillé un nid de chenilles
Brille
Comme un flacon d'argent ;
L' eau de la petite pluie,
En s'écoulant dans le zinc,
Fait un bruit de tambourin ;
L'âtre sent les jours frais, les sarments et la suie.
 
"La voix de là - bas"
 
 

 

 

LA CHAMBAUDIE
LE GLAND ET LE CHAMPIGNON
 
Un gland tombe d'un chêne et blesse un champignon.
Celui-ci lui dit :" Compagnon,
Tu pouvais bien prendre la peine
De tomber quelques pas plus loin ..."
Le gland répond :" Est-il besoin
Que le fils d'un antique chêne
Respecte un avorton méprisable, inconnu,
On ne sait pas comment sur un fumier venu ?
-Je te vaux bien, je l'imagine,
Reprend le champignon ; et, quoique sans aïeux,
Je suis un mets délicieux,
Et quand j'irai des rois enrichir la cuisine,
Tu seras dévoré par quelque vil pourceau ..."
 
Plus d'un sot descendit d'une illustre origine,
Plus d'un homme célèbre eut un humble berceau.
 
"livre 3 fable 13"
 

Jacques LAFONT
AU PAYS DE L'ALPHABET
 
Au pays de l'alphabet
les lettres s'ennuyaient;
chacune dans son coin, inutiles,
elles ne savaient que faire,
elles ne savaient que dire!
Mais un jour,
le E, le A, le U
se rencontrèrent...
Eau! dirent - elles ensemble.
Oh! s'exclamèrent les autres.
Le C, le R, le I poussèrent un cri,
signe qu'ils avaient compris!
Et c'est ainsi que tout a commencé.
 
"Fabliettes" in Jeunes Années Magazine
 
 
 
 

Jules LAFORGUE
COUCHANT D'HIVER
 
Quel couchant douloureux nous avons eu ce soir !
Dans les arbres pleurait un vent de désespoir,
Abattant du bois mort dans les feuilles rouillées,
A travers le lacis des branches dépouillées
Dont l'eau-forte sabrait le ciel bleu-clair et froid,
Solitaire et navrant, descendait l'arbre-roi.
O Soleil ! l'autre été, magnifique en ta gloire,
Tu sombrais, radieux comme un grand Saint-Ciboire,
Incendiant l'azur ! A présent, nous voyons
Un disque safrane, malade, sans rayons,
Qui meurt à l'horizon balayé de cinabre,
Tout seul, dans un décor poitrinaire et macabre,
Colorant faiblement les nuages frileux
En blanc morne et livide, en verdâtre fielleux.
Vieil or, rose fané, gris de plomb, lilas pâle,
Oh ! c'est fini, fini ! Longuement le vent râle,
Tout est jaune et poussif ; les jours sont révolus,
La Terre a fait son temps ;
 
"Le sanglot de la terre"

Bobby LAPOINTE
LE POISSON FA
 
Il était une fois
Un poisson fa.
Il aurait pu être poisson scie,
Ou raie,
Ou sole,
Ou tout simplement poisson d'eau
Ou même un poisson un peu là,
Non, non, il était poisson fa :
Un poisson fa,
Voilà.
 
"1975 intersong Paris"
Warner Chappel Music Fran
 

A. LAPONNE
GOURMANDISE
 
J'étais allé chez l'épicier

Acheter

Du café, du savon, de l'huile
Du sel ou bien des allumettes.
 
En passant devant le comptoir

J'ai pu voir

Des caramels et des sucettes,
Peut-être cent, peut-être mille.
 
Mais alors je n'ai plus pensé
A ce qu'il fallait acheter.
Et j'ai demandé tout bas

Un kilo de chocolat.

M.F. LAVAUR
L' ELEPHANTASTIQUE
 
Ils jouaient dans la classe
avec les mots et les images.
Ils apprivoisaient
peu à peu le langage.
Ils faisaient des charades
Des rébus des comptines
des bouts-rimés des acrostiches
et des calligrammes.
Ils dessinaient tout un bestiaire
d'oiseaux quadrupèdes
velus ou bicéphales
des marteaureaux et des cerfeuille
des serpaons des escargorilles.
C'est ainsi qu'il est né
avec sa trompe longue
de papillon et ses
huit pattes frêles
l'éléphantastique.
 
Trace

Madeleine LE FLOCH
VERT DE MER
 
Un poisson connaissait par coeur les noms de tous
les autres poissons.
Il connaissait les algues, les courants, les sédiments,
les coquillages.
C'était un érudit.
Il exigeait d'ailleurs qu'on l'appelât " Maître "!
Il savait tout de la mer mais il ignorait tout
de l'homme.
Et un jour il se laissa prendre ou bout d'un
tout petit hameçon.
"Petits contes verts pour le printemps et pour l'hiver."
Le cherche midi éditeur
 
 

Gérard Le GOUIC
SUPPLIQUE
 
Ne m'enterrez pas par si grand froid,
janvier chez vous n'a pas de toit,
 
ne m'enterrez pas en février,
la lune aux loups le givre fait briller,
 
ne m'enterrez pas en mars,
tiges et bourgeons le printemps délace,
 
me laisserez - vous courir l'avril,
dans le sous - bois mai chante sa comptine,
 
ne m'enterrez pas en ce mois coquet,
chaque année un oiseau niche dans mon bonnet
 
un fils eut en juin ma mère,
ce mois - là ne le lui rendez pas amer,
 
ne m'enterrez pas en juillet
la Celtie fête le pardon, non le gibet,
 
plutôt que femme en août on courtise les blés
qui prendrait la peine de me draper;
 
en septembre la vigne on détrousse,
qui se signerait sous le glas qui sonne,
 
ne m'enterrez pas en octobre,
la terre m'enlèverait bas et robe,
 
ne m'enterrez pas en novembre,
de nuit je ne saurais manoeuvrer l'ancre,
 
ne m'enterrez pas en décembre,
la Nouvelle je voudrais encore attendre.
 
Enterrez - moi sans trahison
en toute autre colline,
en toute autre saison
 
"Poèmes de mon vivant"

Annaïk LE LEARD
LE CERISIER
 
Mon beau cerisier,
Jaloux du rosier,
A paré ses branches
De fleurs toutes blanches.
 
Et l'on croirait voir,
Surtout vers le soir,
Une immense gerbe
Qui jaillit superbe!
 
Au plus léger vent
Qui passe en chantant,
Un pétale vole
De chaque corolle.
 
Et tout doucement
En batifolant,
Se forme un corège;
On dirait qu'il neige!
 
"Le joli petit Bois."
 
 
 
 
 

 

Philéas LEBESGUE
PAQUERETTE
PETIT VILLAGE
PAQUERETTE
 
Pâquerette, pâquerette,
Il y a des gouttes d'eau
Sur ta collerette,
Et tu plies un peu le dos...
Pâquerette, pâquerette,
Le beau soleil printanier
Viendra-t-il les essuyer ?
 
Pâquerette, pâquerette,
Qui souris près du sentier,
Je te le souhaite...
 
Pâquerette, pâquerette,
Il y a sur ton coeur d'or
Un frelon en fête :
Tant il est ivre qu'il dort !
Pâquerette, pâquerette,
L'aile du vent printanier
Va-t-elle le balayer ?
 
Pâquerette, pâquerette,
Qui rêves près du sentier,
Je te le souhaite...
 
Pâquerette, pâquerette,
Eh ! je crains pour toi, ce soir,
La folle fillette
Qui marchande de l'espoir !
Pâquerette, pâquerette,
M'amie aux jolis souliers
Viendra-t-elle t'effeuiller ?
 
Pâquerette, pâquerette,
Dans les herbes du sentier,
Cache bien ta tête.
 
"Triptolème ébloui"
 
 
PETIT VILLAGE
 
Petit village au bord des bois,
Petit village au bord des plaines
Parmi les pommiers, non loin des grands chênes,
Lorsque j'aperçois
Le coq et la croix
De ton clocher d'ardoises grises,
De ton clocher fin,
A travers ormes et sapins,
D'étranges musiques me grisent;
Je vois des yeux dans le soir étoilé :
Là, je suis né.
 
Petit village au bord des champs,
Petit village entre les haies,
Tour à tour paré de fleurs et de haies,
Lorsque les doux chants
De ton frais printemps,
Quand l'odeur de tes violettes,
De tes blancs muguets
Pénètrent mon coeur inquiet,
J'oublie et tumulte et tempêtes;
J'entends des voix dans le soir parfumé
Là, j'ai aimé! ...
 
Petit village aux courtils verts,
Petit village de silence,
Où la cloche sonne un vieil air de France,
J'aime les éclairs
De tes cieux couverts,
Ton soleil fin entre les arbres,
Les feux de tes nuits,
L'oeil fixe et profond de tes puits,
Ton doux cimetière sans marbres,
Plein d'oiseaux fous et luisant comme un pré:
Là, je viendrai...
 
" Les chansons de Margot "
 

Jean LEBRAU
LA ROUTE TOURNAIT ...
La route tournait sous la pluie.
Novembre ...Les eaux étaient grises.
Les enfants cueillaient des olives,
Le village sentait la suie.
 
L'église contre la montagne,
N'était qu'une aile lassée.
Une bourrasque était passée,
Un troupeau regagnait l'Espagne
 
Sur un tapis de feuilles mortes,
Et la dernière rose blanche
S'ennuyait comme le dimanche
Dont le vent tourmentait les portes
 
" Corbières "
 

Maxime LEVY
LE LION CAPTIF
Le lion du désert, dans sa cage, est pensif.
A quoi songe un lion captif ?
Serait-ce au dompteur qui le garde ?
A la foule bête et hagarde
Qui le regarde ?
A ses bourreaux ?
A sa captivité sans terme ?
Non, il se dit, en voyant les barreaux :
L'homme est méchant, puisqu'on l'enferme.
 
"Fables."
Editions Firmin Didot, D.R.
 

Madeleine LEY
LE PÊCHER ROSE
DANS LA CHAMBRE DU GRAND-PERE
LE PÊCHER ROSE
 
J' ai vu fleurir le pêcher rose ,
Le vieux pêcher noir et chenu .
Il rit sous le ciel ingénu
Il rit de sa métamorphose !
Le mois d' avril est revenu :
J' ai vu fleurir le pêcher rose ,
Le vieux pêcher noir et chenu .
Devant le toit de tuiles roses ,
Un oiseau gris parfois se pose
Sur le bout d' un rameau ténu
Et chante son bonheur menu ...
Le mois d' avril esr revenu .
 
"Petites voix"
 
DANS LA CHAMBRE DU GRAND-PERE
 
Dans la chambre du grand-père
il y avait un coquillage
qui soupirait et chantait
comme le vent de la mer.
 
Dans la chambre du grand-père
il y avait un petit coffre
en bois luisant jaune clair,
qu'il rapporta de ses voyages
et que lui seul savait ouvrir.
 
Il y avait deux Japonais
en ivoire, sous un globe;
et tout au fond d'un tiroir,
dans son écrin de velours vert,
- bijou poli par les vagues -
la pipe en écume de mer!
 
"Petites Voix"
Stock
 

Anthony LHERITIER
SERENADE
PASSAGE DU VENT
 
 
SERENADE
 
J'entends
Le vent
Qui vient en pleurant
A travers tant de plaines
De mers incertaines
Pour semer en chemin
Son chagrin
Son chagrin
De coureur solitaire
 
Fais-le taire
Donne-moi la main.
 
Voici la pluie
Qui s'en mêle aussi
Et sa chanson menteuse
Pauvre voyageuse
Chuchote sur les toits
Souviens-toi
Souviens-toi
Que tout est inutile
 
Soeur fragile
Reste auprès de moi.
 
Et puis
La nuit
N'a pas réussi
Malgré tous les manèges
Tous ses sortilèges
A tuer le soleil
Dans le ciel
Dans le ciel
Dans mon coeur sans nuage
Camarade
Voici le soleil
 
"Mi-raisin"
 
PASSAGE DU VENT
 
Je suis d'ici
D'ailleurs aussi
Je suis le vent porteur de pluie
Et de soleil
Pour tous les rêves
Et je viens de partout ...
 
Je suis d'ici
D'ailleurs aussi
J'ai chanté pours les hommes
Dans leur langage fraternel
Je suis le vent de la plaine et le vent de la mer ...
 
Je suis d'ici
D'ailleurs aussi
Je suis le vent de la montagne
J'ai pleuré sur vos routes
Et vous avez pleuré d'ignorer mes chemins ...
Frères qui m'écoutez, où serez-vous demain?
 
"Silences."
 

 

Marie Madeleine MACHET
LA FÊTE DU MONDE
 
Tous les printemps aujourd'hui sont éclos
Mille ans d'espoir entr'ouvrent leurs paupières
Mille ans pour le bonheur de sèves éclatées
à la fontaine où s'épuise l'hiver.
Le jour ondoie et lustre
les vivants nouveau-nés.
La fête est commencée.
Le monde - roi danse avec la lumière
s'enivre de soleil.
Les fleurs animent leurs couleurs
les vents soufflent sur la terre
les nourritures du ciel.
Hâte - toi, c'est ton tour
pour le bonheur qui passe.
La fête est commencée pour toujours
mais toi, c'est ton instant,
le seul.
 
"Les fêtes du monde."
 

Jean - Hugues MALINEAU
LE PERROQUET
 
C'est très coquet
Un perroquet
Des plumes rouges
Bleues violettes
Ca vit ça bouge
Et ça répète
 
C'est très coquet
Un perroquet
Dans un baquet
Un perroquet
Ca fait trempette
Et ça répète
 
C'est très coquet
Un perroquet
C'est beau, c'est sec
Après toilette
Et ça répète
Du bout du bec
 
C'est très coquet
Un perroquet
Tais ton caquet
Vieux perroquet
Mais ça répète
Saperlipopette
 
C'est très coquet
Un perroquet
 
"Prête-moi tes plumes"
édition l'école des loisirs
 

Samuel MARCHAK
( choisis, traduits et présentés par Jean Luc Moreau )
LA FÊTE DE LA FÔRET
 
Que plantons-nous
En plantant
Des forêts ?
Le mât, l' espar,
Pour tenir les agrès;
Le pont, la coque
Et l' abri du sextant
Pour naviguer
Par mer calme ou gros temps.
 
Que plantons-nous
En plantant
Des forêts ?
L' aile qui nous soulève au ciel d' un trait ;
Le banc, la table
Où nous nous asseyons,
La feuille blanche
Et même le crayon.
 
Que plantons-nous
En plantant
Des forêts ?
Une maison
Pour renards et furets,
Pour l' écureuil,
Sa femme
Et ses petits,
Pour le pivert
Et ses pizzicati.
 
Que plantons-nous
En plantant
Des forêts ?
De l' eau
De l' ombre
Et des feuillages frais ;
Le houx l' hiver,
Au printemps les chatons ...
C' est tout cela
Qui aujourd' hui
Nous plantons.
 
"Poèmes de Russie"

 

Pierre MENANTEAU
LE MANEGE ENDORMI
LE VIEUX ET SON CHIEN
L'OISEAU
RENOUVEAU
BALLADE AU BORD DE LA MER
FLEURETTE
 
LE MANEGE ENDORMI
 
Mes beaux chevaux de bois, ne vous arrêtez plus.
Ne tournerez-vous plus, montures de l'enfance ?
Le village engourdi partage le silence
Entre sa vieille église et ses vieux toits moussus.
 
Ah ! tournez beaux chevaux, battez l'air en cadence !
Que vos galops brillants passent, rêves confus
De pattes, de naseaux, coupant d'angles aigus
Le cercle de ce bruit qui s'arrête et s'élance.
 
Mes beaux chevaux de bois, ne tournerez-vous plus ?
L'orgue de Barbarie a rompu le silence.
Le manège s'éveille. O bonheur de l'enfance.
Mes beaux chevaux de bois, ne vous arrêtez plus.
 
LE VIEUX ET SON CHIEN
 
S'il était le plus laid
De tous les chiens du monde
Je l'aimerais encore
A cause de ses yeux.
 
Si j'étais le plus vieux
De tous les vieux du monde
L'amour luirait encore
Dans le fond de ses yeux.
 
Et nous serions tout deux,
Lui si laid, moi si vieux,
Un peu moins seuls au monde
A cause de ses yeux.
 
"Ce que m'a dit l'alouette"
Editions Les Nouvelles Presses françaises
 
L'OISEAU
 
L'oiseau brisa du bec
Un barreau de sa cage
Et s' envola avec
Un cri vers les nuages.
 
Son bec s' était brisé
Mais dans les champs de blé,
On l' entendit quand même
Chanter à perdre haleine,
 
Chanter mieux qu' en sa cage,
Chanter en liberté,
Chanter émerveillé
Sous le jeu des nuages.
 
"Le miroir aux alouettes ."
 
RENOUVEAU
 
Du mois d' avril au mois de mai
La terre se fait plus gentille.
Un joli temps de jeune fille,
tire l' aiguille, prend le dé .
 
Parfois un bel arc irisé
Pavoise l' averse qui brille.
Du mois d' avril au mois de mai
La terre se fait plus gentille .
 
La violette est dans le pré ;
Dans la clairière, la jonquille.
Sous l' arbre en espoir de famille
On entend le merle chanter
Du mois d' avril au mois de mai .
 
"A l' école du buisson."
 
BALLADE AU BORD DE LA MER
 
Les Dinosaures sont partis,
Reste leur empreinte au bord du sable,
Et même dans certains pays
Restent leurs oeufs : un oeuf cassable
Traverse des ères d'oubli.
 
Les Dinosaures sont partis.
Longue, longue fut la ballade!
Pourquoi ces monstres ont-ils péri?
L'espèce fut elle malade?
Qui pourrait le dire aujourd'hui?
 
"Au rendez-vous de l'arc-en-ciel"
 
FLEURETTE
 
J'ai beau faire ma toilette
Sous les ronces d'un buisson
Je ne suis qu'une fleurette
Que fréquente un puceron.
 
Ma voisine la Coccinelle,
Est très fière qu'on l'appelle
A tous vents Bête à Bon Dieu:
Ce joli nom lui va mieux
 
Moi je suis un peu simplette,
Je n'ai même pas de nom,
On m'appelle la Fleurette
Et j'attends le papillon.
 
"Chansons venues par la fenêtre"

 

 

Louis MERCIER
PSAUME A LA NEIGE
C'EST LE VENT ... C'EST LA PLUIE
PSAUME A LA NEIGE
 
Louange à la neige blanche, amie
des grands sapins noirs !
Parce qu'elle préfère nos ramures
à celles des autres arbres.
Parce que ses papillons se prennent
innombrables aux aiguilles de notre feuillage.
Parce qu'elle est légère, silencieuse,
Immaculée.
Parce qu'elle nous revêt d'une blancheur
plus blanche que tout ce qu'il y a de blanc au monde.
Plus blanche que les fleurs du narcisse
et du lys.
Plus blanche que l'écume du ruisseau qui
saute sur les pierres.
Plus blanche que la face de la lune par les
claires nuits d'hiver.
Plus blanche que les étoiles qui fleurissent
dans les prés de la nuit.
Louange à la neige, amie des sapins noirs.
 
C'EST LE VENT ... C'EST LA PLUIE
 
... C'est le vent,
Le grand vent qui passe
Avec le tumulte énorme et mouvant
D'un fleuve submergeant l'espace ;
Durant des jours, durant des nuits
Il ruisselle, il s'enfle, il déborde.
Et le comble s'émeut, et le grenier bruit,
Sous l'assaut hurlant de ses hordes ...
Puis il s'écoule, il s'épuise et décroit :
On entend ses ondes obscures
Traîner au lointain des bois
Leurs derniers murmures ;
Puis tout se tait,
Le grenier redevient tranquille
Et la maison repose en paix
Sous ses tuiles.
Mais dans le grand silence un nouveau bruit renaît,
Un bruit confus, léger, et qui marche, on dirait,
Sur des milliers de pieds agiles.
Cela vient. La rumeur s'étend, fourmille, court,
Et son approche rend tout le pays sonore.
Elle frémit déjà sur les bois d'alentour,
Et crépite, plus proche encore,
Aux arbres du jardin, aux pavés de la cour ;
La voilà qui s'abat sur le toit, infinie,
Harmonieuse et fraîche. C'est la pluie,
La pluie agile
Qui danse sur les tuiles,
Et le grenier silencieux
Ecoute cheminer aux profondeurs des cieux
Le long, le monotone et doux bruit de la pluie.
 
" Le poème de la maison "
 
 

Armand MONJO
AU MARCHE
 
Les joues de la fruitière
Sont en peau d'abricot
La grande charcutière
Est ronde comme un jambonneau
La petite marchande de fleurs
Fine comme un pois de senteur
Le boulanger
Qui n'est pas gros
Est un Pierrot enfariné
Mais sa femme la boulangère
Qui n'est pas légère légère
Sent bon le sucre et le pain chaud
 
 

Claude MORAND
 
LA GOMME
 
Gomme à tout faire, quel métier
dit la gomme.
effacer deux et deux font cinq ,
quelle tristesse, quelle misère ...
Le calcul, les maths, l' histoire ,
la géo, la grammaire, l' ortho-
graphe, toutes les bonnes gommes
vous le diront : elle détestent !
Beaucoup de travail et puis ,
aucune garantie d' emploi !
Les vieilles gommes au garage ,
sur la touche, jetées au fond
d' un tiroir, effritées ,
mordillées, sucées, oubliées ...
Aujourd' hui on nous déguise.
En ampoule, en esquimau, et même
en voiture. à propos, je refuse
de gommer "othomobile". Vrounr - vroum ,
je mets la gomme, et toc !
Gomme à tout faire, c' est fini ,
dit la gomme.
 
 

Jean Luc MOREAU
 
LE TRAINEAU DU REVE
LE CERF - VOLANT
SI ...
LE TRAINEAU DU REVE
(Traduit du finnois par Jean Luc MOREAU)
 
Do l'enfant do, le tout petit,
Je berce l'enfant pour qu'il dorme,
Je chante pour que l'enfant dorme,
Je le mène au traîneau du rêve.
Viens, sommeil, et dérobe-le
Descends, petit garçon du songe,
Place-le dans ta luge d'or,
Prends-le dans le traîneau d'argent.
Lorsqu'il sera dans le traîneau,
Quand tu l'auras mis dans ta luge,
Galope en la plaine de cuivre,
Par la belle route d'étain.
Emporte mon bel enfançon
Mon cher trésor emmène-le
Sur la cirne du mont d'argent,
Là-haut sur la montagne d'or,
Au fond de la belle boulaie,
Où chantent des coucous en or,
Où jasent les oiseaux d'argent.
 
LE CERF - VOLANT
 
Soulevé par les vents jusqu' au plus haut des cieux ,
Un cerf-volant plein de superbe .
Vit, qui dansait au ras de l' herbe ,
Un petit papillon, tout vif et tout joyeux .
- Holà ! minable animalcule ,
Cria du zénith l' orgueilleux ,
Ne crains-tu pas le ridicule ?
Pour te voir, il faut de lons yeux :
Tu rampes comme un ver ... Moi je grimpe, je grimpe
Jusqu' à l' Olympe ,
Séjour des dieux .
- C' est vrai, dit l' autre avec simplesse ,
Mais, moi, libre, à mon gré, je peux voler partout ,
Tandis que toi, pauvre toutou,
Un enfant te promène en laisse .
 
"La poésie comme elle s' écrit"
 
SI ...
 
Si la sardine avait des ailes,
Si Gaston s'appelait Gisèle,
Si l'on pleurait lorsque l'on rit,
Si le Pape habitait Paris,
Si l'on mourait avant de naître,
Si la porte était la fenêtre,
Si l'agneau dévorait le loup,
Si les Normands parlaient zoulou,
Si la Mer Noire était la Manche,
Et la Mer Rouge la Mer Blanche,
Si le monde était à l'envers,
Je marcherais les pieds en l'air,
Le jour je garderais la chambre,
J'irais à la plage en décembre,
Deux et un ne feraient plus trois...
Quel ennui ce monde à l'endroit!
 
"L'arbre perché"
les éditions ouvrières
 
 

Alfred de MUSSET
 
BALLADE A LA LUNE
A LA MI-CARÊME
MARS
 
BALLADE A LA LUNE
 
C'était, dans la nuit brune,
Sur le clocher jauni,
La lune,
Comme un point sur un i.
 
Lune, quel esprit sombre
Promène au bout d'un fil
Dans l'ombre,
Ta face et ton profil ? ...
 
Qui t'avait éborgnée
L'autre nuit ? T'étais-tu
Cognée
A quelque arbre pointu ?
 
Car tu vins, pâle et morne,
Coller sur mes carreaux
Ta corne,
A travers les barreaux ...
 
Et qu'il vente ou qu'il neige
Moi-même, chaque soir,
Que fais-je,
Venant ici m'asseoir ?
 
Je viens voir, à la brume,
Sur le clocher jauni
La lune
Comme un point sur un i.
 
A LA MI-CARÊME
 
Le carnaval s'en va, les roses vont éclore;
Sur le flanc des coteaux déjà court le gazon.
Cependant du plaisir la frileuse saison
Sous ses grelots légers rit et voltige encore,
Tandis que, soulevant les voiles de l'aurore,
Le Printemps inquiet paraît à l'horizon.
 
Du pauvre mois de mars il ne faut pas médire,
Bien que le laboureur le craigne justement;
L'univers y renaît; il est vrai que le vent,
La pluie et le soleil s'y disputent l'empire.
Qui y faire? Au temps des fleurs, le monde est un enfant,
C'est sa première larme et son premier sourire[...]
 
" Poésies nouvelles "
 
MARS
 
Ah! que Mars est un joli mois!
C'est le mois des surprises.
Du matin au soir dans les bois,
Tout change avec les brises.
 
Le ruisseau n'est plus engourdi,
La terre n'est plus dure,
Le vent qui souffle du midi
Prépare la verdure.
 
Le rossignol n'est pas venu
Rempli de douces notes,
Mais déjà sur le hêtre nu
Résonnent les linottes.
 
Par-dessus la haie en éveil
Fier de ses fleurs écloses
On voit le pêcher au soleil
Ouvrir ses bourgeons roses.
 
Gelée et vent, pluie et soleil,
Alors tout a des charmes;
Mars a le visage vermeil
Et sourit dans ses larmes.
 
 

NEOU YANG SIOU
 
XXXX
 
Les paysans font pousser le riz
Le mandarin distille le riz
En fait du vin, laisse la lie pourrir.
Il vend le vin très cher.
 
Les paysans qui font pousser le riz
N'ont rien dans leur marmite
Ils achètent au mandarin
La lie et la mangent.
 
Le mandarin dit:
"Moi, je bois le vin,
Vous, mangez la lie."
 
"Trésor de la poésie chinoise3"
 
 
 
 

Pablo NERUDA
 
LES PECHEURS ET LA MER
A LA MER
LES PECHEURS ET LA MER
 
Oh mer, tu t'appelles ainsi,
Oh camarade océan
ne perds pas le temps et l'eau,
ne te secoue pas tellement,
aide-nous.
Nous ne sommes que des pêcheurs
des hommes du rivage,
nous avons froid et faim,
tu es notre ennemi,
ne frappe pas si fort,
ne crie pas ainsi,
ouvre ta boîte verte
et dépose entre nos mains
à tous
ton cadeau d'argent :
le poisson de chaque jour.
 
A LA MER
 
J'ai autour de l'île
la mer
que de mer!
Elle déborde d'elle même
à chaque instant
elle dit oui, elle dit non,
elle dit non, non, et non,
elle dit oui en bleu
en écume, en galop
elle dit non et non.
Elle ne peut pas rester tranquille,
elle répète: je suis la mer
en frappant sur une pierre
sans pouvoir la convaincre,
alors
avec les sept langues vertes
de sept chiens verts,
de sept tigres verts,
de sept mers vertes,
elle la parcourt, l'embrasse,
la trempe
et se frappe la poitrine
en répétant son nom.
Oh mer, tu t'appelles ainsi
oh camarade océan,
ne perds pas le temps et l'eau,
ne te secoue pas tellement,
aide-nous.
Nous ne sommes que des pêcheurs,
des hommes du rivage,
nous avons froid et faim,
tu es notre ennemi,
ne frappe pas si fort,
ne crie pas ainsi,
ouvre ta boîte verte
et dépose entre nos mains
à tous,
ton cadeau d'argent:
le poisson de chaque jour.
Ici dans chaque maison
nous le voulons
et qu'il soit d'argent,
de cristal ou de lune,
il est né pour les pauvres
cuisines de la terre.
Ne le garde pas,
avare,
glissant froid comme
comme un éclair mouillé
sous tes vagues.
Viens maintenant,
ouvre-toi
et laisse-le
près de nos mains.
Aide-nous, océan,
père profond et vert,
à supprimer un jour
la misère terrestre.
récolter la moisson
infinie de tes vies,
de tes blés, de tes raisins,
tes boeufs et tes métaux,
la splendeur mouillée
et le fruit submergé.
 
"odes élémentaires."
 
 

 

Gérard de NERVAL
 
LES PAPILLONS (extrait)
 
récitantDe toutes les belles choses
  Qui nous manquent en hiver,
Qu'aimez-vous mieux ?
 
1ère voix Moi, les roses !
  
2ème voixMoi, l'aspect d'un beau pré vert !
  
3ème voix Moi, la moisson blondissante,
  chevelure des sillons !
  
4ème voixMoi, le rossignol qui chante !
  
5ème voix Et moi, les beaux papillons !
  
récitant Le papillon, fleur sans tige,
  Qui voltige
Que l'on cueille en un réseau
Dans la nature infinie,
Harmonie
Entre la plante et l'oiseau ! ...
Comme un éventail de soie,
Il déploie
Son manteau semé d'argent ;
Et sa robe bigarée
Est dorée
D'un or verdâtre et changeant.
 
"Petits châteaux de Bohême"
 
 
 

Comtesse de NOAILLES
 
L'HIVER
 
C'est l'hiver sans parfums ni chants ...
Dans le pré, des brins de verdure
Percent de leurs jets fléchissants
La neige étincelante et dure ...
 
Quelques buissons gardent encor
Des feuilles dures et cassantes
Que le vent âpre et rude mord
Comme font les chèvres grimpantes.
 
Et les arbres silencieux
Que toute cette neige isole
Ont cessé de se faire entre eux
Leurs confidences bénévoles ...
 
Bois feuillus qui, pendant l'été,
Au chaud des feuilles cotonneuses,
Avez connu les voluptés
Et les cris des huppes chanteuses,
 
Vous qui, dans la douce saison,
Respiriez la senteur des gommes,
 
Vous frissonnez à l'horizon
Avec des gestes qu'ont les hommes.
 
Vous êtes las, vous êtes nus,
Plus rien dans l'air ne vous protège,
Et vos coeurs, tendres ou chenus,
Se désespèrent sous la neige.
 
Et près de vous, frère orgueilleux,
Le sapin où le soleil brille
Balance les fruits écailleux
Qui luisent entre ses aiguilles ...
 
" poèmes "
 
 
 

FRANC-NOHAIN
 
L'ARROSOIR ET LA PLUIE
LA LOCOMOTIVE REGARDE UNE VACHE EN PASSANT
L'ARROSOIR ET LA PLUIE
 
Avec dédain et raillerie
La pluie
Regardait l'arrosoir joufflu s'époumoner
A donner
Aux pauvres salades flétries,
Aux petits pois atteints de la pépie,
Aux tristes fleurs du jardinet,
Une eau rapidement tarie.
- Le malheureux arrive à peine à les mouiller,
Dit-elle,
En dépit de son zèle
Il n'a pas de sa tâche accompli la moitié :
Si moi-même
Je ne m'en mêle,
Ces plantes vont sécher sur pié,
Et vraiment c'est une pitié !...
Aussitôt dit, la pluie, en trombe,
Tombe,
Tombe, et bientôt tout le jardin
Est transformé en flaques,
En lac,
N'est plus que rigoles,
Ravins,
Tant et tant elle dégringole ;
Fleurs, légumes, atteints par un même destin,
Ne forment plus qu'un horrible mélange
Et gisent noyés dans la fange ;
Et la pluie, encore et toujours,
Toute fière d'un si beau tour,
Tape sur l'arrosoir comme sur un tambour.
- Voilà comme je suis, voilà comme j'arrose !...
Moi, je fais grandement les choses !...
 
L'excès en tout est un défaut :
On l'a dit avant moi, en vers ainsi qu'en prose ;
De l'eau
Il en faut
Mais pas trop,
Et le mal et le bien sortent des mêmes causes ;
Les dons heureux dont tu disposes
Ne vaudront que trouble et tourment,
Sans la mesure et le discernement
 
"Dites-nous quelque chose"
 
LA LOCOMOTIVE REGARDE UNE VACHE EN PASSANT
 
Calme, immobile,
Dans le petit pré tranquille, au long de la ligne,
C'est une vache qui rumine.
 
Pour tant de vaches qui regardèrent
Passer des chemins de fer,
Il convient aussi qu'on le sache,
Il y a des locomotives qui regardent les vaches.
 
Et c'est avec des yeux d'envie,
Leurs gros yeux rouges,
Qu'elles contemplent les prairies,
Où, paresseuses, l'on se couche,
Et l'on flâne en se divertissant au vol des mouches ...
 
Laisser monter en soi le vin de la paresse,
Suivant le mot
d'Arthur Rimbaud ! ...
Mais, quand on est locomotive, il faut
Qu'on parte, et reparte, et se presse.
(Car ce n'est pas à dix-huit, ni à seize,
C'est à dix-sept,
Qu'inéluctable est la correspondance de l'express
Avec le rapide Bordeaux - Cette)
 
Ah ! la préoccupation de l'horaire,
Quand il ferait si bon s'étendre
Sur l'herbe tendre ! ...
 
Mais il faut poursuivre sa tâche,
En marche ! en marche !
Sans relâche ...
Et c'est avec des soupirs de regret
Que passe la locomotive au long des prés,
Où sont immobiles les vaches,
 
Et songe en regardant les veaux
Batifoler près de leur mère,
Songe à l'impossible chimère,
Et se détourne le coeur gros,
Jouir en paix de la nature,
Avec une progéniture
De petits locomotiveaux ...
 
"Dites-nous quelque chose"
 
 
 
 

Jean NOVEMBRE
 
LA THALASSE
 
La nuit en baie d'Audierne les mâts se prélassent
et sur le quai sinistre les nasses entassées
ont le sommeil sournois des chats de quartier
le marin pêcheur tanguant comme un thonier
cogne ses gros sabots sur le dos des pavés
à Concarmeau
dans la rue Duguay-Trouin un vieux lampadaire
somnole dans les brouillards face au bar des Sargasses
une ombre un instant sur un trou de lumière :
- Salut Jean Marie !! t'as laissé la Thalasse
amarrée aux gouleaux !
les rires fusent comme des coups de couteau
la porte s'est refermée sur l'homme en caban
la nuit se resserre, les sirènes de brume
lâchent leurs coups de trompe de Penmarch aux Glénans
la Baie des Trépassés est blanche d'écume
et les bateaux aveugles n'osent plus avancer.
 
les sirènes de brume ont des sons désolés
jusqu'aux phares de Tréboul et de Douarnenez
 

René de OBALDIA
 
J'AI TREMPE MON DOIGT DANS LA CONFITURE
LE SECRET
J'AI TREMPE MON DOIGT DANS LA CONFITURE
 
J'ai trempé mon doigt dans la confiture
Turelure.
Ca sentait les abeilles
Ca sentait les groseilles
Ca sentait le soleil.
J'ai trempé mon doigt dans la confiture.
Puis je l'ai sucé !
Comme on suce les joues de bonne grande maman
Qui n'a plus mal aux dents
Et qui parle de fée ...
Puis je l'ai sucé
Sucé
Mais tellement sucé
Que je l'ai avalé.
 
LE SECRET
 
Sur le chemin près du bois
J'ai trouvé tout un trésor:
Une coquille de noix
Une sauterelle en or
Un arc-en-ciel qui était mort.
 
A personne je n'ai rien dit
Dans ma main je les ai pris
Et je l'ai tenue fermée
Fermée jusqu'à à l'étrangler
Du lundi au samedi.
 
Le dimanche je l'ai rouverte
Mais il n'y avait plus rien!
Et j'ai raconté au chien
Couché dans sa niche verte
Comme j'avais de chagrin.
 
Il m'a dit sans aboyer:
"Cette nuit tu vas rêver"
La nuit, il faisait si noir
Que j'ai cru à une histoire
Et que tout était perdu.
 
Mais d'un seul coup j'ai bien vu
Un navire dans le ciel
Traîné par une sauterelle
Sur des vagues d'arc-en-ciel.
 
"Innocentines"
 
 

Jean ORIZET
 
LES CROCUS
 
Les crocus éclos sur le pré
sont les yeux dorés de la terre
guettant la venue du printemps.
 
Bientôt, suivront les primevères
les violettes, puis le muguet
signe avant - coureur de l' été .
 
Le jeune merle qui piétine
cette minuscule forêt
s' en soucie comme d' une guigne
il préfère les vers bien frais .
 
 

Charles d' ORLEANS (1391-1465)
 
RONDEAU
 
Le temps a laissé son manteau
De vent, de froidure et de pluie,
Et s'est vêtu de broderie,
De soleil luisant, clair et beau.
 
Il n'y a bête, ni oiseau,
Qu'en son jargon ne chante ou crie :
Le temps a laissé son manteau !
De vent, de froidure et de pluie.
 
Rivière, fontaine et ruisseau
Portent en livrée jolie,
Gouttes d'argent, d'orfèvrerie ;
Chacun s'habille de nouveau:
Le Temps a laissé son manteau.

Louisa PAULIN
 
 L'OISEAU SAUVAGE
  
1ère voixIls te prendront, petit oiseau sauvage.
 
2ème voix Père, mon père, je veux voir du pays
 
1ère voixIls te prendront, petit oiseau sauvage.
  
2ème voix Père, mon père, je reste au bord du nid
  
  
1ère voix Ils te prendront, petit oiseau sauvage.
  
2ème voix Père, mon père, notre arbre est trop petit
  
1ère voixIls te prendront, petit oiseau sauvage.
  
2ème voixPère, mon père, je reste au bord du nid
  
  
1ère voix Ils te prendront, petit oiseau sauvage.
  
2ème voixPère, mon père, je vole près d'ici
  
1ère voixIls te prendront, petit oiseau sauvage.
  
2ème voixPère, mon père, je vois encore le nid.
  
  
1ère voixIls te prendront, petit oiseau sauvage.
  
2ème voixPère, mon père, que le monde est joli !
  
1ère voixIls te prendront, petit oiseau sauvage.
  
2ème voixPère, mon père, ô mon père ... ils m'ont pris !
  

Pascal PAUTRAT, Jacqueline SALOUADJI
 
PAUVRES CHAMPIGNONS
 
Quand je vais dans la forêt
Je regarde les champignons
L' amanite elle a la grippe
La coulemelle n' est pas très belle
La morille est mangée de ch' nilles
Le bolet n' est pas frais, frais, frais
La girolle fait un peu la folle
La langue de boeuf n' a plus l' foie neuf
Le lactaire est très en colère
La clavaire çà c' est son affaire
Le cêpe de son côté perd la tête
Moi, je préfère les champignons d' Paris
Eux, au moins, n' ont pas d' maladies
 
"Fête comme nous"
 

 

 

Charles PEGUY
 
LA GUERRE
CHATEAUX DE LOIRE
LA GUERRE
 
Pour un blessé que nous soignons par hasad, pour un enfant à qui nous
donnons à manger, la guerre infatigable en fait par centaines, elle, et tous les
jours, des blessés, des malades et des abandonnés. Tous nos efforts sont
vains ; nos charités sont vaines. La guerre est la plus forte à faire la
souffrance. Ah ! maudite soit-elle ! Et maudits ceux qui l'ont apportée sur la
terre de France.
 
Nous aurons beau faire, nous aurons beau faire, ils iront toujours plus vite que
nous, ils en feront toujours plus que nous, davantage que nous. Il ne faut
qu'un briquet pour brûler une ferme. Il faut, il a fallu des années pour la bâtir.
Ca n'est pas difficile ; ça n'est pas malin. Il faut des mois et des mois, il a fallu
du travail et du travail pour pousser une moisson. Et il ne faut qu'un briquet
pour flamber une moisson. Il faut des années et des années pour faire
pousser un homme, il a fallu du pain et du pain pour le nourrir, et du travail et
du travail et des travaux et des travaux de toutes sortes. Et il suffit d'un coup
pour tuer un homme. Un coup de sabre, et ça y est.
 
"Jeanne d'Arc"
 
CHATEAUX DE LOIRE
 
Le long du coteau courbe et des nobles vallées
Les châteaux sont semés comme des reposoirs,
Et dans la majesté des matins et des soirs
La Loire et ses vassaux s'en vont par ces allées.
 
Cent-vingt châteaux lui font une suite courtoise,
Plus nombreux, plus nerveux, plus fins que des palais.
Ils ont nom Valençay, Saint-Aignan et Langeais,
Chenonceaux et Chambord, Azay, le Lude, Amboise.
 
Et moi j'en connais un dans les châteaux de Loire
Qui s'élève plus haut que le château de Blois,
Plus haut que la terrasse où les derniers Valois
Regardaient le soleil se coucher dans sa gloire.
 
La moulure est plus fine et l'arceau plus léger.
La dentelle de pierre est plus dure et plus grave.
La décence et l'honneur et la nuit qui s'y grave
Ont inscrit leur histoire au coeur de ce verger.
 
Et c'est le souvenir laissé sur ces bords
Une enfant qui menait son cheval vers le fleuve.
Son âme était récente et sa cotte était neuve,
Innocente elle allait vers le plus grand des sorts.
 
Car celle qui venait du pays tourangeau,
C'était la même enfant qui quelques jours plus tard,
Gouvernant d'un seul mot le rustre et le soudard,
Descendait devers Meung ou montait vers Jargeau.
 
 

 

 A. BLANC - PERIDIER
LE PAGE ET LE PERROQUET
récitantLe page de la reine
Le perroquet du roi,
Pleurant à perdre haleine,
Criant à pleine voix
Ont porté leur dispute
Devant le tribunal
Où siégeaient quatre juges
Et quatorze avocats.
le perroquetHélas ! Monsieur le Juge,
Le récitantDisait le perroquet
Le perroquetIl m'arracha deux plumes !
le pageIl m'a mordu le nez !
Le perroquetIl m'a fait la grimace !
le pageIl m'a traité de sot !
Le perroquetQu'on l'envoie en disgrâce ! ...
le pageQu'on étrangle Jacko !
Le récitantMessieurs, faites justice !
le pagePour moi j'ai le bon droit
Punissez la malice
Du méchant Cacatois
J'aviserai la reine
Le perroquetJ'irai me plaindre au roi.
le pageMoi je porte la traîne.
Le perroquetJe perche sur son doigt.
Le récitantSous leur grande perruque,
Dans un noir embarras
Le président, les juges
Ne se décidaient pas
un jugeDeux si hauts personnages !
Faut-il les acquitter ?
Faut-il pendre le page ?
Plumer le perroquet ?
Le récitantLa reine jeune et belle
Passait à ce moment ;
S'enquit de la querelle
Et sourit gentiment.
Donna deux chiquenaudes
Au page et à l'oiseau
A son page une rose,
Un biscuit à Jacko.
Sur son perchoir, fort sage,
Le perroquet s'endort
Et le page gambade :
Tout le monde est d'accord.
Et la magistrature
S'en va pompeusement
Noter cette aventure
Et ses considérants.
  
  
  
  
  

Cécile PERIN
 
AUBE
VERGER
 
 
AUBE
 
Un invisible oiseau dans l'air pur a chanté.
Le ciel d'aube est bleu suave et velouté.
 
C'est le premier oiseau qui s'éveille et qui chante.
Ecoute! Les jardins sont frémissants d'attente.
 
Ecoute! un autre nid s'éveille, un autre nid,
Et c'est un pépiement éperdu qui jaillit.
 
Qui chanta le premier? Nul ne le sait. C'est l'aurore.
Comme un abricot mûr le ciel pâli se dore.
 
Qui chanta le premier? Qui importe? On a chanté.
Et c'est un beau matin de l'immortel été.
 
"Sansot"
 
VERGER
 
Il n'y a que des fleurs sur les arbres: des fleurs
Et le bourdonnement continu des abeilles,
Sur le verger d'aurore où danse et s'émerveille
La vie. Et le coteau ruisselle de blancheurs.
 
Assez tôt le bourgeon dans l'aube printanière
S'entrouvira, petit auvent prudent qui uit
Et les feuilles, dont l'ombre sera douce aux fruits,
Dilateront leur frisson vert dans la lumière.
 
Assez tôt ce sera le frêle envolement
Des pétales rosés dans le vent qui les blesse,
Ce sera le destin: l'orgueil et la détresse
De mûrir dans l'horreur d'un long effeuillement.
 
"Variations du coeur pensif."
 

Ernest PEROCHON
LA CHANSON DU PAUVRE CHASSEUR
Il était un petit bonhomme
Qui aimait beaucoup à chasser.
On le voyait dans la campagne
Courant après le gros gibier.
Il avait plus de cent cartouches.
Sur son dos battait un carnier.
Il portait une carabine,
Mais il n'avait jamais rien tué.
Quand il visait dans les nuages,
Il tirait toujours à ses pieds.
Un jour qu'il chassait une biche,
Il tua le coq du clocher.
Si vous recontrez ce pauvre homme,
Mettez - vous bien vite de côté.
Il viserait une montagne
Et c'est vous qui seriez tué.
"Au point du jour"

 

 

 

 

Carine PETIT
 
LES OISEAUX PERDUS
 
Le matin compte ses oiseaux
Et ne retrouve pas son compte .
Il manque aujourd' hui trois moineaux
Un pinson et quatre colombes .
Ils ont volé si haut, les étourdis ,
Qu' à l' aube, ils n' ont plus retrouvé trace
De notre terre dans l' espace .
Pourvu qu' une étoile filante
Les prenne sur sa queue brillante
Et les ramène !
Il fait si doux
Quand les oiseaux chantent pour nous .
 

Francis PONGE
 
LE CAGEOT
 
A mi-chemin de la cage au cachot la langue française a cageot, simple
caissette à claire-voie vouée au transport de ces fruits qui de la moindre
suffocation font à coup sûr une maladie.
 
Agencé de façon qu' au terme de son usage il puisse être brisé sans effort, il
ne sert pas deux fois. Ainsi dure-t-il moins encore que les denrées fondantes
nuageuses qu' il enferme.
 
A tous les coins des rues qui aboutissent aux halles, il bruit alors de l' éclat
sans vanité du bois blanc. Tout neuf encore, et légèrement ahuri d'être dans
une pose maladroite à la voirie jeté sans retour, cet objet est en somme des
plus sympathiques, - sur le sort duquel il convient toutefois de ne s'appesantir
longuement.
 
"Le parti pris des choses."
Editions Gallimard

J.J. PORCHAT
 
 LE PERE ET L'ENFANT
  
l'enfant Père, apprenez-moi, je vous prie,
  Ce qu'on trouve après le coteau
  Qui borne à mes yeux la prairie ?
  
le pèreOn trouve un espace nouveau :
  Comme ici, des bois, des campagnes,
  Des hameaux, enfin des montagnes.
  
l'enfantEt plus loin ?
  
le pèreD'autres monts encore.
  
l'enfantAprès ces monts ?
  
le père Un autre bord.
  
l'enfantEt puis ?
  
le père On avance, on avance,
  Et l'on va si loin, mon petit,
  Si loin, toujours faisant sa ronde,
  Qu'on trouve enfin le bout du monde ...
  Au même lieu d'où l'on partit.

 

Christian POSLANIEC
 
CARMAGNOLE
 
Je voudrais bien te dire
Mon enfant d' aujourd' hui
Que j' ai peur de tes jouets
Qui marchent, télévirent
Et crachent des boulets.
Je crains qu' un jour, bientôt,
Tes autos jouent sans toi,
Tes poupées s' amusent entre elles.
 
Et tu resteras là
Dans un coin, le coeur gros,
A les regarder jouer
Electriques et glacés.
Et puis tu rouilleras
Comme un jouet d' autrefois
Longtemps abandonné,
Le ressort cassé
Le coeur froid.
 
"fleurs de carmagnole"
Edition : Saint Germain des Prés
 
 

Henri POURRAT
 
LE VENT DE LA MONTAGNE
 
Le vent qui souffle à travers la montagne
Me rendra fou.
Je veux partir, je veux prendre la porte,
Je veux aller
Là où le vent n'a plus de feuilles mortes
A râteler
Plus haut que l'ombre aux vieilles salles basses
Où le feu roux
Pour la veillée éclaire des mains lasses
Sur les genoux;
Aller plus haut que le col et l'auberge
Que ces cantons
Où la pastoure à la cape de serge
Paît ses moutons;
Que les sentiers où chargés de deux bannes
Sous les fayards
Le mulet grimpe au gris des feux de fanes
Faisant brouillard.
Ce vent me prend, me pousse par l'épaule,
Me met dehors,
La tête en l'air, le coeur à la renvole,
Le diable au corps.
Il faut partir et prendre la campagne
En loup-garou:
Le vent qui souffle à travers la montagne
M'a rendu fou.
 
" Le vent de la montagne "
" Liberté "

Jacques PREVERT
 
EN SORTANT DE L'ECOLE
CHANSON DES ESCARGOTS QUI VONT A L'ENTERREMENT
PAGE D'ECRITURE
FLEURS ET COURONNES
POUR FAIRE LE PORTRAIT D'UN OISEAU
TANT DE FORETS
SOYEZ POLIS
LE CANCRE
DEJEUNER DU MATIN
L'ACCENT GRAVE
L'ADDITION
NOEL DE RAMASSEURS DE NEIGE
QUAND LA VIE
LE PETIT GARCON ET LA LUNE
CORTEGE
EN SORTANT DE L'ECOLE
 
En sortant de l'école,
Nous avons rencontré
Un grand chemin de fer
Qui nous a emmenés
Tout autour de la terre,
Dans un wagon doré,
Tout autour de la terre,
Nous avons rencontré
La mer qui se promenait
Avec tous ses coquillages
Ses îles parfumées
Et puis ses beaux naufrages
Et ses saumons fumés.
Au-dessus de la mer
Nous avons rencontré
La lune et les étoiles
Sur un bateau à voiles
Partant pour le Japon.
Et les trois mousquetaires,
Des cinq doigts de la main
Tournant la manivelle
D'un petit sous-marin
Plongeant au fond des mers
Pour chercher des oursins.
Revenant sur la terre,
Nous avons rencontré,
Sur la voie du chemin de fer,
Une maison qui fuyait,
Fuyait tout autour de la terre,
Fuyait tout autour de la mer,
Fuyait devant l'hiver
Qui voulait l'attraper,
Mais nous, sur notre chemin de fer,
On s'est mis à rouler,
Rouler derrière l'hiver
Et on l'a écrasé.
Et la maison s'est arrêtée,
Et le printemps nous a salués.
C'était lui le garde-barrière
Et il nous a bien remerciés,
Et toutes les fleurs de toute la terre
Soudain, se sont mises à pousser,
Pousser à tort et à travers,
Sur la voie du chemin de fer
Qui ne voulait plus avancer
De peur de les abîmer.
Alors on est revenu à pied,
A pied,
Tout autour de la terre,
A pied,
Tout autour de la mer,
Tout autour du soleil,
De la lune et des étoiles,
A pied, à cheval, en voiture et en bateau à voiles.
 
CHANSON DES ESCARGOTS QUI VONT A L'ENTERREMENT
 
A l'enterrement d'une feuille morte
Deux escargots s'en vont
Ils ont la coquille noire
Du crêpe autour des cornes
Ils s'en vont dans le noir
Un très beau soir d'automne
Hélas quand ils arrivent
C'est déjà le printemps
Les feuilles qui étaient mortes
Sont toutes ressuscitées
Et les deux escargots
Sont très désappointés
Mais voilà le soleil
Le soleil qui leur dit
Prenez prenez la peine
La peine de vous asseoir
Prenez un verre de bière
Si le coeur vous en dit
Prenez si ça vous plaît
L'autocar pour Paris.
Il partira ce soir
Vous verrez du pays
Mais ne prenez pas le deuil
C'est moi qui vous le dis
Ca noircit le blanc de l'oeil
Et puis ça enlaidit
Les histoires de cercueils
C'est triste et pas joli
Reprenez vos couleurs
Les couleurs de la vie
Alors toutes les bêtes
Les arbres et les plantes
Se mettent à chanter
A chanter à tue-tête
La vraie chanson vivante
La chanson de l'été
Et tout le monde de boire
Tout le monde de trinquer
C'est un très joli soir
Un joli soir d'été
Et les deux escargots
S'en retournent chez eux
Ils s'en vont très émus
Ils s'en vont très heureux
Comme ils ont beaucoup bu
Ils titubent un p'tit peu
Mais là-haut dans le ciel
La lune veille sur eux.
 
"Paroles"
 
PAGE D'ECRITURE
 
Deux et deux quatre
quatre et quatre huit
huit et huit font seize.
Répéter ! dit le maître
Deux et deux quatre
quatre et quatre huit
huit et huit font seize.
Mais voilà l'oiseau lyre
qui passe dans le ciel
l'enfant le voit
l'enfant l'entend
l'enfant l'appelle
Sauve-moi
joue avec moi
oiseau !
Alors l'oiseau descend
et joue avec l'enfant
Deux et deux quatre...
Répétez ! dit le maître
et l'enfant joue
l'oiseau joue avec lui...
Quatre et quatre huit
et huit et huit font seize
seize et seize qu'est-ce qu'ils font ?
Ils ne font rien seize et seize
et surtout pas trente deux
de toute façon
et ils s'en vont.
Et l'enfant a caché l'oiseau
dans son pupitre
et tous les enfants entendent sa chanson
et tous les enfants entendent la musique
et huit et huit à leur tour s'en vont
et quatre et quatre et deux et deux
à leur tour fichent le camp
et un et un ne font ni une ni deux
un et un s'en vont également.
Et l'oiseau lyre joue
et l'enfant chante
et le professeur crie :
Quand vous aurez fini de faire le pitre !
Mais tous les autres enfants
écoutent la musique
et les murs de la classe
s'écroulent tranquillement.
Et les vitres redeviennent sable
l'encre redevient eau
les pupitres redeviennent arbres
la craie redevient falaise
le porte-plume redevient oiseau.
 
"Paroles"
 
FLEURS ET COURONNES
 
Homme
Tu as regardé la plus triste la plus morne de toutes
Les fleurs de la terre
Et comme aux autres fleurs tu lui as donné un nom
Tu l'as appelée Pensée.
Pensée.
C'était comme on dit bien observé
Bien pensé.
Et ces sales fleurs qui ne vivent et ne se fanent jamais
Tu les as appelées immortelles...
C'était bien fait pour elles...
Mais le lilas, tu l'as appelé Lilas
Lilas c'était tout à fait ça
Lilas... Lilas...
Aux marguerites tu as donné un nom de femme
Ou bien aux femmes tu as donné un nom de fleur.
C'est pareil.
L'essentiel c'était que ce soit joli
Que ça fasse plaisir...
Enfin tu as donné les noms simples à toutes les fleurs simples.
Et la plus grande la plus belle
Celle qui pousse toute droite sur le fumier de la misère
Celle qui se dresse à côté des vieux ressorts rouillés
A côté des vieux chiens mouillés
A côté des vieux matelas éventrés
A côté des baraques en planches où vivent les sous-alimentés
Cette fleur tellement vivante
Toute jaune toute brillante
Celle que les savants appellent Héliante
Toi tu l'as appelée Soleil.
...Soleil...
Hélas ! hélas hélas et beaucoup de fois hélas !
Qui regarde le soleil hein ?
Qui regarde le soleil
Personne ne regarde plus le soleil
Les hommes sont devenus ce qu'ils sont devenus
Des hommes intelligents...
 
POUR FAIRE LE PORTRAIT D'UN OISEAU
 
Peindre d'abord une cage
avec une porte ouverte
peindre ensuite
quelque chose de joli
quelque chose de simple
quelque chose de beau
quelque chose d'utile
pour l'oiseau
placer ensuite la toile contre un arbre
dans un jardin
dans un bois
ou dans une forêt
se cacher derrière l'arbre
sans rien dire
sans bouger...
Parfois l'oiseau arrive vite
mais il peut aussi bien mettre de longues années
avant de se décider
Ne pas se décourager
attendre
attendre s'il le faut pendant des années
La vitesse ou la lenteur de l'arrivée de l'oiseau
n'ayant aucun rapport
avec la réussite du tableau
... Quand l'oiseau arrive
s'il arrive
observer le plus profond silence
attendre que l'oiseau entre dans la cage
et quand il est entré
fermer doucement la porte avec le pinceau
puis
effacer un à un tous les barreaux
en ayant soin de ne toucher aucune des plumes de l'oiseau
Faire ensuite le portrait de l'arbre
en choisissant la plus belle de ses branches
pour l'oiseau
peindre aussi le vert feuillage et la fraîcheur du vent
la poussière du soleil
et le bruit des bêtes de l'herbe dans la chaleur de l'été
et puis attendre que l'oiseau se décide à chanter
Si l'oiseau ne chante pas
C'est mauvais signe
signe que le tableau est mauvais
mais s'il chante c'est bon signe
signe que vous pouvez signer
alors vous arrachez tout doucement
une des plumes de l'oiseau
et vous écrivez votre nom dans un coin du tableau.
 
"Paroles"
 
TANT DE FORETS
 
Tant de forêts arrachées à la terre
et massacrées
achevées
rotativées
 
Tant de forêts sacrifiées pour la pâte à papier
des milliards de journaux attirant annuellement
l'attention des lecteurs sur les dangers du
déboisement des bois et des forêts.
 
"La pluie et le beau temps"
 
SOYEZ POLIS
 
Il faut être très poli avec la terre
Et avec le soleil
Il faut les remercier le matin en se réveillant
Il faut les remercier
Pour la chaleur
Pour les arbres
Pour les fruits
Pour tout ce qui est bon à manger
Pour tout ce qui est beau à regarder
A toucher
Il faut les remercier
Il ne faut pas les embêter...les critiquer
Ils savent ce qu'ils ont à faire
Le soleil et la terre
Alors il faut les laisser faire.
Ou bien, ils sont capables de se fâcher
Et puis après
On est changé
En courge
En melon d'eau
Ou en pierre à briquet
Et on est bien avancé...
Le soleil est amoureux de la terre
La terre est amoureuse du soleil
Ca les regarde
C'est leur affaire
Et quand il y a des éclipses
Il n'est pas prudent ni discret de les regarder
Au travers de sales petits morceaux de verre fumé
Ils se disputent
C'est des histoires personnelles
Mieux vaut ne pas s'en mêler...
Parce que
Si on s'en mêle on risque d'être changé
En pomme de terre gelée
Ou en fer à friser.
Le soleil aime la terre
C'est comme ça
En somme pour résumer
Deux points, ouvrez les guillemets :
"Il faut que tout le monde soit poli, ou alors il y a des guerres ... des
épidémies, des tremblements de terre, des paquets de mer, des coups de fusil
 
Et de grosses méchantes fourmis rouges qui viennent vous dévorer les pieds
pendant qu'on dort la nuit".
 
" Histoires "
 
LE CANCRE
 
Il dit non avec la tête
mais il dit oui avec le coeur
il dit oui à ce qu'il aime
il dit non au professeur
il est debout
on le questionne
et tous les problèmes sont posés
soudain le fou rire le prend
et il efface tout
les chiffres et les mots
les dates et les noms
les phrases et les pièges
et malgré les menaces du maître
sous les huées des enfants prodiges
avec des craies de toutes les couleurs
sur le tableau noir du malheur
il dessine le visage du bonheur.
 
" Paroles "
 
DEJEUNER DU MATIN
 
Il a mis le café
Dans la tasse
Il a mis le lait
Dans la tasse de café
Il a mis le sucre
Dans le café au lait
Avec la petite cuiller
Il a tourné
Il a bu le café au lait
Et il a reposé la tasse
Sans me parler
Il a allumé
Une cigarette
Il a fait des ronds
Avec la fumée
Il a mis les cendres
Dans le cendrier
Sans me parler
Sans me regarder
Il s'est levé
Il a mis
Son chapeau sur sa tête
Il a mis son manteau de pluie
Parce qu'il pleuvait
Et il est parti
Sous la pluie
Sans une parole
Sans me regarder
Et moi j'ai pris
Ma tête dans ma main
Et j'ai pleuré.
 
" Paroles "
 
L'ACCENT GRAVE
 
LE PROFESSEUR
Elève Hamlet !
L'ELEVE HAMLET
(sursautant)
... Hein... Quoi... Pardon... Qu'est-ce qui se passe... Qu'est-ce qu'il y a...
Qu'est-ce-que c'est ?
 
LE PROFESSEUR
(mécontent)
Vous ne pouvez pas répondre "présent" comme tout le monde ? Pas
possible, vous êtes encore dans les nuages.
 
L'ELEVE HAMLET
Etre ou ne pas être dans les nuages !
 
LE PROFESSEUR
Suffit. Pas tant de manières. Et conjuguez-moi le verbe être, comme tout le
monde, c'est tout ce que je vous demande.
 
L'ELEVE HAMLET
To be...
 
LE PROFESSEUR
En Français, s'il vous plaît, comme tout le monde.
 
L'ELEVE HAMLET
Bien Monsieur. (Il conjugue :)
Je suis ou je ne suis pas
Tu es ou tu n'es pas
Il est ou il n'est pas
Nous sommes ou nous ne sommes pas...
 
LE PROFESSEUR
(excessivement mécontent)
Mais c'est vous qui n'y êtes pas, mon pauvre ami !
 
L'ELEVE HAMLET
C'est exact, monsieur le Professeur,
Je suis "où" je ne suis pas
Et, dans le fond, hein, à la réflexion,
Etre "où" ne pas être
C'est peut-être aussi la question.
 
"Recueil"
Edition : Gallimard
 
L'ADDITION
 
LE CLIENT
Garçon, l'addition !
 
LE GARCON
Voilà (il sort son crayon et note). Vous avez... deux oeufs durs,
un veau, un petit pois, une asperge, un fromage avec beurre,
une amande verte, un café filtre, un téléphone.
 
LE CLIENT
Et puis des cigarettes !
 
LE GARCON
(il commence à compter)
C'est ça même... des cigarettes...
... Alors ça fait
 
LE CLIENT
N'insistez pas mon ami, c'est inutile, vous ne réussirez jamais.
 
LE GARCON
! ! !
 
LE CLIENT
On ne vous a donc pas appris à l'école que c'est ma-thé-ma-ti-
-quement impossible d'additionner des choses d'espèces différentes !
 
LE GARCON
! ! !
 
LE CLIENT
(élevant la voix)
Enfin, tout de même, de qui se moque-t-on ?... Il faut réellement
être insensé pour oser essayer de tenter d"additionner" un veau
avec des cigarettes, des cigarettes avec un café filtre, un café
filtre avec une amande verte et des oeufs durs avec des petits
pois, des petits pois avec un téléphone... Pourquoi pas un petit
pois avec un grand officier de la Légion d'honneur, pendant que
vous y êtes (il se lève).
Non, mon ami, croyez-moi, n'insistez pas, ne vous fatiguez pas,
ça ne donnerait rien, vous entendez, rien, absolument rien,
pas même un pourboire !
(Et il sort en emportant le rond de serviette à titre gracieux).
 
"Histoires"
Editions Gallimard
 
NOEL DE RAMASSEURS DE NEIGE
(Quand elle tombe à Noël)
 
Nos cheminées sont vides
nos poches retournées
ohé ohé ohé
nos cheminées sont vides
nos souliers sont percés
ohé ohé ohé
et nos enfants livides
dansent devant nos buffets
ohé ohé ohé
Et pourtant c'est Noël
Noël qu'il faut fêter
Fêtons fêtons Noël
ça se fait chaque année
Ohé la vie est belle
Ohé joyeux Noël
 
Mais v'là la neige qui tombe
qui tombe de tout en haut
Elle va se faire mal
en tombant de si haut
ohé ohé ohé
 
Pauvre neige nouvelle
courons courons vers elle
courons avec nos pelles
courons la ramasser
puisque c'est notre métier
ohé ohé ohé
 
Jolie neige nouvelle
toi qu'arrives du ciel
dis-nous dis -nous la belle
ohé ohé ohé
Quand est ce qu'à Noël
Tomberont de là-haut
des dindes de Noël
avec leurs dindonneaux
ohé ohé ého
 
( La plume et le beau temps )
 
QUAND LA VIE
 
Quand la vie est un collier
chaque jour est une perle
Quand la vie est une cage
chaque jour est une larme
Quand la vie est une forêt
chaque jour est un arbre
Quand la vie est un arbre
chaque jour est une branche
Quand la vie est une branche
chaque jour est une feuille
 
Quand la vie c'est la mer
chaque jour est une vague
chaque vague est une plainte
une chanson un frisson.
 
"Fatras"
Edition : Gallimard
 
LE PETIT GARCON ET LA LUNE
 
Laissez-moi m'endormir sans berceuse, laissez-moi retourner sur la lune. Je
reviendrai demain matin et même pour aller plus vite je prendrai un aérolithe.
- Qui est-ce que c'est?
- Des petits astres qui font le taxi.
- Ca doit coûter des prix astronomiques?
- Non.
C'est comme le téléphérique qui roule sur la voie lactée:
on peut monter, descendre en marche, on ne paie jamais, ça n'a pas de prix.
- Mais on risque de se faire mal!
- Non, là-bas, on rebondit!
Oh! Laissez-moi m'en aller de la nuit.
Laissez-moi retourner sur la lune.
Le soleil va m'accompagner, car j'ai en froid toute la journée
- L'école n'était pas chauffée?
- Un petit peu et même presque pas, mais j'ai en surtout froid dans la tête
parce que je m'ennuyais beaucoup. Il y avait du calcul mental et des guerres
de religion. J'aime bien mieux le quatorze juillet
Quand on ouvre tout grand les prisons
Et quand le Génie de la Bastille
Met la lumière dans les lampions ...
 
" L'opéra de la Lune "
 
CORTEGE
 
Un vieillard en or avec une montre deuil
Une reine de peine avec un homme d'Angleterre
Et des travailleurs de la paix avec des gardiens de la mer
Un hussard de la farce avec un dindon de la mort
Un serpent à café avec un moulin à lunettes
Un chasseur de corde avec un danseur de tête
Un maréchal d' écume avec une pipe en retraite
Un chiard en habit noir avec un gentleman au maillot
Un compositeur de potence avec un gibier de musique
Un ramasseur de conscience avec un directeur de mégots
Un repasseur de Coligny avec un amiral de ciseaux
Une petite soeur du Bengale avec un tigre de Saint Vincent de Paul
Un professeur de porcelaine avec un raccommodeur de philosophie
Un contrôleur de la Table Ronde avec des chevaliers de la Compagnie du
Gaz de Paris.
un canard à Saint Hélène avec un Napoléon à l' orange
Un conservateur de Samothrace avec une Victoire de cimetière
Un remorqueur de famille nombreuse avec un père de haute mer
Un membre de la prostate avec une hypertrophie de l' Académie française
Un gros cheval in partibus avec un grand évêque du cirque
Un contrôleur à la croix de bois avec un petit chanteur d' autobus
Un chirurgien terrible avec un enfant dentiste
Et le général des huîtres avec un ouvreur des jésuites
 
"Paroles"
Edition : Gallimard
 
 
 
 
 

Xavier PRIVAS
 
LA RONDE DES OISEAUX
 
L'oiseau vert vient de passer,
Vole, vole,
Bel oiseau vole,
L'oiseau vert vient de passer;
Nous irons après l'école
Nous irons en bande folle
Dans les chemins verts, danser;
Vole, vole,
Bel oiseau, vole,
Le printemps va commencer !
 
L'oiseau bleu vient de passer,
Vole, vole,
Bel oiseau vole,
L'oiseau bleu vient de passer;
Nous irons après l'école,
Nous irons en bande folle
Dans les chemins bleus, danser,
Vole, vole,
Bel oiseau, vole,
Car l'été va commencer !
 
L'oiseau gris vient de passer,
Vole, vole,
Bel oiseau vole,
L'oiseau gris vient de passer;
Nous irons après l'école,
Nous irons en bande folle
Dans les chemins gris, danser;
Vole, vole,
Bel oiseau, vole,
L'automne va commencer!
 
L'oiseau blanc vient de passer,
Vole, vole,
Bel oiseau vole,
L'oiseau blanc vient de passer;
Nous irons après l'école
Nous irons en bande folle
Dans les chemins blancs, glisser;
Vole, vole,
Bel oiseau vole,
Car l'hiver va commencer.
 
"Chantez, Petits!"
 
 
 

Henri QUEFFELEC
 
NOSTALGIE BRETONNE
 
Qui me rendra la lande effritée
cachée dans la dune,
la fumée des goémons faisant brume,
et le vent
le vent?
 
Les vergers et la lande,
les flots, les îles, tous les talus
et tous les caps,
les chevaux galopant les grèves,
et le vent
le vent?
qui me rendra la mouche qui monologue,
le tictac du cadran,
la porte basse et
l'enfant qui chante,
et le vent
le vent?
 
" Solitudes "
 

Raymond QUENEAU
 
LA LECON DE CHOSES.
LA CIMAISE ET LA FRACTION
LA LECON DE CHOSES.
 
Venez, poussins,
asseyez-vous
je vais vous instruire
sur l'oeuf
dont tous
vous venez, poussins
 
L'oeuf est rond
mais pas tout à fait
Il serait plutôt
ovoïde
avec une carapace
Et vous en sortez tous, poussins
 
Il est blanc
pour votre race
crème ou même orangé
avec parfois collé
un brin de paille
mais ça
c'est un supplément
............................
A l'intérieur il y a
 
Mais pour y voir
faut le casser
et alors d'où - vous poussins - sortiriez?
 
"Le chien à la mandoline"
 
LA CIMAISE ET LA FRACTION
 
La cimaise ayant chaponné tout l'éternueur
Se tuba fort dépurative quand la bixacée fut verdie :
Pas un sexué pétrographique morio de mouffette ou de verrat.
Elle alla crocher frange
Chez la fraction sa volcanique
La processionnant de lui primer
Quelque gramen pour succomber
Jusqu'à la salanque nucléaire.
" Je vous peinerai, lui discorda-t-elle,
Avant l'apanage, folâtrerie d'Annamite!
Interlocutoire et priodonte."
La fraction n'est pas prévisible :
C'est là son moléculaire défi.
" Que ferriez-vous au tendon cher?
Discorda-t-elle à cette énarthrose.
- Nuncupation et joyau à tout vendeur,
Je chaponnais, ne vous déploie.
- Vous chaponniez? J'en suis fort alarmante.
Eh bien! débagoulez maintenant
 
(Queneau a remplacé chaque adjectif, chaque nom et chaque verbe du texte de
La FONTAINE par le septième de son espèce tel qu'il se trouve dans un dictionnaire)
 
"Oulipo, la littérature potentielle."
les éditions ouvrières
 
 
 

Charles-Ferdinand RAMUZ
 
CHALEUR
LE PAYS
CHALEUR
 
L'ombre du tilleul tourne dans la cour.
La fontaine fait un bruit de tambour.
 
Un oiseau s'envole du poirier ; le mur
brûle ; sur le toit brun et rouge,
La fumée d'un feu de bois bouge
contre le ciel tellement bleu qu'il est obscur.
 
On n'entend pas un bruit dans les champs ;
personne n'est en vue la route ;
seules dans les poulaillers, les poules
gloussent encore, de temps en temps.
 
Puis plus rien qu'un arbre qui penche,
dans l'opacité de ses branches,
avec son ombre de côté,
comme sous un poids qui l'accable ;
et cet autre se laisse aller
en avant, comme un dormeur
qui a les coudes sur la table.
 
"Le petit village."
 
LE PAYS
 
C'est un petit pays qui se cache parmi
ses bois et ses collines ;
il est paisible, il va sa vie
sans se presser sous ses noyers ;
il a de beaux vergers et de beaux champs de blé,
des champs de trèfle et de luzerne,
roses et jaunes dans les prés,
par grands carrés mal arrangés ;
il monte vers les bois, il s'abandonne aux pentes
vers les vallons étroits où coulent des ruisseaux
et, la nuit, leurs musiques d'eau
semblent agrandir encore le silence.
 
Son ciel et dans les yeux de ses femmes,
la voix des fontaines dans leur voix ;
on garde de sa terre aux gros souliers qu' on a
pour s' en aller dans la campagne ;
on s'égare aux sentiers qui ne vont nulle part
et d'où le lac paraît, la montagne, les neiges
et le miroitement des vagues ;
et, quand on s'en revient, le village est blotti
autour de son église,
parmi l'espace d'ombre ou hésite et retombe
la cloche inquiète du couvre-feu.
 
"Le petit village"
 

 

Henri de REGNIER
 
ODELETTE 1
J'ENTENDS LA MER ...
 
 
ODELETTE 1
 
Un petit roseau m'a suffi
Pour faire frémir l'herbe haute
Et tout le pré
Et les doux saules
Et le ruisseau qui chante aussi ;
Un petit roseau m'a suffi
A faire chanter la forêt.
 
Ceux qui passent l'ont entendu
Au fond du soir, en leurs pensées,
Dans le silence et dans le vent,
Clair ou perdu,
Proche ou lointain ...
Ceux qui passent, en leurs pensées,
En écoutant, au fond d'eux-mêmes
L'entendront encore et l'entendent
Toujours qui chante.
 
Il m'a suffi
De ce petit roseau cueilli
A la fontaine où vint l'Amour
Mirer, un jour,
Sa face grave
Et qui pleurait,
Pour faire pleurer ceux qui passent
Et trembler l'herbe et frémir l'eau ;
Et j'ai, du souffle d'un roseau,
Fait chanter toute la forêt.
 
"Les jeux rustiques et divins"
Mercure de France
 
J'ENTENDS LA MER ...
 
J'entends la mer
Murmurer au loin, quand le vent
Entre les pins, souvent,
Porte son bruit rauque et amer
Qui s'assourdit, roucoule ou siffle, à travers
Les pins rouges sur le ciel clair ...
 
Parfois
Sa sinueuse, sa souple voix
Semble ramper à l'oreille, puis recule
Plus basse au fond du crépuscule
Et puis se tait pendant des jours
Comme endormie
Avec le vent
Et je l'oublie...
Mais un matin elle reprend
Avec la houle et la marée,
Plus haute, plus désespérée,
Et je l'entends.
 
C'est un bruit d'eau qui souffre et gronde et se lamente
Derrière les arbres sans qu'on la voie...
 
" Les médailles d'argent "
 

Jules RENARD
 
LE COCHON
LA POULE
LE COCHON
 
Grognon, mais familier comme si nous t'avions gardé ensemble, tu fourres le
nez partout et tu marches autant avec lui qu'avec les pattes.
Tu caches sous tes oreilles en feuilles de betterave tes petits cassis.
Tu es ventru comme une groseille à maquereau.
Tu as de longs poils comme elle, comme elle la peau claire et une courte
queue bouclée.
Et les méchants t'appellent : "Sale cochon !"
Ils disent que si rien ne te dégoûte, tu dégoûtes tout le monde et que tu
n'aimes que l'eau de vaisselle grasse.
Mais ils te calomnient.
Qu'ils te débarbouillent et tu auras bonne mine. Tu te négliges par leur faute.
Comme on fait ton lit, tu te couches, et la malpropreté n'est que ta seconde
nature.
 
LA POULE
 
Pattes jointes, elle saute du poulailler, dès qu'on lui ouvre la porte.
C'est une poule commune, modestement parée et qui ne pond jamais d'oeufs
d'or.
Eblouie de lumière, elle fait quelques pas, indécise, dans la cour.
Elle voit d'abord le tas de cendres où, chaque matin, elle a coutume de
s'ébattre.
Elle s'y roule, s'y trempe, et, d'une vive agitation d'ailes, les plumes gonflées,
elle secoue ses puces de la nuit.
Puis elle va boire au plat creux que la dernière averse a rempli.
Elle ne boit que de l'eau.
Elle boit par petits coups et dresse le col, en équilibre sur le bord du plat.
Ensuite elle cherche sa nourriture éparse.
Les fines herbes sont à elles, et les insectes et les graines perdues.
Elle pique, elle pique, infatigable.
De temps en temps, elle s'arrête.
Droite, sous son bonnet phrygien, l'oeil vif, le jabot avantageux, elle écoute de
l'une et de l'autre oreille. Et sûre qu'il n'y a rien de neuf, elle se remet en
quête! Elle lève haut ses pattes raides, comme ceux qui ont la goutte. Elle
écarte les doigts et les pose avec précaution, sans bruit.
On dirait qu'elle marche pieds nus.
 

Werner RENFER
 
D' UNE PIERRE ON PEUT FAIRE UN POEME
 
D' une pierre on peut faire un poème ,
le rire s' y mêle aux larmes et rien ne dure
que la durée qu'il faut pour changer
et pour rester pareil à soi - même.
La musique des fanfares ne m' émeut plus,
mais la foule des passants me touche toujours ,
j' aime les voix perdues au fond des cascades du jour ,
et le flot sans nombre des pas qui martèlent les rues
dans le dédale des solitudes.
D' une larme, d' une rire on peut faire un poème ,
et la pierre s' y mêle au long des sanglots.
Le bûcheron qui fait des trous dans la forêt,
avec sa hache étincelante dans les arbres
fait retentir comme une cloche dans ma vie,
et la plainte infinie qui s' échappe de l' aurore
mêle à mon sang le parfum des sèves fraîches.
d' une pierre on peut faire un poème,
d' une simple pierre au bord du chemin ;
et tout ce que j' aime y est pour toujours vivant
comme un poème.
 
"La beauté du monde"
 

Raymond RICHARD
 
FEUILLES MORTES
 
Ce matin devant ma porte,
J'ai trouvé trois feuilles mortes.
La première aux tons de sang
M'a dit bonjour en passant
Puis au vent s'en est allée.
La seconde dans l'allée,
Au creux d'une flaque d'eau
A sombré comme un bateau.
La troisième couleur d'ambre
Quand l'hiver sera venu,
Quand les arbres seront nus,
Cette feuille desséchée,
Contre le mur accrochée
Me parlera des beaux jours
Dont j'attends le gai retour.
 
" A petits pas "
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Jean RICHEPIN
 
OISEAUX DE MER
LA PLAINTE DU BOIS
LA MARCHE SOUS LA PLUIE
LA NEIGE TOMBE
OISEAUX DE MER
 
Mouettes, gris et goélands
Mêlent leurs cris et leurs élans.
 
Leur vol fou qui passe et repasse
Tend comme un filet dans l'espace.
 
Mouettes, goélands et gris
Mêlent leurs élans et leurs cris.
 
Holà ! ho ! du coeur à l'ouvrage !
La mer grossit. Proche est l'orage.
 
Mouettes, goélands et gris
Mêlent leurs élans et leurs cris.
 
" La mer "
 
LA PLAINTE DU BOIS
 
Dans l'âtre flamboyant le feu siffle et détone;
Et le vieux bois gémit d'une voix monotone.
Il dit qu'il était né pour vivre dans l'air pur,
Pour se nourrir de terre et s'abreuver d'azur,
Pour grandir lentement et pousser chaque année
Plus haut, toujours plus haut sa tête couronnée,
Pour parfumer Avril de ses grappes de fleurs,
Pour abriter les nids et les oiseaux siffleurs,
Pour jeter dans le vent mille chansons joyeuses
Pour vêtir tour à tour ses robes merveilleuses :
Son manteau de printemps de fins bourgeons couverts
Et le pourpre en automne et l'hermine en hiver.
Il dit que l'homme est dur, avare et sans entrailles
D'avoir à coups de hache et par d'âpres entailles
Tué l'arbre, car l'arbre est un être vivant ;
Il dit comme il fut bon pour l'homme bien souvent,
Et qu'ingrats, oubliant notre amour, notre enfance,
Nous coupons sans pitié le géant sans défense.
 
LA MARCHE SOUS LA PLUIE
 
Plic, ploc, plac,
Il tombe de l'eau plein mon sac.
Il pleut, ça mouille,
Et pas du vin.
Quel temps divin
Pour la grenouille
Plic, ploc, plac,
Il tombe de l'eau plein mon sac.
 
Après la pluie viendra le vent.
En arrivant
Il vous essuie.
Plic, ploc, plac,
Il tombe de l'eau plein mon sac.
 
"La chanson des gueux."
 
LA NEIGE TOMBE
 
Toute blanche dans la nuit brune
La neige tombe en voletant,
O pâquerettes! une à une
Toutes blanches dans la nuit brune!
Qui donc là-haut plume la lune?
O frais duvet! flocons flottants!
Toute blanche dans la nuit brune
La neige tombe en voletant.
 
La neige tombe, monotone,
Monotonement, par les cieux;
Dans le silence qui chantonne,
La neige tombe monotone,
Elle file, tisse, ourle et festonne
Un suaire silencieux.
La neige tombe, monotone,
Monotonement par les cieux.

Arthur RIMBAUD
 
MA BOHEME
VOYELLES
LE BUFFET
 
 
MA BOHEME
 
Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées ;
Mon paletot aussi devenait idéal ;
J'allais sous le ciel, Muse ! et j'étais ton féal ;
Oh ! là là ! que d'amours splendides j'ai rêvées !
 
Mon unique culotte avait un large trou.
- Petit-Poucet rêveur, j'égrenais dans ma course
Des rimes. Mon auberge était à la Grande-Ourse.
- Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou.
 
Et je les écoutais, assis au bord des routes,
Ces bons soirs de septembre où je sentais des gouttes
De rosée à mon front, comme un vin de vigueur ;
 
Où, rimant au milieu des ombres fantastiques,
Comme des lyres, je tirais les élastiques
De mes souliers blessés, un pied près de mon coeur !
 
VOYELLES
 
A noir, E blanc, I rouge, V vert, O bleu : voyelles,
Je dirai quelque jour vos naissances latentes :
A, noir corselet velu des mouches éclatantes
Qui bombinent autour des puanteurs cruelles,
 
Golfes d'ombre ; E, candeurs des vapeurs et des tentes,
Lances des glaciers fiers, rois blancs, frissons d'ombelles ;
I, pourpres, sang craché, rire des lèvres belles
Dans la colère ou les ivresses pénitentes ;
 
U, cycles, vibrements divins des mers virides,
Paix des pâtis semés d'animaux, paix des rides
Que l'alchimie imprime aux grands fronts studieux ;
 
O suprême Clairon plein des strideurs étranges,
Silences traversés des Mondes et des Anges :
- O l'Oméga, rayon violet de Ses Yeux !
 
LE BUFFET
 
C'est un large buffet sculpté ; le chêne sombre,
Très vieux, a pris cet air si bon des vieilles gens ;
Le buffet est ouvert, et verse dans son ombre
Comme un flot de vin vieux, des parfums engageants,
 
Tout plein, c'est un fouillis de vieilles vieilleries,
De linges odorants et jaunes, de chiffons
De femmes ou d'enfants, de dentelles flétries,
De fichus de grand-mère où sont peints des griffons ;
 
C'est là qu'on trouverait les médaillons, les mèches
De cheveux blancs ou blonds, les portraits, les fleurs sèches
Dont le parfum se mêle à des parfums de fruits.
 
O buffet du vieux temps, tu sais bien des histoires,
Et tu voudrais conter tes contes, et tu bruis
Quand s'ouvrent lentement tes grandes portes noires.
 
"Poésies Complètes"
 

Marcel RIOUTORD
 
TU AIMES ...
 
Tu aimes les renards autour de ton cou
mais quand ils sont morts.
Tu aimes la pluie
mais quand il pleut
tu fermes ta fenêtre à la pluie.
Tu aimes les fleurs
mais tu leur coupes la queue.
Tu aimes les poissons
Mais tu leur coupes la tête
... et puis tu les manges.
Alors ...
Quand tu dis que tu m'aimes
tu me fais un peu peur !
 
 
 

Paul Alexis ROBIC
 
LES DOUZE LUTINS
 
Ils sont douze lutins
Dans ce joli village
De songe et de cristal
Derrière les montagnes
 
Trois qui frappent l'enclume
Et remplissent d'étoiles
La forge du grand gel
 
Trois qui font à l'enseigne
Du Rire de l'Hiver
De frais gâteaux de neige.
 
Trois qui tirent l'alêne
En secret dans la basse
Echoppe du sommeil
 
Trois autres qui allument
Leurs petites lanternes
Et n'attendent qu'un signe
Pour s'en aller sonner
Les cloches de Noël
 
" La part du vent ( 1957) "

Maurice ROLLINAT
LA BICHE BRAME
LE LISERON
LA BICHE BRAME
 
La biche brame au clair de lune
Et pleure à se fondre les yeux ;
Son petit faon délicieux
A disparu dans la nuit brune.
 
Pour raconter son infortune
A la forêt de ses aïeux,
La biche brame au clair de lune
Et pleure à se fondre les yeux.
 
Mais aucune réponse, aucune,
A ses longs appels anxieux !
Et, le cou tendu vers les cieux,
Folle d'amour et de rancune,
La biche brame au clair de lune.
 
"Le livre de la nature ?"
"Les névroses."
 
LE LISERON
 
Le liseron est un calice
Qui se balance à fleur de sol;
L'éphémère y suspend son vol,
Et la coccinelle s'y glisse.
 
Le champignon rugueux et lisse,
Parfois lui sert de parasol,
Le liseron est un calice
Qui se balance à fleur de sol.
 
Or, quand les champs sont au supplice,
Brûlés par un ciel espagnol,
Il tend toujours son petit bol
Afin que l'averse l'emplisse;
Le liseron est un calice.
 
"Oeuvres"

Edmond ROSTAND
 
UN VIEUX MUR
HYMNE AU SOLEIL
JOUJOUX
 
 
UN VIEUX MUR
 
... Mais il est admirable,
Ce vieux mur, crêté d'herbes, enguirlandé, couvert
Ici de vigne rouge, ici de lierre vert,
Ici de glycine mauve aux longues grappes floches,
Et là de chèvrefeuille, et là d'aristoloches !
Ce vieux mur centenaire et croulant, dont les trous
Laissent prendre au soleil d'étanges cheveux roux,
Qui de petites fleurs charmantes se constelle,
Ce mur sur qui la mousse est d'une épaisseur telle
Qu'il fait à l'humble banc scellé dans sa paroi,
Un dossier de velours comme au trône d'un roi.
 
HYMNE AU SOLEIL
 
Je t'adore, Soleil ! ô toi dont la lumière,
Pour bénir chaque front et mûrir chaque miel,
Entrant dans chaque fleur et dans chaque chaumière,
Se divise et demeure entière
Ainsi que l'amour maternel !
 
Tu fais tourner les tournesols du presbytère
Luire le frère d'or que j'ai sur le clocher,
Et quand, par les tilleuls, tu viens avec mystère,
Tu fais bouger des ronds par terre
Si beaux qu'on n'ose plus marcher!
 
Tu changes en émail le vernis de la cruche;
Tu fais un étendard en séchant un torchon;
La meule a, grâce à toi, de l'or sur sa capuche,
Et sa petite soeur la ruche
A de l'or sur son capuchon!
 
Gloire à toi sur les prés ! Gloire à toi dans les vignes !
Sois béni parmi l'herbe et contre les portails,
Dans les yeux des lézards et sur l'aile des cygnes!
O toi qui fais les grandes lignes
Et qui fais les petits détails.
 
C'est toi qui découpant la soeur jumelle et sombre,
qui se couche et s'allonge au pied de ce qui luit,
De tout ce qui nous charme as su doubler le nombre,
A chaque objet donnant une ombre
Souvent plus charmante que lui!
 
Je t'adore, Soleil ! Tu mets dans l'air des roses,
Des flammes dans la source, un dieu dans le buisson!
Tu prends un arbre et tu l'apothéoses!
O Soleil ! toi sans qui les choses
Ne seraient que ce qu'elles sont!
 
" Chantecler "
 
JOUJOUX
 
Ils regardent, les pauvres gosses,
Le polichinelle à deux bosses
Qui coûte cher,
Les poupons en chaussons de laine,
Les bébés dont la porcelaine
Paraît en chair;
 
Ils comptent les ballons, les balles;
Par un clown jouant des cymbales
Très étonnés,
Et ce sont des heures d'extase
Devant cette vitrine où s'écrase
Leur petit nez.
 
Ils en ont oublié qu'il gèle
Ils ne battent plus la semelle,
Mais quelquefois,
Leur souffle ayant terni la glace
Pour mieux voir, ils essuient la place
Avec leurs doigts.
 

Jean ROUSSELOT
 
L'ORDINATEUR ET L'ELEPHANT
LA CIGALE ET LA FOURMI
 
 
L'ORDINATEUR ET L'ELEPHANT
 
Parce qu'il perdait la mémoire
Un ordinateur alla voir
Un éléphant de ses amis :
- C'est sûr, je vais perdre ma place,
Lui dit-il, viens donc avec moi.
Puisque jamais ceux de ta race
N'oublient rien, tu me soufleras.
Pour la paie, on s'arrangera.
 
Ainsi firent les deux compères.
Mais l'éléphant était vantard :
Voilà qu'il raconte ses guerres,
Le passage du Saint-Bernard,
Hannibal et Jules César...
 
Les ingénieurs en font un drame :
Ca n'était pas dans le programme !
Et l'éléphant, l'ordinateur
Tous les deux, les voilà chômeurs.
 
De morale je ne vois guère
A cette histoire, je l'avoue.
Si vous en trouvez une, vous,
Portez-la chez le Commissaire ;
Au bout d'un an, elle est à vous
Si personne ne la réclame.
 
"Petits poèmes pour coeurs pas cuits"
 
LA CIGALE ET LA FOURMI
 
La cigale ayant chanté
Tout l'été
Moyennant de gros cachets
Dans les casinos chics du midi de la France,
Se trouva tellement pourvue
Lorsque la bise fut venue
Qu'elle chercha quelqu'un pour gérer ses finances
Pendant que tout l'hiver il lui faudrait dormir.
Elle passa une annonce.
La fourmi d'accourir:
- Je m'y connais, dit - elle, et puis vous garantir
Que de vos capitaux vous ne perdrez pas une once.
- Et pour les intérêts? demande la chanteuse
Qui déjà dort plus qu'à demi.
- Cent pour cent, répond la fourmi.
Trouvant la chose merveilleuse,
L'autre lui remet son argent
Et va se coucher en bâillant.
 
Et puis l'hiver s'en vient
Qui jamais n'a fait grâce à la moindre cigale.
De tout ce bien volé, la fourmi se régale
s'offre des meubles, des parfums
des robes de soie, des bijoux d'or fin.
Elle est sur le point d'acheter
Une auto des plus confortables
Quand, sans même la voir, un être fourmidable
( C'est l'homme, dont je veux parler )
Ecrabouille la misérable.
 
Moralité? Je n'en vois qu'une:
Pas d'avenir pour la fortune
Quoi qu'on fasse pour l'acquérir.
Mieux vaut chanter pour son plaisir.
 
"Il y aura une fois"

Claude ROY
 
LIMERICK DES GENS EXCESSIVEMENT POLIS
LA CLEF DES CHAMPS
LES SOUCIS DU CIEL
CHANT DU VENT A DECORNER LES BOEUFS
LE BRUIT DE LA MER
L ' ENFANT QUI BATTAIT LA CAMPAGNE
LA NUIT
ETOURDIS ETOURNEAUX
LES QUATRES ELEMENTS
LIMERICK DES GENS EXCESSIVEMENT POLIS
 
Excusez-moi, je vous en prie
Disait le Monsieur Très Poli
tout ourlé de Bonnes Manières
quand il croisait un dromadaire
 
Je suis charmé vraiment ravi
Disait le Monsieur Si Gentil
en rencontrant rue de Lisbonne
un pangolin avec sa bonne
 
Je vous présente mes respects
Disant le Monsieur Circonspect
en dépassant dans l'escalier
un i sans point très essoufflé
 
Veuillez agréer mes hommages
Disait le Monsieur Tout en Nage
en arrivant très en retard
au bal masqué des nénuphars
 
Après vous je n'en ferai rien
Disait le Monsieur Vraiment Bien
lorsque la Mort sonnant chez ui
le trouvera toujours poli
 
L'ennui avec les gens polis
c'est qu'ils n'ont jamais fini
tout en saluts et en courbettes
mais trop polis pour être honnêtes.
 
"Le Parfait Amour"
Edition Seghers
 
LA CLEF DES CHAMPS
 
une voix Qui a volé la clef des champs ?
  La pie voleuse ou le geai bleu ?
   
une voix Qui a perdu la clef des champs ?
  La marmotte ou le hoche queue ?
  Qui a trouvé la clef des champs ?
  Le lièvre brun ? Le renard roux ?
   
une voix Qui a gardé la clef des champs ?
  Le chat, la belette ou le loup ?
   
une voix Qui a rangé la clef des champs ?
  La couleuvre ou le hérisson ?
   
une voix Qui a touché la clef des champs ?
  La musaraigne ou le pinson ?
   
une voix Qui a perdu la clef des champs ?
  Le porc-épic ? Le renard roux ?
   
une voix Qui a volé la clef des champs ?
   
une voix Ce n'est pas moi, ce n'est pas vous.
  Elle est à personne et partout
  La clef des champs, la clef de tout.
 
LES SOUCIS DU CIEL
 
A- Le ciel apprend par coeur les couleurs du matin

B- Le toit gris

C- l'arbre vert

D- le blé blond

E- le chat noir

A- Il n'a pas de mémoire il compte sur ses mains

B- Le toit blond

C- l'arbre gris

D- le blé noir

E- le chat vert

A- Le ciel bleu est chargé de dire à la nuit noire
comment était le jour tout frais débarbouillé
B- Mais il perd en chemin ses soucis la mémoire
C- il rentre à la maison
D- il a tout embrouillé

E- le toit vert

A- l'arbre noir

B- le chat blond

C- le blé gris

D- Le ciel plie ses draps bleus tentant de retrouver
ce qu'il couvrait le jour d'un grand regard surpris
E- le monde très précis qu'il croit avoir rêvé

A- Le toit noir

B- l'arbre blond

C- le chat gris

D- le blé vert

E- Le ciel n'en finit plus d'imaginer le jour
A- il cherche dans la nuit songeant les yeux ouverts
aux couleurs que le noir évapore toujours.
 
" Poésies "
Editions Gallimard
 
CHANT DU VENT A DECORNER LES BOEUFS
 
Le vent court à brise abattue
Il court il court à perdre haleine.
Pauvre vent perdu et jamais au but.
Où cours-tu si vite à travers la plaine?
Où je cours si vite où je cours si vite.
Le vent en bégaye d'émotion et d'indignation.
Se donner tant de mal et de gymnastique
et qu'on vous pose après pareille question!
A quoi bon souffler si fort et si bête
et puis s'en aller sans rien emporter?
Quelle vie de chien qui toujours halète
Qui tire sa langue de chien fatigué!
Jusqu'au bout du monde il faut que tu ailles
poussant ton charroi de vent qui rabâche
Vente vent têtu de sac et de paille
 
" Un seul poème "
 
LE BRUIT DE LA MER
 
Si tu trouves sur la plage
un très joli coquillage
compose le numéro
OCEAN, O, O
Et l'oreille à l'appareil
La mer te racontera
Dans sa langue des merveilles
Que papa te traduira
 
"Enfantasques"
Editions Gallimard
 
L ' ENFANT QUI BATTAIT LA CAMPAGNE
 
Vous me copierez deux cents fois le verbe :
Je n'écoute pas. Je bats la campagne.
 
Je bats la campagne, tu bats la campagne,
Il bat la campagne à coups de bâton .
 
La campagne ? Pourquoi la battre ?
Elle ne m' a jamais rien fait.
C' est ma seule amie, la campagne.
Je baye aux corneilles, je cours la campagne.
 
Il ne faut jamais battre la campagne :
On pourrait casser un nid et ses oeufs.
 
On pourrait briser un iris, une herbe,
On pourrait fêler le cristal de l'eau.
 
Je n'écouterai pas la leçon.
Je ne battrai pas la campagne.
 
"Enfantasques"
Editions Gallimard
 
LA NUIT
 
Elle est venue la nuit de plus loin que la nuit
à pas de vent de loup de fougère et de menthe
voleuse de parfum impure fausse nuit
fille aux cheveux d'écume issus de l'eau dormante
 
Après l'aube la nuit tisseuse de chansons
s'endort d'un songe lourd d'astres et de méduses
et les jambes mêlées aux fuseaux des saisons
veille sur le repos des étoiles confuses
 
Sa main laisse glisser les constellations
le sable fabuleux des mondes solitaires
la poussière de Dieu et de sa création
la semence de feu qui féconde les terres.
 
Mais elle vient la nuit de plus loin que la nuit
à pas de vent de mer de feu de loup de piège
bergère sans troupeaux glaneuse sans épis
aveugle aux lèvres d'or qui marche sur la neige
 
"Poésies"
"L'enfance de l'Art"
éditions ouvrières
Sucession Claude Roy, D.R.
 
ETOURDIS ETOURNEAUX
 
Les étourneaux
sont étourdis.
On le dit.
 
Ils font des tours
et des détours
et ils rient.
 
Les étourneaux
n'ont pas de tête.
On le dit.
 
Mais ils sont gais,
les étourneaux,
légers là - haut!
 
Ils font dans le ciel
des anneaux,
des anneaux gais à tire - d'aile
les étourneaux
 
"La cour de récréation"
 
LES QUATRES ELEMENTS
 
L'air c'est rafraicissant
le feu c'est dévorant
la terre c'est tournant
l'eau - c'est tout différant
 
L'air c'est toujours du vent
le feu c'est toujours bougeant
la terre c'est toujours virant
l'eau - c'est toujours différent
 
Lair c'est toujous changeant
le feu feu c'est toujours mangeant
la terre c'est toujours germant
l'eau - c'est tout différent
 
Et combien davantage encore ces drôles d'hommes
espèces de vivants
qui ne se croient jamais dans leur vrai élément.
 
éditions ouvrières

RUTEBEUF
 
QUE SONT MES AMIS DEVENUS
 
Que sont mes amis devenus
Que j'avais de si près tenus
Et tant aimés ?
Je crois qu'il sont trop clairsemés :
Ils ne furent pas bien semés,
Point n'ont levé.
De tels amis m'ont bien trahi
Car tant que Dieu m'a assailli
De tous côtés,
N'en vis un seul en ma maison,
Le vent, je crois, les m'a ôtés,
L'amour est morte.
Ce sont amis que vent emporte,
Et il ventait devant ma porte :
Sont emportés.
 

François RUY - VIDAL
 
LES PETITS MENSONGES BLANCS
 
Moi je voudrais être poisson
Poisson de l'onde
Qui pourrait nager partout,
Dans l'eau des lacs et des rivières,
Dans celle des mers et des océans.
- Allons ne rêve pas
Tu n'es qu'un enfant!
- Oui, je sais: je suis un enfant
Mais qui peut voyager seul
Sans craindre le danger,
Sans être accompagné.
- Encore un songe
Couleur de ta jeunesse!
- Je partirai, ce n'est pas un mensonge.
- Non ce n'est pas un mensonge
Puisque c'est un tout petit mensonge!
Un de ceux, par milliers, qui peuple
Tes songes.
- Ils sont blancs mes mensonges,
Ce sont mes flocons de neige
Qui tourbillonnent et tourbillonnent
Dans mes pensées
Et quelquefois s'assemblent...
- ... Pour donner forme
A ce n'existe pas.
A ce qui n'est que rêve!
- Si j'étais ce poisson de l'onde,
J'irais partout, au fond de l'eau,
Pour connaître
Le froid des ruisseaux de montagne
Et la tiédeur
Des eaux lentes qui somnolent
Sous les arbres des berges.
D'en bas, du fond de l'onde,
Je verrais, à travers la vitre mouvante,
Le renard assoiffé
Qui, tôt le matin,
Avant que les hommes ne se lèvent
Viendrait boire son eau
A petites lampées.
 
"Les petits mensonges blancs"
 

Joël SADELER
 
ALLERGIE
 
Moi j' aime les routiers
I' sont sympas
Mais papa les aime pas
Parce qu' ils vous crachent dessus
Qu' ils toussent et éternuent
J' ai beau lui dire
Qu' ils ont le rhume des freins
Ca ne fait rien
I' les aime pas
Mais moi je sais pourquoi
Ils ont des gros biceps
Et papa n' a que deux bras
 
"In éclats de lire n° 8 décembre 85."
 

George SAND
 
LA REINE MAB
 
Quand la lune se lève
Sur le pâle rayon
Elle vient comme un rêve,
Dansante vision.
Le duvet que promène
Le souffle d'un lutin
Est le char qui l'emmène
Au retour du matin.
 
Au bord des lacs humides,
Dans la brume des soirs,
De ses ailes rapides
Effleurant les flots noirs,
Sur un flocon d'écume
Que le vent fait voguer,
 
Molle comme une plume
Elle aime à naviguer.
 
Lorsqu'à grand bruit l'orage
Court sur le bois flétri,
La fleur d'un lis sauvage
Souvent lui sert d'abri :
La tempête calmée,
Elle prend son essor
Et s'envole embaumée
D'une poussière d'or ...
 

Joseph Paul SCHNEIDER
 
TU DIS
 
Tu dis sable
et déjà
la mer est à tes pieds
 
Tu dis forêt
et déjà
les arbres te tendent leurs bras
 
Tu dis colline
et déjà
le sentier court avec toi vers le sommet
 
Tu dis nuages
et déjà
un cumulus t' offre la promesse de voyage
 
Tu dis poème
et déjà
les mots volent et dansent
comme étincelles dans ta cheminée
 
" dans Jean Orizet: Les plus beaux poèmes du monde "
 
 
 
 
 
 

Jean Paul SERMONTE
 
LE POETE
( à Frédérico Garcia Lorca )
 
On l'a emprisonné
Et on lui a dit de parler
Alors il a chanté
Une chanson avec un seul mot.
Ils se sont sentis méprisés
Ils lui ont dit " salaud "
Après l'avoir insulté, ils l'ont frappé
Il a continué à chanter
Alors ils l'ont torturé.
La mâchoire brisée
Il ne pouvait plus parler
Il a siffloté
Ils l'ont baillonné
Alors ses yeux ont chanté
Ils l'ont aveuglé
Il n'avait plus d'utilité
Alors ils l'ont tué
Mais de sa poitrine transpercée
Un oiseau s'est envolé
Et l'oiseau a chanté
La même chanson avec un seul mot:
LIBERTE !
 
 
 
 
 

Philippe SOUPAULT
 
GRAMMAIRE
 
Peut-être et toujours peut-être
adverbes que vous m'ennuyez
avec vos presque et presque pas
quand fleurissent les apostrophes
 
Et vous points et virgules
qui grouillez dans les viviers
où nagent les subjonctifs
Je vous empaquette vous ficelle
 
Soyez maudits paragraphes
pour que les prophéties s'accomplissent
bâtards honteux des grammairiens
et mauvais joueurs de syntaxe.
 
Sucez vos impératifs
et laissez-nous dormir
une bonne fois
c'est la nuit
et la canicule.
 
"L'arme secrète, poèmes et poésies"
Editions Grasset
 

Jules SUPERVIELLE
 
MATHEMATIQUES
 
Quarante enfants dans une salle.
Un tableau noir et son triangle,
Un grand cercle hésitant et sourd
Son centre bat comme un tambour.
 
Des lettres sans mots ni patrie
Dans une attente endolorie.
 
Le parapet dur d'un trapèze,
Une voix s'élève et s'apaise
Et le problème furieux
Se tortille et se mord la queue.
 
La mâchoire d'un angle s'ouvre.
Est-ce une chienne ? Est-ce une louve ?
 
Et tous les chiffres de la terre,
Tous ces insectes qui défont
Et qui refont leur fourmilière
Sous les yeux fixes des garçons.
 
"Gravitations"
Editions Gallimard
 

Anne SYLVESTRE
 
A SEPT ANS
 
A un an on tombe tout le temps
Un petit peu moins à deux ans
A trois ans la marche est haute
Mais à quatre ans on la saute
A cinq ans on cabriole
A six ans la grande école
Mais à sept ans on perd ses dents
On les met sous son oreiller
Une souris vient les chercher
Et on vous donne à sa place
Un jouet que l'on casse .
 

Jean TARDIEU
 
CONVERSATION
CONSEILS DONNES PAR UNE SORCIERE
CONVERSATION CONVERSATION
(Sur le pas de la porte avec bonhomie)
 
Comment ça va sur la terre ?
- Ca va ça va, ça va bien.
 
Les petits chiens sont-ils prospères ?
- Mon Dieu oui merci bien.
 
Et les nuages ?
- Ca flotte.
 
Et les volcans ?
- Ca mijote.
 
Et les fleuves ?
- Ca s'écoule.
 
Et le temps ?
- Ca se déroule.
 
Et votre âme ?
- Elle est malade
le printemps était trop vert
elle a mangé trop de salade.
 
"Le fleuve caché "
Editions Gallimard
 
 
CONSEILS DONNES PAR UNE SORCIERE
 
Retenez-vous de rire
dans le petit matin !
 
N'écoutez pas les arbres
qui gardent les chemins !
 
Ne dites votre nom
à la terre endormie
qu'après minuit sonné !
 
A la neige, à la pluie
ne tendez pas la main !
 
N'ouvrez votre fenêtre
qu'aux petites planètes
que vous connaissez bien !
 
Confidence pour confidence
vous qui venez me consulter
méfiance, méfiance !
on ne sait pas ce qui peut arriver
 
"Le fleuve caché"
Editions Gallimard
 

Edouard TAVAN
 
LA RONDE DES MOIS
 
Janvier grelottant, neigeux et morose,
Commande la ronde éternellement ;
Déjà Février sourit par moment ;
Mars cueille frileux une fleur éclose.
 
Avril est en blanc, tout ruché de rose
Et Mai, pour les nids, tresse un dais clément ;
Dans les foins coupés, Juin s'ébat gaîment,
Sur les gerbes d'or, Juillet se repose.
 
Derrière Août qui baîlle au grand ciel de feu
Se voile Septembre en un rêve bleu ;
Le pampre couronne Octobre en démence.
 
Novembre, foulant du feuillage mort,
Fuit l'âpre Décembre au souffle qui mord.
Et le tour fini - sans fin recommence.
 
"La coupe d'onyx."
Editions Payot
 

Guy TIROLIEN
 
PRIERE D'UN PETIT ENFANT NEGRE
 
Seigneur, je suis très fatigué,
Je suis né fatigué.
Et j'ai beaucoup marché depuis le chant du coq
Et le morne est bien haut qui mène à leur école.
Seigneur, je ne veux plus aller à leur école ;
Faites, je vous en prie, que je n'y aille plus.
Je veux suivre mon père dans les ravines fraîches
Quand la nuit flotte encore dans le mystère des bois
Où glissent les esprits que l'aube vient chasser.
Je veux aller pieds nus par les rouges sentiers
Que cuisent les flammes de midi,
Je veux dormir ma sieste au pied des lourds manguiers,
Je veux me réveiller
Lorsque là-bas, mugit la sirène des blancs
Et que l'Usine
Sur l'océan des cannes
Comme un bateau ancrée
Vomit dans la campagne son équipage nègre...
Seigneur, je ne veux plus aller à leur école,
Faites, je vous en prie, que je n'y aille plus.
Ils racontent qu'il faut qu'un petit nègre y aille
Pour qu'il devienne pareil
Aux messieurs de la ville,
Aux messieus comme il faut.
Mais moi je ne veux pas
Devenir, comme ils disent,
Un monsieur de la ville,
Un monsieur comme il faut...
Je préfère flâner le long des sucreries
Où sont les sacs repus
Que gonfle un sucre brun autant que ma peau brune.
Je préfère vers l'heure où la lune amoureuse
Parle bas à l'oreille des cocotiers penchés
Ecouter ce que dit dans la nuit
La voix cassée d'un vieux qui raconte en fumant
Les histoires de Lamba et de compère Lapin
Et bien d'autres choses encore
Qui ne sont pas dans les livres.
Les nègres, vous le savez, n'ont que trop travaillé.
Pourquoi faut-il, de plus, apprendre dans les livres
Qui nous parlent de choses qui ne sont point d'ici ?
Et puis elle est vraiment trop triste, leur école,
Triste comme
Ces messieurs de la ville,
Ces messieurs comme il faut
Qui ne savent plus danser le soir au clair de lune,
Qui ne savent plus marcher sur la chair de leurs pieds,
Qui ,ne savent plus conter les contes aux veillées.
Seigneur, je ne veux plus aller à leur école !
 
"Balles d'or"
 
 

C. TREMOLIERE
 
ET SI ON RETENAIT LES 6 TACTIQUES .
DE LA DIETETIQUE ...
 
Pour croquer le monde entier,
composez menus variés.
 
Trop c'est trop,
et trop peu n'est pas assez.
 
Buvez et buvez plusieurs fois
dans la journée.
 
Evitez les faux amis :
sucre, graisse et compagnie.
 
Mâchez, mâchez, mâchez,
et trois fois n'est pas assez.
 
J'écoute, j'écoute mon corps
me dire ce qui lui plaît.
 
"Bon appétit la vie."
 
 

 

Julian TUWIM
 
LES LUNETTES
 
Il court, il crie, maître Louis :
" Mes lunettes ont disparu ! "
 
Il fouille tout - son pantalon,
Ses chaussures et son veston.
 
Il met tout sans dessus dessous
Dans son armoire, il devient fou!
 
" Mais on a dû me les voler
Elles n'ont pas pu s'envoler! "
 
Il regarde sous le piano
Et puis sous les doubles rideaux.
 
Il soulève le canapé,
Tousse et glousse, tout essouflé.
 
De rage il va pour arracher
La moquette de son plancher
 
Ou pour appeler la police
Lorsque tout à coup, son oeil glisse
 
Sur un miroir - ce n'est pas vrai,
Il regarde encore - ça y est,
 
Les lunettes sont retrouvées!
Il les avait sur son nez.
 
"Pourquoi le concombre ne chante-t-il pas?"
le cherche midi
 
 

Marie VANCALYS
 
LA DISPUTE
 
La poule est fière d'avoir pondu
Kot, un bel oeuf sur la paille.
La voisine lui a répondu
Kot, j'en ai un dans l'étable
Oui, mais le mien est plus beau
Kot, sur la paille.
Celui que j'ai fait est plus gros
Kot, dans l'étable.
Le mien ...
Le mien ...
Sur la paille ...
Dans l'étable ...
Plus beau ...
Plus gros ...
 
Cocorico !
Le coq se dresse sur ses ergots
Personne ne dit plus mot.
 
"Mon beau sabot doré"
 

Jean Louis VANHAM
 
LA BERGERE ET LE MEUNIER
TROIS MICROBES
 
 
LA BERGERE ET LE MEUNIER
 
-Oui, je suis la bergère
De la vieille chanson.
Il pleut sur mes moutons
Des gouttes de lumière.
 
-Moi, je suis le meunier
Et je dors...mais d'un oeil.
Il tourne bien tout seul,
Mon moulin enchanté.
 
-Mes moutons sont rentrés.
Mon moulin arrêté.
Il ne pleut plus, bergère.
Le pain est cuit, meunier.
 
-Mets ta robe légère
Et tes jolis souliers
Sur la chanson des blés
Je t'emmène danser.
 
TROIS MICROBES
 
Trois microbes, sur mon lit,
Se consultent, bien assis.
 
L'un s'appelle Scarlatine
Il parle d'une voix fine.
 
L'autre s'appelle Rougeole
Et prend souvent la parole.
 
Et le trosième Oreillons,
Ressemble à un champignon.
 
Ils discutent pour savoir
Lequel dormira ce soir
 
Dans mon beau petit lit blanc.
Mais fuyons tant qu'il est temps!
 
Ces trois microbes, ma foi,
Dormiront très bien sans moi.
 
"Dans la lune"
Sabam Bruxelles

Léon VERANE
 
LIED
 
Il est venu dans le sentier,
A regardé dans le jardin,
J'ai cru qu'il allait pousser la barrière,
Mais il a passé,
Il a passé.
 
Pourtant les oiseaux du jardin chantaient
Et mes bras s'ouvraient pour l'accueillir.
Il sait combien je vais souffrir
Et il a passé
Sans s'arrêter.
 
D'autres l'attendaient aussi
Comme moi-même, comme moi-même,
Et peut-être est-il assis
Dans un jardin
Et sourit-il aux fruits que des mains lui tendent.
 
Mais s'il était entré ici
Il se serait miré dans la fontaine
 
Et la fontaine aurait gardé son cher reflet
Il est venu dans le sentier,
Mais il a passé,
Il a passé.
 

Emile VERHAEREN
LE PRINTEMPS
LES ALOUETTES
LE CHANT DE L'EAU
A PAQUES
LES PIES
LE VENT
LES USINES
OCTOBRE
LE PRINTEMPS
 
Un peu de neige au bord des toits.
Une branche à moitié blanche
Que le vent penche
Sur la fontaine,
Et puis le clos, et puis la plaine,
Et puis les arbres nus, et puis les hameaux froids
En cortège, vers l'infini, là-bas.
 
Les fleurs douces et volontaires
Sont couvertes encor de lourds frimas,
Mais entre elles causent déjà
De l'avril clair qui s'en viendra
Rompre leur somme sous la terre.
 
La pervenche qui sera mauve
Avant la fin du mois
Entend, ce soir, le rouge-gorge
Chanter et annoncer au bois
Que mille fleurs en grappes fauves
Pendent au long des charmes et des aulnes.
 
Tel se prépare le printemps
A rayonner au bon moment,
Tandis que, pour venir à lui,
Du fond de l'infini
Les hirondelles
Passent à longs coups d'ailes
Le bois obscur et le mont clair,
Et l'espace écumeux et mouvant de la mer.
 
"La multiple Splendeur "
 
LES ALOUETTES
 
L'azur est scintillant
De grands nuages blancs
Qui vont, viennent et passent ;
Comme des balles dans l'espace
Le tablier mouvant des blés
Projette,
Jusques au ciel les alouettes.
 
Elles fusent et jaillissent si haut
Vers la lumière et ses joyaux,
Que leur élan s'y noie
Et qu'elles voient sans qu'on les voie.
 
Mais les nuages blancs et lents
Qui, tout là-haut, font route,
Ecoutent
Leur chant
Et leurs cris et leurs trilles
Qui brillent
Tels des micas diamantés
Dans l'air torride et sec du flamboyant été.
 
LE CHANT DE L'EAU
 
L'entendez-vous, l'entendez-vous,
Le menu flot sur les cailloux ?
Il passe et court et glisse,
Et doucement dédie aux branches,
Qui sur son cours se penchent,
Sa chanson lisse.
 
Là-bas,
Le petit bois de cornouillers
Où l'on disait que Mélusine
Jadis, sur un tapis de perles fines,
Au clair de lune, en blancs souliers,
Dansa ;
Le petit bois de cornouillers
Et tous ses hôtes familiers,
Et les putois et les fouines,
Et les souris et les mulots,
Ecoutent
Loin des sentes et loin des routes,
Le bruit de l'eau.
 
Parmi les prés, parmi les bois,
Chaque caillou que le courant remue
Fait entendre sa voix menue
Comme autrefois ;
Et peut-être que Mélusine
Quant la lune, à minuit, répand comme à foison
Sur les gazons
Ses perles fines,
S'éveille et lentement décroise ses pieds d'or,
Et, suivant que le flot anime sa cadence,
Danse encore
Et danse.
 
"Les blés mouvants"
 
A PAQUES
 
Frère Jacques, frère Jacques,
Réveille-toi de ton sommeil d'hiver.
Les fins taillis sont déjà verts
Et nous voici au temps de Pâques,
Frère Jacques...
 
Hier matin, malgré le froid,
Deux jonquilles, trois anémones
Ont soulevé leurs pétales roses ou jaunes
Vers toi,
Et la mésange à tête blanche,
Fragile et preste, a sautillé
Sur la branche de cornouiller
Qui vers ton large lit de feuillages mouillés
Se penche.
 
Et tu dors, et tu dors toujours,
Au coin du bois profond et sourd...
Pourtant, voici qu'à travers ton somme
Tu as surpris, dès l'aube, s'en aller
Le cortège bariolé
Des cent cloches qui vont à Rome...
 
Et secouant alors
De ton pesant manteau que les ronces festonnent
Les glaçons de l'hiver et les brumes d'automne,
Frère Jacques, tu sonnes
D'un bras si rude et si fort
Que tout se hâte aux prés et s'enfièvre aux collines
A l'appel clair de tes matines.
Et du bout d'un verger le coucou te répond ;
Et l'insecte reluit de broussaille en broussaille ;
Et les sèves sous terre immensément tressaillent...
 
"Les blés mouvants"
 
LES PIES
 
De branche en branche

Les pies

Sautent, noires et blanches,

Et crient.

 

Un attelage,

Monumental comme une grange en marche,
Sur la montée, à contre-ciel, près d'un village,

Bombe sa charge.

Les fers des gros chevaux résonnent,
Le charroi passe, énorme et lourd,
Les petites maisons frissonnent

Aux carrefours.

 
Tandis qu'aux alentours,

Noires et blanches,

De branche en branche

Les pies

Crient.

 
"Toute la Flandre"
 
LE VENT
 
Sur la bruyère longue infiniment
Voici le vent cornant Novembre,
Sur la bruyère infiniment
Voici le vent
Qui se déchire et de démembre,
En souffles lourds, battant les bourgs,
Voici le vent
Le vent sauvage de Novembre.
 
Aux puits des fermes
Les seaux de fer et les poulies
Grincent.
Aux citernes des fermes
Les seaux et les poulies
Grincent et crient
Toute la mort dans leurs mélancolies.
 
Le vent rafle le long de l'eau
Les feuilles mortes des bouleaux,
Le vent sauvage de Novembre ;
Le vent mord dans les branches
Des nids d'oiseaux ;
Le vent râpe du fer
Et peigne au loin les avalanches,
Rageusement, du vieil hiver,
Rageusement, le vent,
Le vent sauvage de Novembre.
 
" Les villages illusoires "
 
LES USINES
 
(...) Là-bas: les doigts méticuleux des métiers prestes,
A bruits menus, à petits gestes,
Tissent des draps, avec des fils qui vibrent
Légers et fins comme des fibres.
Au long d'un hall de verre et de fer,
Des bandes de cuir transversales
Courent de l'un à l'autre bout des salles.
Et les volants larges et violents
Tournent, pareils aux ailes dans le vent
Des moulins fous, sous les rafales
 
(...) Automatiques et minutieux
Des ouvriers silencieux
Règlent le mouvement
D'universel tictacquement
Qui fermente de fièvre et de folie
Et déchiquette, avec ses dents d'entêtement,
La parole humaine abolie.
(...)
 
OCTOBRE
 
Sur l'épaule de l'humide matin, la brume
A doucement posé ses longs vêtements blancs.
De ci, de là, les toits et les chaumes s'exhument,
La brume est molle et claire, et le soleil est lent.
 
L'air immobile attend on ne sait quoi de l'heure,
Tout pas semble dormir, tout vol semble fermé.
Point de ruisseau qui fuit, point de source qui pleure,
Ce qui croissait est mort, après avoir germé.
 
L'automne règne: aucun arbre ne se balance
Au long des prés, des bois et des chemins seulets,
L'heure est de pourpre et d'or, et répand en silence
Un feuillage jauni sur les champs violets.
 
" A la vie qui s'éloigne "
 

Paul VERLAINE
 
LE CIEL EST, PAR DESSUS LE TOIT ...
LA PLAINE SOUS LA NEIGE
ARIETTES OUBLIEES (VII)
CHANSON D'AUTOMNE
ECOUTEZ LA CHANSON BIEN DOUCE
MARINE
 
LE CIEL EST, PAR DESSUS LE TOIT ...
 
Le ciel est, par-dessus le toit,
Si bleu, si calme !
Un arbre, par-dessus le toit,
Berce sa palme.
 
La cloche dans le ciel qu'on voit
Doucement tinte.
Un oiseau sur l'arbre qu'on voit
Chante sa plainte.
 
Mon Dieu, mon Dieu, la vie est là,
Simple et tranquille.
Cette paisible rumeur là
Vient de la ville !
 
Qu'as-tu fait, ô toi que voilà
Pleurant sans cesse,
Dis, qu'as-tu fait, toi que voilà,
De ta jeunesse ?
 
"Sagesse"
 
LA PLAINE SOUS LA NEIGE
 
Dans l'interminable
Ennui de la plaine
La neige incertaine
Luit comme du sable.
 
Le ciel est de cuivre
Sans lueur aucune,
On croirait voir vivre
Et mourir la lune.
 
Comme des nuées
Flottent gris les chênes
Des forêts prochaines
Parmi les buées.
 
Le ciel est de cuivre
Sans lueur aucune
On croirait voir vivre
Et mourir la lune.
 
Corneille poussive
Et vous, les loups maigres,
Par ces bises aigres
Quoi donc vous arrive ?
 
Dans l'interminable
Ennui de la plaine,
La neige incertaine
Luit comme du sable.
 
"Romance sans paroles"
 
ARIETTES OUBLIEES (VII)
 
Dans l'interminable
Ennui de la plaine
La neige incertaine
Luit comme du sable.
 
Le ciel est de cuivre
Sans lueur aucune.
On croirait voir vivre
Et mourir la lune.
 
Comme des nuées
Flottent gris les chênes
Des forêts prochaines
Parmi les buées.
 
Le ciel est de cuivre
Sans lueur aucune.
On croirait voir vivre
Et mourir la lune.
 
Corneille poussive
Et vous, les loups maigres,
Par ces bises aigres
Quoi donc vous arrive?
 
Dans l'interminable
Ennui de la plaine
La neige incertaine
Luit comme du sable
 
"Romances sans paroles"
Editions Booking International
 
CHANSON D'AUTOMNE
 
Les sanglots longs
Des violons
De l'automne
Blessent mon coeur
D'une langueur
Monotone.
 
Tout suffocant
Et blême, quand
Sonne l'heure,
Je me souviens
Des jours anciens
Et je pleure ;
 
Et je m'en vais
Au vent mauvais
Qui m'emporte
Deça, delà,
Pareil à la
Feuille morte.
 
"Poèmes saturniens"
Editions Booking International
 
ECOUTEZ LA CHANSON BIEN DOUCE
 
Ecoutez la chanson bien douce
Qui ne pleure que pour vous plaire.
Elle est discrète, elle est légère :
Un frisson d'eau sur de la mousse !
 
La voix vous fut connue (et chère !)
Mais à présent elle est voilée
Comme une veuve désolée.
Pourtant comme elle est encore fière.
 
Et dans les longs plis de son voile
Qui palpite aux brises d'automne,
Cache et montre au coeur qui s'étonne
La vérité comme une étoile.
 
Elle dit, la voix reconnue,
Que la bonté c'est notre vie,
Que de la haine et de l'envie
Rien ne reste, la mort venue
 
"Sagesse, XVI"
Editions Booking International
 
MARINE
 
L'océan sonore
Palpite sous l'oeil
De la lune en deuil
Et palpite encore,
 
Tandis qu'un éclair
Brutal et sinistre
Fend le ciel de bistre
D'un long zigzag clair,
 
Et que chaque lame,
En bonds convulsifs,
Le long des récifs
Va, vient, luit et clame,
 
Et qu'au firmament,
Où l'ouragan erre,
Rugit le tonnerre
Formidablement.
 
"poèmes saturniens"
éditions Bookking International, Paris
 

Charles VILDRAC
 
LA POMME ET L' ESCARGOT
 
Il y avait une pomme
A la cime d'un pommier;
Un grand coup de vent d'automne
La fit tomber sur le pré.
 
- Pomme, pomme, t'es-tu fait mal?
J'ai le menton en marmelade,
Le nez fendu et l'oeil poché!
 
Elle roula, quel dommage!
Sur un petit escargot
Qui s'en allait au village
Sa demeure sur le dos
 
Pomme, pomme, t'es-tu fait mal?
J'ai le menton en marmelade,
Le nez fendu et l'oeil poché!
 
Ah! stupide créature,
Gérnit l'animal cornu,
T'as défoncé ma toiture
Et me voici faible et nu
 
Pomme, pomme, t'es-tu fait mal?
J'ai le menton en marmelade,
Le nez fendu et l'oeil poché!
 
Dans la pomme à demi blette
L'escargot, comme un gros ver,
Rongea, creusa sa chambrette,
Afin d'y passer l'hiver.
 
Pomme, pomme, t'es-tu fait mal?
J'ai le menton en marmelade,
Le nez fendu et l'oeil poché!
 
Ah mange-moi, dit la pomme,
Puisque c'est là mon destin;
Par testament je te nomme
Héritier de mes pépins.
 
Pomme, pomme t'es-tu fait mal?
J'ai le menton en marmelade,
Le nez fendu et l'oeil poché!
 
Tu les mettras la terre
Vers le mois de février,
Il en sortira, j'espère,
De jolis petits pommiers
 
"Recueil de six chansons"
 

François VILLON
 
REGRETS DE JEUNESSE PERDUE
 
... Hé ! Dieu si j'eusse étudié
Au temps de ma jeunesse folle,
Et à bonnes moeurs dédié,
J'eusse maison et couche molle !
Mais quoi ? je fuyais l'école
Comme fait le mauvais enfant ...
En écrivant cette parole
A peu que le coeur ne me fend.
 

Louise de VILMORIN
 
FADO
 
L'ami docile a mis là
Fade au sol ciré la sole,
Ah, si facile à dorer.
 
Récit d'eau
Récit las
Fado
L'âme, île amie
S'y mire effarée.
 
L'art est docile à l'ami.
La sole adorée dort et
L'ami la cirée, dorée.
 
Récit d'eau
Récit las
Fado
L'âme, île amie
S'y mire effarée.
 
Sire et fade au sol ciré,
L'adoré, dos raide aussi,
L'ami dort hélas ici.
 
Récit d'eau
Récit las
Fado
L'âme, île amie
S'y mire effarée.
 
Edition Gallimard.
 

Wang WEI
 
LA PLUIE NOUVELLE
 
La pluie nouvelle mouille la colline.
Le crépuscule est un petit automne.
La lune brille entre les pins.
Le torrent est clair parmi les rochers.
A travers les bambous
J'entends rire les lavandières
qui reviennent à la maison.
Le parfum du printemps inspire puis expire
Comment le retenir avant qu'il ne s'échappe.
" Trésor de la poésie chinoise "
Adapté par Claude ROY
 

XXX
 
UNE MERE
L'ETOURDIE
 
 
 
UNE MERE
 
Des milliers d'étoiles dans le ciel,
Des milliers d'oiseaux dans les arbres,
Des milliers de fleurs au jardin,
Des milliers d'abeilles sur les fleurs,
Des milliers de coquillages sur les plages,
Des milliers de poissons dans les mers,
Et seulement, seulement, une mère.
 
 
L'ETOURDIE
 
Dimanche, j'ai perdu mon chien
Mercredi, j'ai perdu mon dé.
Jeudi, mon cahier de dessin.
Vendredi, j'ai perdu mes clefs.
"Que va-t-elle perdre demain ?"
Pense ma mère épouvantée.
 
Hélas, c'est vrai, j'ai un peu peur
Pour mon nouveau mouchoir à fleurs,
Je suis tellement étourdie ,
Que vais-je oublier samedi ? ...
J'aurais déjà perdu mon nez
S'il n'était si bien attaché.